mercredi 26 février 2020

"Elvedon": Christos Papadopoulos: du vague à l'âme !



Dans Elvedon, sa première création qui date de 2016, il se laisse inspirer par les vagues maritimes et les bancs de poissons.
A marée haute, "vaguement" inspirée par l'attraction lunaire des marées, voici la seconde pièce présentée lors de cette rétrospective du chorégraphe grec.
Des pulsations régulières de musique répétitive, des soubresauts de corps, compactés en groupe donnent le "la" de cette composition musicale et vibratile, digne d'un tableau impressionniste, vibrant d'autant de points animés, d'électrons libres de fébrilité.De dos dans la semi-obscurité dans des tenues banalisées, cinq femmes, un homme se déplacent régulièrement, d'une façon infime et minimale, imperceptibles mouvements de corps qui font unisson, front.
Sur place de légers tremblements engendrent de légères torsions, infimes modifications du corps "de ballet" de cet opus hypnotique. Fouiller un sujet, l'explorer, le tordre jusqu'au bout de son propos: ainsi Papadopoulos procède et fait de cette écriture un grimoire, palimpseste de ses idées chorégraphiques et spatio-temporelles.
Des avancées minimales, des vibrations sempiternelles en font un ouvrage singulier, toujours recommencé sur l'établi.
Oscillations, balancements réguliers des bras ballants, relâchés, tout ici concourt à une atmosphère pourtant tendue, en alerte, douce menace aussi de pétrification possible...
Un tempo de métronome s'installe, des bruits de vague au loin dans le fracas des rythmes répétitifs engendrent un univers une ambiance étrange, lointaine
De la vague à l'âme, des flux et reflux légers, une attirance aspirante vers le groupe pour phare et lumières de repérage commune.Des battements obsédants, quasi soporifiques, sédatifs du geste s'enlisent, se fondent dans cet espace, nu, habité par les divagations précises des six personnages anonymes.La fascination du retour éternel, répétitif, routine de petites marches saccadées en diagonale ou frontale, opère, hypnotique.Des contretemps au bout des pieds, des contrepoints infimes pour mieux créer de petits heurts, des petits pas latéraux. Quelques accélérations, bras allongés cassent la routine, viennent et naissent de petites courses furtives qui vont se déchainer, en arrière, en avancées...Soudain et au fur et à mesure l'un d'entre eux chute en gardant pourtant inscrites les pulsations, comme des vies qui ne meurent jamais. Ils s'en révèlent pourtant et l'on ne termine pas cette aventure en empathie, sur ces chutes d'épuisement....
Sains et saufs, les créatures de cette tribu, horde soudée, se rendent à la verticalité....
 Ce soir là Christos Papadopoulos dansait au pied levé en remplacement d'un danseur blessé et toute la virtuosité de cette écriture minimale en était bouleversante !

Au Théâtre des Abbesses jusqu'au 24 Février


Pays Grèce
concept & chorégraphie Christos Papadopoulos
DRAMATURGIE Tassos Koukoutas MUSIQUE Coti K LUMIÈRES Tasos Palaioroutas COSTUMES Angelos Mentis DÉCOR Evangelia Therianou ASSISTANTES DU CHORÉGRAPHE Katerina Spyropoulou, Ioanna Antonarou AVEC Maria Bregianni, Nanti Gogoulou, Amalia Kosma, Hara Kotsali, Giorgos Kotsifakis, Dimitra Mertzani, Efthymis Moschopoulos, Ioanna Paraskevopoulou, Alexis Tsiamoglou, Alexandros Varelas
Christos Papadopoulos a été découvert dans le cadre de Chanti

dimanche 23 février 2020

"Balanchine" : conforme et en forme ! Le Ballet de l'Opéra a du tempérament !


Ce spectacle consacré à l’art de Balanchine réunit trois oeuvres de danse pure de la première période américaine du chorégraphe. Trois chorégraphies d’ensemble dans lesquelles les corps vibrent tels les instruments d’un orchestre. 

