mercredi 5 février 2020

"L'Eden cinéma" : route barrée ! Mère démontée...sans concession ...

L'Éden Cinéma

   Texte Marguerite DurasMise en scène Christine LetailleurAvec Alain Fromager, Annie Mercier, Hiroshi Ota, Caroline Proust
L’Éden Cinéma de Marguerite Duras est une réécriture pour le théâtre d’Un barrage contre le Pacifique. Deux adultes, Suzanne et Joseph, y racontent la vie de leur mère depuis son arrivée en Indochine en 1912. À travers l’histoire du combat de cette femme, qui voit tous ses efforts ruinés par la corruption de l’administration coloniale, c’est aussi leur enfance qu’ils revivent. Pour la metteure en scène Christine Letailleur, cette oeuvre autobiographique est un voyage dans la mémoire revisitée, un retour aux prémices des désirs charnels, ainsi qu’un puissant réquisitoire contre le colonialisme.


Histoire de famille, mais à la "Duras", tendre, cruelle évocation d'un destin où la "mère" va reprendre ses droits et délivrer son "histoire": fable ou conte, récit dialogué d'une destinée hors pair, dans un "pays lointain" où les lois, us et coutumes, font plier les humains devant d'autre horizons: fléchir mais ne pas se briser. Cette "mère", propriétaire spéculatrice des "terres" salines, "concessions" à haut risque que l'actualité géopolitique peut faire basculer du meilleur au pire. Comment cela affecte les uns, les autres, ses deux enfants, nés d'un mariage inconnu, ses deux êtres fusionnels face à l'autorité naturelle d'une femme seule face à son "exil". Deux créatures fragiles en proie à la verve, la dureté de leur génitrice, pas vraiment docile, bien ou mal "lotie" par ses terres conquises: des concessions, marais salants du Pacifique, eaux dormantes qui ne manquent pas de sel, pimentées par ce grain à moudre: la fatalité des destins, celui de la mère inflexible Annie Mercier, dure et sans "concession" pour ses enfants bien ou mal nés Pas vraiment pacifique l'ambiance sur le plateau, éclairé minutieusement par Grégoire de Lafond: décor amovible, écran de cinéma tendu sur la toile du désir.On flotte avec eux dans les va et vient des affects de l'âme, lors de situations complexes qui mettent en jeu, filiation, fratrie, étranger...Tous tendus, émus par une mise en espace, discrète et opérante, les corps se déplaçant à l'envi sur ce territoire géopolitique, kinémato-graphique.
Bien ou mal "lotie", propriétaire de "concessions" spéculatives, la Mère règne en despote et se venge d'un destin bousculé par l'actualité politique...
Annie Mercier en femme vieillissante, poudrée de souvenirs qui collent à la peau et lui donnent l'aspect d'une revenante bienveillante sur les traces de ce passé exotique, colonial dévoilé.Très belle prestation d'actrice confondue, sans concession si ce n'est que d'avoir fait céder les parois d'un barrage, crevé, déchiré par les eaux agitées du colonialisme
Les autres, frère et soeur adhésifs, toxiques, errent dans cet univers étrange où un homme richissime se targue de posséder des voitures de rêve qui font trembler de joie  Suzanne, possédée par son charme...Mr jo, séducteur et crooner qui fait de sa proie une victime consentante d'une valse rêvée..Valse à la Duras où les corps s'étreignent, "ravis" par le désir et l'amour, la tendresse aussi.
Ambiance surannée de temps jadis quasi effacés qui revivent ici sur le plateau, écran de cinéma où voix off et hors champs s'amusent à traquer le temps et attraper l'immortalité, l'éternité...Une chaise vide pour épilogue qui songe à tout ce qui s'est passé sous nos yeux deux heures durant: un récit dialogué, pas si pacifique que cela où colonialisme et dureté, fatalité ou destin contrarié s'entrelacent, s’emmêlent et travaillent une tension-détente remarquable; on vibre en empathie, on frémit comme eux au seuil de la jungle dans des bruitages évocateurs de mystère, d'exotisme. Le piano en prologue pour nous rappeler que l'écriture de Duras est aussi celle du "modérato cantablilé" toute en nuances, timbres et retenues, rythme et composition savante de mélodies de l'amour..Qui va piano, va comme elle inventer les meilleures recette culinaires du théâtre vivant !

