mercredi 6 octobre 2021

"Larsen C": une danse fondue à l'outre-noir, scintillante volute de matière lumineuse.

 



Christos Papadopoulos
Grèce7 interprètes création 2021 Larsen C

Si la vie est un songe, qu’en est-il de nos perceptions ? C’est en posant cette question que Christos Papadopoulos s’est engagé dans Larsen C. Une pièce énigmatique rythmée par le mouvement des corps. L’écriture souple et structurée du chorégraphe grec se joue nos habitudes et cultive la déroute des sens.

Elvedon (2015), Opus (2016), Ion (2018). En trois pièces Christos Papadopoulos s’est fait une réputation. Interrogeant le rapport de l’individu au groupe, le chorégraphe grec développe une esthétique fondée sur des séries ininterrompues d’ondulations du corps et de micros-mouvements opérant par glissements successifs. Une écriture rigoureuse et hypnotique qui combine géométrie et minimalisme aux phénomènes optiques. Sa nouvelle création interroge la façon dont on voit les choses : ce que le regard nous cache, comment la vitesse ou d’autres éléments peuvent affecter nos perceptions. Ces questions mènent la danse vers d’autres aventures sensibles. Christos Papadopoulos orchestre avec maestria cette déroute des sens à la fois ludique et structurée. Trajectoires déviées, mouvements décalés, répétitifs ou saccadés, ralentis ou accélérés, tout concourt à troubler les repères. Démarche où l’on retrouve l’un des objectifs du chorégraphe : « Je veux que mon travail reflète le mouvement intérieur de la condition humaine, que ce soit dans un élan abstrait ou un simple geste. Un mouvement qui part de l’humain et y revient. »  

La danse y sera fluide, onctueuse, délimitant des contours lumineux aux corps se fondant dans des sculptures façonnées,mouvantes, obsédantes, hypnotiques. C'est d'un fondu au noir que semble naitre ce geste récurent de lenteur et d'onctuosité, habité par des créatures vêtues de noir luisant, satin de soie ou cuir souple scintillant. Glissant sur le sol en saccades légères impalpables, discrètes, faisant naitre des formes étranges et monstrueuses de corps tronqués, fauchés par la lumière. Danse solo ou danse chorale fascinante, ondulations sismiques , petites déambulations de dos ou regards de face sidérants d'étrangeté figée. Chaque segment du corps voyage dans la lumière, entrelacs incessants de directions infimes, en décalages tectonique.Bestiaire fantastique ou sacré ondoyant en torsion, volutes ou vrilles, aspiré, attiré par des forces aimantées. Mains et doigts, poignets volubiles ciselés dans la lumière noire, suspendus, en apesanteur.Vagues, ressacs de mouvements ondulatoires générant une dynamique fluide et apaisante.Des unissons nivelées ponctuent cette architecture mouvante, opaque qui prend de plus en plus d'amplitude au cour du déroulement sempiternel de la pièce. Pieuvre à bras tentaculaires qui se meut comme une meute docile d’extra-terrestres dans un monde plongé de mystères hiératiques.Sur fond et dans un bain d'univers sonore, tissu de bruitages discrets, puissance ascendante de tension musicale . La persistance des regard fixes défiant les rayons d'un phare lumineux dans des nuées de brumes sur fond d'orgue puissant.Tels des derviches possédés, les danseurs se fondent dans une atmosphère aquatique où au final, un corps , tel une huitre qui baille, entrevoit une issue dans l'obscurité retrouvée. 


A Pole Sud les 5 et 6 Octobre avec le Maillon

mardi 5 octobre 2021

"Nous entrerons dans la carrière" et dans la postérité! Bleu, blanc, noir! Une évocation bien "constituée" de la révolution-désastre!

 

NOUS ENTRERONS DANS LA CARRIERE

du Vendredi 1 Octobre 2021 au Samedi 9 Octobre 2021
Durée 04:00
SALLE GIGNOUX au TNS STRASBOURG
 

Avec Saïd Ghanem, Pauline Haudepin, ,Neil-Adam Mohammedi, Mélody Pini,
Souleymane Sylla, Claire Toubin.....
 
La nouvelle création de Blandine Savetier interroge le désir de révolution dans un monde en crise. Comment vivons-nous des transitions historiques qui nous dépassent, la tension entre le temps de l’histoire et celui de l’individu? En s’appuyant sur de jeunes acteurs et actrices de toutes origines, le roman Le Siècle des Lumières d’Alejo Carpentier, et la vie de Jean-Baptiste Belley, premier député noir à la Convention, elle confronte les aspirations à la liberté et l’égalité héritées de la Révolution française, avec les désillusions sur le monde d’aujourd’hui. Pour elle,
le théâtre est le lieu où une communauté institue sa confrontation avec l’Histoire. Face au risque d’effondrement, que faisons-nous de notre désir d’un monde différent ?
 
