mardi 18 février 2020

"Yours, Virginia": du ballet ! Etre soi au bon endroit, lieu de la danse.

[CRÉATION]
Pièce pour l’ensemble de la compagnie

Pour cette ambitieuse création, le chorégraphe israélien Gil Harush, auteur de The Heart of my Heart pour les danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin au printemps 2018, exprime toute sa passion pour la personnalité et l’œuvre de la romancière et essayiste anglaise Virginia Woolf qui a tant marqué l’histoire de la littérature du xxe siècle avec des œuvres telles que Orlando : a Biography, The Waves, Mrs. Dalloway ou A Room of One’s Own. Sa correspondance avec son mari est à elle seule une expérience de lecture saisissante et déchirante.
Elle s’interrompit quelques heures avant qu’elle ne décide de mettre fin à ses jours en se noyant dans la rivière qui jouxtait Monk’s House, leur maison,dans le village de Rodmell dans l’East Sussex. Peu de voix de son époque ont autant compté. Et aujourd’hui encore, la liberté et le génie de Virginia Woolf, son audace formelle, son univers poétique et l’idée qu’elle se faisait de la femme écrivaine indépendante sidèrent toujours autant, plus de soixante-dix ans après sa disparition.
Gil Harush développe son hommage à Virginia Woolf dans une pièce qui est interprétée par l’ensemble de la compagnie.




Les lieux de là, le lieu de la danse, "la vague" à l'âme, à la mélancolie, à la folie, à l'hystérie; la "vague" à la meute, à la foule qui s'émeut de tant de fougue, d'abandon, de laisser faire, sur les corps convoquées à revêtir ces habits, cette peau du monde, d'un monde tel que Virginia Woolf imaginait les contours et le dedans...Gil Harush attrape la figure de l'écrivaine, auteure troublante de tant d'ouvrages, de correspondances que Emmanuelle Favier a rassemblés pour mieux se pencher sur sa "personne".
Multipliée en tant que femme dans des évocations diverses, d'amante, de femme dresseur d'hommes rassemblés, couchés à ses pieds, devant la guerrière combattante.Images de groupes circulant au gré de la musique, collages inspirés de morceaux de référence, baroques ou plus contemporains, rehaussée par la présence sur scène du pianiste.
Deux parties distinctes se dessinent et offrent à cette pièce, unique en son genre "dégenrée", un aspect une appréhension curieuse: les mouvements sont secs, directs, presque autoritaires, syncopés.
Les pieds flexs, le corps étirés comme des athlètes, ceux des "locomotion" de Muybridge en redondance.
Femmes et hommes s'opposent en groupe distincts, tribus mobiles, giratoires, mues par des aspirations, rotations ou glissements progressifs.L'esthétique quasi olympique de corps canoniques voués à la virtuosité de pas, attitudes et pauses mesurées.
Tout ici converge vers une interrogation sur l'être avec les autres, sur la communauté, l'isolement de la page blanche de l'écrivain, mais aussi l'irrésistible attirance et nécessité du groupe.
L'assemblée célébrant l'humain, son lieu d'attache, son endroit de convergence où il a pied , se porte bien
De très beaux portés sublimant ce désir d'appartenir à l'autre, pilier et fondement de soi.
La chorégraphie limpide, celle de l'eau qui sourd et coule de source, inonde le plateau par son évocation de vague, bordée par les corps qui tanguent, font front et s'offrent au flux et reflux de l'écriture de Gil Harush. De beaux détirés, de petites courses vrillées, un don pour isoler des personnages parmi la foule, de magnifier des duos ou trios: étranges "appuis têtes" comme rebond
Un univers de sculptures et d'architecture mouvante se dresse, se renverse, inverse les rôles, tête- bêche pour former des êtres hybrides inconnus.Un bocal bleu comme "bulle" d'air qui se promène, de l'immobilité à la conquête simultanément d'éléments disturbants qui bougent.
Des relations glacées, abruptes aussi entre hommes et femmes, lutte incessante au coeur de groupe constitués des deux "genres", féminin, masculin.
Fluidité d'un couple qui borde la harpe et la flûte d'un des morceaux convoqués pour ébranler la danse, la propulser au coeur du plateau envahi de multiples propositions simultanées.
Un ouvrage hors du commun que ce "Yours, Virginia", plume débridée d'un chorégraphe au coeur de l'analyse : équilibre, déséquilibre des êtres, gestes désordonnés,célérité, syncope et vélocité hallucinante de comportements étranges, dérangés, déplacés.Confusion et fusion des corps pour semer le trouble dans des unissons parfois très mécaniques, bien huilées.
Deux faunes couronnés s'enlacent, célèbrent la nudité, la beauté canonique.
Alors que dans le camp des femmes, les hommes à quatre pattes soumettent leurs humeurs. Gynécé, tranquille icône de l'univers de Virginia, valse lente de deux créatures en fond de scène...On  a de cesse de tout voir, tout capter tant cela fuse: image d'une carapace que l'on ôte, costumes étranges que ses slips et gaines moulant des corps athlétiques.
Et qui sont-elles ces femmes dont les prénoms énumérés esquissent une musique mélancolique où l'on retrouve son identité...
Une scène marquante où le pianiste convoque chacun des danseurs à s'unir à son jeu, esquisser quelques notes et laisser sa place à un autre, construisant la musique comme un manège, tourne collective d'un manifeste en faveur de l'esprit de communauté, entourant le soliste !
Les danseurs du Ballet, évoluant dans cette forme aujourd'hui rare de "ballet", oeuvre complexe et construite tisant des formes, des entrelacs de pointes et de flex, de promenade, de divagation de la pensée en mouvements
En soulèvement aussi, à la manière de Virginia ...


