vendredi 10 juin 2022

Festival des Percussions de Strasbourg": "Percustra" et "Pléiades": Xénakis en passation fructueuse!


 
© Michel Grasso

Percustra et Pléiades au Théâtre de Hautepierre – jeudi 9 juin, 18h & 20h

Percustra est un projet mis en place et inventé par les fondateurs des Percussions de Strasbourg. À l’origine pensé comme une méthode d’écriture affranchie des schémas académiques de la musique, Percustra existe aujourd’hui sous la forme d’ateliers destinés à développer le potentiel créatif de chacun en imaginant une pièce qui est donnée dans des conditions professionnelles en fin d’année. Menés et encadrés par les musiciens de l’ensemble, les ateliers Percustra sont une approche active et collective de la musique pour petits et grands.

Cette année, la thématique qui a lié les six ateliers était Pléiades de Iannis Xenakis, pièce fondamentale du répertoire des Percussions de Strasbourg. Aujourd’hui, il est important de mettre en lumière le travail qu’ont mené les participants tout en leur offrant l’opportunité de confronter leur interprétation à celle des musiciens des Percussions de Strasbourg. La soirée est divisée en deux temps forts : le premier:

Concert de 18H

En "inauguration" un concert atypique en deux temps (et trois mouvements)..

La tectonique d'une astronomie inouïe... 

L'école Percustra et les élèves du collège Erasme et les bambins de l'Ecole Brigitte, se déchainent sur des morceaux inspirés des "Pléiades" de Xénakis. Il faut voir et entendre sous la direction de Hyoungkwon Gil, tonique animateur et "chef d'orchestre"ces jeunes pousses de la percussion exécuter avec brio et attention, beaucoup de concentration aussi ainsi que d'attention, une partition à leur mesure: celles d'un réel apprentissage jouissif et respectueux des niveaux et des compétences. Pédagogie qui excelle dans le sens des possibles et des capacités pour placer chacun là où il peut être.Les "petits" sont à croquer, sobres, attentifs et appliqués, dans le rythme, le tempo et les différences de tonalité, de volume, d'amplitude. Sous la houlette bienveillante de leur coach, habile et précis, souriant, encourageant, présent pour accompagner, soutenir et guider ce flot de sons, de timbres et la manipulation des baguettes sur les xylophones, cymbalum, grosses caisses et autres curiosités percussives...Un réel plaisir que d'être en empathie avec ces jeunes talents plein d'enthousiasme et de sensibilité!

Au tour des collégiens de se déchainer sur des rythmes foudroyants, des volumes étonnants de chaleur, de matière sonore ahurissante. Joyeuse cacophonie très structurée qui fait appel à la vigilance, la précision et la maitrise de l'écoute collective: pas de chef mais une collégiale d'interprètes qui à l'affut, se coordonne, intervient, se lance en tuilage ou dans la bataille avec verve et rage! Beau travail de passation de l'esprit d'une œuvre qui inspire ces jeunes musiciens en herbe.. 

Au tour des participants du "groupe tout public", mêlant parents et enfants dans une joyeuse ronde musicale sur des tambours, improvisations et reprises d'expérience de jeu ludique autour de l'esprit Xénakis. C'est beau, simple et entrainant, ça donne envie de s'y joindre pour ces rendez-vous " de partage et de découverte musicale généreuse et participative...


Les "Pléiades" dans toute leur beauté surgissent de l'espace, incarnées par les six musiciens des Percussions de Strasbourg. Moment grandiose que "Mélanges" où l'on découvre ou redécouvre l'ampleur des sons, des timbres, le cercle chamanique musical où chacun se déplace, saute, court d'une place à l'autre, danseurs habiles, en mouvement, toujours, en feu d'artifice, salves et autres projectiles sonore.... C'est comme une course poursuite implacable, infernale qui booste et galvanise les interprètes au fur et à mesure que la tension monte. Le cercle se rétrécit pour "Claviers" qui résonne , plus dense, resserré, subtile tectonique des sons qui vont de l'avant, progressent dans l'amplitude ou se fondent dans la minutie  des évocations de matériaux, métaux, sons aigus et cassants...Vibraphones et marimbas au service de sons résonnants comme des carillons, des cloches ou des repères quotidiens de vie rythmée par des sonorités habituelles, familières. Cosmos et étoiles filantes, espace sonore au poing et à la baguette pour ce conte, cette narration cosmique au fil des timbres multiples, amplifiés ou ténus comme des ouvertures vers des ambiances fortes, solides.

Un concert mêlant fantaisie et rigueur, génération et échanges pour faire vivre la musique dans toute sa simplicité, sa complexité: un vrai "métier" à tisser des sons dans une fabrique du bonheur....De vraies aurores boréales.....

Au Théâtre de Hautepierre le jeudi 9 JUIN 18H....

jeudi 9 juin 2022

"Nijinski", l'ange brûlé ! la BD !

 


En sept années fulgurantes, Vaslav Nijinski est devenu un mythe. Il est à la danse ce que Picasso est à la peinture : il a ouvert les portes de l'art contemporain, brisé les règles esthétiques dans un élan de génie créatif, et provoqué par cet acte délibéré un changement irréversible.
Dominique Osuch revient sur la vie de ce danseur étoile et chorégraphe russe d'origine polonaise, « proto punk » qui dans les années 1910 a attiré les personnalités artistiques les plus en vue, inspiré jusqu'à Charlie Chaplin avant de sombrer dans la folie.

