vendredi 8 mars 2019

"Exact Music" : ça percute au Conservatoire ! L'image sonore, force de frappe de Damien Fritsch !


Il fallait franchir le seuil du bastion de gré rose, convaincre et séduire l'équipe
pédagogique du Conservatoire de musique et de danse de Strasbourg, pour oser et réussir à faire un film, un documentaire de création sur le processus d'apprentissage de la percussion...à Strasbourg!
Damien Fritsch l'a fait, armé de patience, de doigté, de savoir être avec l'univers musical et ceux qui apprennent à s'y coller, à s'y confronter. Corps et âme, jeunesse et opiniâtreté.

Car ce sont trois protagonistes, jeunes "apprentis" instrumentistes qui sont ici les "anti-héros" d'une narration filmique qui sourd de la musique et de son apprentissage. Trois personnages qui jamais ne jouent leur rôle mais qui sont "la musique" avant de la fréquenter en amante, démon, mante religieuse qui happe et séduit! Ravis et capturés , comme ces images dérobées à bon escient par un chasseur à l’affût !

Trois visages et corps , trois pensées en mouvement qui se rejoignent dans une même passion dévorante et studieuse. Accompagnés par leurs "professeurs", maitres et enseignants épris de bienveillance et de respect-Emmanuel Séjourné et ses confrères complices-, ils vont , tels des explorateurs parcourir leur cursus, très physique, organique pour accéder à la félicité de l'interprétation.
Guidé de baguette de maitre, chacun va trouver sa voie, galvanisé par sa propre recherche, son doute, ses tâtonnements, hésitations, ou renoncements
Dès la première image on adhère au style du réalisateur:un jeune homme plantureux pousse son xylophone dans un couloir sinueux, dans des tons bleutés, lui-même vêtu de cette couleur d'espoir et d'élévation.
Mais ce n'est pas l'autoroute qu'il fréquente, c'est le chemin de l'âne où il peut goûter à maintes fragrances, butiner et récolter le nectar musical de sa pratique, boostée vers l'inventif et l'altérité, la personnalité et la rigueur
De fantaisie aussi, il sera question pour eux, de questionnement, de dialogue et d'échange jamais unilatéraux avec leurs mentors-référents
Damien Fritsch pénètre cet univers privé, complexe et réservé avec franchise, audace et respect A l'écoute, devançant parfois l'intrigue qui se fait et se révèle sur le tas dans la spontanéité de ce qui se passe, face à la caméra discrète qui se trimbale une année durant dans les couloirs, les salles de travail. Jamais d’effraction ni de viol dans cette approche, huis-clos confidentiel d'un monde de labeur et de créativité.


Exacte musique
Le métier s'apprend, s'apprivoise et combat avec ces jeunes pensées et corps en mouvement
Si la danse est omniprésente ici, au travail comme dans la série d'André S. Labarthe "La danse au travail", elle passe à travers les paroles et les corps pour être musique vivante, gestes précis pour épouser, faire jaillir les sons, créer l'énergie du geste musical
Le son est envahissant dans cette ode à Terpsichore et  Apollon :  la musique réside aussi dans l'énergie du montage, la lumière qui va d'un univers plutôt froid à une résolution chatoyante, chaleureuse, gaie et joviale en fin de parcours du combattant Dans des nuances de coloriste, le cromalin-pantome  est alchimie des couleurs
Les espaces du conservatoire sont autant d'espaces mentaux à parcourir avec les jeunes élèves que l'on surprend à échanger, à réfléchir, à apprivoiser caisses claires ou timbales résonnantes.
La "musique au travail" pour ces MOF qui savent que leur destinée professionnelle leur appartient corps et âme.
Et quand des moments de pause, de détente Alexander, rythment le film, on respire avec eux en empathie dans cette épopée folle du savoir-être, savoir faire jamais formaté.
Méthode efficace puisque chacun trouve sa voie, sa place dans la communauté musicale qu'il choisit aiguillé par ses accompagnateurs bienveillants, artisans de la passation: les professeurs!
Tout trois plein de verve, de ferveur, d'originalité quant à leur façon de transporter ces jeunes vers leur identité artistique


La musique rivée au corps- caméra : micro-sillon poly -sons!

