jeudi 9 janvier 2020

L'année commence avec elles:De la poésie, du sport, etc: Casser le corps de garde.


les grandes prédelles de agnès thurnauer
Les femmes à l'honneur sans dégenrement, voici le pari : elles succèdent aux grandes pionnières du XX ème siècle...Qui sont-elles, les voici ! A tire d'elles: des racines et des elles ! Attire d'ailes !

Premier chapitre:
Sophie Guisset et Fanny Brouyaux: " de la poésie, du sport, etc"

Faire fuir le garde du corps...Gardien de but! 
Elles se "sportent" bien !

L’une vient de la danse, l’autre du théâtre. En duo, elles ont une formidable énergie et de l’humour. De la poésie, du sport, etc est une performance chorégraphique qui joint le geste à la parole. Véritable challenge, ce parcours d’obstacles tragi-comique questionne l’émancipation et la vie des femmes d’aujourd’hui. Sportives, elles s’aventurent dans une drôle de compétition. La création d’un langage commun sous la forme d’une fable très physique, qui met les corps en jeu, au défi. Cette « poétique de la lutte au féminin présent » comme le commente la presse, allie le souffle et l’esprit, théâtralité légère et précision du mouvement. Solidarité ou concurrence, c’est autour du sport et de ses règles que Fanny Brouyaux – interprète et chorégraphe bruxelloise – et Sophie Guisset – comédienne et performeuse – ont élaboré cette délicate partition. Leur enjeu : déstabiliser certaines formes et codes sociaux, sportifs ou artistiques d’aujourd’hui, déjouer avec humour les pièges d’un tel propos. Dédiée aux forces de changement, De la poésie, du sport, etc convoque un certain art de l’intime, de l’écoute et de la sobriété pour engager ce questionnement autour du féminin. Enjouée et rigoureuse, l’écriture de ce duo se déploie entre l’abstraction et le jeu à la recherche d’une danse lisible, transparente, qui se laisse voir dans ses différents états de corps, incluant poétiquement ses limites, contradictions et fragilités.

Plateau nu, dans le noir des sons de halètements sportifs, souffles réguliers à deux temps, rythme sportif...On est dans le bain ! L'une s'exerce, petit entrainement de dos, sec, du sur place, dodelinant de la tête, attitude conforme au sport, rigide, guerrière!
L'autre est "affalée", fatiguée, au sol, épuisée, à l'inverse de sa partenaire de scène. Les couleurs de leur accoutrement-short et jogging, bleu et rouge, à l'inverse, en quinconce. C'est la raideur qui va aussi s'emparer de Lune, l'autre, le Soleil, se fige en statue de Vierge Marie, ou athlète grecque ....Une performance d'équilibre instable sur un pied la propulse entre danse et cirque, en diagonale, de profil, figure en tension, pose très graphique dans l'espace. En apnée, sur demi-pointes, presque fragile dans la rigidité.
Elles s'unissent enfin dans la lenteur, qi gong ou tai-chi en inspiration gestuelle, ou courent en simulation, compte au corps! Elles se doublent, se dépassent, concurrentes, en compétition, comme dans un déroulé de film d'animation. Jumelles en parallèle.
Quand surgit dans le hors champ, une voix off: "ça coince dans ce corps" et ça travaille la psyché! Encore quelques courses à reculon, à rebrousse poil, vindicativestentatives d'effort, de dépense, d'endurance.Le regard fixe.Quand l'une persiste, l'autre s'épuise; la panique, le désordre fiévreux se répand pour semer le trouble dans la mécanique des corps soumis à l'effort. Malaise ou mal-être: on ronge le tapis, tape contre les murs de désolation, de rage contenue. Très animales, elles s'affrontent, hurlent en silence et grimaces, combattent à distance, vindicatives. Pistolets aux doigts, comme dans un duel. Elles dérangent le "genre" en s'emparant des codes masculins, puis dans une étreinte amoureuse, une prise de corps franche, se soulagent. Lutte contre caresses, marche d'approche séduisante: tout concoure à faire chuter et diverger les points de vue sur ces corps mouvants, évoluant dans un monde hostile. KW, Nike et Adidas: à vos marques pour être parfaites! Une danse tribale sème la panique et un grain de fantaisie se pointe dans cette rigueur contrainte.On sort des rangs, figures militaires en défilé, sur fond de fifres et tambours battants.Un défilé de fête, ensemble pour s'amuser un peu quand même. Fière allure, étiquette de majorette en poupe. Des tourniquets enivrants, simulent le jeu sur un terrain de foot, bruit de fond de foule en empathie. Les gestes stroboscopiques évoquent la surface de réparation des corps sportifs usés, blessés: un arbitre traverse la place, la pelouse, à la Meinau, pas de pause....L'euphorie du stade, la passe, le relais se dessinent dans les mouvements: elles s'en footent pas, frondeuses, entêtées. Pugnaces.

