mardi 5 décembre 2023

Chopinot au "TOP" ! Et pas "KOK" ! Inusable, inoxydable prestidigitatrice...Traversées gymnopédiques et autres morceaux en forme de poire.

 


Régine Chopinot France 7 danseurs + 2 musiciens création 2021

“top”

Pionnière dans les années 80, la chorégraphe Régine Chopinot déclare en exergue de sa dernière création : « top est tout sauf mou, top dépote, fait du bruit et n’a pas froid aux yeux ». Au-delà de cette énergie déclarée, « top » est aussi une pièce de tribu, une mise au plateau d’une jeunesse turbulente, avide de sens et de conscientisation sur fond de percussions et de riffs de guitare. Sept jeunes danseurs et danseuses et deux musiciens nous entrainent dans une course folle, où la singularité de chacun, l’esprit de groupe, les regards et les envolées chorégraphiques se succèdent naturellement. Sculptures éphémères et paysages mouvants se rencontrent et se dénouent. Le regard porté sur l’horizon, le groupe se forme, s’agglutine et se renforce jusqu’à l’épuisement. Virtuoses et libres, chacun des protagonistes participe à la partition généreuse de la chorégraphe. Danses folkloriques, jeux d’enfants, pyramides et pas de deux survoltés s’engagent sous les yeux d’un public complice. Le rythme est permanent, que ce soit celui des baguettes, des voix ou des mains. La scène devient contagieuse quand le rythme atteint les gradins. Fidèle à elle-même et en véritable passeuse d’énergie et d’histoires, Régine Chopinot signe ici une pièce vitale aux mouvements décalés, surprenants et nécessaires.Chopoinot au "Top" !


L'architecture de corps en attente dans des postures, attitudes, immobiles sur le plateau nu, interpelle déjà. Ils nous attendent, les artistes, le temps de s'installer dans la salle de spectacle. Tout se dénoue lentement et chaque caractère de se dévoiler doucement dans sa propre gestuelle: signature de chacun des danseurs, altérité de chaque stature, de chaque facture corporelle: chacun trouve sa trace kinésiologique et la danse s'empare du groupe hétérogène. Pour en distribuer des traversées gymnopédiques en diables, toutes de rythme, de cadence propre et différente pour créer une dynamique horizontale frontale. Comme un jeu vidéo peuplé de petites créatures mobiles défilant sur l'écran à tour de rôle ou à l'unisson. C'est drôle et réjouissant. Des bonds et des rebonds multiples, des dévoreurs d'espace que ces électrons libres livrés dans la lumière. A chacun sa griffe, sa signature dans des solos vibrants, magnétiques, agités de spasmes, tétaniques ou sautillant. Une envolée de mouette à l'envergure fantastique pour le corps d'un danseur dont les épaules se meuvent en ondes sismiques. Des courses à grande vitesse, en accélération. Toute une gamme de mouvements soliste ou d'ensemble pour cette meute lâchée, bruissante. Animale aussi à petits aboiements successifs, à saute frontières de genre. Une once de folklore, une pincée de zapateados pour engendrer une murmuration d'applaudissements du public comme une pluie battante rythmée, vécue en transports en commun! Le batteur et le guitariste répondant en osmose et symbiose à cette énergie compulsive corps et musique à capella, se renvoyant la balle ou se laissant l'espace et le silence pour former des tableaux vivants. Les portés font décoller les danseurs jusqu'alors plutôt dans la verticalité sans oser le sol. Portés plein d'humour et d’icônes animales jouissives.


Les images d'Epinal en poupe pour ces architectures en pyramides de corps assemblés comme un mikado géant. Et pour clore ce feu d'artifice joyeux, des courses folles sur le plateau et une dernière course-poursuite entre deux d'entre eux, sorte de comique de film muet qui s'accélère à l'envi. Régine Chopinot en pleine forme, décapante et inoxydable créatrice bondissante et joviales. Erik Satie en serait friand et épaté tant l'humour et la révolte cohabitent communément dans leur oeuvre respective..


Une partition chorégraphique où la clef de sol navigue sur une portée hors sol emplie de trouvailles et de gestes inouïs de chacun des protagoniste, unique en leur genre. Un peu de frise égyptienne, de folk, de gestes incongrus et volatiles. Du vent dans les voiles pour avancer porté par le souffle de la danse. Et la danse de se tricoter en points de chainette, en trame et chaine savantes dans des déplacements millimétrés, toniques aux directions variables comme la météo.Des costumes, de l’Écossaise en robe, au sultan en jupe vaste et virevoltante. Du training au short.Que Terpsichore en baskets nous offre encore de telles rencontres, de moments de partage, tel que cette assemblée de spectateurs montés danser sur le plateau en fin de parcours. Pole Sud, dance floor contemporain une fois de plus pour le bien être ensemble d'un public conquis et perméable à toute écriture dansante de notre temps. Une auréole de lumière pour border les visages en grappe et tout s'éteint.Régine sur le plateau au final pour remercier cette "compagnie" qui se retrouve au pied levé pour tester si ça "prend" encore, cette énergie partagée au profit du spectacle engagé. Révolution oblige pour ce trublion de la Danse, dans le vif du sujet. Et quand la "musique est bonne."......notre boxeuse de choc se joue des châteaux de cartes et des mikados pour déconstruire et bâtir des univers loufoques ou graves . En figure de proue d'une embarcation en cabotage. Pour un voyage en zig zag au pays de cocagne. Portrait de famille recomposée pour le meilleur de chacun de ses membres.

