samedi 6 mai 2023

"Le conte du tsar Saltane": un compte à rebours....Une toile tissée de correspondances étranges pour un opéra fabuleux.

 


Victime d'un complot organisé par ses sœurs et la sournoise Babarikha, la Tsarine Militrissa est répudiée par le Tsar Saltane, persuadé à tort que son épouse a donné naissance à un monstre alors qu'il était parti à la guerre. La malheureuse est condamnée à être jetée dans un tonneau livré à la mer mais elle parvient miraculeusement saine et sauve sur l'île magique de Buyan où elle élève seule le Tsarévitch Gvidone. Devenu un valeureux jeune homme, celui-ci sauve une Princesse-Cygne des griffes d'un magicien. Avec son aide, il devient le souverain d'une puissante cité avant de partir à la découverte de ses origines, avec l'espoir de rencontrer enfin ce père qui l'a rejeté.
De tous les grands compositeurs russes du XIXᵉ siècle, Rimski-Korsakov se distingue par son attachement aux légendes de son pays natal dont il a su magnifier la poésie par sa maîtrise absolue de l'art de l'orchestration. Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov, génial ambassadeur du théâtre russe, s'empare avec une rare sensibilité et un sens aigu de la psychologie de ce conte musical inspiré par une œuvre de Pouchkine. Il signe un spectacle poignant, centré sur la relation inconditionnelle qui unit une mère à son enfant, et porté par des animations vidéo oniriques, en interaction permanente avec les chanteurs. Une ode à l'enfance et à la différence présentée dans le cadre du festival Arsmondo Slave.


 Deux personnages se partagent de façon frontale le plateau, très étroit devant un rideau de scène cuivré. Elle, en pullover et jupe banalisés, lui de même, une allure singulière: un jeune homme recroquevillé qui semble très loin de la réalité dans un mutisme et une fixité physique impressionnante. Ce seront les "héros" de ce conte de fée qui nous embarque dans un récit à l'image d'une musique tantôt douce, tantôt tempétueuse. Une histoire qui va se conter avec force de costumes extraordinaires dus au talent de Elena Zaytseva: tous les personnages évoqués qui vont peupler l'intrigue vêtus à la façon de poupées russes, matriochka bigarrées: gonflés à bloc comme des ballons de baudruche où à la façon de Rei Kawakubo qui revisiterait la griffe de Léon Bakst ou Alexandre Benoist, costumiers peintres et plasticiens des célèbres ballets russes....Un défilé de mode griffé comme des ratures sur les emballages rigides qui habillent ces personnages grotesques de fable lointaine. C'est très réussi et ce "Groosland" façon Maguy Marin et Montserrat Casanova dans "Cendrillon"est magnifique. Plongée donc dans un univers extravagant pour une histoire très humaine, peuplée d'êtres au destin fantastique.Le tsarévitch Gvidone est atteint d'autisme et passe pour un monstre, ce "Casanova" que l'on désigne et montre comme une bête curieuse. Affublé de son objet transitionnel, un écureuil qui pond des noisettes en or, le jeune homme est incarné de façon sidérante par Bogdan Volkov, brillant ténor donc le jeu corporel, engagé et très mimétique quant aux symptômes extérieurs de l'autisme est tout simplement sidérant. Danse, culbutes, tremblements, déséquilibres et errance, hésitation, divagations en tout genre, sobres et très mesurées. Un exploit de justesse maitrisé trois heurs durant !Il se livre à une interprétation magistrale d'un rôle épineux: cet être fragile qui ne dira mot durant la première partie...L'atmosphère est brillante, le choeur animé de mouvements ondoyants simulant l'écart, la distance face à ce dsuo éperdu d'amour: la mère et son fils reclus dans la malédiction. Elle, la tsarine, Tatiana Pavlovskaya dans une langue russe irréprochable est touchante, désemparée mais volontaire, égarée dans ce monde pas toujours bienveillant. La musique sous la direction de Aziz Shokhakimov bat de son plein et envahit cet univers qu'elle mène tambour battant.La mise en scène de Dmitri Tcherniakov dévoile peut à peu les univers mentaux et le rêve.De très beaux moments plastiques où la Princesse Cygne est allongée à même le décor en quasi suspension, costume de plumes blanches. On se croirait dans "L'après midi d'un faune" où Nijinsky inclus dans la roche comme un singulier alpiniste, fait office de créature fantastique hantée par Léon Bakst, suspendu au décor de fond

