mercredi 28 juin 2023

Spectres d'Europe : des "reprises", un répertoire abstrait et éthéré, cinétique, tectonique en majesté.


Spectres d’Europe

Lucinda Childs / David Dawson / William Forsythe


Après les méandres de l'esthétique et de l'histoire, ce nouveau volet de Spectres d'Europe s'intéresse aux figures éthérées et abstraites qui peuplent notre inconscient. Le Ballet de l'OnR fait ainsi dialoguer trois pièces de son répertoire, chorégraphiées par des figures majeures de la danse contemporaine : le Britannique David Dawson et les Américains Lucinda Childs et William Forsythe, tous deux bercés par la culture européenne.


 


Songs from Before
de Lucinda Childs,
créé en 2009 par le Ballet de l’Opéra national du Rhin. 

Quelque part dans le monde, un homme commente les détails merveilleusement insignifiants de son environnement : l'aube qui blanchit l'horizon, des flaques d'eau sur le sol, le bruit de la pluie sur l'océan. Sa rêverie solitaire fait rejaillir des limbes du passé des microcosmes de souvenirs dansés par six couples sur la prose poétique de Haruki Murakami et la musique de Max Richter. (Songs from Before) - 

Les danseurs apparaissent, en marche frontale très rythmée, les pas sur les demi-pointes en alternance. Rigueur, verticalité extrême, entrées et sorties multiples sans interruption: tout un vocabulaire spatial cher à Lucinda Childs anime le plateau, parfaitement occupé par ces lignes qui strient l'espace et le définissent. Parallèlement trois panneaux faits de bandes plastiques vont et viennent à l'envi, suspendus aux cintres et font se réverbérer la lumière comme autant de lamelles scintillantes. Encore une stricte verticalité comme un instrument de musique à cordes tendues, une architecture à la Portzamparc, inspirée de rythme, de déambulation qui change le point de vue cinétique. Lignes des costumes genrés, féminin-masculin, sobres, lisses comme la danse qui peu à peu se libère des traces et signes pour aller vers les duos en portés, les écarts des jambes tendues vers le ciel, les bras alignés, les tours comme des courses infinies vers l'inconnu.La musique est lancée, les interprètes se fondent dans le rythme et sillonnent l'espace. La lumière se fait changeante et se glisse, art cinétique par excellence entre les bandes des trois panneaux qui circulent de façon frontale. Magie de cette composition lumineuse, transparente qui magnifie ou occulte la vision des corps dansant.Comme des paravents translucides qui ne dévoileraient qu'une des facette mystérieuse de cette danse vue au travers d'un plissé lumineux.signé Bruno de Lavenère et Christophe Forey.Une pièce de répertoire, une reprise édifiante pour le ballet qui semble épouser l'oeuvre de Lucinda Childs avec respect, dévotion en accord parfait avec sa rigueur et sa musicalité au coeur du processus de construction et écriture, de composition radicale et architectonique. Les sauts aériens, les virevoltes attestant d'une légèreté puissante et enivrante.

 


On the Nature of Daylight
de David Dawson,
créé en 2007 par le Dresden Semperoper Ballett. 

Le véritable amour est un mystère parfaitement ordinaire et pourtant extraordinaire qui se danse à deux. Mais comment trouver le partenaire idéal ? Par hasard ou par choix ? Et que se passe-t-il si l'on se trompe de personne ? (On the Nature of Daylight) - 

Un duo lyrique, harmonieux, sans faille exécuté avec toute la virtuosité de ce couple de danseurs aguerris à une technique pointue. Du charme, de l'harmonie, de la grâce pour cet "entremets", glissé entre les deux "morceaux de choix" du programme. Histoire de respirer, de calmer la donne, de rêver, de se projeter dans un espace intime, plein de charme où la danse de Di He est toute de brio et d'apparente facilité. Tout glisse et coule de source dans cet accord parfait entre deux corps aimantés par des sentiments amoureux sans encombre. 


Enemy in the Figure
de William Forsythe,
créé en 1989 par le Ballet de Francfort.

