samedi 3 octobre 2020

"Walk the walk" : marche, démarche ! Ca déraille et c'est canon!


 À la fin du XIXe siècle, le physiologiste Étienne-Jules Marey inventait la chronophotographie qui permit d’observer les mouvements décomposés d’un animal, d’un humain, ou encore de la fumée dans l’air. Simon Steen-Andersen se réapproprie cette technique d’amplification visuelle et propose, au moyen de tapis de course, une étude sur la marche, mouvement a priori anodin renfermant un potentiel théâtral infini. Rythme, pulsation, vitesse, synchronie et équilibre sont les composantes de ce « théâtre-musical-choréo-lumino-fumo-performatif », selon ses termes, traité à la manière de scènes de prises de vue filmique réalisées en direct, où les corps musiciens sont mis à l’épreuve de la suspension du temps.

Simon Steen-Andersen création française 
"Loco-loco motive d'or...."
Alors que la chorégraphe Mathilde Monnier et ses compères développe une "démarche" sur "de la marche en danse", voici le trublion du mouvement sonore qui s'y attèle ! 
Surprise que ce micro qui se balade, suspendu au cintre et ses bruits de pas, de cheval au galop qui inaugurent le show.Pas de deux, de quatre interprètes, virtuoses de l'humour et du décalage, de ce qui chiffonne et défrise. En bon trublions, les voici aux prises avec la "locomotion", l'histoire de l'image par l'image animée. Marey, un mythe pour l'étude de la décomposition du mouvement qui inspira autant Carolyn Carlson que le cinéma muet.Battements de coeur, rythme et frappes, résonance de talons qui frappent le sol dans une démarche autoritaire...Jolis squelettes fluos cernant les membres de fantômes sans chair qui défilent, lignes brisées de corps manipulés. C'est drôle et décalé, salutaire et cette bande des quatre garçons dans le vent ventilent à tord cette masse d'informations: interviews, saynètes burlesques décapantes, apparitions, disparition à l'envi derrière un rideau noir, diaphragme photo-graphique, tir à canon de clichés iconographiques."Marche, ne parles pas": leitmotiv que l'on voudrait leur rappeler tant ils demeurent "bavards" par des gestes redondants, des scènes qui se répètent. La chorégraphie tarde à apparaitre dans ce grand fatras plein de fracas et de tracas pour celui qui regarde.

Tirs de canon comme la femme boulet de foire, "femme bilboquet": toute une époque revisitée !Sympa, sans plus. Ba - daboum, ba-daboum et paf dans le mille! Les manchons des micros en vedette pour ce show inédit de pacotille ! Les fumigènes en salves de ce petit théâtre de foire du Trône, amusent...Les quatre fils de joie s'animent en couleur fluo, défilent sur un tapis mouvant, marche à la Marey Marcheurs dans le vent, claquettes de semelles sur sol résonant..."Le danseur du dessus" Top Hat", veille au grain en marchant comme une araignée dans le plafond déglingué de leur crâne.Un solo de batterie suspendue recentre le ton jovial de cette fête foraine: un énorme manchon d'air aspire à devenir caverne transparente mais se dégonfle vite comme une baudruche...Couloir sans issu de pérégrinations joyeuses par une équipe tonitruante qui fait malgré tout chaud au corps en déversant ainsi ses vagues . Marey, Hermès ou Pégase  aux pieds légers s'en réjouirait cependant !

Ensemble This | Ensemble That

"Toxic box" : l'Imaginaire en figure de proue ! Dévisagez-les !


 Pour sa première à Musica, l’ensemble L’Imaginaire franchit les frontières musicales en compagnie de Daniel Zea Gómez. Ses pièces forment un diptyque où les visages des musiciens, projetés à l’écran, deviennent les instruments d’une partition de mouvements : d’un face-à-face sur le thème du dialogue amoureux (Love Letters) à son miroir virtuel et déshumanisé (Toxic Box), le compositeur suisso-colombien explore les traces laissées par les émotions à l’ère numérique.

