jeudi 17 septembre 2020

"100 cymbals": les percussions de Strasbourg , Cage et Ikeda : good vibration !

 


"Avec 100 cymbals, Ryoji Ikeda nous plonge dans les abysses de la vibration. Une expérience d’écoute unique qui marque le lancement du festival Musica 2020 dans l’espace démesuré du Hall Rhin du PMC, à Strasbourg.

"Le concert s’ouvre sur le portrait sonore que John Cage dédia au Strasbourgeois Hans Arp à l’occasion du centenaire de sa naissance. L’Américain considérait le cofondateur du mouvement Dada comme un modèle, en particulier pour sa relation à la nature et sa conception cosmogonique de l’art. Il en résulte cette partition conceptuelle tapée à la machine et offerte aux Percussions de Strasbourg en 1986, où le langage musical se réduit à cinq signes typographiques. Une œuvre minimale, faite de bruissements environnementaux, qui de la même manière que 100 cymbals, sollicite une écoute profonde."

Dispersés sur dix petits établis autour d'un public nombreux situé au cœur du grand hall, comme cerné par les musiciens, les sons parviennent dans notre dos et il faut se retourner régulièrement pour tenter de deviner qui produit quoi, de l'interprète à l'objet: du papier, des petites boules dans une boite, une bouteille d'eau qui déverse son liquide...Sons légèrement amplifiés, mais à peine audibles, sons inouïs du quotidien, issu de l'écoute et de l'observation de John Cage, ce mythique compositeur du petit rien, du presque rien, du rien sonore. Bruissements, écoulements alternent d'un pupitre à l'autre, les interprètes comme des prêtres en chaire, au niveau du sol, priant et provocant d'objets détournés, des sonorités banales, mais reproduites à l'identique: le contexte en transformant la matière et la substance pour en faire du son spatial, intime, proche ou lointain selon la position géographique de chacun, au cœur de la sphère d'écoute. Ensemble, esseulé, individuel ou à l'unisson, ce joyau de fabrication, cette usine à produire vibrations et émotions se fait naturelle et fonctionne dans le respect d'une écoute renforcée par l'immensité de l'espace convoqué pour le concert. Comme un petit théâtre musical où les manipulateurs, marionnettistes magiciens se plaisent à nous charmer, séduire, nous "suspendre" à leurs gestes minimalistes de facteurs de résonances curieuses, étonnantes et pourtant si banales ! Le dispositif incluant les auditeurs, libres pourtant de se frayer un chemin dans ces massifs de bruissements. Un tracé, coup de fouet de bâton, comme un geste tranché de Lucio Fontana sur sa toile tendue, zèbre l'espace de son son cinglant !

Concentration, surprises et découvertes à l'appui, tout surprend, dérange sans jamais heurter nos sens en alerte, aux aguets du moindre "bruit" issu de tant d'objets hétéroclites: au petit bonheur des auditeurs, charmés par tant de préciosité, de précision, d'attention à chaque geste générant musique et univers sonore inouï !

 

"Créée en 2019 au Los Angeles Philharmonic, dans la somptueuse salle signée par l’architecte Frank Gehry, 100 cymbals est aussi bien une performance scénique qu’une installation audiovisuelle. Ryoji Ikeda met en lumière le riche potentiel des cymbales en suivant la mince frontière qui sépare le bruit de la résonance harmonique. L’instrument d’apparence rudimentaire, un disque convexe fait d’un alliage de cuivre, de laiton et de bronze, que l’on emploie plus communément pour accentuer certains temps de la mesure, se transforme en une puissante ressource polyphonique. Les différents modes de jeu, plus ou moins conventionnels, entretiennent une sonorité fusionnelle — quasi chorale — et laissent surgir des strates harmoniques et autres résultantes acoustiques au sein d’un processus qu’une simple ligne pourrait représenter : un crescendo infini, menant d’un murmure quasi imperceptible à l’éclat du fortississimo final."

Comme une immense  installation plasticienne, les 100 cymbals s'alignent, petits soldats, pas tous pareils si l'on y regarde de plus près: venues de Turquie et du potentiel de l'instrumentarium des Percussions de Strasbourg, les instruments se dressent à hauteur d'homme pour mieux être doucement caressés, frappés, touchés subtilement et rendent des sons vibratoires subtils, légers, à peine perceptibles.... Un véritable temple bouddhiste où les cymbales, comme autant de petites flammes, bougent, résonnent, bruissent: les dix officiants, régulièrement modifiant leur poste dans un ensemble chorégraphique très opérant.

