mardi 28 mai 2019

"Les palmiers sauvages" :matelas pour lits mineurs, majeurs!


"Les Palmiers sauvages de William Faulkner raconte la passion amoureuse de deux êtres en rupture avec la société. Charlotte et Harry se rencontrent dans une brocante et c'est le coup de foudre. Elle quitte mari, enfants et vie bourgeoise. Il interrompt ses études de médecine. Ils fuguent à travers l'Amérique pour vivre un amour sans compromis qui basculera dans la tragédie. Sévérine Chavrier, en adaptant librement ce roman, vise à montrer le caractère subversif et asocial de la relation amoureuse."

Foudre, tonnerre en prologue, éclairs et "coup de foudre" pour les deux protagonistes: on est dans le vif du sujet d’emblée dans une scénographie encombrée de matelas, d'abats-jour vintage, de chaises et d'une immense bibliothèque qui semble contenir autre chose que des livres et leurs fantômes! Deux êtres charmants qui démarrent un amour en arrière-train ou la sexualité bat son plein en cabrioles, kama-sutra burlesque fait de petites saynètes joviales où tout coule de source: le bonheur, la joie inondent Charlotte, quasi nue, puttini charmant à la voix qui chuchote à l'oreille de Harry, plutôt prude et inexpérimenté en amour! Fesses à l'air, juvéniles, naifs, ils se chamaillant sans cesse, courant sur scène allègrement, toniques, nos deux anti-héros vont vivre leurs plus belles années et les voir se fondre en routine et dépression, hélas! En dialogues inventés, rebondissant de verve, en phrasé ludique et chatoyant, en langue du sexe et de la candeur. Ils rebondissent sans cesse sur trampoline ou matelas alignés, dojo de plaisir dédié aux roulades, aux étreintes à la répulsion aussi car Charlotte a du caractère, bien trempé! Beaucoup de charme pour cette prestation très tendre, très physique à fleur de peau, de tendresse, d'amour inventé dans l'urgence. Et plein d'mages vidéo, en direct, àla Mélies ou à contre-plongéeou de vérité, d'imaginaire qui réveille, touche et fait mouche: les personnages d'un livre devraient s'arrêter pour conter les histoires des lecteurs! Des bribes de Marguerite Duras viennent dérober le sens, fait dérailler le correct et plonge dans l'extase d'un India Song, en flash évoqué
Elle, ressemble à l’héroïne de "Amélie Poulain", sa voix , son incandescence fulgurante, son corps gracile et agile lui enseignent la spontanéité, l'acrobatie érotique aussi pour des plaisirs partagés Mais le vent tourne, les zéphyrs deviennent bourrasque et mistral, tramontane et tempête! Vent contraire et navigation ardue au menu de cette destinée féroce qui s'abat sur ce couple, duo de vie, spontané, pétillant de jeunesse. Ils vont se vêtir, quitter la nudité, crue, dévorante pour l'enfer à le Bosch, en noir, en habits qui dissimulent beaucoup les sentiments , les sensations. 
Les bruitages bordent l'intrigue qui va bon train, se niche dans le lit mineur de cette rivière des sens, dans le lit majeur de ces circonvolutions sur le plateau qui déborde: des boites qui tombent des étagères au fur et à mesure que l'on avance dans le temps qui souille les amours naissant et adolescents."Combien de fois, fait-on l'amour" ? se questionne-t- elle d'un air malin, mutin, espiègle.. Et le "ça c'est beau" est une séquence où toute la beauté du corps passe à la moulinette des sensations, surprises, à montrer, à faire voir au spectateur: une vraie leçon d'érotisme, d'érogène aussi tant tout est ici à fleur de peau.Le drame se joue pour un avortement "maison" où Harry endosse son rôle de chirurgien , faiseur d'ange, il ruine le corps de son angelot bien sexué pour in fine lui ôter la vie; 
Pas de pathos, mais une vraie sensibilité charnelle, dansante, animée de force, de conviction et d'engagement de la part des deux acteurs qui s'attellent à ce championnat, marathon d'excellence l
Recoller les morceaux, réparer l'irréparable de cette archéologie du présent humain, serait une issue fatale, ratage, fiasco et panique de la perte de l'être aimé Harry suffoque, manque d'air, étouffé par le vent qui inonde l'atmosphère de ces voyages où nos deux nomades ne s'ancrent jamais de Chicago, à la foret remplie d'animaux bizarres qui leur ressemblent dans leur pratiques instinctives de chasse, d'esquives ou de culbutes endiablées!

Au TNS jusqu'au 7 Juin
Séverine Chavrier dirige le CDN Orléans / Centre – Val de Loire depuis janvier 2017. Entre 2014 et 2016, elle crée deux spectacles au Théâtre Vidy – Lausanne, Les Palmiers sauvages, d'après le roman de William Faulkner, et Nous sommes repus mais pas repentis, d'après Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard, présentés ensuite en diptyque à l'Odéon – Théâtre de l'Europe. Son geste artistique s'appuie sur une recherche mêlant théâtre, musique, objets, son et vidéo.
D’après le roman de William Faulkner
Mise en scène Séverine Chavrier
Avec Séverine Chavrier, Laurent Papot, Deborah Rouach
Dramaturgie Benjamin Chavrier
Scénographie Benjamin Hautin
Son Philippe Perrin
Lumière David Perez
Vidéo Jérôme Vernez

samedi 25 mai 2019

De Beren Gieren et Lynn Cassiers Imaginary Band : Animalité et Voix partagées!