 


Daniel Zea création française 
Deux personnages, face à face vont dialoguer avec leurs visages et nous restituer par le truchement de la caméra, en frontal sur écran, les petites chorégraphies de leurs traits qui s'animent peu à peu. Duo, duel humoristique où les facies surdimentionnés donnent le "la" alors que se déverse des résonances électroacoustiques. Pas d'instrument ici pour ces deux interprètes virtuoses de la flûte ou du saxo..Deux corps de profil, raidis, penchés, modèles d'images divisées selon la moitié de l'écran: visages en noir et blanc qui vont subir une colorisation imperceptible, un dédoublement des contours qui les rendent surréalistes, méconnaissables, enchanteresses.Comme une enveloppe, une seconde peau, ces "masques" nous révèlent formes et métaphores du faces qui se dissimule mais se trahit lentement par les intentions musicales qui les secondent en direct. Exercice virtuose audio-visuel, danses des muqueuses, icônes malmenées, devenues monstres ou Quasimodo: bonne pate à modeler comme le son qui se métamorphose et suit cette mutation des genres: mouvements des yeux, des paupières qui décidément n'ont pas d'oreille ! Tics de bouche déformée à l'appui, faces masquées à la japonaise, théâtre de No revisité ! Des sous-titres pour rendre intelligible les formes ou les intentions de la composition aléatoire.Un peu redondant et lassant cependant, le système opérant jusqu'à épuisement du concept.Monter son bon profil, faire face aussi peut mettre en danger.

Nicolas Collins
Pea soup (1974/2014) 
Sur fond d'écran rougeoyant, le silence s'installe puis la lente apparition fantomatique, quasi virtuelle du saxophoniste incarne le son; vrombissements et petites secousses, souffle et tremblement pour une sismographie du son, des appels en vain pour sauver la face et le silence redevient rouge dans un grand suspens....
 
 
Daniel Zea création mondiale 
Deux avatars à l'écran, lisses, confondant de réalisme outrancier, made in pixel et autres truchements de l'image en 3 D...Pas vraiment "esthétiques" ces faciès de poupée Bela, reconnaissables, ceux  des interprètes, modélisés par la technique sophistiquée de nos machines iconiques.En tenue miroitante de circassien, les interprètes prennent la scène et délivrent en live de la musique acoustique! Laqué, or et argent, pailleté, le show se glisse sous les images, transformistes: femme et homme pudiquement torse-nu, créatures troncs, tronquées au profit de jeu de bouche étirée qui dévoilent des dentitions monstrueuses. Avatar bâtard, vernaculaire icône des corps dénudés, insipide image nette et aseptisée d'une musique pourtant riche et florissante. A quoi bon tant de chichis pour épauler de façon lisse, ces corps ternis par la fadeur des contours immaculés. Trio à l'image qui peu à peu va prendre sens dans de belles juxtapositions de tons et d'images de masques, d'objets hétéroclites..A toute vitesse défilent ces tableaux, dignes d'un musée ethnographique, quai Branly de l'électroacoustique: bricolage et science au poing! Le rythme mécanique s'emballe, s'accélère, les images se catapultent dans cette modélisation désuète et démodée-volontairement ou pas- kitsch à mourir!Quand son et image ne se rencontrent pas, l'absence fait irruption dans ce jeu de massacre aux bouches déformées par les impacts percutants de l'électronique. La beauté canonique des "modèles" agace, ces masques de tonneau de vin s'affolent dans la pixilation du montage : hommes et femme tronçonnés par l'acoustique, déplacés, défigurés.Gueules cassées sur champ de bataille des années passées...
L' Imaginaire sur la voie mutante des musiques nouvelles, ne convainc pas vraiment.
 
On songe avec nostalgie au travail de N+N Corsino avec le compositeur Jacques Diennet pour des vidéo-danse modelées par le 3D avec poésie et "e-motion capture" , pixels de  haute voltige ! (Seule avec Loup)......


vendredi 2 octobre 2020

"Deep listening" : spectral ! tenue correcte exigée !



