vendredi 20 mai 2022

"Echo": la muse s'amuse....Le son archaique des corps jetés au sol....fait écho...

Catherine Diverrès France  9 interprètes création 2003 / Re-création 2021

 


Écho

Mettre à l’épreuve sa propre écriture chorégraphique, c’est le pari de Catherine Diverrès. Echo, pièce tissée d’extraits de créations antérieures, est un voyage dans le temps où mémoire et actualité s’emparent des corps, au fil d’une danse vibratoire et rebelle, infiniment puissante et sensible.

L’arbitre des élégances (1986), L’ombre du ciel (1994), Fruits (1996) et Corpus (1999), autant de pièces marquantes dans le riche parcours de Catherine Diverrès. En 2003, la chorégraphe décide pour la première fois d’interroger sa propre écriture. Elle sélectionne alors certains extraits de ces quatre créations antérieures qu’elle choisit de transmettre à de nouveaux interprètes. Depuis, les années ont passé et à nouveau, avant de clore ses activités chorégraphiques, elle décide de remonter Écho avec une autre génération de danseurs, ceux qui, pour la plupart, ont rejoint sa compagnie en 2016. Alors que le mouvement du monde frémit aux nouvelles urgences qui le traversent, quels échos, résonances, cette danse peut-elle entretenir avec ce qui fait l’actualité des corps et de nos sociétés d’aujourd’hui ? Écho est ce nouveau défi que s’est donné la chorégraphe : confronter le souffle de cette écriture si singulière, forgée de qualités, d’états de corps et d’engagement au mouvement du temps. Sur scène, c’est toute une poétique qui se déploie dans l’espace, dans la géométrie d’une composition rigoureusement ciselée par les gestes tandis que les corps s’élancent et nous parlent de gravité et de poids, de vide et de verticalité, mais surtout d’une certaine relation au monde et au mouvement de la vie.

Le plateau, vaste, nu, accueille un sol comme une tomette, couleur profonde de pierre chaude, de sol dur...C'est sur ce parterre ocre que vont se succéder, ensemble, duos, solo au rythme d'un choix musical riche de sons, de bruits, de musiques qui se tuilent, se mêlent Pour mieux brouiller les pistes d'une narration diffuse que l'on s'invente au fil des séquences.Cinq hommes, pieds nus, vêtus de costumes classiques noirs, ligne franche et découpée, surgissent pour animer une fugue fougueuse qui augure du ton général de la pièce: danse tranchée, comme un sabre qui fend l'air, sèche, abrupte, le frappement des pieds pour métronome interne.Ce prologue "violent", tonique engendre sauts, portés sur fond de bruitages cavernicoles, lointains, d'une grotte d'où "apparaitrait" Echo, la muse qui chante, réverbère le son et disparait, désincarnée..Seul son chant persiste.Puis dans une diagonale de lumière, tout en blanc, une femme dévale ce chemin, hésitante, perdue,affolée.Le son des corps qui chutent au sol, impressionne, touche, marque les esprits.Petite robe noire pour la succession d'images de solitude féminine qui hante le plateau; la grâce s'y déploie, fluide, ouverte, tourbillonnante, offerte, libre...Une sorte de monstre dans des lumières stroboscopique habite un rayon de lumière, sept mannequins, pantins en fracs noirs anthracite , masqués de blancs, opèrent un bal grotesque...Expressifs, tournoyants à l'infini: ivresse de la bascule, du vertige. Encore un duo aux portés mirifiques, légers, les corps attirés, happés par l'énergie d'un amour de la danse qui perle, suinte à chaque instants. Les corps se donnent, s'attirent, fusionnent en emprise, en prise folle, affolée de passion. Les courses se libèrent en autant de salves, lâchées dans l'espace: les danseurs s'accueillent violemment, dans une confiance étonnante, une urgence, un danger constant.En diagonales souvent, axe de sillon de lumière, de mouvement, de dynamique pour mieux dévorer l'espace, le prolonger, l'étirer à l'infini. La danse coupe cour aussi, interrompue, figée, arrêtée dans son flux.Des traversées obsessionnelles, addictives, nécessaires, toujours: actives du processus de tracés, d'écriture irrévocable de l'urgence: celle de "faire l'impossible", le vrai, dans la répétition aussi, signe et marque de fabrique de Catherine Diverrès.Directions sagittales en flèches tendues, tirées des corps qui fusent aspirés,et se lancent irrésistiblement dans l'espace-temps.Le vent s'écoute dans les robes des femmes qui tournent, font résonner l'espace, le prolonge. Se retroussent, se rebroussent, détroussent l'éther.Un féroce derviche possédé apparait puis se transforme en un humble serviteur d'un culte païen retrouvé. L’archaïsme de la danse, du propos de la vie qui tournoie, effraye, sidère, intrigue. La danse y trouve toute sa fonction rituelle, mystérieuse, païenne et sourd des corps un parfum de sacrifice, d'offrande: une sorte de sacre du printemps où la danse éructe, s'affole en langue étrangère, en robe rouge, en esprit malin....Séduction éphémère au profit d'une profonde prière mystique endiablée...Panique, désordre ou rangée drastique de corps à l'unisson, réunis dans une énergie sans faille, épuisante, perte et dépense troublante pour les danseurs galvanisés par l'énergie débordante, autant que la poésie lyrique qui se dégage des solos, duos qui se tuilent, se répondent, s'effondrent comme un château de cartes.Des traces de sable, des roses au sol, lumineuses comètes échouées ou braises en rémanence de lumière, de lucioles..En leitmotiv, le bruit de la chute des corps, les sauts délivrés, inversés dans les directions à suivre, à fuir.Des accolades féroces, rageuses, dévoreuses.La déchirure des sons précipités, un état de guerre où les corps au sol subissent des états de choc comme le spectateur, regard happé par tant de dynamique. Une habanera, une accalmie, tous sur leur quatre appuis sur fond de fanfare féllinienne, comme au cinéma, le son "off",le hors champs s'installe. Seul un boxeur se glisse entre les lignes pour clore cette épopée de l’odyssée de la fugue, de cette cérémonie où Terpsichore jubile de trouver espace et terrain de jeu, de jouissance: une "petite mort" pour diluer le geste dans l'extase d' Eros/Thanatos....

