lundi 21 septembre 2020

"Solveig, (l'Attente)": pardonner ! Solveig, Patience et Clémence.....


Edvard Grieg , Henrik Ibsen
"Le metteur en scène Calixto Bieito et le romancier Karl Ove Knausgård offrent une vision nouvelle de Peer Gynt, chef d’œuvre d’Henrik Ibsen mis en musique par Edvard Grieg. Le conte poétique et philosophique n’est plus vu à travers Peer Gynt, mais dans les yeux de Solveig, la jeune femme qu’il abandonne après l’avoir séduite. Révélatrice des désirs et des peurs du héros, mais aussi de sa brutalité, Solveig a-t-elle bien raison d’accorder son pardon au rusé personnage en lui dédiant sa célèbre « chanson » ? L’attente de l’être aimé et sa morale sont ici mises en perspective par un nouveau livret, accompagné sous la forme d’une passion symphonique par les plus belles pages du compositeur norvégien. "
Tous en noir, masqués, les artistes du chœur pénètrent le plateau d'un décor noir et blanc, façonné par un cube immense volume blanc, "white cube", les côtés bordés de deux écrans vidéo également parés de blancheur vierge.Une voix se détache, absente, quasi fantomatique, spectrale: c'est celle d'une jeune femme blonde, Solveig, seule sur scène dès lors, en un monologue parlé, conté, la voici héroïne de la pièce singulière réappropriation d'une "légende" musicale et historique.Le chœur narrateur s'efface, Solveig se filme en direct, produisant de très beaux portraits de son visage, éclairé, radieux, alors que la musique bat son plein. Une sorte de huis-clos se dégage à l'ambiance feutrée, vite oppressante, étouffante. Des oiseaux, chouettes ou pigeons se répandent sur l'écran, fidèles compagnons de légende, oiseaux de proie, menace ou protection pour la jeune femme qui va s'avérer au fur et à mesure, tendre, rebelle, dans toutes les fonctions féminines que l'auteur lui attribue.Surveillée, traquée, enfermée ou esprit libre qui cherche la rédemption, accorde le pardon dans une abnégation religieuse affirmée? Soutenue par des regards d'oiseaux surdimensionnés, Solveig va son chemin, chante sur ces images spectrales en noir et blanc, mouvantes, aériennes, dissoutes dans l'éther. Telle une Ophélie dormante, l'image de la mort veille sur le corps de la mère, vieille femme allongée, en suspension, alors que la naissance d'un nourrisson fait la passation des générations et conforte Solveig dans sa mission de pardon, par don de soi, de sacrifice, de beauté humaine;
Une œuvre singulière et pleine d'enseignements qui tend vers la fable ou le verset spirituel d'une époque proche et lointaine, rehaussée par une mise en scène du monologue, sobre et empreinte de virginité, de blancheur répandue sur les corps et sur les âmes.
 
 
 
Orchestre philharmonique de Strasbourg Chœur de l'Opéra national du Rhin

 

"Opus 2.131.3" Quatuor Diotima : en perspectives ! Corps-raccorps temporels.


OPUS 2.131.3

Quatuor Diotima


Ryoji Ikeda création française, nouvelle version 
Ils s'accordent , corps-raccords- en dis-harmonie pourtant dans une lente plainte des quatre instruments, trois violons, un violoncelle, lors d'une belle et douce tenue en tuilage des timbres.Un profond recueillement émane ainsi, dans une quiétude  générée par la tenue et hauteur des sons qui avancent et cheminent comme pour une procession religieuse. Sur le fil, sur la corde raide de funambule qui progresse, avance, serein, solide, assuré . Une œuvre sensible dédiée aux cordes, en "chambre" claire, bien "chambrée".
 
