mercredi 28 juin 2023

Boris Charmatz, Dimitri Chamblas au 43 ème Festival Montellier Danse: reprises, complicités, retrouvailles. Des as du collectif autant que de l'intime.

 Quand ces deux trublions de "la nouvelle danse française" se retrouvent c'est tout un pan de l'histoire de Terpsichore qui s'ouvre pour surtout ne jamais se refermer... Compagnons de fortune lors de leurs premiers ébats chorégraphiques visibles ("à bras le corps") entre autre, les voici voisins autant que créateurs autonomes à part entière: ce qui les relie: le sens du collectif, la fédération des énergies, le "hors sol" des lieux de monstration: du Corum à la place publique, de la cour au jardin, ils se baladent dans la cité avec ce droit inaliénable...de cité .


"Slow Show": murmuration horsles murs.

Adhérent au plus juste à l'esprit du festival, voici Dimitri Chamblas aux rênes d'une expérience de terrain réunissant des danseurs amateurs de tous horizons et surtout dans notre cas précis, de Montpellier: 57 performeurs, amateurs et volontaires ont travaillé et expérimenté ensemble états de corps, rythmes d'après les principes de transe, d'exultation, de lenteur, d'infra-mince et de télépathie. De quoi nourrir une performance publique in fine, in situ: "Slow Show" tout d'abord sur le parvis du Musée Fabre le matin du 24 JUIN à 11H. Rendez-vous entre le public curieux et averti ou le passant de fortune...Les performeurs déboulent , frontal attroupement sorti du Musée pour s'éparpiller sur le parvis Buren, autant que sur la pelouse.Envolée d'oiseaux qui atterrissent, "murmuration" collective impressionnante. Dans le silence d'abord, chacun campe une attitude en pose, comme une sculpture en ronde bosse, dont on pourrait faire le tour. Peu à peu tout s'anime de façon "microscopique" infime petit bougé à la Nikolais, partition très personnelle de leur rêve, désir de mouvement. Le regard balaye cette collectivité bruissante ou se focalise sur l'un ou l'autre des participants. Emouvant au sens de l'e-motion qui remue et interroge corps et pensée en mouvement. Chacun vêtu à sa façon pour l'occasion. Personne en avant ni au fond "de la classe"...Durant une petite demi-heure le plateau en plein air résonne de la musique de Eddie Ruuscha, récollecteur de sons et bruits de la cité: vagues sonores faites de samples, d'électronique live et de sons réels. Des espaces communs à tous où la danse fait événement, performance unique et singulière où la plate forme s'anime doucement des changements imperceptibles des formes corporelles. 


La lenteur s'opposant à la fébrilité de la ville, des courses contre la montre et autre tumultes quotidiens.Les poses hiératiques venues des muscles profonds en autant de micro mouvements subtiles Des mimiques parfois comme des figures de chimères perturbent calme et sérénité. Sur cet echiquier vivant personne ne perd ni ne gagne si ce n'est qu'à vivre intensément l'instant présent. Du bel ouvragz collectif, sincère, à la mesure de chacun, trouvant son chemin corporel pour irriguer ce paysage urbain sonore, puzzel débridé, jeu de gestes, de concentration. Rien ne les perturbe, ces "amatore" en toute légitimité citoyenne d'action, d'écoute: une valorisation de cet engagement que de se confronter au public..En live, en direct et sans filet... L'autre"version" à 17H le même jour dans la cour de l'Agora révèlait une autre perspective en carré balade possible sous les arcades pour apprécier lenteur et autres points de vues sur les différentes attitudes et posture en mutation constante. On découvre celui ou celle que l'on avait pu remarquer tant la force et la multiplicité des propositions brouillait les pistes!


"10 000 gestes" de Boris Charmatz 

Bien plus de 1001 voici un dénombrement hallucinant de facture de gestes interprétés par des danseurs, ici au sein du Corum sur l'immense plateau nu. Performance "reprise" à chaque fois différemment selon les étapes et depuis la genèse de ce gigantesque projet international. Et Boris Charmatz de réinventer la "notion de reprise"pas à l'identique mais respectant l'esprit de cette performance au plus près. C'est une danseuse projetée sur le plateau qui inaugure l'événement: multi-gestuelle fébrile, rapide, désordonnée, fractionnée. Rapidement rejointe par ses pairs, d'autres interprètes qui plus d'une heure durant sont lancés comme des salves sur la scène.Chaos très organisé et très écrit, respectant les espaces d'évolution de chacun.C'est comme un tableau constitué de 1001images qui font sens et formes lorsque l'on s'en éloigne: puzzle rétinien inouï, illusion, kaléidoscope scintillant, versatile...


