jeudi 23 novembre 2023

"En attendant Théo : ich wart uf de Theo". Théo-phile, j'aime...Freyburger touche et bouleverse en Seppi le magnifique.

 

"Mais quand dans la vie on veut faire deux fois la même chose ça ne marche jamais."


« Des fois il arrive Théo et demande, avant même de dire salut « T’as lu mon sms ? ». « Non, tu crois que je vais mettre mes lunettes toutes les cinq minutes pour voir si tu m’as envoyé un sms. Pas la peine de perdre du temps pour m’écrire un sms que tu arrives. Tu viens et fini. » Et tout ça je lui dis en français. Alors il me dit que mon téléphone fait brrr quand il m’envoie un sms. Alors je lui dis : « Mais tu sais donc que ma machine dans l’oreille se dérègle toujours. Tu viens et fini. »

 


Assis sur le banc devant le Sup’rU, le vieux Sepp remonte le fil de son passé : sa jeunesse avec son meilleur ami tombé en Algérie, la rencontre avec son épouse décédée il y a bien longtemps, l’enfance de son neveu qu’il aimait comme un fils et le fit se lancer dans une rocambolesque tentative de séduction via un site de rencontre… Du comique au tragique, dans cet entre-deux qui caractérise la joyeuse écriture de l’auteur, il égrène ses souvenirs en attendant Théo, son petit neveu, le seul être cher que la vie lui a laissé.


Et c'est très touchant d'emblée: un personnage se profile dans la pénombre, à peine visible: seule sa voix nous indique son existence . Le texte se fait monologue confidentiel et nous voilà embarqués dans l'histoire d'une grande solitude faite de souvenirs, d'attente, de patience. Crédule à souhait notre bonhomme, ce "ravi de la crèche" à qui l'on fait croire que l'on viendra alors que le suspens est vite dévoilé. Théo sera l'Arlésienne, figure onirique, spectre qui hante notre anti héros et qui le gruge de sms prometteurs: "j'arrive": ce qui signifie souvent que l'on s'en va ...pour revenir. Mais ce soir "j 'attends Madeleine"...mais elle ne viendra pas. Prétexte alors aux souvenirs, aux salutations auprès d'un voisin, d'une voisine dont on finira par connaitre la vie à travers la procuration de Seppi. "Sepp" pour qui préfère. Un bonhomme plein de gentillesse qui évolue sur le parking du grand magasin avec une voix douce qui porte. Francis Freyburger plein de délicatesse, de tempérance, qui ne se fâche jamais et nous embarque en empathie avec son triste sort. Théo absent toujours de la scène. Alors que des paysages mentaux sont projetés sur une longue toile: torrents de rivière, forêts découpées de silhouettes très "Kirchner" signées du talentueux Chtistophe Werhung. Une idée de mise en espace virtuel du metteur en scène Olivier Chapelet doublé d'une scénographie sobre et bienvenue de Emmanuelle Bischoff. La musique d'Olivier Fuchs se fait paysage sonore et l'on quitte ce parking aux lampadaires jaunes pour décoller dans l'univers de Seppi avec grâce et volupté. Rien n'est triste ou sombre dans ce destin si bien mis en mots par Pierre Kretz, ici observateur et serviteur des petites gens sans dédain ni, condescendance. En langue alsacienne, c'est encore plus charmant et ravissant. Alors laissez vous "ravir" par ce personnage si commun, mais attachant. Venez au rendez-vous de Seppi: il vous attend, ne le décevez pas. Car poser un lapin à une proie si docile n'est pas civique ni civile.


 

Après les tribulations de Thérèse, la beesi Frau de la saison dernière, Pierre Kretz, Olivier Chapelet et Francis Freyburger tirent le portrait d’un autre villageois. Autre destinée silencieuse ravivant ses zones grises et ses myriades de couleurs sous le pinceau complice de l’artiste Christophe Wehrung qui peint les paysages d’une existence simple, car la vie ordinaire c’est ce qui reste quand tout fout le camp.

Au TAPS Scala jusqu'au 25 Novembre 

 

"Les danses du SIDA". Les années sida, inscrites dans les coeurs et dans les corps: crime et chatiment....