L'entre-jambe scruté, les parties génitales, pubis masqué par leurs propres mains.Le short devient tutu, slip "petit bateau", trop grand qui baille. Tout l'inverse du justaucorps, seconde peau sans trou!
En ligne, parallèle, les voilà cygnes du lac, frétillantes, sur demi-pointes, la tête baissée.
Elles transpirent, se dépensent face à nous, témoins de leur intimité dévoilée, exposée, sexe-posée. Casser le corps par la fatigue, se censurer, abandonnant sa féminité au risque de s'affaiblir? L'habit fait-il le moine?
En tout cas on salue la bravoure de cet acte posé sur le corps féminin, traqué par les codes, us et coutumes sportives, inadaptées, dérivées, transposées dans des enveloppes non adéquates. Pas de "genre", mais un questionnement sur l'identité, la justesse de nos actes, de nos amours, de nos vies métissées entre corps et discorde, entre volonté et laisser faire, entre plaisir et torture...

A Pole Sud le 9 Janvier

 
 

"Item" : les chemins de l'âne ! Sentiers débattus de François Tanguy....

"Le Théâtre du Radeau, avec son metteur en scène François Tanguy, est internationalement reconnu pour avoir créé un univers théâtral singulier, inimitable. Il s’agit ici d’accepter de quitter les repères habituels - histoire, personnages - pour partager un théâtre poétique, sensoriel, à la fois ludique et profond. Un dialogue entre êtres de passage, sons, lumière, où naissent et se transforment des tableaux vivants. Les acteurs manipulent l’espace, créent des paysages sensibles parfois poignants, parfois légers. Ils nous invitent à nous débarrasser de nos « codes » et vivre l’instant présent."

Scène encombrée, empêchée comme un handicap pour les futurs habitants de cette geôle improbable...En route pour un huit clos farci de hors champ, une fable truffée d'histoires, de textes qui ripent, s'entrechoquent dans des univers divers, opaques ou lucides, clairvoyants dans cet espace aveugle et parfois lumineux...Un voyage extra-ordinaire au pays de François Tanguy, cela ne se rate pas: on y plonge, toutes sensations en branle, les yeux grands ouverts pour capturer l'absurde et le non conventionnel, du texte à la diction, des costumes aux accoutrements bigarrés de cinq personnages en quête d'auteurs...Choisissez qui de l'âne ou d'Ovide vous fera réfléchir, ployer vers des pensées incongrues dans des métamorphoses stylées, incomparables tricheries ou leurres de ce microcosme étrange qui navigue à vue sur le plateau: plateau jonché de planches, tables dressées qui migrent comme des iceberg en débâcle, portes arrachées...Tout fout le camp sur ce radeau qui méduse.....Et hypnotise à bon escient son public, frappé par tant de mystère... 
 "De même, en outre, en plus": item et alors? Cela questionne !
On en remet une couche, palimpseste savant et poétique d'une ritournelle qui s'enchaine à l'envi et séduit par sa sensible et apparente incohérence...On se régale des mots, des accents suisses, d'une langue allemande (on croit entendre Bruno Ganz), on vogue avec le navire sans secousse ni tempête.Ovide, Walzer, Dostoevski, Goethe, Brecht pour ce bal des Laze, fête paienne du texte, radicalité du jeu qui est un autre: les comédiens se "métamorphosent" balancent leurs corps dans le vide, obscurcissent l'atmosphère ou la magnifient afin que l'on passe derrière le miroir sans encombre: magie ou alchimie de la mise en scène, du verbe ou de la musicalité des mots, qui l'emporte, peu importe pour ce tableau à multiples entrées, diorama muséal du monde irréel et fantasmatique d'un metteur en scène aiguisé, galvanisé par sa propre imagination et imagerie mentale; des corps-décors en accord ou désaccord rythmique, c'est cela qu'on pressent, qu'on ressent pour le malaise le plus agréable, la transe ou la vacance sublime du lâcher prise, du laisser aller...très maitrisé!
Prenez "le chemin de l'âne" en bon "idiot", vous serez loin des autoroutes du bonheur factice, près des artefacts de la désobéissance et de l'indisciplinarité rêvées. Broutez où cela vous chante, les meilleures épines des plus belles haies sauvages, à votre gré comme ces cinq hurluberlus, chantres de l'étrange et de l'inconnu.


Le Théâtre du Radeau naît au Mans en 1977, lorsque la comédienne Laurence Chable réunit un groupe d’acteurs. François Tanguy en devient le metteur en scène en 1982, et la compagnie va très vite connaître une reconnaissance nationale et internationale. En 1985, elle s’installe dans une ancienne succursale automobile, qui devient La Fonderie en 1992. Le public du TNS a pu voir Ricercar en 2009, Passim en 2015 et Soubresaut en 2018."
Un spectacle du Théâtre du Radeau. Mise en scène et scénographie François Tanguy, avec Frode Bjørnstad, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly

samedi 21 décembre 2019

"En marche Attacks": faites des maires, mais pas qu'eux ! Pas queu, les maitres à danser !

