lundi 30 septembre 2019

"Milieu et Alentour" de Renaud Herbin : matières de concert. Acrobatie de la manipulation !

Renaud Herbin
Au Milieu, la marionnette s’expose aux variations climatiques de son environnement. Tout Alentour, des matières sonores sont mises en mouvement, tremblent, vibrent ou se dissipent. Dans ce diptyque entre pièce de marionnette et concert manipulé, les corps du performer et de son objet, mais aussi du spectateur, sont suspendus et immergés dans un environnement sonore et visuel en mutation : altération, érosion, expérience de ce qui tient, de ce qui s’effondre. Le grain coule, la glace fond, l’air se dérobe.
production TJP Centre Dramatique National Strasbourg – Grand Est
coproduction Musica (Alentour), Césaré Centre national de création musicale Reims (Alentour) Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières (Milieu)
programme Conception et jeu  Renaud Herbin Espace  Mathias Baudry Marionnettes  Paulo Duarte Son (Milieu)  Morgan Daguenet Son (Alentour)  Philippe Le Goff Systèmes (Alentour)  Maxime Lance Lumière  Fanny Bruschi Construction  Christian Rachner Anthony Latuner Régie générale  Thomas Fehr

On pénètre sur le plateau et l'on déambule au gré d'un espace que se partagent des sculptures musicales juchées sur piédestal: autant de matières minérales qui bruissent, se métamorphosent, de monticules, à marées de granit égrené, causant sonorités, souffles, pluie de sable...C'est très plastique et recherché,vivant, changeant. Une lune de glace est suspendue, translucide et fond, les eaux recueillies dans un bac, en autant de micro ondes frémissantes. Un bac de fumées vaporeuses se métamorphose en paysage s'élevant dans l'air; bruissant à hauteur d'homme, et deux cailloux galets se disputent l'espace, avançant selon les vibrations de leur support: musiques de l'éther, du minéral, du feu, de l'eau, de l'air. La musique électroacoustique de Philippe Le Goff opérant au plus près de vibratiles ondes que déclenchant des dispositifs régulièrement Les spectateurs immergés dans l'espace sont eux aussi conducteurs et récepteurs de ces ondes ..Une vraie petite géographie, géologie du son en minéraux scintillants en dunes de sable avançant dans un mini désert sculptural.Et au centre du dispositif, un affût au milieu duquel, un étrange petit personnage de bois se tapit et semble attendre notre attention. Le manipulateur, Renaud Herbin se glisse dans la structure, grimpe et devient manipulateur, cascadeur, acrobate pour venir en aide et donner vie, mouvement, au personnage. C'est une marionette à fils multiples qui exécute à la lettre les directives de son maitre à danser; Des mouvements de marche à la Giacometti, raide et penchée, des instants magiques de lévitation dans des respirations venues du manipulateur, perché dangereusement au dessus de lui.
Il rampe, mi homme, mi animal, se love, se soulève, suspendu dans la lumière: son exosquelette de bois, articulé, ses longs pieds , ses mains surdimentionnées...Il trésaille, animé de tremblements, le sol crissant de gré, gronde et tremble sous ses pas téléguidés, il esquisse une véritable danse libérée de ses attaches, s'agenouille, bouge en rythme, se contorsionne, très articulé, plus vrai que nature...
Puis semble aller rejoindre son champ de fouille où petit homme de Neanderthal, archaïque, archéologique.il se confond à son environnement plastique et musical.
Un chantier où, accroupi, en prières ou en lévitation très christique, les bras ouverts et offerts, la marionnette vit, s'anime, puis se laisse mourir quand son manipulateur acrobate descend de son perchoir, comme un félin. Félin pour l'autre, les deux partenaires ravissent et nous embarquent, ailleurs au son de vibrations sensibles.
Au TJP ce lundi 30 Septembre dans le cadre du festival musica


dimanche 29 septembre 2019

"Timelessness" Thierry de Mey et les Percussions de Strasbourg : inévi-table rencontre inconfort-table !


« Au point de rencontre entre musique et danse, le geste importe autant que le son produit. » 
Avec Timelessness, Thierry De Mey se livre à l’exercice de l’autoportrait en réunissant des pièces anciennes et nouvelles au sein d’un même spectacle. Ce projet muri de longue date avec Les Percussions de Strasbourg, il en parle comme d’un « manifeste artistique et politique ». S’il y a un engagement du compositeur, c’est avant tout à l’endroit du corps et de sa mise en valeur dans la pratique musicale. Là où un tabou marque en profondeur notre histoire, notamment par la neutralisation de la présence des musiciens avec des habits noirs, Thierry De Mey accorde une « visibilité » à ses interprètes et intègre à son écriture l’exposition de leurs gestes et de leurs postures. 