La scène est architecture de cartons cubiques empilés savamment, étagères, praticables et autres structures amovibles comme un terrain de jeu architectonique en devenir.C'est un cortège chantant qui fait irruption, descendant des gradins, hallebardes et trophées révolutionnaires au poing: une tête décapitée, une cocarde tricolore: on est déjà dans "le bain de sang" de ce qui sera révolution, terreur."Je décrète" la mort du père,  la soumission et autres entraves à la liberté d'expression sera un joli leitmotiv pour introduire ce cahier de doléances aux flux et reflux incessants de revendications, de certitudes, d'engagement. Époque troublée et troublante restituée ici avec jovialité, entrain, allant, sans cesse réactivés par l'enthousiasme et la verve des neuf comédiens, galvanisés par leur jeunesse, leur sincérité.Les trois coups inauguraux pour fonder aussi l’existence du théâtre, l'endroit déjà désigné pour attester des situations sociales et économiques.La Convention et tous les régimes éphémères qui se relayeront font office de cible et "la constitution", fer de lance de la politique menée de bras de fer par un-une émule de Robespierre, Victor, le futur commissaire de la République!"Aux armes citoyens" sera le lieu de chants métissés rap, slam ou canon et unisson remixés pour l'occasion en chants toniques, encourageants ce petit cénacle pour vaincre et combattre l'esclavage! Bleu, blanc, rouge et noir pour cette fresque signée Blandine Savetier dont les contours avancent à grands pas dans un soulèvement, un "élevez-vous" à la Didi Huberman..Très convaincant: danse du vin fraternelle et enjouée, costumes chamarrés ou à l'occasion campant des personnages typés, historiques pour habiller et vêtir discours et prises de paroles.Danton, St Just, Robespierre, les Pieds Nickelés de l'Histoire sérieuse, frondeuse, peuplée de scélérats, de tricheurs, conspirateurs zélés.Saint Domingue comme plaque tournante du récit, des rebondissements, de l'action qui ne cesse d'avancer dans des décors qui se déstructurent à l'envi: tribune, bateau et figures de proues emballées dans le tissus des drapeaux français, de la nation, du slogan "liberté, égalité, fraternité qui prend ici tout son sens. L'enthousiasme et la jeunesse des comédiens pour engagement suprême, innocent, naïf parfois, hormis ce Victor -excellente Claire Toubin- autoritaire et ambitieux...Des duos filmés aussi pour prendre un peu de recul dans cette actualité brulante de révolution des astres qui fait trois petits tours et puis revient, éternel retour!Des pics épiques comme salves ou hallebardes, un rythme soutenu quatre heurs durant pour aligner des performances d'acteurs déjà bien rodés au plateau.Fraternelle icône de la camaraderie ou de la trahison; le duo entre Esteban le cubain et son complice "espagnol" franc maçon est touchant, les monologues très convaincants de tyrans, de patriotes....Belle rhétorique, pour ce "united colors of révolution" qui donne à réfléchir sans infléchir ni fléchir, tête haute, coupée certes par l'invention de la guillotine!Un chant de l'abolition de l'esclavage comme apogée, au zénith de cette confession sans concession sur la révolution "française" hors les murs....Scandée, balancée, swinguant comme une mélodie de gospel song!  Le décor signé du scénographe Simon Restino gronde sous les salves des batailles alors qu'une sirène ampoulée de vert luisant s'agite et séduit la mer des Caraïbes...La danse de réjouissance ponctue judicieusement le spectacle, chorégraphies sautillantes, rebondissantes où chacun va de son inspiration. Les comédiens, tous arborant enthousiasme, spontanéité et profondeur, touchant à une thématique trop souvent occultée: la révolte, le soulèvement dans la dureté implacable du politique, incorruptible bible des mouvements sociaux: un bel hommage à des "inconnus" JB Balley et autres acteurs virulents et philosophes de cette époque troublée...Albert Soboul ne renierait pas cette fresque , ni Mathiez !
 

samedi 2 octobre 2021

"Talking Music": ouvroir de musique potentielle! Conte à rebours des temps modernes!

 


Philip Venables / lovemusic

vendredi 1 octobre 2021 — 20h30
Cité de la musique et de la danse

Une parole libérée : c’est dans le registre du storytelling que Philip Venables s’illustre sur les scènes de la création musicale. Entre intimité et vie publique, enjeux identitaires et engagements politiques, le compositeur nous démontre que tout peut être dit en musique.

L’entretien intime est le motif de ce concert d’un nouveau genre, à mi-chemin entre la séance psychanalytique et le talk-show dramatique. Projetés à l’écran, incarnés sur scène et modérés par un maître de cérémonie, les récits à la première personne sont omniprésents. Ils font le lien entre les oeuvres, mais pénètrent aussi en profondeur la matière musicale, lui servant de modèle et de contrepoint.