DE BEREN GIEREN + LYNN CASSIERS IMAGINARY BAND
Belgique
"Une soirée pour découvrir la nouvelle scène créative belge avec le trio De Beren Gieren, qui fait partie de cette génération de jeunes groupes flamands qui bouscule les conventions en faisant se côtoyer hip-hop, classique rock et jazz. Née à Anvers en 1984, la chanteuse Lynn Cassiers a composé un répertoire entièrement nouveau pour son “Imaginary Band“. Ses compositions sont dynamiques et ouvertes, mais aussi vulnérables et poétiques. Avec sa voix rêveuse et ses manipulations électroniques, elle nous emporte dans son univers très singulier. “Imaginary Band” transcende ainsi la forme d’un ensemble de jazz classique et s’avère extrêmement rafraîchissant et stimulant."

De Beren Gieren : Fulco Ottervanger, piano / Lieven Van Pée, contrebasse / Simon Segers, batterie

Que voici un ensemble atypique, un trio bien vivant et plein d'humour "un ours" qui hurle ou crie, des animaux, des vautours pour fétiches et amulette, pour "grigri" et autre marotte !
De l'humour en perspective, de la verve et des surprises tonales pour cette prestation très "contemporaine" aux accents détonants.Piano, contrebasse, batterie en verve et en ébullition, un cube lumineux pour renfort d'images, de couleurs, de mouvements et de sensations.Bruits de scie, de piano préparé, ambiance cosmique garantie lors des trois pièces jouées: beaucoup d'espaces libres dans un train d'enfer soutenu et varié!
Un pianiste aux gestes amples et suspendus devant son clavier, agile, volubile, très inspiré!
 La vie de l'ombre, une valse incongrue, de "promesse triste", en trois temps alertes à peine perceptible.Alors que des images de flux défilent sur les faces du cube allumé de mouvements picturaux étranges: ambiances urbaines ou naturelles.
Un splendide solo de contrebasse, une tonicité, inventivité au rendez-vous pour cette prestation inventive, enthousiasmante.
Quasi mélodique et onirique parfois, renvoyant à des univers éclatés, des espaces suggérés par les images sur les facettes multipliées de ce "white cube" versatile. Un univers imaginaire, villes oubliées, cités interdites pour des effets parallèles de rythmes qui se heurtent, se doublent, se dépassent. Et pour "Jours provisoires" , de marche en marche, dans une démarche avec appuis et rebonds, le rythme s'homogénéise: défilement de paysages naturel au point: les effets répétitifs hypnotisent, très aériens.



Imaginary Band : Lynn Cassiers, voix, électronique, compositions / Sylvain Debaisieux, saxophones / Ananta Roosens, violon, trompette / Sam Comerford, saxophone / Erik Vermeulen, piano/ Manolo Cabras, contrebasse / Marek Patrman, batterie.

Une formation "made in Belgium" de grande qualité, inédite pour ce concert qui a la fritte!
La voix de sa fondatrice et auteure des morceaux est étrange, travaillée sur le mode rocaille et sensibilité à des émissions singulières, proches de la musique "nouvelle" ou "contemporaine". Voix trafiquée pour le meilleur de la diversité de tons, de timbres, corne de brume mugissante, tous se transfigurent lors des quatre pièces interprétées par cette formation très à l'aise, de communion et ce concert, habitée. Voix et violon se rencontrent, se doublent, se bordent ou filent entre les interstices musicaux
De la verve contagieuse dans ce programme "maison" riche de créativité, de dérapages, de tournants à 180 °  pour mieux étonner, sensibiliser à une écriture qui se déverse, singulière et très recherchée.La compositrice, chanteuse, décoiffante, présente et accueillante, ravie de nous offrir ce soir là le meilleur de cette "grande formation" belge aux accents singuliers

JAZZDOR au Fossé des Treize ce 24 Mai

Love Music "Time flies" : l'éphémère bien "noté" !


Flûte - Emiliano Gavito / Clarinette - Adam Starkie / Hautbois - Niamh Dell  
Certaines pièces de ce programme sont inspirées par des oeuvres d’art plastique qui sont figés dans le temps, un cliché instantané d’un moment spécifique, c’est-à-dire im-mobiles mais qui devient autre - vivant - pendant le moment de la performance musi-cale. 
D’autres pièces “accompagnent” musicalement, pendant un temps spécifique, une oeuvre plastique déjà mobile. Ainsi certaines oeuvres musicales donnent vie et mou-vement aux images figées tandis que d’autres devient un cliché éphémère qui ne dure qu’un instant pendant la “vie” des ouvres plastiques. 
Il existe donc un jeu de mots dans le titre de ce programme. Time flies, l’expression an-glaise veut dire le temps passe vite mais au sens figuré cela veut dire aussi que “le temps s’envole”, évoquant l’idée du mouvement.

