mercredi 28 juin 2023

"Rive" de Dalila Belaza: un héritage communautaire transcendé. Le terrain est labouré...


 Dans le cadre du 43 ème Festival Montpellier Danse nous voici conviés à une manifestation singulière sur la mémoire collective de la danse traditionnelle: la bourrée: celle qui fit et fait encore les beaux jours des manifestations collectives folkloriques de d'Auvergne entre autre.Dalila Belaza cherche ici non pas à reconstituer ces danses traditionnelles mais à faire exister le geste au présent, qu'il soit traversé par un ailleurs, un inconscient, par des mémoires. La bourrée c'est d'abord un son de percussions que l'on entend au tout début de la pièce Martellements lointains, percussions qui évoquent de multiples cultures dont la sienne. Dix danseurs se taillent cette tache magnétique de faire vivre balancements, oscillations des corps de façon frontale alors qu'en prologue la chorégraphe dans une raie de lumière apparait comme signatures de volutes et autres tourbillons . Le développement confirme cette unité de corps, cette unisson joyeuse et ludique, stricte construction fertile en petits changements discrets. D'une ombre dansante on dérive vers la communauté active, soudée, en liens les une avec les autres. En noir d'abord les mains comme en figure de qu qong, berceau d'énergie salvatrice. Puis les bras se délivrent, deviennent axe de rotation, balanciers de derviches tourneurs. Tours giratoires à l'appui , portés hallucinants par le centre de gravité de chacun. Gravitations et rectitude, danse collective aux accents singuliers. Quand se forme et s'ouvre un demi cercle magnétique qui invite au regard en miroir, au partage. La musique entêtante affirme ce désir d'hypnose, cette rébellion aussi envers la tradition pure et dure. Au final Dalila Belaza traverse à nouveau la scène dans un rayon de lumière rasante: c'est comme un épilogue, une fin de partie: le bal est terminé, le terrain labouré par les pas scandés d'unemémoire transfigurée.

Au Théâtre de la Vignette les 26 et 27 JUIN

Boris Charmatz, Dimitri Chamblas au 43 ème Festival Montellier Danse: reprises, complicités, retrouvailles. Des as du collectif autant que de l'intime.

 Quand ces deux trublions de "la nouvelle danse française" se retrouvent c'est tout un pan de l'histoire de Terpsichore qui s'ouvre pour surtout ne jamais se refermer... Compagnons de fortune lors de leurs premiers ébats chorégraphiques visibles ("à bras le corps") entre autre, les voici voisins autant que créateurs autonomes à part entière: ce qui les relie: le sens du collectif, la fédération des énergies, le "hors sol" des lieux de monstration: du Corum à la place publique, de la cour au jardin, ils se baladent dans la cité avec ce droit inaliénable...de cité .


"Slow Show": murmuration horsles murs.

Adhérent au plus juste à l'esprit du festival, voici Dimitri Chamblas aux rênes d'une expérience de terrain réunissant des danseurs amateurs de tous horizons et surtout dans notre cas précis, de Montpellier: 57 performeurs, amateurs et volontaires ont travaillé et expérimenté ensemble états de corps, rythmes d'après les principes de transe, d'exultation, de lenteur, d'infra-mince et de télépathie. De quoi nourrir une performance publique in fine, in situ: "Slow Show" tout d'abord sur le parvis du Musée Fabre le matin du 24 JUIN à 11H. Rendez-vous entre le public curieux et averti ou le passant de fortune...Les performeurs déboulent , frontal attroupement sorti du Musée pour s'éparpiller sur le parvis Buren, autant que sur la pelouse.Envolée d'oiseaux qui atterrissent, "murmuration" collective impressionnante. Dans le silence d'abord, chacun campe une attitude en pose, comme une sculpture en ronde bosse, dont on pourrait faire le tour. Peu à peu tout s'anime de façon "microscopique" infime petit bougé à la Nikolais, partition très personnelle de leur rêve, désir de mouvement. Le regard balaye cette collectivité bruissante ou se focalise sur l'un ou l'autre des participants. Emouvant au sens de l'e-motion qui remue et interroge corps et pensée en mouvement. Chacun vêtu à sa façon pour l'occasion. Personne en avant ni au fond "de la classe"...Durant une petite demi-heure le plateau en plein air résonne de la musique de Eddie Ruuscha, récollecteur de sons et bruits de la cité: vagues sonores faites de samples, d'électronique live et de sons réels. Des espaces communs à tous où la danse fait événement, performance unique et singulière où la plate forme s'anime doucement des changements imperceptibles des formes corporelles. 