Visuellement, œuvre sonore plasticienne, cette pièce singulière qui nous est donnée de découvrir  s'ouvre à Cage, en écho à son affection pour la culture zen, la danse, le mouvement naturel des corps et du son dans l'espace Vision reposante, hypnotique, calmante et bienfaisante d'une écoute toujours très concentrée sur ses fins: rendre l'infiniment petit à une place gigantesque, l'infiniment perceptible, digne d'une attention à l'environnement sonore quotidien qui nous berce ou nous froisse, nous ravit ou nous malmène à chaque seconde: les oreilles n'ont pas de paupières: heureusement!

Et bien sûr,en présence des Percussions de Strasbourg, modelées pour accueillir et réfléchir un répertoire inédit, caché, secret, révélé au grand jour par le festival Musica, au diapason de la diversité et de la rareté...Belle soirée inaugurale qui augure du meilleur pour la suite ...Chut! C'est un secret qu'on ne confie qu'à une seule personne à la fois: covid oblige !


mercredi 16 septembre 2020

"Fabula rasa" : du rififi dans les fleurs, dans les coeurs !


 "Fabula Rasa"

‌Danser parmi les objets détournés de Corine Kleck, les images de fleurs animées fabuleuses de Robert Becker et Dominique Haettel, chanter les louanges du jardin semé de reliques bien vivantes, bien plantées ....
Toute une histoire qui se conte sur le bout des lèvres, des doigts et de la langue, bien pendue.Sur la pointe des pieds tanqués
Visite déglinguée d'univers singuliers à la croisée des chemins de la création picturale et photographique du binôme Becker-Haettel, faits l'un pour l'autre, félins pour l'autre.

Balade dans les plantations inédites de sculptures voluptueuses, ressurgies  de la mémoire patrimoniale de Corine Kleck, visionnaire d'objets détournés magnifiés, érotiques en diable....


Une performance inédite de:
Geneviève Charras, interprète, charivarieuse

Dans le cadre des Ateliers Ouverts 2020 , à l'occasion de  l'exposition "Fleurs Fabuleuses" de Robert Becker et Dominique Haettel et des œuvres de Corine Kleck.


Dimanche 11 OCTOBRE 15H

Atelier Kleck-Haetel
11 Bis rie des Tailleurs
Schweighouse sur Moder
 




dimanche 13 septembre 2020

"Les rossignols des terres allemandes": l'Ensemble Céladon au festival Voix et Route Romane. Chansons de gestes et d'amour

 


"Les Rossignols des terres allemandes"
Chansons de Meistersinger au Moyen Âge

"Les Minnesänger et Meistersinger, poètes- compositeurs-interprètes allemands des 13e et 14e siècles, se surnommaient entre eux Nahtigal (Nachtigall : Rossignol). Dans la continuité des troubadours en Occitanie et des trouvères dans le nord de la France, les Minnesänger célèbrent à leur tour l’amour courtois et donnent ses lettres de noblesse à l’allemand médiéval. S’émancipant progressivement de leurs modèles, les Minnesänger, la plupart issus de la noblesse, développent au 13e siècle un art qui leur est propre. Quelques décennies plus tard, les Meistersinger, issus des classes bourgeoises, diversifient leurs thématiques avec des sujets de société plus variés."


Voici en préambule éclairé ce qui nous attend dans l'abbatiale de Surbourg, gainée en son intérieur de beaux éclairages "rose des sables", granit au ton pastel, doux et tendre: un concert "amoureux", désopilant parfois, toujours savant malgré les racines "laborieuses " de ces chants amateurs de confréries, mais si intenses de vérité et de sonorités fortes et cadencées! Ce sont les voix des deux chanteurs de l'Ensemble Céladon qui vont entamer ce festin de saveurs sonores, de gouts fins et variés aux fragrances médiévales délicieusement saupoudrées d'un instrumentarium  à l'identique de l'époque et de ce fait, remarquable. Très inspirée, la plainte, prière de la superbe soprano Clara Coutouly éclaire l'espace, fond, se répand souriante, pleine, gracieuse. Rouge vermillon comme la robe qu'elle porte et qui approfondit l'aspect "matrice" de son rôle de femme, tantôt enjôleuse, tantôt naïve et vive comme l'anguille. Le contre-ténor bien connu, à ses côtés, Paulin Bundgen, pour mieux évoquer cette période dans un registre ouvert, accueillant, chaleureux: invitant l'auditoire concentré à une écoute recueillie, respectueuse de tradition et de "modernité" de la musique instrumentale bordant leurs propos vocaux. Dans une chaleureuse adresse au public, toujours.