Un écran ondulé traverse en diagonale la scène où attend un projecteur roulant. De la pénombre surgissent les silhouettes fantomatiques de onze danseurs dont les convulsions géométriques jouent avec la lumière sur le rythme lancinant de la musique de Thom Willems. (Enemy in the Figure).
Tout le style Forsythe est présent: ce démiurge de la tonicité, de l'écriture fulgurante, des points, lignes, plans de la chorégraphie exulte dans cette pièce unique en son genre.Son écriture tectonique fuse et les danseurs en sont les "pions" manipulés à l'envi pour créer des espaces toujours changeants, toujours en éruption volcanique alors que la matière phonolitique des corps se transforme en musicalité constante. Les pulsions font se tordre les corps, galvanisés par la musique de Thom Willems, foudre constante. Comme des salves jetées sur le plateau, des éclats de lave, scories en ébullition, enflammées par l'énergie de cette dynamo infernale. Corps machines, corps éperdus, isolés où dans des unissons futiles éphémères.

Le moteur est lancé: vitesse, effets de rémanence,d'énergie de fusée, de hallebardes fusant dans toutes directions. Les lumières au diapason, une course poursuite d'un projecteur traquant les silhouettes des danseurs. Les costumes changeant à l'envi sans qu'on perçoive le moment des métamorphoses.De l'art cinétique à l'état pur en état de siège éjectable constant. Histoire de brouiller les pistes du regard, de disperser la rétine, de déjouer les lois de la pesanteur et de la vitesse-mouvement. Les danseurs, incroyables interprètes se frottent à ce langage virtuose en diable, écriture athlétique, performante, inouïe tant le rythme catapulte les corps comme des balles de ping-pong. On y retrouve le design des costumes féminins: cols roulés soquettes, body et justaucorps seyants pour magnifier les lignes aérodynamiques du mouvement perpétuel. Quel régal que cette danse cinétique, exultante qui maintient le souffle en apnée, le regard, en alerte, en alarme fulgurante. Le spectateur au coeur de cette tonicité hallucinante où le noir et le blanc ne font qu'un tant la fusion totale danse-musique-lumières et sculpture opère à bon escient.

Le Ballet du Rhin, au zénith pour ces "reprises" menées de main de maitre à danser par la répétitrice "maison", Claude Agrafeil: un rouage incontournable pour remonter une pièce chorégraphique: chef de chantier orchestrant l'esprit de l'oeuvre, ici à l'identique pour le meilleur d'une rencontre avec Forsythe, chef de file d'une danse insaisissable, abrupte, ciselée, vif argent, déconstruite et remontée à l'endroit, à l'envers de toute convention ou d'académisme. Un style qui échappe au temps, jamais "daté"qui est ici servi à merveille par une compagnie soudée et aguerrie aux extrêmes... 

A l 'Opéra du Rhin jusqu'au 30 JUIN

mardi 27 juin 2023

La Danse au 43 ème Festival Montpellier Danse: un droit de cité inaliénable...Preljocaj en majesté.

 Une "Agora" de la Danse résume à elle seule l'Esprit des Lieux: un "endroit" pour Terpsichore en baskets ou non, un lieu, un "milieu"où l'on trouve son ancrage, son équilibre/déséquilibre, son "ici et maintenant" pour le plaisir du partage de l'expérience de l'artiste autant que du spectateur. Un droit de cité lié à ceux qui la magnifie, la porte dans toute sa rigueur autant que sa fantaisie. Alors traiter de la question de la mémoire de la danse par le truchement de la notion de "reprise" d'un répertoire qui se constitue peu à peu pour forger un patrimoine vivant et unique en son genre, s'imposait.C'est l'"ancrage" de l'écriture mise à nue par les chorégraphes de notre temps.