Christine Letailleur a adapté et mis en scène des textes de Sade, Wedekind, Houellebecq, Platon et a participé à faire redécouvrir Hans Henny Jahnn, Léopold von Sacher-Masoch, Yánnis Rítsos, Ernst Toller. Elle retrouve ici l’écriture de Marguerite Duras − elle avait créé Hiroshima mon amour en 2009. Les spectateurs du TNS ont pu voir Les Liaisons dangereuses de Laclos en 2016 et Baal de Brecht en 2017.

mardi 4 février 2020

"Mémoire des corps : entre héritage et transmission": "décoller, avancer, franchir les barrières"


En direct de la dernière conférence du cycle « le féminin et la danse » en présence de Salia Sanou, Nancy Houston et Germaine Acogny. La pièce « Multiple-s » est à voir à @polesudstrasbourg MA 04 + ME 05 FÉV à 20:30
Une belle rencontre que cette "conférence" qui n'en aura de forme, que ce que les artistes en feront 
Trois interprètes, danseurs, chorégraphe, écrivaine réunis pour un échange orchestré par Guillaume Sintes, préparé par Irene Filiberti, représentant chacun, l'Université, l'autre Pole Sud, creuset de la culture et de la création chorégraphique à Strasbourg et bien au delà !
Chacun, après avoir été présenté quasi exhaustivement dans leur parcours respectif d'auteurs, d'animateur, d'enseignants, de passeur...
Mais "passer" quoi, si ce n'est dans le cas de Germaine Acogny, vu par Salia Sanou, le gout de l'échange. De la rencontre, au sein de sa propre famille: accueillir chez soi sa famille, c'est si différent que le contexte de la "niche" du studio de danse. C'est la "porte d'entrée de l'univers", cette convivialité insoupçonnée de Salia, face à son maitre à danser. Maitre/ Elève: les frontières s'abolissent, la barrière disparaIt quand Salia demande à Germaine d'improviser sur le rituel de la connaissance. Il découvre une femme rayonnante, généreuse, disponible, différente de son statu et attitude de professeur...Des aveux plein de tendresse et de respect, de considération, les uns vis à vis des autres. Que cette question du "chaos" abordée aussi ce soir là dans le cursus de Salia avec sa création "Désir d'Horizons"- un travail chorégraphique dans les camps de réfugiés du Burkina Faso-...Quant à Nancy Huston, on découvre une femme battante, porteuse de révolte et d'insurrection, de soulèvement, à la manière d'un danseur, elle-même très "physique" dans son attitude de vie, avec sa force d'activités très puissante, son désir de jeu théâtral où elle se jette à l'eau malgré quelques réticences, quelques questionnement. Comment évoquer la colère dans une marche en diagonale, seule et unique consigne du chorégraphe pour évoluer dans l'espace; Les mots extraits d'une de ses récentes oeuvres écrites fait office de canevas, des "mots en résonance avec le corps" où la suspension de l'efficacité, le savoir être un autre, opèrent dans le champ de la métamorphose et du "non codifié": ce qu'elle a vécu auparavant dans sa vie névrotique où chaque chose inscrite dictait le cour de sa vie !
"Décoller, s'y mettre et ne jamais s'arrêter": une ode au risque, à l'étrange, à l'inconnu qui guident les processus de création de ce trèfle à quatre feuilles-ce soir là trois folioles danseur-comédien-lectrice...
Des artistes à fleur de peau, animés par l'énergie de l'espoir et du savoir-être, savoir vivre ensemble, au service de la création et de l'échange
Une rencontre extra-ordinaire où le jeune public étudiant a su se retrouver nombreux et attentif, témoin du terreau de création des uns et des autres pour faire pousser les graines de l'incorrection et de l'indisciplinarité dans l'écrin du spectacle vivant et de leur démarche de passeur de flamme chorégraphique!
Le vent se lève ! En mouvements perpétuels.... Et "multiple(s)" .

A l'Atrium le 3 Février





dimanche 2 février 2020

"Comment je suis pas devenu chanteur": Yann Siptrott dit Caillasse ! Par ici la bonne soupe aux cailloux !


"C'est un conçâtre ou du théçert"

«Bonsoir. Heu, je préfère vous le dire tout de suite, j’ai menti…
Voila. En fait je suis quand même devenu chanteur… Je suis devenu chanteur quand même, mais un peu différemment. Pas comme je pensais…
Ce spectacle ça sera un concert, mais autour de l’histoire d’un chanteur et de son parcours dans le milieu de la musique. Ca sera des anecdotes, des histoires, entendues, vues, vécues, un carnet de voyage musical.
Ca sera aussi un coup d’oeil sur le processus créatif et sur le chemin qu’on a, qu’on veut, qu’on rêve et qu’on finit par se construire, chanson par chanson, note par note.
Ca sera les pires moments vécus, qui deviennent souvent les souvenirs les plus drôles. Ca sera les instants magiques qui eux ne laissent qu’une trace magnifique et volatile. De celle qui nourrissent l’âme et l’esprit. Et qui font que les chansons vivent.
On y parlera d’étoiles aussi ou de système solaire et on s’amusera à défaire quelques équations. Une chanson, c’est un monde en soi non?
Alors nous tenterons de voyager de monde en monde comme de bons spationautes avec comme fil rouge, l’histoire d’un chanteur du XXIe siècle.»

C'est pas au lance- pierre, ni dans un nid de poule, encore moins dans des éboulis que l'on retrouve notre héros en compagnie de ses acolytes: on a failli les lapider de peu tant  la salle est comble et que les pierres se font "rares" !Les plantes de rocaille vont pousser la chansonnette !