Comme dans un désert, terres arides, l'atmosphère des morceaux se fabrique peu à peu, délivrant espaces sonores et paysages singuliers, dans une diction parfaite, une noble allure: instruments et chanteurs au diapason pour des litanies récitées palpitantes à retenir son souffle tant la tension de la narration est vive, présente, habitée. Vents d'Est ou du Sud apportent au répertoire varié de ces troubadours de l'âme, des notes de courtoisie, de bienséance et de savoir vivre. Profane ou religieuse, la musique médiévale s'y révèle altière et respectable, gaie, dansante, entrainante, virevoltante, alerte.Un solo de la soprano, pur et plein, sur le thème de la femme et nous voici cheminant en sa compagnie dans les temps jadis, dignement, gracieusement. La courtoisie est de mise, la ruse et l'humour distancé aussi: le jeu d'acteur de Clara Coutouly, expressive et malicieuse, sourire en suspension, ton ferme et affirmé, convaincante et forte. Sa voix pourpre, sanguine et vermeille épouse le propos avec justesse et subtilité.Préciosité de la voix en sus pour ces interprétations méticuleuses et savantes. L'homme, lui, se fait voix hypnotisante, lancinante, enjouée au gré des morceaux de choix ; un duo merveilleux les rassemble, envoutant dans une solide interprétation aguerrie.Les dialogues avec chaque instrument rare et précieux confirment la complicité des interprètes qui se consacrent à leur art avec passion et exquise modération!

photos robert becker


Les dons innés des chanteurs les rendent séduisants, sobres, enjôleurs et tissent une empathie réelle avec leur présence rigoureuse mais jamais distancée! Louange à la femme, doublée par la voix masculine en retrait, harmonie d'un tuilage savant entre tous les interprètes galvanisés par un répertoire inédit, si rarement livré à l'écoute tant la rareté et la virtuosité en sont matière première. Répliques et réparties féroces, effet d'écho entre les deux chanteurs, tout concourt à la félicité des cieux! En bouquet final, une exultation musicale dansante, vive, rutilante clôt le concert sur des notes teintées de joie. Un bis généreux et inattendu nous livre les secrets d’alcôve d'un couple, une rêverie bucolique, aux draps froissés, nostalgiques d'une nuit galante: complainte amoureuse, délicate qui borde nos rêves et l'on quitte l'Ensemble, conquis, charmés, ravis par une poésie sonore exaltante, ravissante, porteuse de joie et de respect de l'autre: le chant, la musique comme vecteur d'humanité sur la voie, les sentiers de l’accomplissement personnel et collégial !

Une fois de plus on remercie le festival de nous faire don de savoir éclairant sur la place de la musique dans notre humble vie !


Ensemble Céladon (France – Lyon)

Depuis sa formation en 1999, l’ensemble Céladon explore avec charme et fantaisie le répertoire de la musique ancienne, cherchant à chacune de ses manifestations à réinventer la forme de ses concerts. Mené depuis son origine par Paulin Bündgen, Céladon se plaît à arpenter le répertoire lié au timbre de contre-ténor, entre musique médiévale, renaissance et baroque. Céladon est régulièrement l’invité de festivals où il est reconnu pour la qualité de son interprétation et ses rapports profondément humains avec le public.

Céladon reçoit le soutien de la DRAC / Auvergne-Rhône- Alpes, de la Région Auvergne-Rhöne – Alpes et de la Ville de Lyon.

Paulin BÜNDGEN direction artistique et contre-ténor

Clara COUTOULY soprano

Nolwenn LE GUERN vièle à archet

Florent MARIE luth médiéval

Gwénaël BIHAN flûtes

Caroline HUYNH VAN XUAN organetto


Eglise Saint Arbogast Surbourg le dimanche 13 Septembre 17H