.Julia Muzychenko, frèle et fragile créature incarne cet esprit issu des fantasmes du conte avec une voix aguerrie et sublime. Pour magnifier cette histoire pleine d'images loufoque, traditionnelles revisitées comme une cuisine déstructurée, les croquis, esquisses et dessins d'animation projetés sont eux aussi une totale réussite esthétique: tendre univers de personnages crayonnés en noir et blanc, distillés par des mouvements fondus ou tectoniques. Ode à la beauté des corps, des visages, des chevelures dans une plasticité remarquable.

Encore des traits de crayon et de caractères signés du metteur en scène, démiurge du genre. Et bien sur, on souligne le jeu du tsar, Ante Jerkunica, voix profonde et dignité de circonstance. Le bouffon, grotesque à souhait, Alexander Vassiliev pour couronner le tout se prête à de vives altercations . L' Orchestre philharmonique de Strasbourg et le choeur de l'Opéra du Rhin pour une interprétation vigoureuse et sensible d'une musique où le "Vol du Bourdon" fait office de "tube"et fait l'objet d'une séquence désopilante alors que le décor se révèle enfin dans sa profondeur de champ, comme une enclave, une grotte magique suspendue où se déroule un festin de pacotille en carton pâte de toute beauté et originalité.

Cette production vertigineuse fut le fruit d'une ovation du public, conquis par tant de fantaisie, qui loin d'être "divertissante" est un enseignement sur la "différence" qu'il ne faut pas toujours vouloir calquer sur la réalité. Le tsarévitch, perdu par ses rêves écroulés ne s'en remettra pas.

 

crédit photos clara beck

Coproduction de La Monnaie, Bruxelles et du Teatro Real Madrid.


Сказка о царе Салтане
Opéra en un prologue et quatre actes.
Livret de Vladimir Bielski d’après le conte d’Alexandre Pouchkine.
Créé le 3 novembre 1900 au Théâtre Solodovnikov de Moscou

A l'Opéra du RHIN jusqu'au 13 MAI

 


Direction musicale Aziz Shokhakimov Mise en scène et décors Dmitri Tcherniakov Costumes Elena Zaytseva Direction artistique de la vidéo et des éclairages Gleb Filshtinsky Chœur de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg

 

vendredi 5 mai 2023

Swan lake solo : du côté de chez Swan....Signe des temps politiques....Etang d'art poétique.

 

"SWAN LACKE SOLO" d' Olga Dukhovnaya: l'échappée belle...



Le 9 mars 2022, la une du journal d’opposition russe Novaya Gazeta présente les silhouettes de quatre ballerines du Lac des cygnes sur fond d’explosion nucléaire. Car depuis la chute de Gorbatchev, la télévision nationale diffuse le ballet de Tchaïkovski à chaque fois qu’il y a un événement d’actualité trop brûlant. Après deux ans de confinement, la guerre donne le coup de grâce à un ambitieux projet d’Olga Dukhovnaya, danseuse, chorégraphe et pédagogue d’origine ukrainienne. Celle-ci renonce à réaliser un Lac des cygnes commandé par le nouveau musée de Moscou. Dans une entreprise de déconstruction radicale, Olga Dukhovnaya conçoit Swan Lake Solo, une création où se concentre tout le corps de ballet dans celui d’une seule interprète. Le sien. Ainsi, Swan Lake Solo n’est ni un extrait ni une version contemporaine du ballet de Tchaïkovski, mais une chorégraphie d’aujourd’hui. En collaboration avec le compositeur Anton Svetlichny, la chorégraphe et danseuse abolit avec une jouissive liberté les frontières entre corps de ballet et solo, et recompose le temps et l’espace en inscrivant la danse dans un paysage musical polyphonique

