mercredi 23 juin 2021

Ensemble Vertebrae : une colonne sonore stable pour un concert radical !

 

Ensemble Vertebrae

© Elektramusic


De l'univers expérimental et plutôt intimiste du compositeur américain Alvin Lucier, jusqu'à la vigueur et intensité du compositeur israélo-palestinien Samir Odeh-Tamimi, avec trois œuvres des compositeurs latino-américains Juan Pablo Muñoz, Jorge Torres Sáenz et Jeremías Iturra, l'ensemble Vertebræ présente un programme des créations françaises pour flûte, percussion et piano qui donne place aux divers sons et styles de la musique contemporaine.


Programme :
"Tan claro como una tumba" pour flûte basse - Jeremías Iturra

Un solo pour inaugurer la soirée aux sons et souffle du bout des lèvres, au fil des doigts sur les clapets de la flûte basse:du doigté, de la sensibilité pour une lecture, tel un voyage dans un paysage de dunes mouvantes, de sable éparpillé le long de la partition déployée comme un sentier parcouru sans entrave Des sons et vibrations qui s'allongent, se prolongent et résonnent, fine ligne sonore parfois hachurée de tempi contrastés. L'interprète, nus pieds, ancrée au sol, colonne vertébrale solide vecteur et médium du son.


"El jardín quimérico" pour flûte et piano -Jorge Torres Sáenz

De belles tonalités langoureuses, longue tenue de la flûte faunesque en dialogue avec le piano. La grâce naturelle de la pianiste, souplesse tonique animée de sonorités très contrastées. La pièce toute en finesse et douceur, en levée et retenue, mouvementée et toute en dialogue fertile entre les deux instruments.

"Li-Umm-Kámel" pour flûte, percussion et piano - Samir Odeh-Tamimi

De rudes percussions pour mieux fouetter l'espace sonore, cinglantes, métalliques, en fouet et atmosphère d'enfer proche; le piano comme complice de ce chaos, en fracas, vibrations et tremblements. Rupture, éruption de sons graves et menaçants, le tout joué avec coude et avant-bras en appui pour la pianiste à l'affût du danger: un piano préparé et survolté: l'effondrement final comme image emblématique d'une écriture en rupture.

"Broken Line" pour flûte, vibraphone et piano - Alvin Lucier

D'une extrême douceur, la pièce pour trois instruments chemine comme une balade, pas à pas, lente marche régulière, votive, secrète, inspirée.Le xylophone rayonnant en brise légère estivale pour une atmosphère rassurante, enveloppante.

 "MIKTOK - Mantra I" pour percussion et piano - Juan Pablo Muñoz

De l'électroacoustique, gong, piano préparé vibrations amplifiées Un univers scintillant, inquiétant, la pianiste organisant les sons sur place comme un artisan du son vigilante et précise.Avalanche sonore aigue, chaos minéral et ténèbres glaciales, tétanisantes dans une tectonique puissante, hypnotique et foisonnante. Et les trois interprètes de rayonner pour donner corps et sons à une création, en présence du compositeur, ému et charmé.


Olivia Abreu, flûtes
Camille Émaille, percussion
Anna Paolina Hasslacher, piano

Un concert organisé par Elektramusic et Musiques Éclatées en partenariat avec la direction des musées de la ville de Strasbourg.

Avec le soutien du Ministère de la culture/DRAC Grand Est, de la Région Grand Est, de la ville de Strasbourg, du Centre national de la musique.

Avec le soutien technique des Percussions de Strasbourg.


"terairofeu": la mer qu'on voit trembler en sac et ressac poubelle.


 Il était une fois quatre éléments devenus hostiles pour l’Homme. L’eau, l’air et la terre ne sont pour les enfants d’aujourd’hui que des menaces toxiques dont ils doivent se méfier, des concentrés de poisons, des milieux mortifères ou en train de le devenir. Le feu est de plus en plus associé à la destruction incontrôlable de forêts et de régions entières. Face à cet implacable constat, Marguerite Bordat et Pierre Meunier entendent cherchent à renouer un lien précieux et inventif avec ce monde si maltraité en proposant une initiation à une rêverie active, générée par un théâtre qui réveille le lien entre perception et imaginaire, entre sensible et symbolique. Leurs expériences précédentes à destination du jeune public (Molin-Molette et Badavlan) ont confirmé l’importance d'une réelle proximité. Les spectateurs prennent ainsi place sur des bancs se faisant face, de part et d’autre de la scène. Au milieu d’un monceau de matériaux usés habitent une fille et un garçon. Dans ce qui ressemble à une décharge, on les devine livrés à eux-mêmes. Avec une inventivité joueuse et des souvenirs anciens, ils fabriquent toutes sortes de dispositifs pour s’étonner l’un l’autre et retrouver le mouvement de l’air, la fraîcheur de l’eau, la chaleur du feu et l’odeur de la terre. Cette excitation des sens est soutenue par un univers sonore propre à alimenter, lui aussi, l’imaginaire.