Au Point d'Eau dans le cadre du festival extradanse de  Pole Sud le 19 MAI

 


 

jeudi 19 mai 2022

"Siri": corps de ballet robotique


Marco da Silva Ferreira & Jorge Jácome Portugal 4 interprètes création 2021

Siri

Un fascinant travail sur les images et le mouvement cisèle la pièce du chorégraphe Marco da Silva Ferreira. Créée avec le cinéaste Jorge Jácome, Siri est une mystérieuse forêt de sensations. Comme surgie d’un monde post-humain, elle interroge notre réalité et trouble nos repères.

Dans quel monde étrange nous conduit Siri, ce spectacle dit “de danse”, composé de 4 interprètes, 2 écrans vidéo, 2 balles de massage et un grand tapis mauve ? Et comment chorégraphier ce monde futur dans lequel l’humain, la technologie et le numérique se mélangent jusqu’à se confondre ? C’est le défi que se sont donnés le chorégraphe Marco da Silva Ferreira et le cinéaste Jorge Jácome. Du premier, on connaît la danse puissante et profonde, l’inscription des images et des corps dans l’espace du plateau, ainsi que certaines de ses pièces comme Brother ou Bisonte qui questionnent le groupe, l’humain, du côté de la force et de la fragilité. Du second, on a découvert les films fondés sur un processus intuitif et sensoriel entrecroisant dérives narratives, rencontres et relations insolites ou inattendues. Ensemble, les deux artistes portugais interrogent notre rapport au réel. Avec un sens de l’archéologie des gestes et du mouvement qui les rapproche, ils ont imaginé une étrange forêt, sorte de « paysage post-humain où la cadence lumineuse est l’acteur principal, où les corps flirtent avec l’immatériel et où les images de synthèse deviennent le théâtre de nos sensations ». Une remarquable composition plastique et visuelle où chaque geste laisse son empreinte dans l’espace.