C'est sur le chapeau de roue que tout démarre sur fond de décor de faux mur de cageots-caisses de bière empilés...Ouverture en fanfare et grandes pompes pour ce quintet à cinq feuilles: un morceau très swinguant, dansant en diable: le ton est donné, la couleur annoncée: on ne va pas s'ennuyer aux dires de cet escogriffe, raconteur de balivernes et boniments Comment on ne devient pas chanteur, à travers l'énoncé jovial des péripéties de la longue marche des démarches et idées truculentes pour ne pas faire ce qui a été déjà fait dans le domaine de la musique, de groupe, de chambre rock bien chambrée !
"Sémaphore" qui tourne en rond pour des histoires de bonbons....Ou comment se faire rattraper par la foule qui n'est pas en délire sans retomber dans l'oubli, comment être célèbre à la tv ...Quelle galère, la vie d'artiste ! Alors Yann se vautre dans les rangées de spectateurs, intrusif "mouton" bêlant, joue à saute frontières de France Inter à Franche culture pour des "punkitude, reggaeitude" façon franceinteritude pour niquer la chanson française à concurrencer!
Qu'à cela ne tienne, il reste les ondes de jeunitude en mode  franceculturitude pour se faire une place dans le show-business ...Toujours made in tarlesoiritude...


Chemise blanche, jean moulé, seyant, voilà Yan Caillasse, chapeau sur crâne rasé qui se fait "toi et beaucoup d'autre" sur fond d'images vidéo projetées sur le mur de canettes de bière.. "Je sais pas quoi faire" ni coif'hair, cheveux au vent dans la foule ici évoquée. Avec la guitare sèche pour compagne de route dans un univers d'images aquatiques... Un morceau doux et apaisant dans ce flux de musique tonitruante. Dans une riche énumération fantaisiste de métiers imaginés, fabuleux inventaire d'un savoir-faire qu'il se cherche !
Et si l'on "faisait des reprises" pour se singulariser ? Rafistolage de tubes comme "Merde à Vauban" sur fond de vagues déferlantes sur l'île de Ré !
Au bagne, comme au bagne...Mais il progresse notre graine de chanteur qui se métamorphose en plante croissante , images de verdure accélérée comme les films d'archives du botaniste Albert Kahn !
Volutes et plantes des pieds pour ne pas se planter sur scène...Mauvaise graine ? Surement pas, que cette plate bande de complices sur le parterre de l'Espace K, Katastrophe..
Pierres qui roulent n'amassent pas mousse de bière dans les gosiers de ses Pantagruel gargantuesques de la musique rabelaisienne. Alors à coups de caillasses, sur l'éboulis des moraines glacières, au pied du verrou, qui fait barrière-barricade, on se fait lapider avec joie dans la bonne humeur. Lynchage garanti et salvateur pour les amateurs de rocs n'roll, façon rolling stones désopilant.
Etre "à la page" avec un business plan serait de bon ton, mais "je suis obsolète" et pas à la mode  en ces temps où le ciel se couvre, le vent tourne et retourne sa veste.
Dans une ambiance à contrario d'images d'effondrements d'immeubles qui se reconstituent, rembobinant le temps, à contre-temps, le show se renforce d'un guitariste pour un morceau d'enfer un peu country-bashung: le vieux monde tourne encore .Meme si les producteurs mettent des bâtons dans les roues, on "restera debout", poings pour match de boxe en images projetées. La musique est un sport de combat, plein d'humour et de sarcasmes, de distanciation et d'autocritique!
Etre qu'un qui chante comme les lendemains merveilleux, porteurs de chance: des dessins psychédéliques de visages crayonnés sur la toile vidéo, pour un voyage ethnique singulier et fantasmé...
Racaille, on casse rien, caillasse sur paillasse musicale inconfortable laboratoire de sons poly-sons, polissons et malins comme ce diable de Yann Siptrott, lutin débonnaire, conteur de fables , énervé, tracassé, agité du bocal.

Trois rappels pour faire de belles reprises et surprises, pour raccommoder, réconcilier les uns et les autres sur la boule de buis que nos mamans utilisaient pour réparer les pots cassés, les chausettes trouées, millepertuis de fortune..
Yan Caillasse, le roi du roc qui agace les appâts du gain, solide,hiératique figure pétrifiante, amateur de bonne soupe aux cailloux, street food d'un beau voyage au pays de la chanson.
Surtout qu'il ne "devienne pas chanteur" ce colporteur de bonnes nouvelles enjouées, sur fond de gravité : la musique est malmenée, harcelée, alors on la chouchoute en compagnie de ces médecins malgré eux qui font de la bonne versification prosodique "maison", made in Siptrott..
On souhaite une belle carrière d'exploitation à Yan Caillasse !
Ne jeter pas la pierre au chanteur-paysan-poète, on est derrière !

A l'Espace K jusqu'au 1 Février

Guitare: Christophe Alzu
Basse: Olivier Bekrich
Chant: Yann Siptrott
Son: Bertrand Truptil
Lumière: Christophe Mahon
Costumes: Maya Tebo