 


15h - Matthieu Doze (Paris), Laurent Sebillotte (CND Pantin), Guillaume Sintès
(Université de Strasbourg)
Table ronde « Les danses du sida », à partir de Good Boy (A. Buffard, 1998)



Force est de constater que le sang est, à quelques rares exceptions, absent de la scène
chorégraphique. S’il n’est pas visible, il est pourtant là. Irriguant le corps des danseuses et
danseurs bien sûr, mais aussi dans l’évocation, plus ou moins frontale, plus ou moins
métaphorique, de la maladie, et plus particulièrement du sida dont l’épidémie a largement
décimé les communautés en danse. À partir du solo d’Alain Buffard, Good Boy, cette table-
ronde sera l’occasion d’aborder ce que le sida a fait à la danse


Salle comble pour cette table ronde car "danser=vivre" affiche l'exposition du MAMCS sur les années SIDA. Les trois protagonistes de cette étape du colloque: Matthieu Doze, danseur, compagnon de route d'Alain Buffard: passeur du "rôle" du chorégraphe dans son solo "Good Boy": passeur singulier car assistant durant 15 ans à l'évolution de cet pièce emblématique et "héritier" sans aucune consigne de cet opus Comment dès lors construire ce personnage à travers sensations et substrat de mémoire visuelle et d'empathie corporelle avec cette performance? Le corps "manifeste"d'Alain Buffard, préservé, maintenu par les thérapies de l"époque sera-t-il capable de danser malade parmi des objets métaphoriques: cube de boites de médicaments, néons et autres détails renvoyant aux arts plastiques (Neuman, Acconci, André, Flavien..) qui nourrissaient l'esthétique et la pensée du danseur..) Matthieu Doze livre ici un témoignage inédit)et passionnant sur ce binôme penché sur ce "deux ou trois choses que je sais de moi". L'intention qui met le corps en mouvement en est le moteur pour s'inventer une histoire, fabriquer le substart pour donner de la matière au solo. La cruauté de la tragédie de l'épidémie a-t-elle eu des "effets secondaires" comme les thérapies sur les corps des danseurs, mourants ou en rémission.. C'est la notion des plis des origamis qui fut l'étincelle de cette reprise de rôle. Expérience singulière en matière de passation, de répertoire pour une danse qui commence à s'archiver. Pour revenir aux oeuvres ayant trait au SIDA ce sont plutôt des hommages faits aux disparus: le "Presbytère " de Béjart en mémoire à Georges Don, le solo de Raimund Hoghe "si je meurs laissez le balcon ouvert" Deuil, séparation, perte des êtres chers. Le vivant triomphe cependant dans ces évocations. "Clins de lune" de Kéléménis en hommage à Bagouet. Mark Tompkins avec "Witness"en hommage à Harry Sheppard..."Tu ne m'as pas attendu" clame le chorégraphe malade à son ami décédé. Et le "Tombeau" de Santiago Sempere en 1997, requiem pour les morts.  Thierry Smit avec son "Eros Délétère" pour ne citer que ceux-là...Trop explicite, trop réaliste ou insupportable tableau de la drague queer pour l'époque. Ici on appuie sur l'image de la danse et culture gay avec insistance. Défiance envers la compassion ou la prise d'otage qu'engendre le spectacle du désarroi de toute une génération . Et Régis Cuvier, celui qui, bouffon et performeur affiche une joie de vivre jusqu'à la chute fatale: "t'es mort ou pas cap' ". Sans compter sur Lloyd Newson et son "John", un récit poignant sur la communauté gay. Et " Dead  dreams of monochrome men", Strang Fish" de renforcer la dimension hors norme du chorégraphe maudit.


https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/06/18/danse-strange-fish-par-dv8-physical-theater-drole-d-oiseau-drole-de-poisson_3904771_1819218.html

Autre cheminement: celui de Thomas Lebrun qui évoque trente ans de vie avec le spectre du SIDA dans "Trois décennies d'amour cerné". Rester dans la solitude in fine ou dans le déni comme Noureev ou s'afficher comme Steven Cohen dans des solos extravagants de sexualité ..26 juin 2017Put Your Heart… est un rite funéraire pour lequel Steven Cohen a tenu à peser le poids exact d'Elu à sa mort – 52,6 kg -, une cérémonie inouïe ...en ritualisant le fait de manger sous nos yeux une cuillère des cendres d’Elu, afin que la vie de Steven Cohen « ingère »cette disparition.

