jeudi 19 septembre 2019

"Alain Bashung, Vertige de l'amour'": Monsieur Feltz rêve et ose Christophe !


"Pour ce premier rendez-vous de saison 6 des "Mercredis du Brant", le mercredi 18 septembre 2019 à 20h au Café Brant de Strasbourg (Place de l'Université),
la compagnie Théâtre Lumière  propose une immersion profonde et sensible dans l'univers rock et poétique d'Alain Bashung.
Avec Serge Gainsbourg comme grand frère et Roldophe Burger de Katonoma comme fils spirituel, celui qui vécu son enfance en Alsace restera à jamais dans nos coeurs de rocker.
Déjà 10 ans (2009/2019) qu'Alain a rejoint sa Joséphine dans son rêve de mots bleus.
La petite entreprise de Gaby ne craignait pas la crise, et même si la nuit il mentait et prenait des trains à travers la plaine, encore et toujours l'âne plane au-dessus de nos âmes de fans de Monsieur Alain Bashung."


L 'obsédé textuel

"Je suis un loup ...doux" alors débarrassez moi de cette grand-mère: voici le petit Chaperon Rouge de Bashung, première incursion dans le monde fantasmé du poète-musicien, en prologue à la soirée qui lui est dédiée par Christophe Feltz, valeureux chevalier découvreur, délivreur des textes des paroliers et chanteurs les plus connus. Mais à contrario dont les textes sont souvent occultés, pas compris tant la musique submerge le sens  ou la dramaturgie.
D'un "étranger rebelle" qui affirme qu'il faut se préserver si on veut durer" au "saut à l'élastique dans le Vercors", autant de dynamiteur d'aqueduc qui se révèlent à travers la diction, les mots du comédien: on y retrouve notre "latin" et "la nuit je mens m'en lave les mains" résonne à double sens au mieux!"La nuit, je mens énormément" devient colossal, la courte phrase en dit long et l'on plonge dans des univers sans fond, abîme délicieux de la compréhension sans obstacle, ni censure.
Un "bijou" où il met les bouts, cloue des clous sur des nuages sans échafaudage : tous les sons résonnent dans la bouche, sur les lèvres du conteur qui révèle et relève la richesse de ces oeuvres de paroliers remarquables.
"j'ai crevé l'oreiller" où "Dieu avait mis un kilt" font mouche, "pour un chien qui n'en démord pas" suit le cour de ces jeux de mots sonores, vire-langues savants, jamais vulgaires ni salaces, malgré le propos toujours très "sexuel" des paroles.
Comme des coups de latte, des baisers pour cet homme qui passe de sas en sas.
Que neige (n'ai- je)fondu sur ton balconnet: encore une citation burlesque en diable à double sens qui sonne juste et sème le trouble, la discorde pour le bien-pensant correct !Tout ici s'écoute et s'entend avant tout et c'est un régal en suspens qui sous-tend notre attention en perpétuelle alerte, alarme de surprise, de glissement -progressif du plaisir- !
Les grands voyageurs ne respectent pas les consignes", les hommes à femmes, affamés (à femmes et) non plus!Univers linguistique de rêve pour Madame qui érotise chaque objet, chaque parole à double sens: un jour, jusqu'au jour où....Le rose a des reflets bleus.
Un petit temps d'écoute comme intermède ou entremet pour mieux situer les paroles et textes au sein de la musique, plus reconnue... "Night in white satin" comme un Moody Blues à la Bashung, voix érayée, rauque et sensuelle à l'appui! "Tu m'as conquistador (conquis je t'adore), pour la route, un coït de coyote , un SOS à mort (amore) pour mieux jouir de la vie!
Christophe Feltz prend plaisir à malaxer les mots, ponctue, module, chuchote et improvise quelques beaux gestes de don de soi, d'ouverture ou de questionnement étonné. Il rythme et met en scène le tout, sans regard extérieur, avec justesse, modestie et impact! Les mots choisis, très musicaux, "duo de nous deux", bâtissent en filigrane toute l'érotisation sensuelle des textes qui n'en démordent pas: scansion des sons, des voyelles, des chuintantes, richesse sémantique et linguistique au poing!
C'est avec "Gaby" que le sommet de sa démarche se confirme: très bien joué, interprété en comédien-conteur, diseur de textes atypiques, privé pour le meilleur de musique, sans pour autant bâillonner le travail sonore ni le renier.
Encore quelques sonorités country-rock, des origines du chanteur au temps de sa jeunesse et l'on s'y recolle au jeu de piste textuel: "t'es parti avec mes revenus" qui fait "envie", toujours quand Bashung évoque les corps charnels épris d'amour et de déraison. Nous sommes "immortels", ode à la vie, à la poésie...
Alors Christophe s'en va, s'éclipse par la porte de sortie du café Brant,écharpe et chapeau en poupe, tire sa révérence: le spectacle est fini, "chapeau" l'artiste!