Le public les entoure, les protège sur le plateau: deux jeunes escogriffes dans un monde plastique noir, de sac poubelle et des même réceptacle, s'ingénient à refaire le monde à partir de matériaux non nobles mais cependant voués à un joli destin. Plastique parure, plastique show room de dressing code improbable pour une fashion week de voguing coloré de pacotille... Sur fond de paroles rythmées d'un langage inconnu, sur fond de bruitages évoquant souffle, vent et marée. Un univers à la dimension de l'imaginaire très arte povera des metteurs en espace si agiles à transformer, métamorphoser le monde. Deux gamins qui auscultent des poubelles grises dans des bleus de travail rouges, combinaison qui empêche, entrave mais fait de si belles images! Des échos sortent de ces réceptacles indignes d'une déesse ou pythie, des ricochets de sons incongrus....Des sculptures vivantes sans cesse qui se recyclent à l'envi.Une mer de plastique noir qui ondoie comme chez Fellini ou Annette Messager, au souffle de l'air Et un surfeur au gré des vagues.Vent et marées, mouettes et sauts stroboscopiques pour paysage frémissant. Ca tremble de partout, ça bouge, ça oscille. Une bonne douche simulée par un déroulement de bandes magnétiques tout juste sorties d'un pommeau de douche, et la poésie surgit, naturelle, évidente, immédiate.Un numéro de couvercle de poubelles pour attraper un lambeau de plastique et l'éther est en état de grâce.Des totems se dressent, amoncellement de poubelles en construction: zone d'équilibre, de chute pour les joueurs de feu devant nous. Sons de flutes surgis de tuyaux aléatoires comme des appeaux, autant de vibrations, de tremblements d'éther, de vacillement de plancher.Des boites de pandore que ces habitacles d'ordures ménagées où la pollution écœure et vomit le noir.Des trophées de plastiques, des atours à la Hussein Chalayan, ou en Bouroullec effrangé, plastifié.Des falbalas de pacotille rien qu'avec des plastiques de chantier, tout beau, tout neuf, matière à défilé de mode, à haute couture.Au royaume du sac et ressac poubelle, ça complote comme des willder man de C Fréger, des sorciers, des chamanes Au final des reflets dans l'eau, projetés au mur comme du cinéma expérimental sismographique, de l'eau qui fume et qui danse à la E J Marey et des battements de coeur comme un Boltanski auscultant le monde des tressaillements de nos corps. Car qui vibre et tremble mieux qu'un corps au diapason du monde qui bouge...

lundi 21 juin 2021

"Au bord", laisse se révéler l'image et son pouvoir de séduction.

 


Résumé

En 2004, la photo d’une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier nu et à terre dans la prison d’Abou Ghraib paraît dans la presse. L’écrivaine Claudine Galea la découvre et, sous le choc, l’épingle sur son mur de travail. Qu’est-ce que cette image déclenche en elle ? Pendant quinze mois, elle tente d’écrire, n’aboutit pas, jette tout. Jusqu’à ce qu’elle parvienne à articuler, dans le jaillissement d’une langue poétique et crue, ce que cette image fait ressurgir en elle des rapports de pouvoir, de la volonté d’humiliation, de l’enfance, de la sexualité. Stanislas Nordey met en scène cette parole hors norme, où une femme ose s’attaquer à l’inhumain pour en extraire une force de vie.

Le rideau de scène est tendu: une photo s'y révèle lentement, surdimensionnée, en négatif: une silhouette tient au bout d'une laisse, un homme agonissant....Un sceau l' y laisse, empreinte d'une véronique indélébile Apparait celle qui en solo, va incarner l'écrivaine, l'auteure de ce texte, révélation, aveu pudique d'une relation passionnée à cette image, fixe, abusive des sentiments extravertis que l'on peut y puiser. Comme un tombeau, un espace renversé, bleu à l'infini, le décor lui offre un écrin de perdition, une sorte de piscine évidée sans fond...Mise en abime des mots qui jaillissent des lèvres de l'actrice: au bord, au bout, à la lisière de l'indicible, de innommable, de l'intolérable icône.Le récit de cette étrange relation femme et contenu de l'image nous mène savamment au bord d'un gouffre, d'une faille. Cette "fille" sur l'image devient objet de séduction, de tentation amoureuse pour celle qui nous fait face et se trahit d'un amour pour cette "fille" séduisante, geôlière, Dépunaiser l'image du mur pour se l'approprier et en faire le récit d'un passé violent de relation mère-fille..."Je suis la laisse", dit-elle,ce lien, ce cordon ombilical fatal et funeste aux yeux de l'autre."Je laisse ma fille" en moi malgré cette attache, cette entrave qui relie image, souvenir, et horreur.Cécile Brune, vêtue de noir et bleu,se meut subtilement dans ce personnage à vif, remuant passé et fiction au creux de cet étrange espace cubique renversé.

La force des images devenues mythiques est ici questionnée, dans la cruauté du verbe, dans l'émission de ces mots qui sourdent peu à peu en aveu de tentation de séduction, de dépendance, d'addiction à l'image, à son pouvoir d'évocation.

Beau travail de sobriété de la mise en scène de Stanislas Nordey dans cet univers pourtant enjôleur et quelque peu déroutant.Travail poétique et politique sous la plume engagée de Claudine Galéa, au "bord" , à la frontière, à la lisière de l'indicible De quel côté va-t-on basculer?

Au TNS jusqu'au 29 JUIN


Claudine Galea est écrivaine de théâtre, de romans, d’albums et de textes radiophoniques. Les éditions Espaces 34 ont publié une quinzaine de ses pièces. Sa dernière pièce, Un sentiment de vie, paraît en mai 2021 dans la nouvelle collection de littérature pour la scène, « Hors cadre ». Au Bord a été lauréate des Journées des auteurs de Lyon 2010 et du Grand Prix de Littérature dramatique en 2011. Dès sa parution, Stanislas Nordey avait invité Claudine Galea à la lire à l’occasion d’une carte blanche à Théâtre Ouvert, lui faisant part de sa volonté de la mettre en scène.
PARAGES | 09 lui est consacré.