Distribution :
Chorégraphie : Gil Harush Musique : Benjamin Britten, Dmitri Chostakovitch, Philip Glass, Arvo Pärt, Ralph Vaughan Williams
Direction musicale : Thomas Herzog Dramaturgie musicale : Jamie Man
Costumes : Gil Harush Scénographie : Aurélie Maestre
Lumières : 
Les artistes :
CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse
mardi 18 février de 20h00 à 22h00
Opéra National du Rhin - Strasbourg
prix : 22€

samedi 15 février 2020

Les "1001" à Pfaffenhoffen: ça compte pour de bon !


Mais qui sont-elles ces "1001" qui se dissimulent derrière un chiffre, nombre mythique aux mille et une facettes..?
Deux femmes qui aiment définir, inventer de nouvelles règles du jeu, du "nous" en autant de péripéties et de set, de manches à exécuter pour trouver les énigmes du Sphinx, faire tourner nos méninges et ne pas "ménager" les taches du quotidien, charge mentale féminine, vaste illustration de ces "soldats d'opérette", de  pacotilles en rangées serrées...Ici on dépose ses valises pour un bivouac salutaire au pays de l'intriguant, de la surprise, de la balade buissonnière dans des univers plastiques, esthétiques, entre naif et art brut, entre art singulier et "ouvrages de dames" très stylés...Décliner les formes, accumuler les objets, recollecter , fouiller aussi les abysses de nos mémoires, de notre inconscient collectif...Ce qui nous met en empathie, en sympathie avec leur démarche artistique!


"Se mettre en jeu", se mettre en scène en autant de duos, duels, où l'on voit les deux protagonistes en photo, autoportraits, se combattre, se frotter, rivaliser d'imagination, se confondre aussi, ne sachant plus qui a fait quoi..Pour les "actifs" des kits de survie à faire soi-même pour ne perdre le nord de la créativité.Monter sa pièce soi-même, pour des "pièces montées" dignes de pâtissières de génie!
"Habiter le monde", clefs en main pour dénicher l'incongru, trouver la serrure et ouvre des portes multiples.Ne plus "savoir sur quel pied danser" !


"Dans le texte", toujours soutenu par des expressions populaires, naïves mais fondatrices d'évidence!
 et "faire bonne impression" en autant de pixels revisités.
"Jeux d'épreuves", bien moulés, "Papiers peints découpés" comme des ouvrages raffinés, exercices de style maniérés fort édifiants à propos de ce qui recouvre nos murs familiers
"10001 au quotidien" sans contrefaçon puisque le chiffre est toujours respecté dans chaque objet crée, règle du jeu stricte et validée par chacune des protagonistes, enfin dévoilées: Corine Kleck et Véronique Moser, artisanes créatrices de ces jeux, tours de passe-passe, de cache-cache, de passe muraille d'un art singulier
Reproduire, jamais à l'identique, c'est la faute aux copies non conformes à l'originel, indisciplinaire et pas sage du tout!
Quand on "repasse" c'est pour mieux gagner en farniente ménager, en pin up déjantée..Des photos de familles de femmes au bord de la crise de nerfs, en  état de colère à la Almodovar, enfermées dans des vitrines dont elles ne peuvent s'échapper...Claire Bretecher veille au grain de ces Agrippine colorées de fantaisie et de vérité mélangées.

Tout le charme et le ravissement d'une démarche que Marguerite Duras ne saurait renier; des recettes d'une cuisine décalée, déplacée pour le régal d'un festin: celui de Corine et Véronique...Banquet des sophistes éclairés!
1001 raisons de "visiter" ce "déballage" jouissif , parcours enchanté d'un monde qui rejoint si judicieusement l'esprit d'un musée vivant de l'imagerie populaire, bien présente dans notre "quotidien" fantasmé...
On joue sans tricher au jeu de l'amour et du hasard, bien guidé par deux coachs avisées !