Ludwig van Beethoven
Quatuor op. 131 (1826) Telle une passation à rebrousse temps,la pièce surgit comme référence à la première. Relais, flambeau tenu par les quatre protagonistes, traversés par une interprétation emplie de l'écriture, de la griffe de Ikeda. Signature "commune" entre contemporain et pape de la musique de chambre, cet opus, célèbre et virtuose, trace connivence, complicités et sympathie des œuvres d'aujourd'hui.L'inspiration, le mimétisme pourrait fonctionner, anachronique: et si Beethoven avait poursuivi l’œuvre de Ikeda dans la mémoire inversée du temps qui s'écoule, dans la mémoire des sensations du matériau sonore ou de la composition?

Ryoji Ikeda création française 
Retour à la lenteur après la vive interprétation du Beethoven. L'allégresse en moins, voici une "relecture" de l'opus précédent, comme un livre lu à l'envers. Les mouvements bien agencés de la partition, tels une exploration minutieuse et souterraine, en profondeur du quatuor d'un ancêtre démiurge. Des abysses, des abîmes surgit la mélancolie romantique qui traverse les notes, emporte l'auditeur dans des sphères inouïes malgré tout. Les ascensions des violons comme une fumerole évanescente qui s'évapore et se répand dans l'éther, l'éternité.Une fois de plus Ikeda surprend, étonne , à l'écoute de son "répertoire" vaste, savant, iconoclaste ou très "sage" au regard d'un héritage patrimonial musical Dans le plus profond et savant des respects.

 


dimanche 20 septembre 2020

"Grand concert d'ouverture N° 2 " : mise sur orbite: qui va piano, ne va pas toujours "sano" !

 

Pour la première fois arrimé à Strasbourg, le Basel Sinfonietta défie les lois de la gravité avec Georg Friedrich Haas et Simon Steen-Andersen. Ces deux pages orchestrales qui jouent sur l’espace et l’apesanteur sont précédées d’une oeuvre-manifeste de Marina Rosenfeld dont l’interprétation est confiée à un choeur d’adolescent·e·s créé pour l’occasion.programme


Marina Rosenfeld création française
Georg Friedrich Haas
Joshua Tree (2020)
création mondiale
Simon Steen-Andersen création française

 

Teenage Lontano de Marina Rosenfeld

"La « reprise » est une pratique plus commune à la pop. Pourtant, c’est bien à cet exercice que se livre Marina Rosenfeld avec l’oeuvre emblématique de György Ligeti, Lontano (1967). Sa micropolyphonie et ses masses sonores ne sont plus confiées à l’orchestre, mais à un choeur d’adolescent·e·s. La possibilité pour des chanteurs amateurs d’interpréter une page si complexe est offerte par l’ear score, une partition auditive numérique permettant à la compositrice de susurrer les notes aux choristes via des oreillettes. Une innovation, un manifeste pour la réappropriation du répertoire du xxe siècle – et surtout, un tableau de l’avenir peint en des couleurs irréelles."

Comme une  ligne de chanteurs scénographiée, mise en scène de trente deux corps éclairés par des rasants, en jean et baskets: le dispositif scénique organisé au centre, les spectateurs de part et d'autre de cet étrange face à face, dos à dos.La bande son zigzagante en écho réflexif filtre les sons étranges venus d'un ailleurs cosmique inconnu. Le chemin de lumières mène au zébrage de sons, fulgurants, traçant une ligne droite stable: les jeunes tiennent vocalement de longues notes en respiration continue, commune alors que plane la bande son au dessus de nos têtes. Des sifflets en alternance ponctuent l'atmosphère, le son circule en ondes, harmoniques et fréquences se répartissant l'espace. La voute sonore se dessine dans l'amplification spatiale, en rafales, détonations, zébrures, tirs et salves. Une œuvre à regarder en appréciant le professionnalisme des chanteurs-choristes alignés devant nous dans une "proximité" astucieuse et opérante.