Des retrouvailles très attendues avec celui qui résida au Conservatoire durant deux ans à Strasbourg et y développa enseignement, création et passation d'enthousiasme créateur!
Un catalogue raisonné, un florilège, sorte de compilation de citations de son oeuvre est le pivot de ce "spectacle", ni concert, ni performance, mais véritable construction dramaturgique à partir de "collages" subtilement reliés et vitalisés par des interprètes que l'on découvre dans toute leur virtuosité de musicien-danseur.
C'est d'ailleurs un duo dansé "Affordance"qui en "entrée" de ce festin à venir, préfigure et augure de ce lien intime et si cher à Thierry de Mey: le temps, le rythme et l'espace, ingrédients communs à la musique et la danse...Ainsi qu'au cinéma, la lumière en sus, la réalisation d'images en mouvement, montage, découpage et cadrage, autre domaine d'excellence du compositeur.
 Voir bouger ces deux musiciens, démunis de leurs instrument, avec pour seul médium, leur corps est éclairante: il s'agit bien de regarder la musique se fabriquer à travers les corps et leur "présence".
Les "Pièce de gestes" qui font office d'entremets impliquent corps et sculpture de lumière: "Hans" en est la plus belle illustration: des mains éclairées d'où l'on ne sait, sont autant de lucioles mouvantes dans de strictes écritures spatiales, découpées, scandées au cordeau: l'effet de rémanence visuelle est saisissant , l'unisson, troublante, les décalage, métronimiques! Et toute la poésie chorégraphique de cet ensemble dans le silence et le noir ambiant surgit en diable. Encore vêtus de noir et invisibles, les musiciens reprennent plus tard cette exposition lumineuse, variable et médusante de complicité rythmique , de beauté plastique animée par le rythme.

 "Timelessness"retrouve et réinvente  le plateau et la version frontale de ce banquet musical, comme la "cène": les huit musiciens sabrent l'espace, donnent des coups de baguettes magiques, de mailloches sur l'instrumentarium très varié et éclectique, sur les caisses claires.Mouvements de machines en marche, accélérés, mécanique de machines à la Tinguely,fanfare ou défilé populaire...Une force de frappe extraordinaire anime les corps des interprètes, un métronome infernal produit du son industriel et la pièce va bon train; Le son circule, se propage ou insiste en de fiers sur-place.
Par la suite des sonorités perlées de xylophones et vibraphones, animent l'espace, en collier de perles fines, scintillantes, en tintement cristallin. Boite à musique, ludique et joyeuse, le son rayonne, en clochettes aigues.

Puis les huit musiciens sillonnent la scène, animés de souffle, de crachins, et leurs courses folles, pieds nus, transforment le plateau en arène bruissante, le son des talons martelant en percussion le sol. Tout est pré-texte à l'écriture, à la composition sonore et "dansante" dans ces pièces qui se succèdent, s'accordent à merveille dans un timing , un "rythme" de mise en espace résolument musical.
Les interprètes s'y révèlent performeurs, danseurs, surtout dans la version de "Musique de table" où celle qui est au pupitre se joue des formes, gestes et rythmes avec malice, jeu et musicalité époustouflante; à ses pieds, deux danseurs aguéris à la gestuelles périlleuse de Wim Vandekeybus, font office de résonateurs, de partenaires, victimes et complices de sa direction musicale, de ses sons percussifs. Ce qu'elle leur suggère les fait réagir au quart de tour: ils se renversent, se retournent, esquissent des acrobaties chorégraphiques surprenantes, n'obéissant à aucun code, aucune grammaire préexistante.
L’économie de moyens qui en découle n’a rien de simpliste : pour preuve,  l' interprète n'est munie que d'une table. Les mains, les doigts, les ongles, les paumes ou encore les phalanges sont les instruments de ce théâtre corporel.potentiel scénique et musical.
Et que dire de "Silence must be" ou François Papirer incarne les postures, attitudes d'un chef d'orchestre, face au public, dans le silence absolu, dessinant sa partition dans l'éther avec une grâce et une fragilité gestuelle médusante.
Un "chut" esquissée sur le bout des lèvres avec son doigt pout nous rappeler que rien n'est simple et que le mimétisme n'est pas de ce concert là!
Tous animés par cette écriture galvanisante parce qu'écrite en fonction des infinies possibilités musicales des corps-artistes. Pas toujours confort-table! Ins-table.....
Au final, une boutique fantasque d'objets résonnants, tubes, coquillage, instruments à vent, fait de cet ensemble qui va bon train, un joyau de cadence où l'on franchit les passages à niveau, les gares et les stations avec esprit frondeur, iconoclaste démarche respectueuse au coeur de la musique-danse d'aujourd'hui: transpor-table, ins-table, tablature d'un script à inventer sempiternellement.

Au Point d'Eau le 29 Septembre dans le cadre du festival Musica.

coproduction Les Percussions de Strasbourg, Musica
commande des Percussions de Strasbourg
avec le soutien de la Fondation Francis et Mica Salabert et de la Fondation Aquatique Show
en coréalisation avec Le Point d’Eau, Ostwald
avec le soutien de la SACD

"Doppelganger" Ensemble Nadar : les enfants terribles de Mélies !