Jubilo, ergo sum
Sur les notes de Bach, "Concerto Barocco" construit en fondu enchaîné une succession de formes adressées au regard tels les éléments décoratifs d’une architecture baroque. Les Quatre Tempéraments proposent un contrepoint visuel aux variations de Paul Hindemith. À l’image des humeurs qui traversent les hommes, la danse, fluide et imprévisible, mêle consonances et dissonances dans une écriture à la fois rigoureuse et libre.
En "jupettes blanches", c'est un jeu de dames qui s'agitte joyeusement sur les notes, en fugues et fuites où chacun trouve sa place, son "endroit", son milieu et s'y plait à loisir...i successives: manèges des dix danseuses, un danseur portant les unes et les autres en alternance. Bouquets de danseuses, tunels, emboitements: autant d'instants de passes ludiques, malines et fort construites où les corps se jouent des instant aléatoires pour les faire se rejoindre en constructions savantes d'entrelacts.Placements parfaits des corps dansants dans l'espace, déplacements où chacun, chacune trouve sa place, son "endroit", son milieu à sa juste mesure et pour son plus grang plaisir, son loisir assumé, vécu.
Fils et filles prodiges de Balanchine, les danseurs et solites du ballet de l'Opéra de Paris exultent, se réjouissent, s'amusent, muses et allégorie du beau, effigies de la grâce et des transports jouissifs en commun.
Tous au diapason, dans cet hommage à la Femme, pour illustrer cette jubilation avec Bach: pointes et genoux pliés, bras en arc, liés, reliés en guirlande dans des enchainements, maille à maille.
Crochetage au point de crochet, "style et technique" en conformité avec le patrimoine balanchinien, à "la pointe de la jubilation": "jubilo, ergo sum...




L'éhémère comme credo
Dans "Sérénade", Balanchine convoque l’univers russe de son maître Tchaikovski et les corps modernes de la jeunesse new-yorkaise qu’il découvre à son arrivée aux États-Unis. Photographie de son temps, le ballet évoque aussi par son atmosphère romantique Les Sylphides de Fokine, autre maître aimé de Balanchine.
Un corps de ballet dans des costumes de voiles bleutés, longues jupes plissées transparentes, évolue, traces, signes, points en autant de figures mythiques, signatures balanchiniennes.Tableaux extrêmement composés, chaines, collier de perles ou guirlandes de corps qui se font et se défont à l'envi. Beauté fluide et volatile, éphémère et gracile des danseuses, unies, réunies et convoquées à ce rituel d'une construction architecturale, de quintet, de groupe évanescent. Une femme esseulée se détache un "prince charmant" acoure pour briser la quiétude de ce gynécé tendre et romantique....Un duo tisse des arabesques vertigineuses, alors que le groupe de danseuses bordent leurs évolutions d'autant d'arabesques plongeantes, virtuoses.Le travail remarquable des bras en couronne, en arc ourle la danse: on entend le bruissement des pointes qui frétillent, en ligne, en rangs sérrés. Pas de valse, grands écarts à terre, chaine des bras qui s'enlacent pour mieux couronner l'espace, comme les mailles d'un tricot qui se font et se défont... De beaux unissons, des chutes aussi, gracieuses, des reprises et citations de danse classique et de grands rôles de ballet mythique.
C'est du "tout Balanchine", conforme, labellisé, juste et miraculeusement contemporain; on songe à Forsythe qui a continuer à détricoter le langage classique en le vivifiant en code et grammaire tonique, décapante, stylé.
La griffe du grand chorégraphe atteint, touche et remue, efficace, dense, obéisant à des canons de beauté légendaires et fabuleux. Un trio atteste de cette fragilité contemporaine, là où deux ballerines, cheveux défaits s'adonnent aux joies d'un trio, portées par le danseur, épris comme elles de liberté ! Histoire de jalousie, de concurence, de possesivité mais aussi d'abandon et de possession amoureuse ! Au finale, l'élue est portée, victime, sacrifiée ou trophée....

