mercredi 18 mai 2022

"Mont Vérité" : in monte, véritas ! La bande à Laban dans la roselière ! L'ascension du Mont Vérité....

 


Pour écrire Mont Vérité, l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert s’est inspiré d’une communauté utopiste qui s’est installée au début du XXe siècle à Ascona, en Suisse, au bord du lac Majeur. Au fil du temps, de nombreux artistes et intellectuels les ont rejoints, séduits par ce mode de vie alternatif où danses, discussions, concerts, naturisme, baignades, jardinage, rythmaient les journées. Mais la Première Guerre mondiale a éclaté. Avec la complicité du chorégraphe Rachid Ouramdane, l’auteur imagine ici un groupe d’acteur·rice·s qui, au travers de cette histoire et de la leur, questionne ce que peut-être une utopie aujourd’hui.

Du sur mesure pour de jeunes comédiens, pétris d'enthousiasme, de curiosité, de rigueur et de fantaisie: parce qu'ils "le valent bien" ces douze interprètes, s'adonnent à façonner et exposer leurs "utopies", rêves, endormissement, rage ou sur-volte...Dans un parterre de joncs, une phragmitaie plantée , peuplée de roseaux envahit le plateau-tiens, les oeillets de Pina ne seraient pas loin- . Qui vont fléchir comme la danse de Rachid Ouramdame, sans rompre...Ni se briser.Des hommes et femmes avancent, lentement, habités par une gestuelle douce, enrobante, fluide. Vêtus de toges blanches quasi phosphorescentes, comme des drapés, plissés, baroques ou romains, antiques qui se plient et déplient sous leurs pas.Lente marche qui "avance" comme ils le feront dans leur incarnation du soulèvement, de cette "insurrection-codicille- à la Odile Duboc. Les origines de Rachid Ouramdane transparaissent comme un palimpseste chorégraphique inscrit dans son parcours de danseur-chorégraphe.La nuit est invoquée en parole tandis que les corps se déplacent en offrande sacrée sur le plateau au travers de la roselière qui se fait terrain de jeu, topos de la danse: bras ouverts, offerts à cet "endroit" pour un phrasé simple, sobre, persistant comme une rémanence optique durable.Balance des torses qui poussent la nuit qui "avance" lentement. Les bras en couronne pour une ronde extatique, plexus solaires,offerts, : danse chorale très labanienne, où poids, rythme et densité se tissent la part belle. Unisson mystique où chacun cueille son geste pour une moisson poétique.Une ronde, leitmotiv qui fédère, réunit les corps pensants comme ces roseaux qui les entourent. Qui respirent et inspirent un texte qui sourd de leur thorax.Des fondamentaux inscrits chez les comédiens danseurs, centrés, ancrés pour émettre des propos intimes, ou véhéments, rageurs ou confidentiels Le tableau, la toile se tisse comme une icône très plastique.Bras en arceaux, cerceaux, pliés et contre-temps baroques à l'appui.pour des invocations célestes.. Et des é-mails inscrit en voix off prennent corps et son et viennent rendre un aspect très contemporain à cette fresque visuelle mouvante On retombe sur nos pattes et chacun de prendre le plateau pour dévoiler son altérité, son caractère: la métamorphose s'opère par un changement de costumes; jean, blazers, casquette. On est bien ici et maintenant...Et plus dans la mémoire ou l'antiquité d'une évocation du célèbre et mythique "Monte Vérita". On rencontre ceux qui déjà se serraient les coudes en troupe, groupe ou tribu Cette fois individuellement pour une re-présentation de leurs désirs, rêves, lutte , combat ou ambitions: douze monologues taillés sur mesure par Pascal Rambert, mis en "jeu" par Audrey Bonnet.Un "être" ensemble qui délivre des individualités remarquable où chaque comédien convainc, excelle dans sa propre identité. Claire, claire-ment pertinente, bête à bois, cerf sauvage de toute beauté, Paul, et tous les autres qui se succèdent dans un rythme soutenu. Personne n'est oublié dans cet inventaire des caractères, corps, langues et attitudes singulières."Décharger son dos"sans fard-dos" dans la roselière, berceau des rêves les plus fous.Et un "batiment blanc", image qui hante chacun: obstacle, handicap à franchir comme un leitmotiv récurrent qui encombre: un bâti- ment qui agace et nuit à leur développement, leur floraison intime, leur évolution.Désillusion, échecs, on rebondit toujours comme en danse. Près de deux lacs qui reflètent leurs images assoupies, belle lumière très travaillée sur le plateau.Mais il faut que tout circule, bouge, évolue pour dénouer le destin de chacun.Médusante interprétation de la déesse du figé, du tétanisé, voilà encore un leitmotiv qui conduit le propos de la pièce. Tentacules de pieuvre à la Paul Valérie, ou beauté d'ébène d'un corps dénudé...L'enfance de Claire en Camargue comme référence de récits personnels qui s’égrènent tout le long de la deuxième partie.On se renouvelle, on tire, on glisse; autant de vocables de danse qui fondent la langue de Rambert, doublée d'une mise en espace, en corps-texte savant: les roseaux pensent comme la danse en mouvement.Et si chacun "trouve sa voix", sa voie n'est pas tracée; un congrès de jeunes "apprentis", commis de la vie se réunit comme pour une "cène" à douze sans le traite Judas: on y confronte ses avis, positions et attitudes sur ce fichu Monté Vérita, source du débat sur la liberté, la mémoire, l'archive. Chacun y va de son intervention dans un rythme endiablé, tuilé ou en ricochet digne des Fischli-Weiss.. Çà dynamite plein, d'énergie, de verve et d'enthousiasme et se clôt par une corse folle autour du plateau, devenu aussi école au tableau blanc, où se dessinent leurs contours d'une mappemonde terrestre sorte de planisphère  Salves de mots, de maux, au micro, alignés en alarme, en alerte...Jamais à court d'idées!Le groupe '' 44 est toute franchise, entier livré à cette épopée épique ou picaresque en diable où l'ascension du mont Vérité vaut bien celui de Pétrarque..."Les hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, l'immensité de l'Océan, les révolutions des astres, mais ils négligent de s'examiner eux-mêmes".La communauté monteveritaine ne serait-elle pas par hasard, celle de cette troupe galvanisée par l'esprit communautaire utopique, non lieu de tous les topics improbables...

L’auteur et metteur en scène a présenté plusieurs spectacles ces dernières années au TNS : Clôture de l’amour et Répétition en 2015, Actrice en 2018, Architecture en 2019. Mont Vérité a été le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 44 de l’École du TNS, sorti en juin 2019. Comme il le fait pour chacune de ses pièces, Pascal Rambert a écrit spécialement pour les interprètes. Cette saison, il présente également le spectacle Deux Amis.

 

Au TNS jusqu'au 25 MAI


 

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