conception Marina Rosenfeld

Chœur du Lycée Stanislas de Wissembourg
chef de choeur | Stéphane Hummel
Chœur du Schiller-Gymnasium de Offenbourg
chef de chœur | Winfried Oelbe
Elèves du Lycée Marie Curie de Strasbourg
enseignante | Christiane Didierjean
Chorale du Stift
chef de chœur | Antoine Hummel


Joshua Tree de Georg Friedrich Haas

"C’est lors d’un séjour dans le parc national de Joshua Tree, au sud de la Californie, l’un des plus beaux endroits au monde pour contempler la voûte céleste, qu’est née cette page orchestrale inspirée par la mutation lente et progressive de la nuit étoilée. « Lorsqu’on observe le ciel à l’oeil nu, nous dit Georg Friedrich Haas, on ne peut s’empêcher de fixer des groupes d’étoiles et d’en faire des images. Mais si l’on se saisit d’un télescope, on voit des points lumineux en si grand nombre qu’il devient impossible d’identifier des structures. Tout est affaire de densités et de mouvements imperceptibles. C’est ce phénomène que j’ai voulu transposer. »

Une formation "classique" orchestrale majestueuse pour ce second concert d'ouverture , cela "rassure", on s' y installe, mais on va rapidement déplacer ses fantasmes de "confort" pour atteindre une musique en immersion totale, sonore, mouvante, fluide.Des ondes de vibrations des cordes, émergence des vents pour une ambiance étrange.Jeu de cordes pincées, piqués, volume qui se déploie, s'impose allègrement, harpe qui se fond dans le parterre d'instruments à cordes murmurants. La fluidité aquatique opérant pour cette traversée dans les flots sonores apaisants.

Basel Sinfonietta
direction musicale Baldur Brönnimann


Piano Concerto de Simon Steen-Andersen

"Un piano à queue est lâché d’une hauteur de trois étages. Ainsi débute ce concerto qui défie radicalement les lois du genre. L’observation de la chute, sans nihilisme aucun, laisse place à la beauté de la gravitation et de la destruction, sondée de manière ironique et insouciante. « Dead-serious playfullness », selon les termes de Simon Steen-Andersen, une joie mortellement sérieuse. Au-delà du geste spectaculaire, réalisé en une seule prise et projeté à l’écran, l’instrument en ruine libère progressivement une méta-histoire du piano moderne – du fantôme beethovénien à Fluxus, du piano préparé de John Cage aux corps résonants de la musique spectrale."

C'est à une œuvre tectonique que nous sommes à présent confrontés.Sur l'écran, un piano vient s'effondrer dans une image au ralenti sur fond de tonnerre de sons.Magistrale image qui va impacter la pièce; la mise en scène en bord de plateau dédoublant le pianiste en un second personnage animé sur cartonnage disturbe l'espace et le temps à loisir. Un solo de piano en notes détachées, dans un vacarme déferlant, mécanique, de l'orchestre qui s'anime.L'image virtuelle de l'interprète au clavier, tétanisée ou arrétée en chemin, provoque sourires et distanciation! L'humour et le comique décalent, désorientent: cassures, éclats, brisures et décompositions fractales s'imposent.Les ruptures tectoniques rappellent la chute et les rebonds du piano à l'image.Le fracas, le crasch-landing sur tarmac d'un OVNI fait écho dans les mémoires immédiates.Grande messe symphonique pour catastrophe instrumentale, avalanche disharmonique, clins d'oeil, pastiche et caricature d'accidents, d'incidents de route....La musique "sonne faux" sous les doigts surdimensionnés du pianiste à l'image projetée.Au final tout explose, se rompt, éclate, éclabousse de brisures et fractures l'environnement virtuel et sonore.Le piano tombe, chute à l'envi, rebondit, s'envole en vitesse précipitée, image pixilée.Et l'on se taille une valse de guingois pour ce bal singulier, violent, fantastique, cruel. Qui va piano, ne va pas "sano" !

 

Basel Sinfonietta
direction musicale Baldur Brönnimann
piano Nicolas Hodges