Un épisode bien "trempé"
Les "Quatre Tempéraments" proposent un contrepoint visuel aux variations de Paul Hindemith. À l’image des humeurs qui traversent les hommes, la danse, fluide et imprévisible, mêle consonances et dissonances dans une écriture à la fois rigoureuse et libre. En tenue très académique, les voici, ces danseurs d'exception, à exécuter tours, pas de chat en dedans, bascules du bassin, autant d'audaces de styles, en rupture avec l'académisme classique de bon aloi. Envolées suspendue d'un danseur soliste remarquable comme en apesanteur, frolant à peine le sol... Des chutes qui retournent les corps, du déséquilibre annoncé, rattrapé à peine: la danse masculine magnifiée dans des arceaux, cintres de l'architecture chorégraphique, unique écriture savante sur le plateau nu, éclairé en fond de lumières discrètes. L'émotion retenue de quelques mouvements en cadence militaire, errance mélancolique aussi au son des violons de l'orchestren en osmose avec la danse vivante !
 Encore un solo magnétique d'un danseur qui virevolte, saute et s'élève au zénith de la félicité ... Quelques obstacles à franchir encore dans l'éther pour atteindre le firmament balanchibien...

A l'Opéra Bastille jusqu'au 29 Mars

samedi 22 février 2020

"Fase", Four Movements to the Music of Steve Reich : l'état de grâce incarné !

Un chef-d’œuvre intemporel de l’art musical et chorégraphique, aux sources de l’art d’une des plus grandes chorégraphes contemporaines
La danse contemporaine a produit des œuvres fondatrices qui éblouissent leur public depuis des décennies. Intimement liés à leurs chorégraphes, ces classiques modernes expriment le code-source d’une identité artistique et humaine, tels Café Müller de Pina Bausch ou May B de Maguy Marin. Pour Anne Teresa De Keersmaeker, cette pièce originelle est Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. En trois duos et un solo, la jeune Bruxelloise façonne en 1982, sur quatre partitions majeures du pionnier de la musique répétitive, un chef-d’œuvre absolu de la danse minimale. La fameuse rosace dessinée par les pieds de la chorégraphe dans son solo Violin Phase donna même le nom de la compagnie : Rosas. Depuis, Fase n’a pas pris une ride et est aujourd’hui reprise par une nouvelle génération de danseuses.
Thomas Hahn

On aurait tout dit de ce chef d'oeuvre de la danse contemporaine, alors on se régale de vivre avec ses deux danseuses la rythmique,, la ligne éditoriale de la grande chorégraphe d'aujourd'hui..Des quatre "phases" laquelle préférer tant elles jouent sur une gestuelle voisine de l'hésitation, du volte face, des multidirections éclairs qui fascinent, déroutent le regard, brisent la temporalité...
Le premier dos, en robes grises et soquettes blanches, réserve aux deux interprètes la latitude du bonheur de l'évolution répétitive, bordée de spectres dédoublés, semant trouble et confusion pour celui qui regarde, elles semblant ignorer ces deux , trois ou quatre reproductions qui les assistent. Six personnages parfois se rencontrent, s'effacent, se rejoignent, de chair ou de virtualité, ombres portées comme dans un théâtre fantastique de silhouettes vaporeuses. Spectres ou esprits légers, fantômes discrets qui se jouent d'une extrême complexité des mouvements répétitifs...Le second volet est un solo virtuose, léger, versatile et plein de charme où la danseuse virevolte joyeuse dans des ébats jouissifs, érotiques, soulevant jupette et corps pour mieux atteindre un zénith de jouissance jubilatoire. Regard espiègle sur cette musique "violin phase, irrésistible attraction du temps et de l'apesanteur..
Les deux duos où l'on retrouve les deux interprètes en sorte d'uniforme, pantalon, chemisiers, chaussures renforcées pour permettre des pointes imagées, contraires à celles de la danse classique. Sur un tabouret, elles signent la gestuelle découpée, savante de Anne Teresa de Keersmaeker, avec grâce, vélocité et l'on demeure fasciné, en apnée devant cette exécution irréprochable d'une chorégraphie tirée au cordeau, jubilatoire dessin de la musique de Steve Reich, omnubilante mélodie fascinante de l'hypnose tranquille.

A l'Espace Cardin jusqu'au 22 Février





Créé avec Michèle Anne De Mey, Anne Teresa De Keersmaeker Musique Steve Reich, Piano Phase (1967), Come Out (1966), Violin Phase (1967), Clapping Music (1972) Lumières Remon Fromont Costumes 1981 Martine André, Anne Teresa De Keersmaeker avec en alternance Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti / Laura Bachman, Soa Ratsifandrihana
création le 18 mars 1982, Beursscho