Judicieuse idée que de faire un concert agrémenté de commentaires anecdotiques et fort intéressants sur la genèse des œuvres et des rencontres entre le compositeur fétiche du groupe Love Music , le public et les artistes convoqués sur le plateau, au creux d'un divan cosy, à exprimer leurs passions et motivations C'est vivant et conduit de main de maitre par un monsieur Loyal vêtu d'un pantalon vert et chaussé de talons hauts blancs du plus bel effet.Il sera le lien du spectacle, tissant les entrelacs distingués d'une oeuvre métissée, riche, foisonnante comme ces quasi trois heures de délectation.Raconter des histoires, faire en sorte que les textes empruntés à différents auteurs soient parlés, écrits, chantés est un chalenge musical, rythmique.C'est Philip Venables en personne qui se prête au jeu du dialogue et de l'échange!Cadeau que cette poésie théâtrale qui chante le genre, la voix parlée, le politique, le "personnel" de la vie du compositeur qui se livre pudiquement aux regards et à l’ouïe des spectateurs.

Philip Venables
Klaviertrio im Geiste (2011): quatre mouvements en hommage à la musique de Beethoven, l'"esprit" de son oeuvre, sonate de chambre pour trio-piano-violon-violoncelle- en adagio langoureux, discret, scherzo vibratile; rondo ténu, suspendu, aérien, féérique.

 
My Favourite Piece is the Goldberg Variations (2021) création française

C'est l'accordéon de Andréas Barregard qui opère à présent sur le mode confidence narrative, bordée du texte en sur titrage.Le tout ponctué de sonorités, tel un troubadour, colporteur de chapitres espacés pour conter une histoire très personnelle de famille "dégenrée", autobiographie haletante et très prenante. Le charme du conteur opère, touchant, vibrant de sincérité pudique mais bien affichée!


Numbers 81–85 (2021) création mondiale
Numbers 91–95 (2011)
Numbers 96–100 (2021) création mondiale
Illusions (2015) création française

Une oeuvre historique et inouïe fait suite dans le parcours du compositeur qui se plait à raconter, prolixe,  en compagnie de Romain Pageard Pygmalion de cette soirée de maïeutique musicologique, les sources et inspirations de son processus de création."Autochirurgie" "Dehors"....Autant de chapitres brefs pour un recueil de pièces courtes, de "nouvelles" incongrues où le texte nous guide constamment, affiché dans des polices de caractères, une calligraphie changeante, tel l'Oulipo ou autres figures de style littéraire...On l’entend dans la poésie révolutionnaire et fantasmagorique des Numbers de Simon Howard, auquel le compositeur consacre un cycle, comme dans la lettre du militant américain Sam Melville, en écho aux émeutes de la prison d’Attica où il laissa sa vie, sublimée par la musique de Frederic Rzewski.Musique lente, douce, profonde soulignée par des mélodies chantées, psalmodies : ce "courage émotionnel" de l'interprète Grace Durham faisant merveille! Et l'on file pour le clou du spectacle "illusions" introduit par Adam Starkie: un déferlement de paroles nues et crues de David Hoyle, clown démoniaque au franc parlé époustouflant de vérité , portrait vidéo aux couleurs criantes, burlesque ou satanique, selon!Dans Illusions, œuvre initiée lors des élections britanniques de 2015 et finalisée en 2017 à l’occasion des cinquante ans de la dépénalisation de l’homosexualité en Angleterre et au Pays de Galles, l’égérie LGBTQIA+ David Hoyle affirme dans ses divagations prophétiques que l’art peut bouleverser les mentalités : « Ce soir, la vie qui est en vous sera réfléchie dans l’art dont vous êtes les témoins. » On en prend plein la face et cette tonitruante conclusion en épilogue de cette soirée, fait mouche, questionne, flanque la pêche et ne se masque pas la face!Génération qui gifle, surprend, remue et replace les choses à l' "endroit", à l'envers où il faut être au bon moment.

Une soirée exceptionnelle autour d'un compositeur, conçue et façonnée par le collectif Lovemusic dans la cour des Grands de la musique d’aujourd’hui. Un conte à rebours de toute pertinence, insolence qui gifle et frappe juste.

Frederic Rzewski
Coming Together (1974):dix musiciens réunis, un récitant magistral en la personne de Emiliano Gavito à la voix stoïque, grave toujours en équilibre imperturbable durant toute la pièce.Litanies où voix-texte et musique se rejoignent, se rencontrent en leitmotivs qui se répètent, viennent et reviennent éclairer le champ musical pour border le texte en flots continus.Les mots infléchissent la musique qui s'y plie et replie à l'envi en tension continue et ascendante. Ce récitatif est de toute beauté, retenue puis éclatant dans une apogée tonique surprenante.Très rythmée, la pièce tient en haleine comme un rituel, une cérémonie solennelle où chacun tient le ton et ne cède pas.

Collectif lovemusic
voix | Grace Durham
flûte et récitant | Emiliano Gavito
clarinette et récitant | Adam Starkie
violon | Jacobo Hernández Enriquez
violoncelle | Lola Malique
alto | Léa Legros Pontal
contrebasse | Charlotte Testu
trompette | Valentin François
trombone | Adrian King
piano | Lise Baudouin
percussion | Rémi Schwartz

accordéon | Andreas Borregaard
comédien | Romain Pageard
mise en scène | Oscar Lozano Perez

A la Cuité de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival MUSICA