"4.48 psychosis": compte à rebours...Course contre la mort...


NOUVELLE PRODUCTION A L'ONR CREATION FRANCAISE 

"La dramaturge anglaise Sarah Kane a marqué le théâtre par ses œuvres poétiques, puissantes et incisives. Créée en 2000 quelques mois après sa disparition brutale, 4.48 Psychosis évoque de manière poignante et profonde l'expérience de la dépression.
Poésie, colère, humour noir se mêlent dans cette évocation d’une femme en lutte avec la maladie qui intègre en son titre l’heure du petit matin où, selon l’écrivaine, se mêlent la naissance du jour et le désespoir. Par sa force et sa beauté, l’opéra du compositeur anglais Philip Venables a enthousiasmé la critique et bouleversé le public lors de sa création puis lors de sa reprise au Royal Opera House de Londres. Œuvre destinée aux jeunes comme aux moins jeunes qui prouve avec éclat que la musique contemporaine peut s’adresser à tous en évoquant le monde actuel, la difficulté de donner sens à sa vie et les désirs les plus intimes. Cette production est conçue avec subtilité et délicatesse par le metteur en scène américain Ted Huffman. Richard Baker dirige l’Orchestre philharmonique de Strasbourg."





"Vienne la nuit.Sonne l'heure les jours s'en vont je demeure" (Le Pont Mirabeau Guillaume Apollinaire)
Mais elle ne demeurera pas, notre anti héroine, rivée au couperet de l'heure fatidique qu'elle s'est imposée pour se donner la mort.
Clin d’œil à "4'33" (4′33″ est un morceau composé par John Cage, souvent décrit comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence ») pour ce chiffre énigmatique, ce titre qui emprunte à la métrique, au comptage du temps, image de clepsydre qui distille les minutes de vie pour s'arrêter enfin , goutte à goutte dans l'alambic.
Dans un décor de blancheur clinique, très opérationnelle, évoquant le climat d'un hôpital psychiatrique, six chanteuses, six femmes animées de cette folie obsessionnelle du suicide vont évoquer, vivre et incarner les derniers instants volontaires d'une femme en proie au désespoir, à la dépression: dépression qui sur le tableau de la météo de l'âme sera forte et persistante, déprime pourtant véhiculée paradoxalement par les voix, souffle de vie, de mouvement!
Au centre de cette narration musicale trouble -pas vraiment de "personnage" mais une femme éprise de déséquilibre mental-, un texte incertain, parlé ou chanté, écrit en anglais et projeté en majuscules d'imprimerie sur le mur. Celui qui sépare chanteuses et musiciens, perchés sur le fronton du décor, estrade surélevée qui les isole du monde.
Au pied de ce mur, une table, quelques chaises, une salle d'attente ou de soins, d'un "asile" qui ne semble pas bivouac ni oasis de plaisir. Huis clos, enfermement des corps où seule la voix sera échappatoire, souffle virulent, violence ou délicatesse, exprimant révolte ou amour, insurrection ou délice de l'abandon dans les bras de la camarde.
Le texte de Sarah Kane est "éloquent", imprégné de puissance, de profondeur et les "récitatifs" chantés d'une grande beauté vocale. Sobre, claire, sur les chemins d'une interprétation riche de modulations, de tact, de précision . Le temps s'accélère, la fin approche, les corps entourent , bercent, protègent celui d'une femme, personnage central sans identité particulière. Enrobée, enveloppée par les contacts quasi chorégraphiés des déplacements des chanteuses, vêtues sobrement , anonymement de gris, de noir.La cantatrice Gweneth-ann Rand, puissante au centre du jeu, irradie, séduit, convainc
Son chœur qui la protège et l'accompagne durant cette longue marche vers la fin, vers la conclusion , le terme d'une vie, accompagne ce désespoir, cette "déprime" omniprésente: la musique, les sonorités des instruments ponctuant l'intrigue, montée en puissance du drame annoncé. Caisses  claires et grosses caisses en dialogue, cloche au son cristallin, pour sonner l'heure fatidique, orchestre de"chambre" suspendu aux cintres...La chute des corps au sol pour se relever malgré tout, choeur liturgique pour évoquer un requiem macabre, merveilleux instant de grâce musicale où les voix porteuses de félicité seraient celle de la part des anges en cortège céleste.
La mise en espace de Ted Huffman sert le propos, place les chanteuses au pied du mur qui s'érige et ne rompt pas, la direction musicale de Richard Baker opère au quart de tour, à la seconde près, en "dernier ressort" d'un décompte à rebours, course conte la montre ...
On songe à Raymond Devos et sa course folle contre le temps, à Mathilde Monnier dont le décompte de la "Mort du cygne" dans"3'23" La Mort du cygne? est une danse de la fin, qui nourrit sa propre fin et qui ne finit jamais de finir......