Au sol sur le tapis violet douze "engins" non identifiables, comme des projecteurs renversés qui vont s'avérer robots androïdes, et quatre corps allongés à terre. Deux écrans suspendus...Mystère...Comme de petits êtres humains, les machines s'animent, petits bras en couronne, nez en l'air....Un texte défile sur l'écran, positionnant l'intrigue ou le "mobile" de ce spectacle singulier: légende ou pré-texte à ce numéro technologique de démonstration de mobilité mécanique.Ondulations corporelles des quatre danseurs qui lentement se relèvent: découvrant des costumes fluos, chatoyants, très seyants, et originaux Ca leur colle à la peau en contraste avec le gris métallique des atours des robots, fort sympathique d'allure! Petits singes aux bras croisés, tondeuses à gazon ou aspirateurs-renifleurs de poussière autonomes.Le ballet démarre, chacun dans sa qualité de gestes; fluides et ondulatoires pour les humains, raide, cou empêché, membre articulés aux coudes tétanisés, à la nuque cassée pour les robots.. Comme des figures grotesques de corps tronqués, coupés de leur globalité, de leur énergie: une dynamo mécanique, futuriste, quasi BD fantastique aux accents déshumanisés. Les situations n'évoluent cependant pas beaucoup: corps de ballet à l'unisson pour les bestioles robotiques, nuances fluides pour les danseurs, en chainette, en grappe, en petite communauté singulière, à part de ce monde mécanisé à outrance. Sur fond de musique "abstraite", bruits et rythmes métronomiques lancinants dictant la gestuelle des uns et des autres...Comme de bons élèves tous ont entendu le message biblique inscrit sur l'écran...On frémit, se secoue, tremble et bruisse en résonance, à l'unisson mais pas par le même médium. De la chair à la tôle, les oscillations se propagent, fébriles, fiévreuses, , des sons sortent de la bouche des danseurs comme autant de cris de bestioles affolées.Le quatuor, le quadrilles des danseurs en miroir, sur des niveaux de gesticulations contrastées, maitrisées en composition mécanique, se déplace à l'envi parmi le parterre de robots dispersés sur le plateau.Quelques reptations au tempo d'un métronome dictateur, relie hommes et robots.Quelques petits tours exécutés par les machines devenues vedette du show, une pastille de lumière qui se gondole sur un écran...Suivent sur le grand écran des successions d'images, reproduisant les danseurs, toujours en couleur, peu inventives...Les effets d'annonce de la note d'intention du chorégraphe, sur le propos du spectacle, s'avèrent décevantes: on s'attendait à "plus" ou à encore plus décalé dans la vision de la conception du futur des corps ou des broyeuses de sensualité que sont les robots. Toutefois, ces "sylphides" en batterie, aux déplacements organisés et dirigés pourraient être les spectres, elfes de demain, les corps désincarnés des lutins de demain dans les clairières désaffectées des forêts disparues Tout est gris et terne, hormis les splendides costumes  à la Beneton, colorés, aux aspects séduisants, rappelant que "la vie" est encore source de fantaisie.Signés Ricardo Andrez.

Quand on songe aux autres travaux de Jean Marc Matos, de Cremona/ Méguin, pionniers des années 1980, on s’aperçoit du peu d'inventivité des propositions et  investigations de Marco Da Silva Ferreira....

Alors,courez voir le film d'animation japonais "Junk Head" de Takahide Hori"..... Vous y verrez du neuf, du drôle et des figures modelées sur de l'humain en morphing étrange...



A Pole sud les 17 et 18 MAI dans le cadre du festival extradanse

mercredi 18 mai 2022

"Mont Vérité" : in monte, véritas ! La bande à Laban dans la roselière ! L'ascension du Mont Vérité....

 


Pour écrire Mont Vérité, l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert s’est inspiré d’une communauté utopiste qui s’est installée au début du XXe siècle à Ascona, en Suisse, au bord du lac Majeur. Au fil du temps, de nombreux artistes et intellectuels les ont rejoints, séduits par ce mode de vie alternatif où danses, discussions, concerts, naturisme, baignades, jardinage, rythmaient les journées. Mais la Première Guerre mondiale a éclaté. Avec la complicité du chorégraphe Rachid Ouramdane, l’auteur imagine ici un groupe d’acteur·rice·s qui, au travers de cette histoire et de la leur, questionne ce que peut-être une utopie aujourd’hui.

