Avec Madrigals, Benjamin Abel Meirhaeghe se saisit des Madrigali guerrieri et amorosi, composés en 1638 par Claudio Monteverdi pour en faire une oeuvre située hors du temps.
Dans
une caverne étrange aux tonalités mythologiques, l’amour et le combat,
qui donnent leur titre à ces chants, s’expriment avec force à travers
une communauté débridée et en quête d’elle-même, où l’humain et le divin
semblent fusionner. Le mouvement frénétique des corps nus alterne avec
les moments de repos. Comme le compositeur prenait ses distances avec la
musique religieuse par cette oeuvre tardive de la Renaissance
italienne, l’adaptation qu’en propose Meirhaeghe, étoile montante de la
scène belge, porte aussi la marque d’une émancipation. Tout en en
restituant la beauté première, les interprètes s’approprient les airs,
dans une partition qui mêle les instruments classiques et sons
électroniques composée par Doon Kanda. Un rituel fait de tensions et de
désirs, d’émotions et de sensualité, orchestré par un protagoniste
original du théâtre musical contemporain. Ambiance fumigène, une faille dans le rideau de scène, béance, brèche ou vulve, aven "maria" pour une vision curieuse: une femme nue, ou presque puisqu'une ceinture de micro lui tient lieu de cache sexe, string ou ceinture de chasteté. Le ton est donné à ce corpus-dei païen, farci de bruitages évoquant une caverne humide et suintante, un sol granuleux scintillant. Huit interprètes et trois musiciens en "live" pour les cordes. Elle, en solitaire en prologue, anone quelques propos sur "l'énergisé" qui voudrait nous introduire à la lecture d'un texte insensé. Un conteur-chanteur, beau ténor riche en timbre voluptueux excelle dans une prestation qui pourrait sauver le spectacle à lui tout seul... Reptations animales, quatre pattes et portés font office de chorégraphie signée de Sophia Rodriguez, pale mise en espace redondante, courses et occupation du plateau pour combler le vide... Un duo galant plein de facéties, une fresque à la vase grec, une pause à la Faune de Nijinsky, des rondes proches de celles de Rudolf Laban sur le Monte Verita à Ascona... Bref, c'est du copié-collé sans âme où la musique entre chants plus ou moins bien interprétés (n'est pas chanteur qui veut) et mixture indigeste électronique se meut avec peine dans ce fatras. Combats, contacts, trio enlacé, cercle de nymphettes à la Duncan, isadorables créatures perdues dans leur nudité qui n'aura de cesse qu'avec les peignoirs des saluts, qui, pudiquement vont habiller ceux qui pourraient aller se rhabiller. Monteverdi, pas vu, pas entendu, spectre des cavernes spéléologiques où le son du goutte à goutte karstique est celui de deux pailles glougloutant dans des verres de cocktail. Enfantillages... On s'y fait des bisous tendres et le groupe se voudrait dionysiaque, bachique ou communautaire. Rien de tout cela n'émerge, même pas les respirations sismiques terriennes des corps rampant au sol. Un archet vient scier le violon en bord de scène, un feu tribal rituel style scouts d'antan rassemble les interprètes autour d'une guitare. Le chant maladroit d'un interprète à la une pour ce tableau à la Georges De La Tour qui fait de cette veillée commune une pause salutaire mais ennuyeuse. Un Christ suspendu à une corde, mythe païen, sacrifice sans être Araki pour autant, tout s'enchaine jusqu'à une série d'images 3D projetées, sorte de magma de chair artificielle ondoyante, vers de terre glauques et fort laids, repoussant les limites du vulgaire. Erwin Wurm en tremblerait... On sauvegarderait un message où le corps serait le plus bel instrument vocal et chantant, dansant si toutes ces composantes n'étaient absentes. L'utopie revendiquée de ces courses folles sans direction ni intention, sans le poids que revendiquait Laban, est creuse et de cette caverne inondée de fumigène, des rayons lasers semblent danser du bout des bras d'un interprète qui disparait peu à peu. De ce "Feu d’Artifice" à la Giacomo Balla, rien ne surgit excepté l'éblouissement pour le public de cette verdure fluorescente déplacée. Ballet de faisceaux caricatural à souhait. Douche de fumées pour calmer et caresser les corps, soins de cette belle carcasse qui est la nôtre dans cet enfer rouge qui contraste avec l'Eden évoqué auparavant. Paradis définitivement perdu quand des toiles suspendues font office de scénographie finale. "What about the cave men" ? On vous laisse trouver la réponse dans le chant final à capella où la jubilation prendrait le pas si la lourdeur de tout le reste n'était que poids du monde et ennui contagieux. Alors que reste-t-il de Monteverdi quand par bonheur quelques références resurgissent (Le Couronnement de Poppée" de Anne Teresa de Keersmaeker (Ottone Ottone) ou d'Evgeny Titov)...... Et les ceintures noires coupant les corps en deux parties, de revêtir une fonction esthétique du plus mauvais gout. Un "démiurge" de la scène belge se profile, alors où sont les Platel, Fabre et autres trublions iconoclastes de toute une génération explosive de talents scéniques révolutionnaires..?
Benjamin Abel Meirhaeghe est né en Belgique (Flandre)
en 1995. Il quitte sa ville natale pour intégrer l’École d’art
Ottogracht de Gand, où il est remarqué notamment pour sa voix de
contre-ténor. Il suit ensuite une formation en arts de la performance à
l’Académie de théâtre de Maastricht dont il sort diplômé en 2018.
Son projet de fin d’études intitulé The Ballet est un projet démesuré, créé avec le danseur Emiel Vandenberghe.
Depuis lors, il met en scène des œuvres hybrides qui combinent opéra, danse et performance pour des grands plateaux.
Au Maillon jusqu'au 12 MAI
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