Ce film musical, partition, composition originale pour musique de chambre, vouée à l'orchestration de l'art des sons, est un bijou du genre.
Images-mouvements, sons polissons, poly phonie des couleurs qui viennent comme dans un tableau de Klee, Kandinsky ou Kupka   faire résonner la tectonique des masses sonores, des frappements, des caresses des baguettes, des mains sur la peau des instruments qui résonnent, vibrent et frissonnent
Vibrations des effets lumineux qui entraînent dans les rêves de chacun: les séquences fluorescentes, telles des clips vintage où chacun vit son fantasme, sont dignes d'un voyage sidéral sur tapis volant
La dure réalité des examens, présente entre les portes qui s'ouvrent et se ferment derrière les candidats se fait dramaturgie naturelle dans l'écriture scénaristique. Jamais de scènes en trop, ni d'immersion abusive dans la vie protéiforme d'un conservatoire
On reste auprès de Cédric, Clément et Elise au plus juste milieu de leur vécu d'artiste, d'élève, d'apprenant confronté au doute et à la félicité de la réussite!
Un film OVNI dont le trans-genre indéfinissable oscille entre intime-extime pour le plus grand partage, cum panis, en bonne compagnie!



Un conservatoire concertant!
Pas de formol ici, mais un bocal agité , bain de jouvence salvateur pour faire surgir un élixir bien distillé de la jeune génération d'interprète!
Des hommes et des femmes du "milieu" entourés pour mieux diverger et entreprendre!
Une "exacte musique" des corps filmés en contre-plongée, chaloupant, dansant, émouvants de fragilité et de détermination
Filmer la musique pour un tableau à la Kupka,  un studio lumineux à la Degas, une page de la "Ballerine" de Gunter Grass: Damien Fritsch ,peintre des musiciens au travail! Réalisateur et cinéaste de l'amour qu'il voue aux êtres humains sur leurs traces et signes d'existence sans fard !
Il frappe fort et ré-percute sons et frissons sur la peau du monde musical

Bravo à Ana Films et à tous les bâtisseurs de ce moment intense de musique pour tous !


jeudi 7 mars 2019

"Actuelles" : Des glaçons plein la robe": la grange aux belles.


Séparés par une hospitalisation, deux vieux paysans font retour sur l’amour la rage qui tient leur couple autour d’un gosse raté. Chacun avec sa langue — abrasive et syncopée, fluide et poétique — nous livre sa réalité, nous plongeant sans ménagement dans un monde au-dessous du monde obscur et percutant mais nimbé de poussière lumineuse.

Nous sommes bien quartier Gare à Strasbourg, rentrés par la sortie ou l'entrée des artistes des Taps Laiterie pour la seconde soirée des mythiques "Actuelles" version et cuvée 2019
Par la porte de la grange le public va s'installer incognito pour être la témoin de la vie champêtre et bucolique de fermiers, éleveurs de vaches et de veaux, de la "fermière", amoureuse et férue de bêtes à cornes dociles qui ne saurait s'en passer. Elle est frêle et petite pour aborder ce métier ancestral, brut et douloureux, fait de labeurs et de sacrifices....A son pupitre la comédienne lit et incarne la force et la fragilité de cette femme qui rit et qui pleure sur son destin fatal. Passeuse de tradition mais aussi de malheurs liés à sa profession; son mari, Lui est "tombé" malade a chuté et s'en remet difficilement sur son lit d’hôpital, paillasse de zinc, immense table à dissection médicale et clinique, en milieu de scène, dressée pour ce festin "de civet" de laitages et autre denrées issues du monde agricole de proximité, en circuit court!
Lui agonise, anone, émet des sons et éructe une syntaxe curieuse, sans "sujet" ou sans verbe, comme diffractée, interrompue, balbutiée, bégayée...En fond dans un coin, le fils, de dos parle dans un micro amplificateur, caverneux comme lointain et indifférent au destin prédit et prédestiné de ses parents.Pauvres, désespérés, sans avenir, la soupe de lait dans l'écuelle comme des animaux plus ou moins bien traités, mal considérés. Solitude et rêves à l'appui pour émerger de ces câbles déroulant leurs tentacules au dessus du lit d’hôpital, symbolisé par cette grande table familiale où pourtant personne ne se réunit!

C'est puissant et troublant cette lecture si bien incarnée, bordée par une musique quasi omniprésente, issue d'un luth ancestral comme  letton qui égrène ses mélodies d'antan, comme au bon vieux temps du partage agraire de la vie autour du feu familial.
Absurde, décalée, cette mise en espace d'un texte compacté aux dires de l'auteure qui s'est frottée au désir d'adaptation et de scénographie d'autres artistes.

