mardi 11 décembre 2018

Rodin: "dessiner, decouper" : une révélation picturale au Musée Rodin !


 Si Rodin reste aux yeux du public un sculpteur, ses dessins sont, dit-il, « la clé de mon œuvre ». L’exposition Rodin, Dessiner, Découper, révèle au public près de deux cent cinquante dessins au sein desquels quatre-vingt dix ont pour particularité le découpage et l’assemblage de figures. Jouant de la mise en espace de ces corps, ce procédé révèle des silhouettes découpées audacieuses et un dynamisme d’une grande modernité. Cette exposition annonce un des modes d’expression novateurs du XXe siècle.

« J’ai une grande faiblesse pour ces petites feuilles de papiers ». C’est ainsi que Rodin manifestait son attachement à son œuvre dessiné. Dès ses débuts, Rodin réalise – de façon indépendante de ses sculptures – des dessins qu’il exécute d’après le modèle vivant. Il présente ses dessins dans toutes les expositions qui lui sont consacrées, d’abord à Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, La Haye en 1899, puis Paris en 1900, Prague en 1902 ou encore Düsseldorf en 1904. Le musée conserve la majeure partie de cet œuvre dessiné, environ 7500 feuilles.

UN MODE OPÉRATOIRE INÉDIT : DESSINER, DÉCOUPER

Rodin soumet ses dessins faits d’un premier jet à diverses métamorphoses. Il décalque ses dessins, repère le trait qui lui convient, pose la couleur en utilisant l’aquarelle, découpe ses figures, les replace, les assemble à d’autres figures et construit progressivement un dispositif inattendu.
910, il découpe une centaine de dessins de nus aquarellés qui sont le cœur de cette exposition. En les découpant, Rodin aime à les manipuler, les situer dans l’espace de multiples façons, les découper de manière volontairement approximative.
Il joue avec les petites figures de papier qui sont l’équivalent de ses figures en plâtre. En mettant en relation ces découpages avec le caractère tridimensionnel de la sculpture, les figures découpées apparaissent comme un nouvel « objet » entre le dessin bidimensionnel et la sculpture.
Dans une autre série, Rodin exécute à partir de ses figures découpées de véritables assemblages qu’il fixe lui-même sur un nouveau support, entrelaçant les corps dans une nouvelle composition. Dessinés et découpés, ces dessins ne sont pas de simples accessoires techniques : ils ont conquis leur statut d’œuvres à part entière. Le dynamisme des silhouettes annonce la modernité de Matisse.

COMMISSARIAT

Sophie Biass-Fabiani, conservateur du patrimoine

Grayson Perry




"Furia" de Lia Rodrigues : la danse d'hommes de paille, d'épouvantails, de pantins de pacotille gouvernementale!


Après Pour que le ciel ne tombe pas, pièce de groupe très physique travaillée en particulier par le rapport à l’autre, la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues continue de creuser cette question fondamentale de l’altérité avec sa palpitante nouvelle création, Fúria. D’écarts solitaires en éclats collectifs, les neuf danseurs ici mobilisés nous entraînent au cœur d’un univers de f(r)iction en perpétuelle mutation, qui entre en résonance profonde avec notre monde.

Une cérémonie rituelle inédite, chargée de significations à la fois plastiques, esthétiques mais aussi sociales et politiques, voici un "spectacle" qui ose montrer une civilisation métamorphosée sous l'impulsion de l'hyper créative Lia Rodrigues qui n'a de cesse de remettre le travail sur le plateau pour exprimer, révolte, sensibilité, soulèvement.
Les danseurs comme par magie ne cessent de se vêtir, dévêtir à l'envi, costumes surgis d'une coulisse imaginaire, à vue comme pour un couloir de défilé voguing, une estrade invisible ou les poses, attitudes de groupes sont des sculptures vivantes, mouvantes, sans cesse Corps construit, déconstruits, tous de couleurs, de pièces de tissus rafistolés, de lambeaux de vêtements usés, dépareillés, déchirés comme la société brésilienne cousue de toutes pièces en costume d'épouvantail ou d'homme de paille gouvernemental!
Décousue en pièces détachées à raccommoder, rafistoler de toute urgence!
Comme dans un manifeste pour la liberté, la différence, l'altérité, les danseurs défilent, paradent dans une cérémonie commémorative, votive de toute beauté
Chenille processionnaire qui se délite, se reforme, échafaude des monuments commémoratifs fort gais, des édifices en grand péril ou des structures mouvantes intrigantes et insolites. 
Lenteur, pesanteur et rythme incessant de la musique et des chants rituels kanacks, ceux des machettes et des instruments de torture...Mémorables événements corporels de mort et de bêtise humaine sans appel, sans retour...
Furie et aberration, on est médusé devant ce rituel païen d'ironie, de distanciation face à la posture politique de Lia Rodrigues qui fait parler les corps au delà du discours, de la revendication, de la simple dénonciation des faits et gestes des politiques au Brésil.
Enfant de la danse, militante du soulèvement et non de la révolte, elle place le corps au centre du spectaculaire et du vernaculaire.
Une fête à l'envers, un moratoire, grimoire de l'absurde, parade et parodie d'un cortège funèbre malgré tout joyeux et grotesque en diable !

Lia Rodrigues, artiste associée à Chaillot – Théâtre national de la Danse, réunit une dizaine de danseurs pour Fúria. La chorégraphe brésilienne nous donne à sa manière, engagée, des nouvelles du monde. En mouvement.Travaillant au plus près du corps, Lia Rodrigues revendique son engagement de tous les instants qui passe par un travail dans une favela, des spectacles questionnant l’écologie ou l’appropriation culturelle. Avec toujours une approche de la scénographie très forte – en témoigne Pindorama repris à Chaillot la saison passée. Fúria touche à la question de l’altérité, la chorégraphe élargissant son propos. « Si nous sommes le monde, nous sommes mis en mouvement par un radar délicat qui nous guide », écrivait l’auteure brésilienne Clarice Lispector. Lia Rodrigues entend s’interroger sur cet état, à l’image d’un « monde haché par une multitude de questions sans réponse, traversé de sombres et fulgurantes images, de contrastes et de paradoxes ». Porté par dix danseurs à l’engagement jamais pris en défaut, Fúria sera un miroir tendu à l’autre – vous et moi. Ensemble, spectateurs et interprètes dans cet espace protégé et ouvert qu’est le théâtre. « Un monde de bruit et de furie », dit encore Lia Rodrigues. Et de danse.