Non, vous n'êtes pas en retard. Les musiciens sont déjà sur scène, tenue relax, pieds, nus et semblent s’entraîner en attendant le placement définitif du public.
Le silence se fait peu à peu pour céder la place à une véritable écoute, sans le joyeux brouhaha des spectateurs. La pièce était déjà bel et bien et largement entamée:"Hotel Deutsches Haus 2" de Peter Ablinger, pour flûte basse,cor anglais , clarinette en la et bande de 2001 !
En bribes courtes, ponctuée de silences, comme des hésitations ou des pauses, des points ou des virgules en syntaxe musicale.De courtes pièces intrusives pour mettre en appétit, dompter l'écoute, faire un "training" du spectateur-auditeur pour une bonne concentration! Une image vidéo, très urbaine pour npus plonger dans une ambiance citadine: le fronton de la BNU, filmé en temps réel pour nous reliés et nous géolocalisé, nous apprivoiser sur le chemin de la rencontre musicale

Place à la stridence de "Fliegen, fliegen" de Annette Schlunz, pour fendre l'air comme ces paniers à ikebana qui laisse filtrer les souffles au travers du travail de la vannerie. Les trois "vents", flûte, hautbois et clarinette, se fondent ou se séparent, le trio, proche ou distribué dans l'espace. Faisant corps et décor au regard des images d'asticots frétillants en couleurs, comme toile de fond ou rideau de scène arrière!
Ils font masse compacte, alors que la musique pose ses marques, fracturées, fragmentées dans l'espace sonore. Joli jeu de têtes, de directions corporelles dans le volume imparti du plateau et des images qui font écho à ces bizarreries sonores! Stridences invocations dérangeantes.

"Le malheur adoucit les pierres" de Samuel Andreyer, inspiré d'un tableau surréaliste de Yves Tanguy, fait suite sans interruption, ni applaudissement, pour un trio de flûte basse, cor anglais et clarinette basse. Sur fond d'images vidéo de pierres, de matériau lapidaire, de roches de gré qui se transforment sous le regard de l'oeil caméra.Granité, gravité de l'opus, enchevêtrement ruilés de silences et de sonorités inédites qui s'égrainent au fil de l'interprétation, sur le fil de la douceur, de la connivence de ce trio singulier.Les cristaux de roc, comme étoile, guide et protection céleste, toit du monde environnemental et mental.Belle pièce cosmique, invasive et pourtant si subtile à l'écoute.

Pour "trois visages" de Nicolas Marty, pour flûte et flûte basse, clarinette et clarinette basse, c'est à petits pas feutrés que l'on ose à peine déranger le duo de musiciens, pour pénétrer dans une ambiance à suspens, suspension des sons, introduits légèrement, comme de la brise, un souffle matinal de zéphyrs Peuplée de silences affirmés comme des ponctuations picturales qui laissent reposer l'oeil et l'oreille sur de l'éphémère dont la rémanence serait encore de l'existence matérielle!
Un dialogue complice, discret, ténu, infime osmose entre les deux interprètes qui se profilent devant l'alternance des sonorités, des timbres émis pour la plus grande surprise à chaque reprise après silences qui en disent long!

"Triplum" de Franco Donatoni, pour flûte, hautbois et clarinette de 1995
Un trio vif, alerte, coloré, gai, relevé en ascension sonore et amplitude des volumes, en re6descentes joviales: une musique incisive, fragmentée, découpée comme des ombres noires, silhouettes animées par une lanterne magique!
La virulence des sons, éveille, ébranle, secoue brèbves incursions dans un univers résonant de souffles coupés.
Au final de ce concert, très "dans le vent" et les souffles des dieux éoliens, "Muro d'horizzonte" signé Salvatore Sciarrino pour flûte alto, cor anglais, et clarinette basse
Un trio très délicat, à la syntaxe brève, ponctuée de salves tirées des instruments comme des pichenettes ou , de petites touches de sons malins et porteurs de charme et de tendresse;
Subtiles sonorités qui s'attrapent, se cherchent, se traquent, en suspens ou courses filles. De longues tenues musicales les recouvrent pour inonder l'espace, recouvrir la masse sonore en toile tendue, vibrante: des dissonances fusionnelles très appréciées par nos oreilles aguerries aux sons inédits de ce répertoire recherché et détonant.

C'est tout le caractère de "Love music" qui s'y retrouve, en surprenant toujours au hasard des détours et croisements: quelle direction prendre dans cette atmosphère de danger, de surprise !

A l'Auditorium de la BNU le vendredi 24 Mai 19H

Musique de Nicolas Marty (création), Samuel Andreyev (création), Annette Schlünz, Peter Ablinger, Franco Donatoni, Salvatore Sciarrino.