Chaque année, pour sa saison culturelle, la troupe du Théâtre de la Choucrouterie à Strasbourg propose une nouvelle création : c'est la très attendue revue satirique de la Choucrouterie.Héritière de l'immense cabarettiste Germain Muller, la Chouc' poursuit sa mission de salubrité publique visant à rire de tout et surtout de soi même.


La revue satirique de la Chouc' 2019-2020 : En Marche Attacks / Ihr kenne uns En Marche

"Notre 26e revue satirique se moquera de tout et de tout le monde. Elle passera à la moulinette les politiques locaux, se moquera des Lorrains, parlera des élections municipales, taillera un costard à « Chilibébert » de Colmar et caricaturera l’actualité marquante de l’année. Elle n’oubliera pas non plus d’égratigner au passage quelques phénomènes de société. Bien sûr, ça va chanter, danser et il y aura des sketches ! Cette revue se jouera toujours en alsacien dans une salle et en français dans l’autre. Les comédiens continueront de courir de l’une à l’autre pour vous faire rire dans les deux langues." 

L'effet -maire, éphémère .....ried...

Salle comble, et ça rigole déjà dans les rangs du parterre où il semble qu'il y ait des maires à l'orchestre, dans l'air : présents par curiosité ou par devoir d'élu, par hasard ou par calcul rhénan ? Qu'à cela ne tienne, c'est en "united colors off Choucrouterie" que s'affichent nos gaillards couleurs arc en ciel, nos Grandgousiers d'un marathon spectaculaire de plus de deux heures, diatribes au poing. Festival de blagues croustillantes durant les entremets, petites relâches salutaires en cas de retard de l'autre équipe alsacienne en diable qui opère dans la salle mitoyenne...

Une toile d'araignée pour illustrer le panier de crabes de la politique: ce qu'on fait quand on ne sait rien faire d'autre, et c'est parti! Appelé à régner, araignée sur le fil à tisser des histoires qui se trament et s'enchainent pour former un tissu de calembours, jeux de mots ou virelangues incongrus, sketches désopilants ou autre saynète décapante! Danse de tarentelle ! Vous prendrez bien un  "picon magique" en compagnie d'un Obélix qui trimbale un énorme bretzel, alors que Astérix se balade avec un fleischschneke en guise de bouclier. 

Une tribu qui résiste et s'insurge, comme les alsaciens face aux lorrains. Au lotissement, on se plaint des nuisances voisines écologiques: un troupeau de vaches ou des grenouilles seront les enjeux de la campagne électorale d'un maire perverti qui retourne sa veste comme les autres! Et vivent les bretons bretonnants, Siffer casqué d'une coiffe bigoudène, dérisoire et sympathique anti héros de cette sarabande magnétique! Ils sont tous "bons" chacun à leur façon:aux urgences comme en trottinette: tout y passe, au tamis de l'humour, de la dérision et de l'absurde. Une nouvelle recrue, Lauranne Sz,(comme Sarrasine-de Barthes-Balzac), savoureuse espagnole qui chante comme un piaf, sensuelle et drôle en diable.Surtout dans "Les nuits d'une demoiselle" de Colette Renard, revue et corrigée pour l'occasion ! Ou bien "Balance ton quoi" de Angèle.

On part à la campagne, on grimpe à la montagne des singes, on plonge dans la piscine avec des escogriffes costumés en homards dansants, vêtus de masques corporels très seyants, en couleurs fluo! Une marche au ralenti fait mouche et l'on note l'excellente et opérationnelle mise en scène de  Céline d'Aboukir, les danses et chorégraphies signées Fanny George et Justine Caspar. Beau travail, joyeux et délirant, mené tambour battant.Sans oublier Gilbert Meyer, incontournable numéro brillant et casse gueule de Guy Riss, comédien farceur et malin, naif et niaiseux à souhait et plein de distance aussi.

Les adaptations de "tubes" toujours bienvenues "comme d'habitude" !

Les pieds dans le plat, les mots qui blessent sans faire mal mais appuient là où ça coince, c'est l'art du texte et du verbe flamboyant qui caractérise cette équipe pleine de verve, de santé contagieuse.Quant aux "annales" du football et à la Meinau-pause,tout "genre" confondu, voici le bouquet de la revue, pas "corrigée" qui si l'on n'est pas satisfait  ne sera pas remboursé! Encore un numéro hors pair (ni maire): celui de Sébastien Bizzotto qui mime en langage des signes le discours d'un maire retord! Un régal à déguster à toute vitesse tant la virtuosité du jeu est surprenante et hypnotisante.

Tous excellents, en héros de pacotille, augurent des temps futurs où les polis petits chiens feront leur entrée sur le ring des municipales, en "campagne" écolo, en militant "balance ton foie", en king kong à Kingsheim, en marionnettes à fil pour mieux retourner leurs vestes ou s'en prendre une bonne!

On repart avec sa "feuille de chouc'" sous le bras pour avoir de beaux souvenirs et encore plein d'infos sur l'art de la diatribe et ses protagonistes prolixes et fertiles, fils et filles prodigues et prodiges du divertissement intelligent !

A la Choucrouterie jusqu' en Mars, attaque !