A l'Opéra du Rhin du 18 au 22 Septembre





dimanche 15 septembre 2019

" Albassama" de Canticum Novum au festival "Voix et route romane": pas les langues dans leur poche !

Albassama invoque le merveilleux par le prisme des miracles mariaux des Cantigas de Santa Maria. Cette oeuvre nous plonge dans l’Espagne des trois cultures, à l’époque du roi de Castille Alfonso el Sabio (1221-1284). C'est l'empreinte de la musique à travers les temps.
© B. Pichène
Les nombreux miracles engendrés par l’intervention de la Vierge y sont relatés en galaïco-portugais car ces chants n’étaient pas destinés à la liturgie mais à être interprétés par des gens simples, souvent accompagnés de danse, à l’occasion de toutes sortes de festivités. La Vierge miraculeuse, accessible à tous, peut plus que tout autre saint, intercéder efficacement auprès du Christ... Quelques mélodies séfarades et chants de troubadours accompagnent ces Cantigas. En redécouvrant et en interprétant des répertoires de musique ancienne, Canticum Novum tisse des liens entre la musique d’Europe occidentale et le répertoire du bassin méditerranéen, riche de l’union du monde chrétien et d’un Orient marqué d’une double hérédité juive et mauresque.
Babel : y faire un tour en chantant, enchanteur!