C'est le requiem de Mozart qui enveloppe le tout et fait de ce nuage de papillons, des trajets éphémères, volages, volatiles à l'envi. Comme des catapultes, des flocons de neige qui se fracassent sur le pare-brise ou un nuage de coléoptères voyageurs. Autant de cigales et de fourmis pour étayer cette fable dansée, cette cour des miracles, ce tableau de Jerome Bosch, enfer ou paradis perdu, jardin des délices aussi. Les portes de l'enfer de Rodin pourraient ainsi s'animer et donner lieu à un sabbat salvateur, libérateur d'énergie. Energie folle, sauvage, halletante, enivrante, possession des corps qui se jetent sur le public dans les rangées bien sages, perturbées par cris et gestuelle endiablée. De l'audace pour "etonner" décaler le plaisir du spectateur interrogé sur sa propre attitude de réception de la danse. Hors sol, hors norme, énorme spectacle qui couronne cette assemblée de zombies dans une monstration hors formol du musée de la danse...Une collection jamais achevée de gestes uniques sur une partition classique et solenelle: Mozart au firmament de sa folie créatrice, Mozart dansant sur les tombeaux d'un cimetière joyeux et révolté en état de siège. Exubérant en diable..

Au Corum le 24 JUIN

Nazareth Panadero and Co, Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou au 43 ème festival Montpellier Danse : des catapultes chorégraphiques inédites.

 Les créations sont toujours surprises, fruit de démarches, recherche, alors ces deux dernières donnent le "la" sans bémol ni dièse et les bécards ne s'y trompent pas qui passent aux oubliettes.


Un bassin de réception inédit

"Montréal-Marrakech" de Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou fait partie de ces paris qui entrelacent question sociétales, esthétiques et géopolitiques. Deux continents se rapprochent grâce à l'art chorégraphique qui fait se rencontrer quatre interprètes venus du Québec, du Maroc: choix de danseurs préoccupés par ces questions de métissages, de différences ou d'osmose de culture qui s'entrechoquent ou s'allient. La question du "bassin" en est au centre, cet endroit du corps qui oscille, bascule, s'arrondit, se love à l'envi selon les cultures, les traditions. Bassin méditerranéen des corps du Sud? Pas de caricature ni de clichés, mais une réflexion de la part de tous, chorégraphes et danseurs. Au "sud" le bassin dansant, au nord, le bassin comme habitacle des énergies comme lieu de réceptivité des méridiens, de la kinésiologie. Danses lascives liées à la séduction, ou danse traditionnelle liée à la mobilité culturelle et acquise à une éducation...


Reste que le thème est sous-jacent et la lecture de la pièce dansée sur ce tapis blanc, demeure quartier libre.Mouvements de marche arrière récurrents, très ondoyants, duos, retrouvailles, diagonales dans l'espace investi. Couleurs ou rigueur des costumes, sauts exténuants au final du danseur marocain, un prodige d'énergie partagée entre les quatre interprètes. Quatre rencontres d'espaces sensibles, de "techniques" vivantes et habitées qui s'échangent, se métissent, s'entrelacent ou divergent. Jamais figées, poreuses, perméables à l'écoute de l'autre. Lenteur et fluidité font contraste avec la vivacité d'une danse déroutante, oscillante, en équilibre-déséquilibre naturel.Le tandem- binôme, duo de chorégraphe opère et libère les corps de toute empreinte culturelle superflue pour rentrer dans le vif du sujet: la confrontation des corps-continents pour un nouveau territoire de la danse: un bassin de réception géologique qui recueille la transformation et l'érosion du temps. Là où les eaux se rassemblent pour irriguer de concert en confluence le paysage naturel ou cultivé !

Au Studio Bagouet les LES 23 24 25 JUIN 


"Vive y deja vivir" : une soirée imaginée par Adolphe Binder, Nazareth Panadero, Michael Strecker et Meritxell Aumedes

Deux pièces, "Two Die For" et "Manana Temprano" font se rejoindre sur le plateau deux artistes uniques, portés par leur long compagnonnage auprès de Pina Bausch. Ils émergent en tant qu'interprètes comme deux personnalités fortes, imprégnées de leurs expériences respectives et partagées. 


