jeudi 5 mai 2022

"Somnole": pince moi, je rêve! Le songe du roi de la nuit.

 


SOMNOLE

Comment sort-on de son hibernation ? Qu’ont pu faire naître les isolements, les latences ? Et qu’allons-nous trouver à la sortie ? Avec intelligence et sensibilité, Boris Charmatz invente une fin de confinement toute personnelle, un solo qui somnole, intime et nonchalant, entre dedans et dehors, entre rêve et conscience…

« j’aime l’idée que les idées chorégraphiques arrivent corps allongé
quand on va s’endormir
quand on somnole

j’aimerais faire un solo somnolant
qui s’inspire de ces états de latence
pour explorer l’hibernation et sa sortie
les ressacs du rêvassement et les cris du réveil

explorer le désir de la passivité

et bouger dans le sommeil

dans ce solo j’aimerais que le travail du cerveau soit aussi visible que possible
que ce soit cela qui affleure

je me demande bien pourquoi je n’ai jamais chorégraphié de solo

quand j’étais petit je m’entraînais à siffler à chaque récréation
pour pouvoir ensuite imaginer un concert entier de sifflet
j’ai surtout sifflé de la musique classique

j’imagine d’abord un solo entièrement sifflé
fait de réminiscences mélodiques »

Boris Charmatz, avril 2020

Incarner le souffle par le "sifflet" ce son infime qui borde les lèvres, jeu d'enfant, sifflet de complainte ou sifflotement de bonheur, de bonne humeur...C'est bien plus que cela ou rien d'autre, plus d'une heure durant ...Boris Charmatz nous apparait du haut des praticables du théâtre, en simple "jupette" cousue de bandes brodées de couleur. Déjà un sifflement au loin se fait entendre, comme extérieur, hors champs, ambiance sonore éloignée.Mais c'est de son poitrail, torse nu,de ses lèvres en "cul de poule" que sourd ce filet de sonorité continue, volage, enjouée, mystérieuse. Un sillon de fréquences, parfaitement façonnées par les lèvres, gouvernées par un souffle d'athlète aguerri à la pratique de l'instrument à vent. Son corps, instrument sonore où les "anches", le bec, les contours en caisse de résonance, devient musique, aspiration-expiration, mélodies inscrites au répertoire inconscient de notre mémoire sonore. Il devient "roi de la nuit" mozartien ou bandit de western-spaghetti - on identifie Ennio Morricone avec le sourire-, amant de "les feuilles mortes "de Kosma en compagnie d'une spectatrice choisie au hasard...Son corps se love dans des poses à la Nijinsky dans un faune gracieux et sensuel, ses manèges et déboulés dévoilent ses jambes musclées, graciles, son torse éclairé est sculpture digne d'un Rodin animé de mouvements étranges, fluides ou tectoniques. En postures de frises, de vases grecs....Encore un "Summertime", "une panthère rose" pour parvenir au summum de la difficulté "vocale" sonore de sa performance de musicien hors pair et l'on se lance dans "M le Maudit" : scie musicale, son sinusoïdal, sifflement..."Comme d'habitude" et autres réminiscences de notre mémoire; autant de mélodies qu'il incarne, expire, respire comme la vie, la danse, l’essoufflement, la perte et la dépense extrême où il se donne à fond sans concession ni épargne. Sans économie sa poitrine vibre, son corps animé de secousses à terre, de virevoltes, en l'air, est instrument de musique à vent et la beauté plastique de son "enveloppe" sidère jusqu'au rêve, au sommeil agité de pulsations cardiaques performantes. Le sifflet du joueur de foot ou du flic traverse le plateau, surface de réparation périlleuse.... Un athlète gracile, fort et fragile à la fois, raconte des récits de corps, de mémoire vibrantes à fleur de peau. Batracien, acrobate en poses très esthétiques, animal résonnant, drôle et savoureux se jouant des percussions sonores, des chants de chouette ou cris de bestioles fantastiques. Il disparait après un magnifique "Lascia ch'io pianga" que Haendel n'aurait pas renié, chaque note ou mesure à sa place. Car mesure, métrique y sont respectées en musicien soucieux des phrasés musicaux autant que chorégraphiques! En fêlé du Bocal ou bivouac du "Et j'entends siffler le train" ou "J'irai siffler sur la colline", l'interprète magnétique n'est jamais "à bout de souffle" pour cet ode au diaphragme, à la ventilation organique du mouvement dansé. De la colonne d'air, de tous les organes vivants du poly-son...

Un solo peuplé de songes où l'on bascule dans des univers troubles ou enjoués, sourire malicieux aux lèvres ou visage impassible comme jeu-enjeu de dramaturgie. Boris Charmatz déplace les codes, surprend, dé-range la chair, l’ouïe, le regard pour placer ailleurs la danse là où elle ne s'y attend pas!

chorégraphie et interprétation : Boris Charmatz / assistante chorégraphique : Magali Caillet Gajan / lumières : Yves Godin /collaboration costumes : Marion Regnier

Au centre culturel malraux à vandoeuvre les nancy

mercredi 4 MAI



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