La lenteur s'opposant à la fébrilité de la ville, des courses contre la montre et autre tumultes quotidiens.Les poses hiératiques venues des muscles profonds en autant de micro mouvements subtiles Des mimiques parfois comme des figures de chimères perturbent calme et sérénité. Sur cet echiquier vivant personne ne perd ni ne gagne si ce n'est qu'à vivre intensément l'instant présent. Du bel ouvragz collectif, sincère, à la mesure de chacun, trouvant son chemin corporel pour irriguer ce paysage urbain sonore, puzzel débridé, jeu de gestes, de concentration. Rien ne les perturbe, ces "amatore" en toute légitimité citoyenne d'action, d'écoute: une valorisation de cet engagement que de se confronter au public..En live, en direct et sans filet... L'autre"version" à 17H le même jour dans la cour de l'Agora révèlait une autre perspective en carré balade possible sous les arcades pour apprécier lenteur et autres points de vues sur les différentes attitudes et posture en mutation constante. On découvre celui ou celle que l'on avait pu remarquer tant la force et la multiplicité des propositions brouillait les pistes!


"10 000 gestes" de Boris Charmatz 

Bien plus de 1001 voici un dénombrement hallucinant de facture de gestes interprétés par des danseurs, ici au sein du Corum sur l'immense plateau nu. Performance "reprise" à chaque fois différemment selon les étapes et depuis la genèse de ce gigantesque projet international. Et Boris Charmatz de réinventer la "notion de reprise"pas à l'identique mais respectant l'esprit de cette performance au plus près. C'est une danseuse projetée sur le plateau qui inaugure l'événement: multi-gestuelle fébrile, rapide, désordonnée, fractionnée. Rapidement rejointe par ses pairs, d'autres interprètes qui plus d'une heure durant sont lancés comme des salves sur la scène.Chaos très organisé et très écrit, respectant les espaces d'évolution de chacun.C'est comme un tableau constitué de 1001images qui font sens et formes lorsque l'on s'en éloigne: puzzle rétinien inouï, illusion, kaléidoscope scintillant, versatile...


C'est le requiem de Mozart qui enveloppe le tout et fait de ce nuage de papillons, des trajets éphémères, volages, volatiles à l'envi. Comme des catapultes, des flocons de neige qui se fracassent sur le pare-brise ou un nuage de coléoptères voyageurs. Autant de cigales et de fourmis pour étayer cette fable dansée, cette cour des miracles, ce tableau de Jerome Bosch, enfer ou paradis perdu, jardin des délices aussi. Les portes de l'enfer de Rodin pourraient ainsi s'animer et donner lieu à un sabbat salvateur, libérateur d'énergie. Energie folle, sauvage, halletante, enivrante, possession des corps qui se jetent sur le public dans les rangées bien sages, perturbées par cris et gestuelle endiablée. De l'audace pour "etonner" décaler le plaisir du spectateur interrogé sur sa propre attitude de réception de la danse. Hors sol, hors norme, énorme spectacle qui couronne cette assemblée de zombies dans une monstration hors formol du musée de la danse...Une collection jamais achevée de gestes uniques sur une partition classique et solenelle: Mozart au firmament de sa folie créatrice, Mozart dansant sur les tombeaux d'un cimetière joyeux et révolté en état de siège. Exubérant en diable..

Au Corum le 24 JUIN

Nazareth Panadero and Co, Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou au 43 ème festival Montpellier Danse : des catapultes chorégraphiques inédites.

 Les créations sont toujours surprises, fruit de démarches, recherche, alors ces deux dernières donnent le "la" sans bémol ni dièse et les bécards ne s'y trompent pas qui passent aux oubliettes.