La première laisse filtrer toutes les empreintes de leur vécu de danseur et façonne une sorte de récit débridé absurde. Collages, cadavres exquis chorégraphiques, évocation plasticiennes d'un Joseph Beuys : une chaise où s'empilent couvertures de feutre pour protéger une héroïne fragile, femme fatale ou jeune fille perdue...Sauvée par la bienveillance d'un homme protecteur. Les interprétations de cette pièce sont multiples et l'on retiendra cette danse de couple ou d'individu: une raison de danser au delà des mots, de la mémoire en proposant des tableaux, saynètes courtes et opérantes. En entremets un court métrage désopilant où Nazareth Panadero balaye et chasse la poussière en contre plongée dans un espace d'escalator alors que son partenaire Michael Strecker semble évacué de la scène! Que cherchent-ils à effacer ces deux là de leur passé commun de corps dansant à Wuppertal?...


La seconde pièce "Manana temprano" s'inscrit dans une véritable révélation d'une signature chorégraphique qui s'éloigne des poses et autre registre à la Pina. Un couple, des portes qui s'ouvrent et se ferment en vidéo et dans leur espace sentimental. Duel ou duo, danse touchante, fluide où les corps s'accueillent ou se repoussent avec tendresse et dévotion. La femme est forte et rude, le visage marqué par des traits volontaires et mûrs. Lui est partenaire de danse auprès de cette bien-aimée avec laquelle il semble fuir le passé, ouvrir d'autres portes vers d'autres accès de partage. C'est beau et remuant, touchant, rude et passionné.Vivre à tout prix ! Et laisser vivre....

Au Théâtre du Hangar les 24 et 25 JUIN


 

Au 43 ème Festival Montpellier Danse : Nadia Beugré, Sharon Eyal, Mathilde Monnier: les femmes artistes sont dangereuses...

 Trois spectacles, trois créations, trois autrices, chorégraphes tiennent le haut du pavé dans la cité-agora de la Danse et développent avec bonheur leur univers, leurs recherches, le fruit non "défendu" de leurs rencontres...


Transes en danse: la case aux folles

 C'est avec "Prophétiques (on est déjà né.es) que Nadia Beugré aborde de toute sa peau la question des transgenres dans son pays d'origine, la Côte d'Ivoire. Sa fréquentation assidue des membres de cette communauté répudiée, rejetée la mène à imaginer un opus riche et généreux, pétri de l'énergie débordante de ses interprètes, toutes issues du milieu. Elles nous attendent déjà sur la scène du Théâtre de la Vignette", joyeuses, radieuses, pétillantes, malicieuses, espiègles. Affirmant avec leurs corps costumés, bigarrés, leurs identités singulières, uniques et respectables. C'est là tout le travail de considération, de respect de la chorégraphe qui se déroule sur un rythme délirant, fait de gestes de voguing, de coupé-décalé revisité. L'ambiance est sauvage, alerte, fumeuse, et tonitruante. Le cabaret n'est pas loin, les divas se profilent à l'envi, les gestes sont décalés, drôles sans agressivité ni vulgarité.Un endroit, la scène, tout trouvé pour exprimer une exubérance, une tonicité hors norme, jouissive et façonnée d'une certaine révolte. Un lieu pour exister aux regards des autres qui auraient encore des préjugés sur ces personnalités "ambiguës", extra-ordinaires qui hantent aussi les fantasmes de plus d'un simple citoyen. Et Nadia Beugré de recevoir le prix "nouveau talent chorégraphique" de la SACD....