Processus en cour lors de ce début d'édition à l'occasion de l'ouverture du festival avec les deux pièces emblématiques d'Angelin Preljocaj, "Annonciation" et "Noces" qui bordent une création mondiale "Torpeur". Événement donc que ces reprises qui fonctionnent comme des étoffes qui n'ont pas pris un pli, comme un ouvrage où "papa pique et maman coud"en réplique à l'identique des deux œuvres originales, originelles.Voir ou revoir "Annonciation" tient du "miracle"biblique, tant l'authenticité du duo se révèle à nos yeux dans sa densité, sa fragilité. De l'époque me direz vous, certes avec des interprètes d'un autre siècle-déjà-mais qui possèdent l'esprit et le geste chorégraphique d'Angelin, comme des éponges poreuses imbibées d'une esthétique, d'une énergie propre à l'écriture du chorégraphe.Reconstitution, restauration à l'identique du duo, l’œuvre qui nous est donnée à voir est chargée d'émotion, de revirement, de la quiétude à la révolte des corps dansant dans la plus "pure" ligne d'origine. L'ange déflagrateur terrassant celle qui reçoit cette fécondation virtuelle est franchement troublant d'autorité, les gestes tranchants, vifs argent, le doigt pointé vers le ciel, élévation spirituelle qui va "incarner" l'"heureux événement" dont Marie sera le réceptacle. Elle, fragile, docile, allongée est pétrie de douceur et de consentement. Le duo se révèle bijou dans un écrin, un enclos symbolisé par ce long banc où les corps glissent, se repoussent, se questionnent. Pas une ride pour cette "nouvelle", courte pièce qui résumerait la griffe, la patte chorégraphique, calligraphique de Preljocaj. "Datée"? Pas une trace qui ferait croire à une résurrection abusive, trompeuse: un style possède une histoire, un cheminement qui ici se traduit à travers d'autres corps, façonnés par une intelligence contemporaine du ressenti: et la "passassion" de fonctionner à son aise sans "référence" obligatoire. Ce qui fait la force de la pièce: traverser le temps sans encombre pour le bonheur de ceux qui l'ont connue à sa genèse, pour la jubilation de ceux qui se frotteraient pour la première fois à sa vision. 


Belle réussite également pour la reprise de "Noces", réplique de la version Preljocaj sur la musique de Stravinsky. Interprétation très personnelle de l'oeuvre de Nijinska, pétrie de l'âme balkanique, du rituel qui architecture la tradition du mariage. Danseurs et danseuses portant à bras le corps la musicalité de la signature d'Angelin: virtuosité, rapidité, versatilité, art de l'unisson, du groupe soudé, des duos. Danse fascinante, hallucinante tant la rapidité de ce qui est donné à voir est sidérante. Quelques bancs en accessoires pour porter ou soutenir les corps, des poupées de chiffon souples comme mannequins, pantins, objets d'un "trousseau" de mariée comme symbole de coutume, d’obéissance. Mais que l'on fait s'envoler , s'envoyer dans l'éther pour exorciser légende, fable et soumission à l'esprit de tribu. Phoenix, resplendissant, surgit de ses cendres, "Noces" fait figure d'exemple, de référence face à la question de "la reprise" des œuvres contemporaines. 


C'est dire si "Torpeur" ne s'endort pas entre ces turbulences chorégraphiques, météorologie palpitante , agitée du temps qu'il fait. C'est comme si les deux pièces d'antan nourrissaient l'écriture d'Angelin encore aujourd'hui venant approfondir le propos, le style et la réflexion du chorégraphe. On retrouve à l'envi dans ce tout nouvel opus, les duos, les ensembles harmonieux qui ont fait sa légende.L'art de faire vibrer des couples, la sensualité discrète des corps dansants, l'art de la lenteur bordée par des choix musicaux précieux et adéquats. Le cercle, le nid comme un écrin de corps, un plessis végétal ou un marly ouvragé, ajouré de porcelaine, une architecture de rotin tressé, une vannerie, un treillis ondoyant . Les corps allongés, de blanc vêtus, tissant un moucharabieh savant, vivant, ondoyant. Un tableau très pictural comme sait le créer Preljocaj, peintre et féru de culture des Beaux Arts....Mouvements au sol comme un jardin médiéval régénérateur, archaïque soignant les corps de leurs vertus médicinales.

Quel belle référence à présent d'une réussite de "reconstitution" et de "création" au regard d'un répertoire en construction.Rien de "muséal" ni de figé pour la Danse qui trouve ici sa singularité: échapper à toute conservation par son coté éphémère de la "représentation" et son aspect hors du temps à travers l'écriture et la pensée chorégraphique.

Au festival Montpellier Danse 2023 au Corum les 20 et 21 JUIN 

lundi 19 juin 2023

"Les fourberies de Scapin", "Le Misanthrope", "Molière 401": le théâtre forestier adore Molière...Et lui fait une faveur...