19 janvier 1919, Vaslav Nijinski se meurt. Ses souvenirs viennent le hanter... Il se souvient de son enfance, de son frère handicapé Stanislas, de son père danseur qui les a abandonnés tout petits, de sa mère danseuse qui a sacrifié son art pour élever ses trois enfants. Il se souvient de ses camarades à l'Académie de Danse Impériale... et des folles nuits de Saint-Pétersbourg, de ses amours tumultueuses avec le prince Lvov, avec Diaghilev. Il se souvient de la première tournée parisienne des Ballets russes, de L'Après-midi d'un faune, sa première composition chorégraphique, de ses rencontres avec Jean Cocteau, Marcel Proust et Auguste Rodin, tous trois amoureux à leur manière de sa grâce, de sa face d'ange, de son corps d'athlète. Il se souvient de son mariage en Argentine avec la hongroise Romola de Pulszky, de la répudiation de son mentor Diaghilev, de Till l'Espiègle, sa dernière composition pendant la « Grande Guerre », et de Charlie Chaplin venu l'applaudir à Los Angeles.
Il ne dansera plus jamais. Ce soir, Nijinski est entré en fusion avec Dieu, qui lui a brûlé les ailes.

"Superstructure": résurgence de génération et saga-cité...

 


Avec Superstructure, Sonia Chiambretto propose le récit choral d’une jeunesse algéroise, dont la vitalité se heurte au climat de peur de la « décennie noire » (1991–2002). Elle donne la parole à des personnages qu’elle situe dans un Alger imaginaire, reconfiguré par Le Corbusier, tout en explorant le moment essentiel de la guerre d’indépendance et de libération entre 1954 et 1962. Aussi projette-t-elle avec audace ses personnages dans le futur. Hubert Colas met en scène cette parole poétique, brute, vivante et fragmentaire − comme des couches de mémoire restituant ces moments historiques − qui nous rappelle les tragédies politiques d’un peuple toujours en souffrance, mais porteur d’un désir d’avenir. 

Comme une sirène, une naïade sortie des ondes, une femme surgit des eaux de la mer, projetée depuis notre entrée dans le théâtre sur fond et sol miroitant...Traversée de la mer, retour au port d'attache....Les eaux dormantes du port d'Alger vont se réveiller doucement dans un long traveling qui balayera le fond de scène jusqu'à révéler maisons agrippées à la côte, et tout un panorama circulaire ambiant. Les comédiens installent peu à peu des bribes d'ossature, de squelette ,morceaux d'architecture à construire, comme un puzzle de bois aux formes à la Richard Deacon...Ce sera ce serpent de mer, cette hydre qui viendra comme un secret révéler le projet utopique d'un certain Le Corbusier pour la cité d'Alger Palimpseste de la mémoire, objet exhumé comme un sujet archéologique du futur, la pièce va bon train, les mots sortent des bouches qui délivrent récites, témoignages et envies de délivrer des propos tenus secrets: parce que inaudibles, féroces, indescriptibles paroles sur des faits de guerre larvée...Jamais fossilisée ni embaumée dans du formol comme Une maquette de ville idéale se construit sous les projecteurs, labyrinthe géométrique,  projet à demi réalisé pour la ville qui s'invente.Un dance-floor pour cette jeunesse qui conte des faits qu'elle n'a pas vécue mais qui sont imprimés dans la chair, la mémoire...Un chant d'Aznavour repris en mélodie chorale installe cette nostalgie fantôme parmi ce petit groupé soudé, solidaire et porteur de mémoire "muséale".Conservatoire du vécu, de la pensée qui ne semble pas avancer sous le joug du poids du silence, du non-dit...Et pourtant le texte éclaire, souligne: un témoignage vidéo troublant sur les soldats et occupants qui s'installent dans le jardin d'Eden d'un homme, dévorant les fruits de son labeur, alors qu'il ne peut y avoir accès...Seconde partie: le maquis, l'aire de camouflage des résistants, sorte d'hommes sauvages, de troncs d'arbre moussus: des images à la Charles Freger, hommes qui chantent en chorale et scandent l'Algérie "française" aux oubliettes ou resurgie...Cette jungle habitée par des combattants aux discours édifiants se mute en drapeau algérien, au sol, en vert-rouge, étoile et demie-lune en figure de proue...Et c'est Miriam Makeba qui clôt le chapitre, laissant avec ses rythmes enjoués, cette tribu, population jeune et pleine de vie et de mouvements.Sonia Chiambretto pour le texte sans concession, poétique pourtant et sans mascarade de mots signe ici un manifeste courageux et sensible dans une mise en scène spatio-temporelle de Hubert Colas,nourrie d'architecture et de lumière, de bruits et de sons réunissant une atmosphère nourrie de textures sonores signifiantes Alger.Cité de la transformation autant que des vestiges d'un passé douloureux mais vivant! Les comédiens servant cette jeunesse avec humanité, sobriété, respect et empathie certaine...

Sonia Chiambretto est écrivaine, performeuse, et publie dans des revues de poésie comme IF, Nioques et Grumeaux. Ses textes, mis en scène par des metteur·e·s en scène ou chorégraphes, sont publiés chez L’Arche Éditeur, Actes Sud-Papiers et les éditions NOUS. Ils sont traduits, lus ou représentés à l’étranger. Elle enseigne à l’université d’Aix-Marseille et à l’école du Théâtre du Nord. Avec Yoann Thommerel, elle fonde en 2016 le Groupe d’Information sur les Ghettos (GIG), créateur notamment du questionnaire dramatico-futuriste, TNS 2068 !, pour les 50 ans du TNS.

Au TNS jusqu'au 15 JUIN