mardi 11 décembre 2018

"Furia" de Lia Rodrigues : la danse d'hommes de paille, d'épouvantails, de pantins de pacotille gouvernementale!


Après Pour que le ciel ne tombe pas, pièce de groupe très physique travaillée en particulier par le rapport à l’autre, la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues continue de creuser cette question fondamentale de l’altérité avec sa palpitante nouvelle création, Fúria. D’écarts solitaires en éclats collectifs, les neuf danseurs ici mobilisés nous entraînent au cœur d’un univers de f(r)iction en perpétuelle mutation, qui entre en résonance profonde avec notre monde.

Une cérémonie rituelle inédite, chargée de significations à la fois plastiques, esthétiques mais aussi sociales et politiques, voici un "spectacle" qui ose montrer une civilisation métamorphosée sous l'impulsion de l'hyper créative Lia Rodrigues qui n'a de cesse de remettre le travail sur le plateau pour exprimer, révolte, sensibilité, soulèvement.
Les danseurs comme par magie ne cessent de se vêtir, dévêtir à l'envi, costumes surgis d'une coulisse imaginaire, à vue comme pour un couloir de défilé voguing, une estrade invisible ou les poses, attitudes de groupes sont des sculptures vivantes, mouvantes, sans cesse Corps construit, déconstruits, tous de couleurs, de pièces de tissus rafistolés, de lambeaux de vêtements usés, dépareillés, déchirés comme la société brésilienne cousue de toutes pièces en costume d'épouvantail ou d'homme de paille gouvernemental!
Décousue en pièces détachées à raccommoder, rafistoler de toute urgence!
Comme dans un manifeste pour la liberté, la différence, l'altérité, les danseurs défilent, paradent dans une cérémonie commémorative, votive de toute beauté
Chenille processionnaire qui se délite, se reforme, échafaude des monuments commémoratifs fort gais, des édifices en grand péril ou des structures mouvantes intrigantes et insolites. 
Lenteur, pesanteur et rythme incessant de la musique et des chants rituels kanacks, ceux des machettes et des instruments de torture...Mémorables événements corporels de mort et de bêtise humaine sans appel, sans retour...
Furie et aberration, on est médusé devant ce rituel païen d'ironie, de distanciation face à la posture politique de Lia Rodrigues qui fait parler les corps au delà du discours, de la revendication, de la simple dénonciation des faits et gestes des politiques au Brésil.
Enfant de la danse, militante du soulèvement et non de la révolte, elle place le corps au centre du spectaculaire et du vernaculaire.
Une fête à l'envers, un moratoire, grimoire de l'absurde, parade et parodie d'un cortège funèbre malgré tout joyeux et grotesque en diable !

Lia Rodrigues, artiste associée à Chaillot – Théâtre national de la Danse, réunit une dizaine de danseurs pour Fúria. La chorégraphe brésilienne nous donne à sa manière, engagée, des nouvelles du monde. En mouvement.Travaillant au plus près du corps, Lia Rodrigues revendique son engagement de tous les instants qui passe par un travail dans une favela, des spectacles questionnant l’écologie ou l’appropriation culturelle. Avec toujours une approche de la scénographie très forte – en témoigne Pindorama repris à Chaillot la saison passée. Fúria touche à la question de l’altérité, la chorégraphe élargissant son propos. « Si nous sommes le monde, nous sommes mis en mouvement par un radar délicat qui nous guide », écrivait l’auteure brésilienne Clarice Lispector. Lia Rodrigues entend s’interroger sur cet état, à l’image d’un « monde haché par une multitude de questions sans réponse, traversé de sombres et fulgurantes images, de contrastes et de paradoxes ». Porté par dix danseurs à l’engagement jamais pris en défaut, Fúria sera un miroir tendu à l’autre – vous et moi. Ensemble, spectateurs et interprètes dans cet espace protégé et ouvert qu’est le théâtre. « Un monde de bruit et de furie », dit encore Lia Rodrigues. Et de danse.

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