"SWAN LACKE SOLO" d' Olga Dukhovnaya: l'échappée belle...
Le 9 mars 2022, la une du journal d’opposition russe Novaya Gazeta présente les silhouettes de quatre ballerines du Lac des cygnes
sur fond d’explosion nucléaire. Car depuis la chute de Gorbatchev, la
télévision nationale diffuse le ballet de Tchaïkovski à chaque fois
qu’il y a un événement d’actualité trop brûlant. Après deux ans de
confinement, la guerre donne le coup de grâce à un ambitieux projet
d’Olga Dukhovnaya, danseuse, chorégraphe et pédagogue d’origine
ukrainienne. Celle-ci renonce à réaliser un Lac des cygnes commandé par le nouveau musée de Moscou. Dans une entreprise de déconstruction radicale, Olga Dukhovnaya conçoit Swan Lake Solo, une création où se concentre tout le corps de ballet dans celui d’une seule interprète. Le sien. Ainsi, Swan Lake Solo
n’est ni un extrait ni une version contemporaine du ballet de
Tchaïkovski, mais une chorégraphie d’aujourd’hui. En collaboration avec
le compositeur Anton Svetlichny, la chorégraphe et danseuse abolit avec
une jouissive liberté les frontières entre corps de ballet et solo, et
recompose le temps et l’espace en inscrivant la danse dans un paysage
musical polyphonique
.Elle fait traces et cygne, se plonge dans les eaux agitées du Lac des Cygnes avec moult références et c'est très réussi; seule elle signe un solo fort et engagé où la réflexion sur un personnage, oiseau, femme, spectre légendaire de l'histoire de la chorégraphie de ce fameux "lac" qu'il faudrait assécher aux dires de Jean Cocteau! Ici, ambassadrice d'une danse révoltée autant que sage, notre héroïne se fait oiseau qui se pointe, démontre et démonte les mécanismes d'une légende corporelle gravée dans les mémoires collectives.
Seule dans la salle des fêtes de l'Aubette à Strasbourg, vêtue de noir pailleté, baskets et justaucorps, elle est corps mécanique bien dressé sur une musique techno binaire entêtante: sorte de gymnastique fitness aérobique, rapide. Quelques séquences pour se déchainer par la suite dans des mouvements inachevés, désordonnés.Sans retenue, queue de cheval au vent. Après ces épisodes brefs, en reprise, essoufflée, épuisée, la lenteur s'empare de sa dynamique, le regard périphérique, elle scrute l'espace, se reprend. Des appuis en arabesques, en force, la plombent au sol. Elle résiste. Semble aller à l'encontre.Des petits piétinements , des ailes de bras aériennes, un cygne apparait: elle tombe à terre, chute comme un empire qui s'effondre, se protège, s'enveloppe à la Egon Schiele façonnant un corps monstrueux qui tournoie sur un seul pivot, la jambe, colonne dorsale.Dans le silence, le "cygne" se taie, respire à terre, se calme ou se dissimule, se fait oublier, dans l'attente.Une musique classique revisitée par un synthétiseur déraille, échoppe. La tétanie s'empare de ses mouvements, en secousses, saccades heurtées. Près du corps, elle semble cacher quelque chose, empêchée, dans des mouvements violents, virulents comme la musique qui l'accompagne. La danseuse brusquement cesse de nous émouvoir de cette façon énigmatique pour nous conter les affres du "Lac des Cygnes" diffusé sur les écrans lors des politiques de ruptures de l'URSS entre 1982 et 1986.....
Alors que nait une pensée magique collective à l'Est, celle de la chute du régime soviétique, "Le Lac" fait sens et son omniprésence sur les chaines est suspecte...Après cet éclairage, la lecture de son solo devient acte politique, poétique et fait sens. L'adage de Tchaïkovski arrive à bon point, caricature de portés, de sautillés où le partenaire jailli de nulle part l'expose de façon frontale, puis prend le relais, danseur-porteur de la danseuse classique! Elle le manipule, il la transporte dans des attitudes osées, acrobatiques, gymniques frôlant le ridicule, jusqu'à l'effondrement. Figés, en poses, ils sont les figures du régime totalitaire...La dégringolade est proche. Puis c'est la course sur le tapis roulant qui défile et tout se termine dans les temps.
Un partenaire porteur de danseuse la fait vriller et tournoyer à l'envi..Qui sont ces signes cachés que l'on ne saurait plus voir sur les scènes de la danse contemporaine? La danseuse se jette à l'eau et nous offre un bain de jouvence salvateur sur la question du patrimoine, de l'archive et du fantastique simplifié, mis à jour avec intelligence de corps survolté par le sujet....Du côté de chez "Swan" n'a pas fini d'être un manifeste du genre!
Partition chorégraphique Olga Dukhovnaya, Alexis Hedouin Partition sonore Anton Svetlichny Partition lumière et costume Guillaume Jouin, Marion Regnier Régie générale Moustache, Felix Löhmann Regard extérieur François Maurisse
A Strasbourg salle de l'Aubette les 5 et 6 mai
dans le cadre du festival Arsmondo slave (opéra du rhin)
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