1001 : le conte est bon !!! Nos deux Shéhérazade nous tiennent éveillés !

Au Musée de l'Imagerie à Pfaffenhoffen jusqu'au 3 Mai

"Shaker Kami": Nik Bartsch et les Percussions de Strasbourg: chamane et serviteurs du cosmos.


« SHAKER KAMI » – PREMIÈRE
Dans la continuité des collaborations avec le monde du Jazz (Andy Emler Megaoctet, Bobby Previte, Franck Tortiller Quartet…), les Percussions de Strasbourg s’aventurent dans l’univers du jazz minimaliste de Nik Bärtsch. Son travail est au carrefour de la musique contemporaine et du jazz, et se nourrit d’influences venues du funk. Dans sa musique, l’utilisation de la répétition et de structures à base d’entrelacement d’éléments laissent entrevoir l’influence de la musique minimaliste, et en particulier celle de Steve Reich.

La nuit est venue: du haut des cursives de la salle de concert, des grillons, des criquet craquettent de concert, cliquettent dans le noir: nuit d'été, charmeuse où l'on entend des coléoptères voler dans un silence recueilli. Salle comble et attentive, mise au pas par cette ambiance quasi hypnotique, entrée en matière pour cette "création mondiale"...Devant nos yeux et oreilles pétrifiées...Des sons crochetés, comme des graines secouées, des timides percussions naturelles, réunies pour une petite cérémonie rituelle, les six musiciens tout en noir dans l'obscurité....
Puis c'est la montée sur scène, estrade qui accueille cette ronde  dans des rythmes répétitifs sempiternels, en attitude sculpturale, six personnages à la Rodin, gestes des mains comme dessinés dans l'espace donnant chair et couleurs à ses graines secouées comme les soupesant, les considérant pour leur jouissants crissements. Transe et hypnose au poing. Puis chacun regagne sa place, son "endroit", son pupitre pour entamer une longue et belle litanie: c'est parti pour un voyage au long cour, répétitif, enivrant, façon et griffe Nik Bartsch mais de surcroît épaulé par le savoir percuter de Percu ! Mélange, alternance, mariage pour un "duo" duel de formations: un soliste pianiste renforcé par une couronne de percussions efficaces dont le langage propre et singulier se mêle aux touches de notes de notre pianiste, tr-ès zen, en moine tibétain, maitre de cérémonie païenne. Très riche en couleurs, carnations dans un jeu sensible de boite à musique, d'évocations d'univers et d'atmosphères variées, appropriées à cet ensemble singulier, unique. Paysages avec son de cloche, scie chuintante, claquements, frappements de tiges de bois... Le pianiste s'agite, s'émeut percussif tout de sons scintillants, lumineux, acidulés: une belle montée en puissance, envahissante, déferle, quelques sonorités brésiliennes avec des batons de pluies et maracas... Ou au royaumes des cigales qui crissent, frottant leurs élytres pour nous charmer, nous appeler à les rejoindre. Horlogerie détraquée aussi, en tempi rythmés, démontée pour tuer le temps, le modifier ou le pétrifier. ça sonne, ça défile et va bon train, clinquantes envolées, puissants timbres et volumes réunis.
Une reprise du piano comme leitmotiv et enluminure, transformée par tous les bouts de cet instrument devenu percussion, modifié par la proximité intime de l'ensemble des cinq musiciens aux commandes. Belle osmose, vases communicants entre instruments et accessoires divers et variés: son propre écho comme sans voix qui se déchaîne puis retourne à sa source, calme et tranquille. Nik Bartsch, mentor et chamane, chef de tribu bordé de compagnons nouveaux et conquis par ce côté jazzy orchestral, puissante évocation d'univers sidéraux, spirituels, incandescents.
Une réunion à batons rompus, percussions à cappella, solo de piano pour des instants uniques de grâce...Ruptures cinglantes, surprises, détournement de l'attention: du tout Nik Bartsch, relié aux sonorités des Percu, jamais retranchées, toujours magnifiées par ce compagnonnage inédit.  Amoureux des rencontres, chocs et découvertes ont été conquis!

Au Fossé des Treize dans le cadre de la saison Jazzdor à strasbourg le 14 Février

SUISSE – ARGENTINE – FRANCE
Nik Bärtsch, piano
Galdric Subirana, percussions
Enrico Pedicone, percussions
Rémi Schwartz, percussions
Flora Duverger, percussions
Théo His-Mahier, percussions
Olivier Pfeiffer, ingénieur du son