 


Et recommence cette singulière aventure du fond des bois chez les artistes Hugues et France Siptrott. En lien profond avec la nature. 15 comédiens accompagnés d'une équipe de bénévoles  attendent avec l'impatient désir de partager le plaisir de re-écouter ou tout simplement découvrir Molière, notre contemporain. Sans public, pas de théâtre hors institution , le théâtre qui se fabrique ici est direct, se construit en circuit court à l'opposé de ce qui parait-il fait culture et sens aujourd'hui. 
" Si vous aimez cette démarche, partagez ce post, faites un pas de côté et rejoignez-nous. Des impromptus, Les fourberies de Scapin, le Misanthrope , un plat surprise de "chez Anthon", quelques bons verres, un lieu d'art magnifique à découvrir ...et le beau temps de juin au rdv !!" Yan Siptrott
 


Et si le temps de Molière n'était pas révolu? Et si le théâtre de Mnouchkine était ressuscité, les tréteaux de Molière reconstruits au profit du jeu de proximité, du partage en direct comme une bonne claque placée où il faut pour réveiller nos habitudes "bourgeoises" de réception du "spectacle"...Chose faite et assumée pour cette belle et longue soirée de "dégustation" de théâtre classique. Au menu deux pièces majeures du répertoire , des entremets savoureux comme des impromptus pour mieux faire digérer les alexandrins magnétiques d'une "langue" châtiée si chère à Jean Baptiste Poquelin! Justement, le voici évoqué par deux comédiennes en "costumes d'époque", deux femmes hautes en couleurs, perruques poudrées de rose, de vert, pièces montées d'un "ridicule" précieux et assumé. En l’occurrence la savoureuse Sophie Thomann et la rabat-joie Isabelle Ruiz..Coiffées de "poufs" ou de surtouts de table!
 

Des propos sur le féminisme, la maternité, les classes sociales,le  tout en verve, malice, audace et plein de "culot" comme ces deux effigies baroques d'une société qui n'aurait même pas changé. C'est dire si le ton de la soirée est donné, un "la", ni bémol ni dièse sur la condition humaine, ses affres, ses "magouilles", son système D , son amour et ses rivalités. Comme un répertoire de notre enfance où l'on fréquentait ces textes sans trop savoir pourquoi ni comment, mais en savourant déjà la langue, la musicalité, la beauté. Dans le contexte fabuleux du théâtre forestier, territoire de Yan Siptrott partagé à l'occasion par le comédien metteur en scène Serge Lipszyc, tout ceci fonctionne à merveille et le très nombreux public venu à travers bois et guérets va se régaler.  
 

Les fourberies de Scapin: une comédie balai qui dépoussière....
 
Démarrage en trombe donc avec ses tranches de jeu animé parmi le public, convié par la suite à s'installer près de l'étang, toujours en plein air. C'est parti pour un voyage en compagnie de Scapin, ce fameux valet célèbre pour ses astuces, son ingéniosité, sa capacité à rebondir, être dans le mille en phase avec les caractères de chacun de ses interlocuteurs. C'est Yan Siptrott qui s'y frotte et nous pique de ses acrobaties, roulades et astuces de jeu, toujours tonique, malin, engagé. Personnage burlesque ou pathétique pantin d'intrigues invraisemblables: mariage, amours, coups de bâtons, maris où pères abusés. Quelle belle galerie sur une estrade "moulée à la louche" comme autrefois, pente inclinée descendante à l'italienne sur tréteaux de fortune. Le risque est grand de déséquilibre, de bascule mais tous nos anti héros chevronnés ne se laissent pas abuser par cette pente savonneuse qui les met en valeur incertaine et audacieuse. Un régal que l'on déguste sans modération: tous sont "vivants" se taillent la part belle à interpréter dans une mise en scène ponctuée de "didascalies" sonores très imagées, Emma Massaux animale en diable, une diatribe satirique et mordante sur le valet de coeur, de pique que Scapin incarne aux yeux d'une société percluse de non sens, de bêtise ou de candeur. Des saynètes emblématiques comme des morceaux de choix où chacun excelle dans le vif du sujet et de la carne. Car ils sont de chair et de sang, ces personnages incroyables de justesse, de manigance, de douces trahisons et cette tribu bigarrée s'en donne à coeur joie pour enchanter et tenir en haleine un public friand de rebondissements, de coups de théâtres qui font du bien où ça opère! Des fourberies menées de main de maitre par le "maitre à jouer" Serge Lipszyc, qui va droit au but pour marquer des points dans cette ascension rondement menée jusqu'au final. Des clins d'oeil aux variétés musicales très appropriés aux situations sont irrésistibles: Bruno Journée offrant un Géronte désopilant, en "galère" pour magnifier cette ritournelle ravageuse, le "tube" de Scapin, Charles Leckler au diapason de son accordéon, poumon souffleur de bruitages adéquates... Geoffrey Goudeau édenté sous titré en direct...Et Magalie Elhinger prude et fragile Hyacinthe diaphane créature coquine en diable, ingénue sans reproche tout de blanc vêtue, cheveux débridés en répliques à point nommé! Patrice Verdeil en "Sylvestre", forestier de circonstance pour une belle prestation.
Un coup de "brigadier" bien placé !
 