Trouver sa place aussi hors du territoire ordinaire de ces femmes laborieuses le jour, qui se cachent et se réunissent la nuit pour exprimer toute leur richesse, leur talent d'artiste, d'être humain. Nadia Beugré livre ici un manifeste riche et généreux où la danse, le mouvement incessant, les cris et rires, les éclats de voix fusent et ravissent.Acrobaties, roulades, élucubrations "en tout genre", fantasques et débridées. Elles se maquillent, transforment leur aspect devant nous.A vue, s'adressent au public, solidaires. Le décor est cocasse, inédit: de longs tissus suspendus en drapeaux, des chaises volantes...De la couleur pour ces complicités partagées, ses aveux, ses confessions corporelles et verbales singulières.Rudesse et douceur au diapason, humour et distanciation comme règle de jeu. Avec bonhommie. Et l'empathie de naitre avec ces femmes , chevelure en extension, volante, tourbillonnante. Des fils d'Ariane les reliant, toile, lien tissé dans une tension fulgurante et contagieuse. Tout n'est pas "rose" pour ces interprètes plus que sincères et authentiques, ici au service d'une "prophétie" digne du plus bel évangélisme...

Au Théâtre de la Vignette les 21 et 22 JUIN 

 


"Into the hairy" de Sharon Eyal et Gai Behar (L-E-V )

Le clair obscur leur va si bien..

Que se cache-t-il "derrière la chevelure" si ce n'est l'indistinct d'une ambiance nocturne dédiée à une sorte de danse macabre, une frise frontale tout en lenteur qui se meut face au public. Imperceptibles micro-mouvements secs, ondulatoires, frémissants. Petite et légère tectonique qui avance, progresse dans un dessin de fresque archaïque modulée par la musique dévastatrice signée Koreless. Des lignes indistinctes se profilent dans une grisaille lumineuse, noir scintillant; d'imperceptibles déplacements strictes et méticuleux animent une danse étonnante.


La musique au poing, en boucle incessante, aux décibels sans concession pour notre ouïe anime l'impression de stupeur et d'hypnose. Le noir en dentelles des costumes leur va si bien que l'ambiance se déchaine et les maillons de cette esquisse se fondent au noir comme au cinéma.

A l'Opéra Comédie les 24 et 25 JUIN 




"Black Lights" de Mathilde Monnier

Toujours là où l'on ne l'attend pas, pionnière et audacieuse chorégraphe du lien, de la rencontre, Mathilde Monnier s'empare à bras le corps de huit textes d'autrices, extraits de la série H 24. Textes choisis pour leur correspondance et pertinence de mise en relation possible avec le corps.Textes troublants à propos des violences faites aux femmes, textes où la danse prend le relais des mots pour une mise en jeu, en espace, singulière et authentique.Histoires de corps uniques dont chacune des interprètes s'empare et se fait sienne avec sa singularité. Autant d'attitudes, de postures au départ qui évoquent l'iconographie mercantile des profils physiques et canoniques des femmes : corps allongés, jambes ouvertes, baillantes évocations de la soumission sexuelle...Chacune pour soi dans un solo, un monologue vibrant toujours en symbiose avec le groupe qui fait corps et choeur antique. Partage et complicités en adresse directe avec le public qui écoute autant qu'il regarde les évolutions de chacune. Une "friction" avec le monde, des corps écarquillés, trompées, bafoués, auscultés à la loupe comme une consultation médicale gynécologique. Ignorant les sources profondes de la souffrance du féminicide...Chaque récit de corps est bordé d'un texte qui s'immisce, s'infiltre dans les chairs et fait rebondir la danse en ricochet. Corps passeurs, imprégnés de paroles qui sourdent des lèvres autant que des pores de la peau. Chacune se raconte, les mots suivent ou précèdent les gestes, animés de façon singulière. Fédérées par la patte, la griffe de Mathilde Monnier, les chanteuses, danseuses, comédiennes jouent et gagnent en crédibilité, pleine d'humour ou de rage, de distanciation ou possession de leur rôle.


Les lumières sur le plateau jonché de sculptures comme des scories, des moraines de lave fumantes impactent l'atmosphère parfois tragique . Les destinées se croisent dans l'espace, se répondent ou s'isolent, en marche toujours, démarche chère à la chorégraphe qui "avance" toujours de front. En bonne compagnie quant à la lumière, musique, scénographie: Annie Tollerer, Olivier Renouf, Eric Wurtz....Colère, révolte: plutôt soulèvement à la Didi Huberman...Des lumières noires porteuses d'espoir, de lutte et de dénonciation par le truchement du geste qui touche et fait mouche. Un "outre-noir" scintillant d'intelligence. Mathilde Monnier au plus juste de la transmission au public de ses préoccupations politiques au coeur du Théâtre de l'Agora qui une fois de plus porte si bien son nom.

Au Théâtre de l'Agora les 22 et 23 JUIN