Lait, urine, foin, vie quotidienne pesante, vache, boue et bouse comme terreau, comme verbes et syntaxe de ferme; grange et praticable fermiers sur lequel le public est perché, le temps du séjour agricole: on est immergé, acteur aussi en empathie avec ce monde défait. Sur sa table, le père perd ses repères, nu il se laisse laver pour une mort prochaine, par son fils: très belle image d'agonie accompagnée comme autrefois!
Diminué, affaibli, il anone des propos débridés, hachés: la langue est "cou coupée"  "à par le hêtre tout me laisse de bois" dit-il devant l'arbre qu'il entrevoit de sa fenêtre.  "Ce plouc sorti du bois" d'après sa femme, en dit long sur l'histoire de leur relation de subordination...La femme sacrifiée encaisse dans une belle langue lyrique qui la sauve de ce cloaque bouseux et sordide.Lui se souvient de son appétit d'ogre durant les "festins" de sa femme objet et soumise. 

Voie lactée sans issue
Récit douloureux d'une vie sans joie, "les glaçons plein la robe" au retour du puits de l'enfance, la pièce vit et frémit au sein du dispositif, sobre et évocateur à souhait d'un espace duel: le froid du clinique, le chaud de la ferme, grange aux belles.Les yeux des pommes de terre dans les yeux du fils qui se révolte, se nourrit de "la voie lactée" pour survivre à ses parents fatalistes. Capitulant devant leur sort.
De ces trois soliloques on garde une impression de vide La terre profonde en ligne de mire, la mythologie paysanne en poupe: comme une partition, une ponctuation pertinente, le texte s'incarne dans une élocution bizarre et intrigante. Le boyau archaïque du luth fait écho à cette micro société dans le foin de l'étable chaude où les câbles des micro sont autant de tuyaux et fils où la vie peut être coupée, arrêtée.

Musique de grange
Un thème ancien chant du quotidien sourd des doigts du musicien, Kalevi Uibo,complainte triste et ritournelle répétitive. Tour revient dans cet "éternel retour" de la vie, de la mort omniprésente, lourd fardeau des paysans éleveurs sans avenir que la souffrance de l'acceptation du destin irrévocable. La langue comme matériau sonore à malaxer selon l'auteur, ici présente comme tous les protagonistes de cette mise en espace signée des étudiants en scénographie de la HEAR;
Un exercice, travail pratique en temps et grandeur réelle pour "abîmer, jouer, déconstruire la langue" en une musique,de chambre, de grange ou d'étable orchestrée pour pénétrer un univers en huit clos: la langue urbaine aussi, en message courts et concis, brefs et efficace, secs et tronqués, face à la lenteur de la vie agricole éclairée , froide et clinique ou chaleureuse comme la paille et le feu d'un monde révolu. Le public comme les bottes de paille, au poulailler, grimpé  ou dans les stalles des bovins; 
A vous de choisir votre place et votre point de vue, en dégustant les produits de proximité cuisinés avec délicatesse par le chef d'un soir Olivier Meyer au popotes!

"Actuelles" aux TAPS Laiterie jusqu'au 9 Mars





Auteure Unn
Directeur de lecture Gaël Chaillat
Avec Sophie Thomann, Tristan Lettelier, Geoffrey Goudeau
Musicien Kalevi Uibo (luth roman, vielle et effets)
Scénographie (HEAR) Elie Vendrand, Léo Moreau, Lucie Mao, Gaëlle Hubert, Elise Jacques
Mise en œuvre des Actuelles Pascale Jaeggy, Yann Siptrott
Trublion Thomas Flagel
Marmiton Olivier Meyer, Kuirado
Réalisation des feuilles de salle (Master arts de la scène – Université de Strasbourg) Émilie Lajoux
La saison 2018-19 accueille la 21ème édition d’Actuelles. 96 textes auront été lus depuis la première édition de 2005.
Le principe est toujours le même : cinq pièces sont sélectionnées par les artistes associés (Pascale Jaeggy et Yann Siptrott cette saison) en collaboration avec le comité de lecture du TAPS.
Elles sont ensuite confiées à des directeur.trice.s de lecture qui constituent une équipe d’artistes pour en assurer la lecture et la partition musicale.
Chaque soir, un texte est ainsi présenté au public dans une forme simple privilégiant le rapport direct entre les artistes et le public. Des étudiant.e.s de la section scénographie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), accompagnés par leurs enseignants et l’équipe technique du TAPS, prennent en charge la mise en espace de chaque lecture, tandis que le cuisinier Olivier Meyer (Kuirado) concocte des mises en bouches inspirées par les textes et dégustées lors de la soirée. Des étudiant.e.s en dramaturgie de la section Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg composent les feuilles de salle et proposent des pistes de réflexion singulières pour chacun des textes.

mercredi 6 mars 2019

"Twice" : quitte ou double !