"Monstre sacré de l’expérimentation sonore et de la composition réduite à sa plus simple expression, l’auteur des pièces mythiques que sont I am sitting in a room (1969) ou Silver streetcar for the orchestra (1988) est pour la première fois mis à l’honneur de Musica. À l’aube de ses quatre-vingt-dix printemps, le compagnon de route de John Cage et de Pauline Oliveros poursuit sa recherche sur les résonances naturelles, les processus de déphasage et les paradoxes acoustiques.
Alvin Lucier nous offre en avant-première deux œuvres nouvelles nées de la sollicitation d’interprètes soucieux d’étendre l’expérience d’écoute dans le temps. En 2013, Stephen O’Malley, guitariste du groupe de drone metal Sunn O))) et Oren Ambarchi se réunissaient pour créer Criss-Cross. Pour V, ils sont rejoints par le violoncelliste Charles Curtis : une pièce lente et mystérieuse dont les jeux de fréquences transforment l’espace et tout ce qu’il contient, auditeurs y compris, en un même méta-instrument. Il en est de même pour Music for piano with slow sweep pure wave oscillators XL interprétée par Nicolas Horvath, où l’expérience méditative est étendue à son maximum.
Écoute profonde et immersion totale dans le son — une soirée exceptionnelle, durant laquelle les volumes de l’église Saint-Paul seront progressivement saturés de résultantes acoustiques, de spectres harmoniques suscités par les caractéristiques du lieu, sans compter les fantômes sonores que l’auditeur ne pourra s’empêcher de laisser surgir dans son esprit.programme"


 
Alvin Lucier
V (2018)

 

première partie : Music for Piano with Slow Sweep Pure Wave Oscillators XL (2020)

C'est dans le choeur de St Paul, éclairé de violet et rouge qu'un piano à queue va égrener note après note, touche sur touche, une sorte de mélopée curieuse sur fond de nappe sonore électroacoustique, tendue, plane, horizontale, couche à la lente résonance enivrante... Le pianiste, inspiré, les yeux levés au ciel, médite, avance pas à pas.Dans une solennelle démarche : des enjambées d'octave, franchissement de la ligne du son sans heurt ni éclat, saute mouton de gammes, de fréquences dérangeantes.Les hauteurs font contraste face à cette durée lancinante de fond. Dans un immense paysage vierge, plat pays, un homme danse, seul, silhouette miniature dans une vaste perspective fuyante... Qi qong, tai chi chuan musical, progressif, harmonieux, libre, lié, linéaire, sans scission ni fracture, sans rupture: toujours aligné sur les lignes d'horizon variable.
piano Nicolas Horvath

deuxième partie : Criss-Cross (2013)

Deux consoles, qui se répondent en tuilage, manipulées, manoeuvrées par d'ingénieux ingénieurs du son, lancinantes projections sonores de timbres égaux: ondes au ralenti qui s'épuisent ou s'emballent et viennent échouer au final sur la plage inondée de tissus sonores recouvrant la surface de l'audition.

 Glacier (2001)

Un violoncelle acoustique se dissimule derrière un baptistère: pour mieux occulter aux regards les gestes virtuoses de l'interprète qui glisse son archet, longues rumeurs, plaintes stables, tenues, maitrisées... Une alarme continue, languissante pour cet archet qui va et vient, périlleux exercice de haute voltige, sans faille, sans discontinuité. Le tympan s'habitue à cette fausse mécanique sempiternelle mélodie familière des fréquences qui laissent leurs traces en rémanence comme des échos qui s'empilent, s'amoncellent dans la mémoire immédiate de l'audition. Dérapages dans les tonalités parfois, le son s'allonge, s'étire comme un vol d'avion dans le ciel se dissout et disparait, effacé par le passage du vent, du temps suspendu..

V (2018)

De profondes vibrartons se font sentir qui parcourent le sol, les corps assis ou allongés des auditeurs.Dérangeantes, fréquences souterraines. Une ambiance, une atmosphère secrète s'en dégage, l'univers s'ouvre et se construit, monocorde, s"datif, reposant Des tressaillements  sillonnent pourtant  cette masse sonore égale, répétitive: le son tenu, porté, maintenu, soutenu à bout d'archet: tous les interprètes affichent des visages sérieux, concentrés à l'extrême pour cette cérémonie longue descente de fleuve tranquille sur embarcation bien dirigée. Durée et continuité au chapitre pour créer ce magma opaque qui flotte dans l'éther: des sirènes mugissent, comme le son d'une corne le soir, amarrée au port, sur la surface quasi immobile de la mer. Montante pourtant, infiniment soulevée par les ondes qui la traversent. Les sonorités enveloppent, enrobent, frôlent, se glissent parmi les spectateurs et viennent mourir sur la berge.

Fugue, fuite suite en tenue de soirée, longue traine d'une robe du soir pour prolonger l'écoute apolliniennes, voire dionysiaque de ces oeuvres.


guitare électrique Stephen O'Malley, Oren Ambarchi
violoncelle Charles Curtis