On passe à un entracte joyeux, la "potée" au bec fin concoctée par des fins gourmets de renom, le couple Flaig de chez Anthon. Ambiance décontractée et partageuse comme il se doit. Quelques petits rendez-vous secrets par petits groupes pour évoquer la condition féminine en compagnie de Isabelle Ruiz tient une réunion tupperware à propos des femmes et de leur soumission à leur mari: c'est drôle et très bien amené si l'on songe à la suite: un Misanthrope bien décapant..C'est sur la placette que reprennent impromptus et diatribes, extraites de textes de Molière, du haut d'un balcon où l'on imagine des scènes truculentes de l'époque...On y tient le haut du pavé, où le bas du caniveau dans des costumes contemporains très adéquates.
 

En avant pour la suite: sur une estrade au coeur du domaine juste devant les sculptures en céramique des Siptrott qui vont s'avérer comme des personnages figés, répliques des vivants, tout de gris et de plis vêtus, sculptés à l'envi. Des figures prostrées, souffrantes, perturbées, penseuses,intranquilles comme des mannequins sculptés pour l'occasion. Beau mimétisme de circonstance.Et bienvenus dans cet univers théâtral atypique et singulier paysage champêtre, bucolique et forestier!
 On croit connaitre ce "misanthrope, on croit s'y asseoir confortablement, et bien non: c'est par la grâce des comédiens que l'on re-sculpte chaque caractère: au début Alceste est rigoureux, entier et n'a de cesse que de dire sa vérité à la face d'un poète raté, Fred Cacheux en majesté!..Puis le jeu se ternit de souffrances, de quiproquos invraisemblables montés de toute pièces...Face à son amante, brillante Muriel Ines Amat, c'est un homme défait et furieux, Serge Lipszyc en personne qui se dessine. Son entourage est veule, vil et manipulateur et chacun des comédiens s'ingénie à rendre juste ces caractères si bien dessinés par Molière. Un tour de force décapant que ce Misanthrope contemporain sans chichi de perruques et autres gadgets encombrants. Le texte à vif, servi par une "troupe", une tribu solide semblable au temps de Molière et de ses tréteaux..Unis par le destin qui désagrège les personnages, où les femmes sont amies-ennemie mais ne se trahissent pas elle-même. Solides prises de positions amoureuses de Célimène, arrogance et jalousie de Arsinoe campée par une Blanche Giraud Beauregard très fourbe et flatteuse, tromperies et malversations des hommes qui flattent et encensent ce trio infernal...Les visages maquillés, maculés de terre grise comme les pantins qui les entourent, à la Kantor ou héros de May B du Beckett de Maguy Marin....Tout est dit et l'on suit en alerte cette diatribe si sérieuse, si authentique qu'elle en frôle le drame ou la réconciliation. Les hommes et femmes aux plis taillés dans le bois vifs, aux couleurs grises comme les costumes des comédiens, restent seuls derrière le plateau, témoins de ce passage à témoin, à vif d'une horde humaine frétillante et sauvage, domptée malgré tout par un "savoir vivre" et "être ensemble" qui ne tiendrait qu'à un fil...Du très beau travail de bucheron chevronné pour les deux piliers, castor et pollux de cette entreprise généreuse et pertinente: Serge Lipszyc et Yan Siptrott aux commandes d'une scierie artisanale aux fragrances d'antan...
 Une "troupe" qui ne cache pas la forêt mais révèle ici des textes furieusement beaux et contemporains.
De l'audace toujours, du culot et de la dynamique énergétique à revendre!
Code 401bien authentifié pour anniversaire bien fêté! Moliére fait ses 401 coups de brigadier....

Jusqu'au 2 JUILLET Vallée de la Faveur
 
 
Avec : Muriel-Inès Amat, Fred Cacheux, Magali Ehlinger, Blanche Giraud-Beauregardt, Geoffrey Goudeau, Bruno Journée, Aude Koegler, Charles Leckler, Serge Lipszyc, David Martins, Emma Massaux, Yann Siptrott, Sophie Thomann, Isabelle Ruiz, Patrice Verdeil
 
 
Au Guensthal vallée de la faveur le 18 JUIN théâtre forestier de Yan Siptrott théâtre du Matamore