.Et la solidarité dans tout cela: celle de Sida Solidarité Spectacle en partage, soutien, accompagnement aux malades à l'époque. C'est aussi Bagouet qui est évoqué, lui qui ne confia jamais son état et continua à danser même "Jours étranges" en remplacement d'un disparu Bernard Glandier.. Plus proche Preljocaj dans son "Casanova" évoque la transmission de la maladie. Tous ces "Survivants"nous prouvent bien que "the show must go on"et que l'intimité de l'autruche n'a pas opéré.

Jeudi 22 Novembre MAMCS dans le cadre du colloque "Quand l'oeuvre saigne-usages et puissance du sang dans les arts visuels du XX ème et XXI ème siècle" ACCRA Strasbourg

https://toutelaculture.com/spectacles/danse/le-corps-de-la-danse-affecte-par-le-sida/

https://www.cnd.fr/fr/file/file/2303/inline/mayen_gerard_2013.pdf

 


"Geh nicht in den Wald, im Wald ist der Wald" Tabea Martin: interdit d'interdire les jeux interdits!


 La déception d’être mis·e au ban. De se voir refuser le bonheur de faire partie d’un groupe. Après Forever en 2021, Tabea Martin aborde une nouvelle fois un phénomène qui traverse nos sociétés et touchera chacun·e, à un moment ou à un autre de son existence. Avec Geh nicht in den Wald, im Wald ist der Wald, ce sont cette fois les mécanismes de l’exclusion qu’interroge la chorégraphe suisse. Comment naissent les discriminations ? Comment s’expriment-elles au quotidien ? Comment en parle-t-on ? Autant de questions à la fois intimes et politiques qui s’entrecroisent dans une joyeuse mise en jeu des langues et des corps sur le plateau. Pour le jeune public et les adultes qui l’accompagnent, quatre danseurs et danseuses explorent les structures mentales qui produisent les hiérarchisations selon l’origine sociale et la couleur de peau. En dialogue avec le musicien Donath Weyeneth, la danse se saisit ici d’un thème essentiel dans une puissante théâtralité visuelle et sonore.


 Ils sont trois pour un prologue drôlatique en diable qui donne le ton de la représentation: il est interdit de...faire plein de choses! Trois escogriffes pour haranguer le public et leur annoncer la couleur: un show chatoyant et ludique aux fondements très sérieux. Un tableau noir pour nous annoncer le menu des séquences: dans la forêt au départ où se cachent quatre personnages incongrus, versatiles qui se transforment au gré des costumes ou uniformes. Une danse de créatures pérruquées de longs cheveux noirs, un quatuor de danseurs qui se lovent dans un contact savoureux...Tout se bouscule ici pour évoquer la singularité, la différence, l'altérité. 


Et ça jacasse, ça bavarde, ça s'accuse de tous les maux en désignant le fautif, le coupable: la bête noire ou la brebis galeuses. Jeux d'enfants ou d'adultes sous-jacents...Tambour battant, la petite communauté se soude et combat à coup de slogan la bêtise du monde des grands. Tous ensembles contre tous. Le décor est mobile pour accueillir et suivre les ébats de cette tribu sans genre.Des cabines de bain ou des isoloirs comme niche contre hashtag et ses méfaits. On fait la nique aux réseaux sociaux avec bonheur et humour.Et les baldaquins de devenir des derviches tourneurs lumineux, de se mouvoir au son d'un ukulélé en bidon d'huile de récupération. Noel est pailleté et rutilant au delà de toute religion ou dogme.L'enthousiasme dont font preuve les cinq artiste est contagieux et salvateur. Ca va dans tous les sens et le tableau noir qui affiche les thématiques se remplit de couches de craie comme un palimpseste vivant de nos pensées, de nos actes. Dans cette grande cour de récréation, le mot d'ordre est à la désobéissance et au désordre dans la reconnaissance et le respect de l'autre. Le message est passé pour ce jeune public dont le yeux se régalent à la vue de bâtons de barbe à papa, transformés ici en autant d'objets de désir, de contact. De toute les matières, c'est la ouate qu'ils préfèrent: pas de coups bas mais une joyeuse mêlée fraternelle, sororale qui enchante et met de bonne humeur. Ce "théâtre physique circassien" plus que "danse chorégraphiée" fait mouche et touche. Tabea Martin comme manipulatrice habile politicienne des questions sociologiques de fond: l'exclusion en figure de proue et comment s'en sortir indemne avec les autres. Bienveillance j'écris ton nom !



 

Au Maillon jusqu'au 25 NOVEMBRE