C'est "les langues bien pendues" et pas dans leur poche que les artistes du groupe Canticum Novum reviennent au festival "Voix et route Romane" sous les voûtes de l'église néo gothique de Haguenau.On ne donnera pas sa langue au chat pour deviner les contenus des 18 morceaux de musique proposés ce soir là dans une ambiance festive et pleine des charmes de l'Orient inconnu! Un programme taillé sur mesure pour le festival, ça se déguste!
Festin donc en compagnie de quatre chanteurs et un instrumentarium remarquable: de l'inédit au menu!
Une musique d'emblée joyeuse, joviale s'installe, enjouée qui "balance" et tangue à souhait à travers les corps des deux chanteuses et de leur compagnon de route, le directeur de l'ensemble, Emmanuel Bardon en personne.
Suit une sorte de danse arabisante, chaloupée comme l'amble et les balancements et pas d'une caravane de camélidés qui passe. Chœurs et musique pour découvrir les sons orientaux à travers les paysages et moucharabiehs du désert.
Comme un long plan séquence au cinéma, la musique déroule ses sonorités et timbres multiples, enchanteurs, merveilleux!
Puis les trois chanteurs continuent, la belle voix chaude et cristalline de soprano de  Hélène Richer et celle plus sensuelle et ronde de Lise Viricel, enrobent les musiciens au diapason.
Ritournelle, routine et ronde fraternelle s'en dégagent. Très dansante, cette partition met sous le signe du mouvement, ce concert atypique remarquable en tout point.
On s'offre ensuite une déambulation sereine, sur les chemins bordés de farandoles, douces cavalcades, parade, défilé et "redoute" champêtre.
Des "babils" singuliers aux lèvres qu'on ne décryptera pas mais qui à eux seuls font le "babel" de cette soirée linguine aux saveurs de l'Orient: on ne perd pas la boussole avec la suite savoureuse, un duo de soprano, merveilleux, onirique, angélique qui résonne sous la nef et les voûtes avec grâce et volupté
Percussions et duo de voix, enchaînent, belle osmose des instruments, ambiance colorée, chatoyante. Arabesques vocales en phrasé spiralé pour cette calligraphie musicale. De beaux déhanchements, bascule et balance des corps et silhouettes des interprètes féminines! Le courant passe et opère à l'unisson des curieux instruments d'époque, lisses et de bois blanc, cordes et flûtes, vièles et harpe.
Les vièles s'en donnent à cœur joie, qui pleurent et se répandent en lamentations mystiques, des grelots font irruption et ponctuent joyeusement le tout, accompagnés de bruissement de paille frottée.Les flûtes en introduction comme tapis sonore pour accueillir les trois chanteurs: Emmanuel Bardon, comédien et joueur en dialogues avec ses deux partenaires féminines, gracieuses et malicieuses, animées de sourire et d'un charme enjôleur caractérisé par les contenus des chants.Ils dansent, vibrent, animés par la cadence et le rythme qui enfle, s'épaissit et donne un caractère fort et subtil aux oeuvres en général.
Suit un mouvement, animé par la harpe, les autres instruments façonnés de bois clairs aux formes allongées et arrondies, très sobres. Superbes percussions résonnantes de l'oud, du kanun....Et voilà l'irruption de la cornemuse et d'une singulière corde métallique pour un festival joyeux, alerte au service des trois voix boostées, pleines d'allant, de verve ascendante et contagieuse! Bouquet final qui propulse en empathie directe avec les artistes, propageant bonne humeur et enthousiasme!
Un magnifique solo de la soprano,Hélène Richer  introduit par le chœur léger des cordes, hypnotise et fait décoller l'auditoire au zénith de la félicité. Elle semble raconter des histoires, alors que d'un fruit de catalpa, sortent des pluies de sons de graines. Courtois ou pastoral, ce morceau, cette pièce enchante.
Suit un quasi religieux trio de voix, a cappella..Encore un solo de vièle, très galant comme une fresque de danse baroque à naître... Courtoisie, élégance de la musique, très flatteuse, châtiée, enchanteresse.
Les trois voix, bordées par les cordes résonnent de concert.En chœur, solennelles, mesurées, très habitées de sensations et sentiments subtils...
On reprendra bien un petit solo de voix de soprano, enrobée par la harpe délicate et précise, ciselant le tout à merveille. Très fine interprétation, raffinée, précieuse, pleine d'intimité avec la flûte également.
Morceau de bravoure enchanteur "He Dieux, de si haut si bas"du Codex de Montpellier: des voix veloutées pleines de contrastes et modulations, cristallines, effilées, aiguisées, très résonnantes et pures.Comme dans une volière, porteuse d'élévation spirituelle, de battements d'ailes vers les sphères célestes.
Du grand art vocal et musical sous couvert de modestie et effacement de ses talents incontournables des interprètes aguerris, savants et simples.
Suivent quelques danses enlevées, alertes, virevoltantes, accélérations vives et fulgurantes, apothéose vertigineuse, composant avec la cornemuse entraînante pour lier la danse suivante sans anicroche, ni croche pieds.Les chanteuses tanguent, animées de sourires légers, le ténor, passionné, joueur amoureux, déclame. Les réponses malicieuses des deux femmes en dialogue fameux et alerte donnent le ton communicatif.Le tout rehaussé par les instruments en osmose et symbiose totale avec les timbres et tessitures  des voix.
Une grande complicité, une communion règne entre les membres du groupe.
 Cette invitation à la danse, très entraînante est communicative et chacun de se sentir ému par cette musicalité si accessible et sensible Par sa fraîcheur et sa complexité aussi!
Empreintes , signes et traces indélébiles
Et puis tout a une fin: un chant arabe, appel de muezzin, prière animée de trémolos ou déclaration d'amour? La voix subtile et tremblante de Bayan Rida opère à merveille et séduit.La confusion des genres se répand en balancements réguliers, envoûtants.
En boucle qui revient, retourne, solo de flûte en contrepoint;
Au final, comme une berceuse alanguie qui s'anime et s'enflamme, surpassant les voix qui se rallient à la verve générale. Chœur au final et rappel pour clore un chapitre inoubliable de diversité, surprise et étonnement magnétique!
On se quitte en esquissant quelques pas de danse sur le parvis de Saint Georges qui en aurait bien lâché son dragon!
Laissant son empreinte dans les mémoires des mélomanes, autant que dans l'histoire de la musique "oubliée" et "retrouvée" comme les légumes d'antan si parfumés de fragrances et saveurs inédites, exhumées pour l'occasion, enchantant, papilles, pupilles et pavillons d'oreilles, assoiffées de beauté!

Al-Basma
à l'Eglise ST Geoerges Haguenau