Un bassin de réception inédit

"Montréal-Marrakech" de Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou fait partie de ces paris qui entrelacent question sociétales, esthétiques et géopolitiques. Deux continents se rapprochent grâce à l'art chorégraphique qui fait se rencontrer quatre interprètes venus du Québec, du Maroc: choix de danseurs préoccupés par ces questions de métissages, de différences ou d'osmose de culture qui s'entrechoquent ou s'allient. La question du "bassin" en est au centre, cet endroit du corps qui oscille, bascule, s'arrondit, se love à l'envi selon les cultures, les traditions. Bassin méditerranéen des corps du Sud? Pas de caricature ni de clichés, mais une réflexion de la part de tous, chorégraphes et danseurs. Au "sud" le bassin dansant, au nord, le bassin comme habitacle des énergies comme lieu de réceptivité des méridiens, de la kinésiologie. Danses lascives liées à la séduction, ou danse traditionnelle liée à la mobilité culturelle et acquise à une éducation...


Reste que le thème est sous-jacent et la lecture de la pièce dansée sur ce tapis blanc, demeure quartier libre.Mouvements de marche arrière récurrents, très ondoyants, duos, retrouvailles, diagonales dans l'espace investi. Couleurs ou rigueur des costumes, sauts exténuants au final du danseur marocain, un prodige d'énergie partagée entre les quatre interprètes. Quatre rencontres d'espaces sensibles, de "techniques" vivantes et habitées qui s'échangent, se métissent, s'entrelacent ou divergent. Jamais figées, poreuses, perméables à l'écoute de l'autre. Lenteur et fluidité font contraste avec la vivacité d'une danse déroutante, oscillante, en équilibre-déséquilibre naturel.Le tandem- binôme, duo de chorégraphe opère et libère les corps de toute empreinte culturelle superflue pour rentrer dans le vif du sujet: la confrontation des corps-continents pour un nouveau territoire de la danse: un bassin de réception géologique qui recueille la transformation et l'érosion du temps. Là où les eaux se rassemblent pour irriguer de concert en confluence le paysage naturel ou cultivé !

Au Studio Bagouet les LES 23 24 25 JUIN 


"Vive y deja vivir" : une soirée imaginée par Adolphe Binder, Nazareth Panadero, Michael Strecker et Meritxell Aumedes

Deux pièces, "Two Die For" et "Manana Temprano" font se rejoindre sur le plateau deux artistes uniques, portés par leur long compagnonnage auprès de Pina Bausch. Ils émergent en tant qu'interprètes comme deux personnalités fortes, imprégnées de leurs expériences respectives et partagées. 


La première laisse filtrer toutes les empreintes de leur vécu de danseur et façonne une sorte de récit débridé absurde. Collages, cadavres exquis chorégraphiques, évocation plasticiennes d'un Joseph Beuys : une chaise où s'empilent couvertures de feutre pour protéger une héroïne fragile, femme fatale ou jeune fille perdue...Sauvée par la bienveillance d'un homme protecteur. Les interprétations de cette pièce sont multiples et l'on retiendra cette danse de couple ou d'individu: une raison de danser au delà des mots, de la mémoire en proposant des tableaux, saynètes courtes et opérantes. En entremets un court métrage désopilant où Nazareth Panadero balaye et chasse la poussière en contre plongée dans un espace d'escalator alors que son partenaire Michael Strecker semble évacué de la scène! Que cherchent-ils à effacer ces deux là de leur passé commun de corps dansant à Wuppertal?...


La seconde pièce "Manana temprano" s'inscrit dans une véritable révélation d'une signature chorégraphique qui s'éloigne des poses et autre registre à la Pina. Un couple, des portes qui s'ouvrent et se ferment en vidéo et dans leur espace sentimental. Duel ou duo, danse touchante, fluide où les corps s'accueillent ou se repoussent avec tendresse et dévotion. La femme est forte et rude, le visage marqué par des traits volontaires et mûrs. Lui est partenaire de danse auprès de cette bien-aimée avec laquelle il semble fuir le passé, ouvrir d'autres portes vers d'autres accès de partage. C'est beau et remuant, touchant, rude et passionné.Vivre à tout prix ! Et laisser vivre....

Au Théâtre du Hangar les 24 et 25 JUIN