En 1900, il a fallu au pionnier du cinéma Georges Méliès des heures de montage pour faire apparaître ses six sosies dans L’Homme orchestre, un film d’un peu plus d’une minute. De Facebook à Tinder, les technologies et applications numériques d’aujourd’hui nous permettent (virtuellement) de créer de multiples identités en seulement quelques secondes. L’ensemble Nadar explore le potentiel du dédoublement dans ce concert d’un nouveau genre où les musiciens deviennent tour à tour acteurs, réalisateurs et avatars de la performance.
programme
avec  Marieke Berendsen Thierry Brühl Katrien Gaelens Yves Goemaere Wannes Gonnissen Pieter Matthynssens Elisa Medinilla Thomas Moore Stefan Prins Dries Tack Kobe Van Cauwenberghe   

Avec l'oeuvre de Georges Meliès L’Homme orchestre (1900) , la démonstration faite que Mélies pouvait démultiplier ses personnages et opérer de la magie! Et ceci avec un travail corporel visible, au temps du cinéma muet où les corps étaient "loquaces" et "parlant" plus que d'habitude ! Un bel exemple de musicalité, de rythme où la perception de la vision, l’ouïe sont impliquées et synthétisent des sensations inédites. 

  
Simon Steen-Andersen Study for string instrument #2 (2009) 

Deux instruments, véritables OVNI visuelle et acoustique, encadrent un violon, trio étonnant dans le fatras des installations sonores, au sol, comme un décor nécessaire à l'émission et au bon déroulement de ce spectacle intriguant, inattendu. 

 Serge Verstockt À la recherche de temps (2005) 
Une clarinette perchée sur une estrade, les images du corps du musiciens démultipliées en trèfle à quatre feuilles sur le mur en projection, et l'on assiste à un quatuor visuel et sonre, drôle et décalé alors que le simultané opère entre les quatre éléments convoqués de concert!

 Simon Steen-Andersen Study for string instrument #3 (2011)
Un violoncelle, lui aussi perché sur l'estrade se fait doubler par son clone en image projetée, alors que cet effet "renversant" démultiplie les possibilités de jeu du musicien: beaucoup d'humour et de virtuosité technique pour cette pièce déroutante en terme de perception de l'espace.
  
Generation Kill de Stefan Prins" se déploie après un changement de décor à vue, qui lui aussi perturbe l'espace: on observe les techniciens du son en train de déménager, en équilibre instable, champ de vision renversé!

  Au tour d'une belle référence et source d'inspiration de Marx Brothers, le " Mirror Scene from Duck Soup" (1933)  , un chef d'oeuvre de l'incongru, de la naiveté d'un Narcisse qui apprivoise son image et qui comme plus tard Woody Alen, traverse l'écran pour passer de l'autre côté du miroir aux alouettes! Jeu de dupe ou d'enfant qui cherche derrière l'écran tv, l'homme tronc qui cause, en vain, caché derrière le meuble! Humour, magie et trucages artisanaux, proches désormais de l'extrême sophistication de ce spectacle multi média, médusant!


Le clou de ce show demeurant l'oeuvre en direct de "Exit to Enter" de 2013 DE Michael Bell "  où l'auteur se joue des cadres, des espaces et du réel avec intelligence, virtuosité et une efficacité déroutante. Un couple à géométrie variable, en chair et en os, se démultiplie à l'écran, forme une chorale de personnages, assis, de face ou de profil, instruments virtuels ou réels au poing.. C'est bluffant de techniques maitrisées au quart de tour pour donner l'illusion du charnel. Derrière quatre écrans transparents, quatre instrumentistes se dis"simulent, masqués par leurs images projetées sur leurs corps, en direct, et simulant d'autres pauses qui se superposent simultanément. On plonge et sombre dans le trouble et le désopilant, bousculés, déranger dans nos perceptions: le corps démultiplié pour des performances hors normes, "énormité surnaturelles, êtres hybrides et Méphistophélès de la musique d'aujourd'hui! Les "manipulateurs" de son, aux commandes d'ordinateurs, de consoles , de joysticks, comme autant d'outils au service de la création, du jeu musical: à vos manettes auditives et visuelles pour apprécier la richesse de la composition de ce spectacle "Doppelganger", doubles, sosie, clones et autre fantômes peuplant la scène, encombrées de tous ces esprits frappeurs!

Preuve est faite que les fantômes et diablotins de Mélies sont bien vivants!
Philippe Decouflé, chorégraphe et danseur, inspiré de la même manière par le cinématographe, le cadre, la magie et prestidigitation serait bien un précurseur et complice de cet ensemble "Nadar" qui porte bien son nom: y a pas photo, l'oeuvre d'art à l'ère  de sa reproduction est toujours présente et fait miracle dirait Walter Benjamin!

Au Théâtre de Hautepierre le samedi 28 Septembre dans le cadre du Festival Musica

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