Du sur mesure pour de jeunes comédiens, pétris d'enthousiasme, de curiosité, de rigueur et de fantaisie: parce qu'ils "le valent bien" ces douze interprètes, s'adonnent à façonner et exposer leurs "utopies", rêves, endormissement, rage ou sur-volte...Dans un parterre de joncs, une phragmitaie plantée , peuplée de roseaux envahit le plateau-tiens, les oeillets de Pina ne seraient pas loin- . Qui vont fléchir comme la danse de Rachid Ouramdame, sans rompre...Ni se briser.Des hommes et femmes avancent, lentement, habités par une gestuelle douce, enrobante, fluide. Vêtus de toges blanches quasi phosphorescentes, comme des drapés, plissés, baroques ou romains, antiques qui se plient et déplient sous leurs pas.Lente marche qui "avance" comme ils le feront dans leur incarnation du soulèvement, de cette "insurrection-codicille- à la Odile Duboc. Les origines de Rachid Ouramdane transparaissent comme un palimpseste chorégraphique inscrit dans son parcours de danseur-chorégraphe.La nuit est invoquée en parole tandis que les corps se déplacent en offrande sacrée sur le plateau au travers de la roselière qui se fait terrain de jeu, topos de la danse: bras ouverts, offerts à cet "endroit" pour un phrasé simple, sobre, persistant comme une rémanence optique durable.Balance des torses qui poussent la nuit qui "avance" lentement. Les bras en couronne pour une ronde extatique, plexus solaires,offerts, : danse chorale très labanienne, où poids, rythme et densité se tissent la part belle. Unisson mystique où chacun cueille son geste pour une moisson poétique.Une ronde, leitmotiv qui fédère, réunit les corps pensants comme ces roseaux qui les entourent. Qui respirent et inspirent un texte qui sourd de leur thorax.Des fondamentaux inscrits chez les comédiens danseurs, centrés, ancrés pour émettre des propos intimes, ou véhéments, rageurs ou confidentiels Le tableau, la toile se tisse comme une icône très plastique.Bras en arceaux, cerceaux, pliés et contre-temps baroques à l'appui.pour des invocations célestes.. Et des é-mails inscrit en voix off prennent corps et son et viennent rendre un aspect très contemporain à cette fresque visuelle mouvante On retombe sur nos pattes et chacun de prendre le plateau pour dévoiler son altérité, son caractère: la métamorphose s'opère par un changement de costumes; jean, blazers, casquette. On est bien ici et maintenant...Et plus dans la mémoire ou l'antiquité d'une évocation du célèbre et mythique "Monte Vérita". On rencontre ceux qui déjà se serraient les coudes en troupe, groupe ou tribu Cette fois individuellement pour une re-présentation de leurs désirs, rêves, lutte , combat ou ambitions: douze monologues taillés sur mesure par Pascal Rambert, mis en "jeu" par Audrey Bonnet.Un "être" ensemble qui délivre des individualités remarquable où chaque comédien convainc, excelle dans sa propre identité. Claire, claire-ment pertinente, bête à bois, cerf sauvage de toute beauté, Paul, et tous les autres qui se succèdent dans un rythme soutenu. Personne n'est oublié dans cet inventaire des caractères, corps, langues et attitudes singulières."Décharger son dos"sans fard-dos" dans la roselière, berceau des rêves les plus fous.Et un "batiment blanc", image qui hante chacun: obstacle, handicap à franchir comme un leitmotiv récurrent qui encombre: un bâti- ment qui agace et nuit à leur développement, leur floraison intime, leur évolution.Désillusion, échecs, on rebondit toujours comme en danse. Près de deux lacs qui reflètent leurs images assoupies, belle lumière très travaillée sur le plateau.Mais il faut que tout circule, bouge, évolue pour dénouer le destin de chacun.Médusante interprétation de la déesse du figé, du tétanisé, voilà encore un leitmotiv qui conduit le propos de la pièce. Tentacules de pieuvre à la Paul Valérie, ou beauté d'ébène d'un corps dénudé...L'enfance de Claire en Camargue comme référence de récits personnels qui s’égrènent tout le long de la deuxième partie.On se renouvelle, on tire, on glisse; autant de vocables de danse qui fondent la langue de Rambert, doublée d'une mise en espace, en corps-texte savant: les roseaux pensent comme la danse en mouvement.Et si chacun "trouve sa voix", sa voie n'est pas tracée; un congrès de jeunes "apprentis", commis de la vie se réunit comme pour une "cène" à douze sans le traite Judas: on y confronte ses avis, positions et attitudes sur ce fichu Monté Vérita, source du débat sur la liberté, la mémoire, l'archive. Chacun y va de son intervention dans un rythme endiablé, tuilé ou en ricochet digne des Fischli-Weiss.. Çà dynamite plein, d'énergie, de verve et d'enthousiasme et se clôt par une corse folle autour du plateau, devenu aussi école au tableau blanc, où se dessinent leurs contours d'une mappemonde terrestre sorte de planisphère  Salves de mots, de maux, au micro, alignés en alarme, en alerte...Jamais à court d'idées!Le groupe '' 44 est toute franchise, entier livré à cette épopée épique ou picaresque en diable où l'ascension du mont Vérité vaut bien celui de Pétrarque..."Les hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, l'immensité de l'Océan, les révolutions des astres, mais ils négligent de s'examiner eux-mêmes".La communauté monteveritaine ne serait-elle pas par hasard, celle de cette troupe galvanisée par l'esprit communautaire utopique, non lieu de tous les topics improbables...

L’auteur et metteur en scène a présenté plusieurs spectacles ces dernières années au TNS : Clôture de l’amour et Répétition en 2015, Actrice en 2018, Architecture en 2019. Mont Vérité a été le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 44 de l’École du TNS, sorti en juin 2019. Comme il le fait pour chacune de ses pièces, Pascal Rambert a écrit spécialement pour les interprètes. Cette saison, il présente également le spectacle Deux Amis.

 

Au TNS jusqu'au 25 MAI