Emmanuel Eggermont & Robyn Orlin / L'Anthracite
TWICE
Projet particulier à destination du jeune public, TWICE présente dans un même programme les pièces courtes de deux chorégraphes aux esthétiques très différentes, elles sont interprétées par un même duo de danseuses. 

Emmanuel Eggermont - La méthode des phosphènes

 Les sentiers de l'âne
Eveiller l’œil et le corps à la couleur, ses vibrations, son imaginaire conduit le spectacle d’Emmanuel Eggermont. Son duo se déploie dans un paysage qui se dessine au fil des pas comme un jeu ou une balade, avec ses gammes de sons, de gestes et de couleurs.
C'est sur fond blanc-tapis de danse et fond de scène-que se "déroule" la pièce, deux rouleaux blancs au sol.Ronflements de machinerie pour border le tout.Un personnage en habit blanc,salopette, comme une protection d'abri anti-atomique, chaussures isolantes aux pieds apparaît. De dos, il se présente. Un lai de tapisserie papier peint descend des cintres, rose. Une seconde créature de fiction entre, en rose, protégée, encapuchonnée, en robe Leurs deux visages sont masqués: sorte de tube protubérant et voile d'apiculteur 
Comme dans la nature? opère un mimétisme: rose sur rose pour mieux disparaître à nos yeux, dans des mouvements lents et désarticulés, l'un et l'autre s'affairent à occuper cet espace vierge.Promeneur tout vert pâle, sans expression, la créature intrigue et questionne. Qui sont-ils?
Un rectangle bleu avance, figure géométrique, telle les mouvements aigus et angulaires dessinés dans l'espace .Un puzzle geste-matière peu commun.
Cet univers d'abri anti atomique tamisé par les couleurs pastels des uniformes-rose-vert-bleu pâle-se fabrique et perdure.Feutré, calfeutré, doux et imperceptible matière qui parle aux sens visuels et tactiles. Des gestes profilés, tectoniques, mécaniques sont esquissés, anguleux, stricts et droits. Les saveurs pastels cadrent des gestes, formes abstraites, géométriques. Des positions assises, allongées en suspension, sorte de yoga tantrique se distinguent. Pauses, attitudes ou postures arrêtées, médusantes. Oiseau échoué, méditation suspensive et aérienne; tout confère à l'évasion, à la distanciation. Des glissades, des arrêts sur image, robotiques, des hésitations, coudes en revers Le tableau bleu se fend en deux découpes, dentées, comme deux pièces de puzzle, formes triangulaires, iceberg émergé qui navigue, manipulé par le personnage non identifié. Anonymat, absence de sexualité, neutralisation des corps. Les gestes fluides et précis tracent lignes, plans et figures. Le lai rose devient chemin, tapis magique, traces et repère dans les évolutions, de l'un d'entre eux.C'est le pied qui pousse et déroule l'objet et ouvre l'espace devant lui. En saccades, brisures, angles droit, l'autre danse. Hybrides inquiétants, ces animaux mécaniques tout droit sortis d'un bestiaire de musée du jouet d'antan, se découvrent le visage: deux femmes dans des gestes à présent plus tendres et élastiques.



Manipulation d'une nouvelle forme bleue apparue du dessous du tapis blanc, extraction géomorphologique, trouée, percée d'un rond Alors que sur le mur du fond, une forme ronde, lunaire, s'éclaire et resplendit, détournant l'attention. Animés par les corps dansants, les panneaux prennent vie et comme des marionnettes sans fil, objets plats et rigides, masquent les parties de corps des danseurs.Les costumes changent dévoilant les personnes: jupette bleue, chemise rose, baskets bleus et de belles reptations se dessinent au sol La musique déchire, bruits et sons variés accompagnant la gestuelle en osmose et connivence. La lune blanche veille, l'autre en habit bleu et blanc, lunettes trois D sur le front, cravate blanche et baskets jaune, fait son pendant. Deux êtres de BD, de science fiction qui se déplacent à loisir dans cet univers pastel. La forme bleu marine devient berlingot dégonflé, essoufflé, pyramide ou sac à dos.
 Décadrage et décalage des gestes segmentés, engrenage et mécanique d'usine à broyer le temps et l'espace. Le formatage n'est pas loin pourtant sur ces chemins tout tracés de lais, directions obligées au sol. Pas de "sentier de l'âne" où bifurquer à sa guise dans cet univers fabriqué !
Personnages découpés à la "Dada", Arp, Taeuber ou Ball, les deux évoluent sans interaction, ni contact. La plasticité des volumes, l'espace sonore et lumineux évoquent cosmos ou univers lunaire Démantibulation d'un monde haché où au final, l'accord des formes réconcilient le monde artificiel.
Une pièce très visuelle et plasticienne, douce et apaisante mais oh, combien insolite et intrigante.