.Elle fait traces et cygne, se plonge dans les eaux agitées du Lac des Cygnes avec moult références et c'est très réussi; seule elle signe un solo fort et engagé où la réflexion sur un personnage, oiseau, femme, spectre légendaire de l'histoire de la chorégraphie de ce fameux "lac" qu'il faudrait assécher aux dires de Jean Cocteau! Ici, ambassadrice d'une danse révoltée autant que sage, notre héroïne se fait oiseau qui se pointe, démontre et démonte les mécanismes d'une légende corporelle gravée dans les mémoires collectives. 

Seule dans la salle des fêtes de l'Aubette à Strasbourg, vêtue de noir pailleté, baskets et justaucorps, elle est corps mécanique bien dressé sur une musique techno binaire entêtante: sorte de gymnastique fitness aérobique, rapide. Quelques séquences pour se déchainer par la suite dans des mouvements inachevés, désordonnés.Sans retenue, queue de cheval au vent. Après ces épisodes brefs, en reprise, essoufflée, épuisée, la lenteur s'empare de sa dynamique, le regard périphérique, elle scrute l'espace, se reprend. Des appuis en arabesques, en force, la plombent au sol. Elle résiste. Semble aller à l'encontre.Des petits piétinements , des ailes de bras aériennes, un cygne apparait: elle tombe à terre, chute comme un empire qui s'effondre, se protège, s'enveloppe à la Egon Schiele façonnant un corps monstrueux qui tournoie sur un seul pivot, la jambe, colonne dorsale.Dans le silence, le "cygne" se taie, respire à terre, se calme ou se dissimule, se fait oublier, dans l'attente.Une musique classique revisitée par un synthétiseur déraille, échoppe. La tétanie s'empare de ses mouvements, en secousses, saccades heurtées. Près du corps, elle semble cacher quelque chose, empêchée, dans des mouvements violents, virulents comme la musique qui l'accompagne. La danseuse brusquement cesse de nous émouvoir de cette façon énigmatique pour nous conter les affres du "Lac des Cygnes" diffusé sur les écrans lors des politiques de ruptures de l'URSS entre 1982 et 1986.....

Alors que nait une pensée magique collective à l'Est, celle de la chute du régime soviétique, "Le Lac" fait sens et son omniprésence sur les chaines est suspecte...Après cet éclairage, la lecture de son solo devient acte politique, poétique et fait sens. L'adage de Tchaïkovski arrive à bon point, caricature de portés, de sautillés où le partenaire jailli de nulle part l'expose de façon frontale, puis prend le relais, danseur-porteur de la danseuse classique! Elle le manipule, il la transporte dans des attitudes osées, acrobatiques, gymniques frôlant le ridicule, jusqu'à l'effondrement. Figés, en poses, ils sont les figures du régime totalitaire...La dégringolade est proche. Puis c'est la course sur le tapis roulant qui défile et tout se termine dans les temps.

Un partenaire porteur de danseuse la fait vriller et tournoyer à l'envi..Qui sont ces signes cachés que l'on ne saurait plus voir sur les scènes de la danse contemporaine? La danseuse se jette à l'eau et nous offre un bain de jouvence salvateur sur la question du patrimoine, de l'archive et du fantastique simplifié, mis à jour avec intelligence de corps survolté par le sujet....Du côté de chez "Swan" n'a pas fini d'être un manifeste du genre!

 

Partition chorégraphique Olga Dukhovnaya, Alexis Hedouin Partition sonore Anton Svetlichny Partition lumière et costume Guillaume Jouin, Marion Regnier Régie générale Moustache, Felix Löhmann Regard extérieur François Maurisse

 

A Strasbourg salle de l'Aubette les 5 et 6 mai

dans le cadre du festival Arsmondo slave (opéra du rhin) 

 

jeudi 4 mai 2023

Dominique A : sobre ébriété....de la poésie à tout prix.


 Mer. 03 Mai. 20h à la MAC de Bischwiller