Changement de décor à vue, le temps pour les techniciens d'arracher les scotchs du tapis blanc, temps pour les enfants de répondre à un questionnaire sur la technique et le décor, la lumière ou la danse!

On rembobine pour laisser le tapis noir, un trapèze et des fils reliant des micros....
Occupés intelligemment pour éviter "les vagues" de l'indiscipline, les enfants se concentrent. !


Robyn Orlin : In order to be them we must be us... 
Un tissu de couleurs chatoyantes!
Artiste iconoclaste, Robyn Orlin, chorégraphe sud-africaine à l’humour tapageur, s’adresse pour la première au jeune public. Gageons que dans cette nouvelle création, objets, musiques, corps et images sont l’occasion de nombreuses facéties, le temps de partager avec les plus jeunes, cette jubilation particulière qui a fait sa réputation.


Et c'est à un vrai carnaval de couleurs et de sons qu'invite la seconde pièce du programme, signée Robyn Orlin Deux micros, deux femmes dans le public annonent "Allo" de toutes les façons possibles, histoire de se "connecter".. Une caméra sur pieds filme en direct la salle, plan fixe. L'occasion pour les enfants de s'y voir et reconnaître dans une belle turbulence ! Sur l'écran c'est comme une chorégraphie de foule de match sportif qui s’agite. Deux femmes parmi les fauteuils des spectateurs dans des vêtements très colorés, amoncellement de tissus dépenaillés s'amusent et vocifèrent. Très présentes et indisciplinées, elles séduisent et enchantent la jeunesse fébrile présente. Un "Allo", décliné à l'envi fait mouche, sorte de litanie ou mélopée étrangère, vocabulaire musical, chanté, psalmodié, inventif et reproductible dans sa simplicité et accessibilité.: interrogations, exclamations, insistance abrupte, élans verbaux amusants. C'est de la musique et du rythme en live. Urgence et fébrilité de l'action, micro en main, immergée dans la Foule.Vocalises incongrues où l'on retrouve les inclinations de Robyn Orlin pour la voix, l'opéra le souffle et le chant détourné.Intonations désespérées, elles se démettent à loisir de ces oripeaux, patchwork de couleurs vives et voyantes, chaleureuses et tout de laine et de douceur tactile.Tout sur la parole, le geste désordonné, en rupture, indisciplinaire et révolté! "A l'aide" repris par les enfants, comme un slogan de manifestation politique. Danse à l'africaine, saccadée, gaie et joyeuse, contagieuse et simple. Frusques et bouts de ficelles, second hand pour cet "united colors off Robyn". Pleins feux dans la salle pour cette prestation emballante, souffle et jeu de percussion avec les micros frappeurs, comme des armes de guerrières Puis c'est l'accalmie et le repos, sur scène: on les regarde, artisanes au travail: elles nouent leurs tissus sur le cintre, en font un écheveau de couleurs, tissage manuel d'une tapisserie joyeuse, haute en couleurs à la Sheila Hicks. Elles chantent en anglais, et leurs images inversées -scène-public- dévoilent l'envers du décor. Comme une suspension de linge, rituel domestique sur un métier à tisser traditionnel. Nœuds de tapisserie de laine colorée. Tout devient balançoire, déballage, garde robe et garde corps, garde fou d'une danse hallucinée. Baluchon, bataille de tissus de deux mégères apprivoisées. Des chutes, du comique de répétition à la Chaplin, plein de clins d’œil à d'autres mythes et culture: la richesse de toutes ces suggestions percute.
Les images virtuelles copient le réel qui s'agite
Sculpture des corps en habits de patchwork comme des Wildermann de carnaval des pays chauds! Comme dans un vide grenier, vide-mémoire salvateur qui libère et se détache du quotidien pour le transcender.
De belles voix claires, rêveuses venues d'un ailleurs ravissant terminent cette cérémonie turbulentes et enivrante pour ce jeune public, ravi et rapté , capturé par tant de proximité allusive et vécue, si proche de l'univers fantasmé des enfants, coloré et sans frontières apparentes.


A Pole Sud jusqu'au 5 MARS



Sheila Hicks