A  Pole Sud jusqu'au 6 Décembre

lundi 4 décembre 2023

Trisha Brown, Noé Soulier "In The Fall", "Working Title"et "For M. G:The Movie" par la Trisha Brown Dance Company : la révélation...United colors off Trisha...

 


La danse américaine a été marquée par la puissance et la créativité révolutionnaire de la danseuse et chorégraphe Trisha Brown. Six ans après le décès de celle-ci, ce programme concrétise une nouvelle étape dans la vie de la compagnie qui désormais invite d’autres chorégraphes à créer pour ses danseur·euses.


En bonne cum-panis...
 
Reflétant l’esprit d’innovation incessant de Trisha Brown, le programme fait dialoguer son style et son héritage à elle, avec une nouvelle génération d’artistes talentueux·ses et généreux·ses. La création est portée par des danseur·euses formé·es à l’école de cette grande dame de la danse : la fluidité extraordinaire et la gestuelle fine des artistes, empreinte de puissance et d’émotions retenues, révèlent une énergie intérieure insoupçonnée. Au dynamisme des circonvolutions répondent l’immobilité ou l’imprévisible asymétrie des compositions. Les forces fondamentales guident les corps et s’harmonisent, avec des transitions inorganiques, des décalages entre intention et geste... Les spectateur·rices sont transporté·es au cœur d’un propos à défendre : celui de l’héritage, des racines et des permanences du langage chorégraphique.

Que la filiation est opérante!Noé Soulier invité à chorégraphier pour la légendaire compagnie: gravité, pressions, force, poids, volume, espace: la patte de Trisha s'y retrouve magnifiquement portée par l'esprit de "compagnie", cum-panis, ce qui se partage, se rompt ensemble pour se l'approprier. Pas de formes ici géométriques ni de courbes ou lignes solides chères au "ballet" moderne. Mais plane le geste qui vient s'ajouter à un autre à la manière d'une sédimentation, comme un palimpseste, une "accumulation" magnétique des corps dans l'espace commun. Des verbes d'action pour genèse de cet ""In the fall": contraction, explosivité, contrainte des mouvements inorganiques contraires à la grande fluidité remarquée des gestes de Trisha Brown: relax, détente, enroulements et feinte nonchalance débridée, relâchée...Surprise donc que cette soirée où domine la couleur et son traitement ainsi que la création musicale appropriée à ces opus singuliers. Déjà ,dans la pièce de Noe Soulier, c'est aux couleurs fondamentales de réfléchir le monde chorégraphique. Palette franche et bigarrée qui se décline en couples, solo et pour octuor qui ne cesse de se détricoter. Couleurs des costumes signés Kay Voyce, de la musique de Florian Hecker toute imprégnée de dialogues, de questionnement sans nuance de célébration univoque d'un langage trop solitaire. Release, mouvement sur mouvement se retrouvent dans la pièce de Noé Soulier comme une invitation à dépasser la technique brownienne sans la renier. Les corps des danseurs pétris de cette approche vivante et unique  laisser la gravité agir sur le poids du corps sans cesse. Avec ses surprises, ses pieds flex, ses jambes qui indiquent instinctivement les changements de direction alors que le buste les précède ou les infirme. C'est de toute beauté et les e-motions surgissent sans abstraction notoire; le corps est présent et raconte sa musicalité pleine de couleurs du temps: une composition très picturale à la manière d'un Kandinsky ravi par le traité des couleurs de Goethe...Et des décompositions de mouvements à la Muybridge dans un halo de fumées à la Marey....Hommage à ce qui pourrait être un héritage d'écriture mais qui au contraire fait fructifier le mouvement de Trisha Brown: des traces, des traits dans l'espace qui se gravent et s'impriment comme ses gestes dessinés."Pour In the Fall, je n’ai pas copié un style propre à Trisha Brown, pas essayé de l’imiter mais plutôt de m’appuyer sur la relation du mouvement que j’essaie de développer et celle qu’elle a construite. J’ai dialogué avec sa grammaire pour la questionner et me questionner." Noé Soulier « L’héritage du travail de Trisha Brown ne se situe pas uniquement dans les pièces qu’elle nous a léguées, mais aussi dans l’intimité des corps des interprètes qui ont contribué à créer cette œuvre au fil des décennies. L’histoire de la danse n’est pas seulement celle des œuvres, mais peut-être avant tout, celle des manières de répéter, de s’échauffer, de se mouvoir : celle de relations uniques à son propre corps qu’inventent ensemble danseur·euses et chorégraphes. »
Noé Soulier

"Worging Title" succède à cette création, chorégraphie de 1985 reconstruite par Carolyn Lucas qui dirige la compagnie.La musique de Peter Zummo éclatante de diversités percussives et sonores tient aux corps des danseurs, tous costumés de couleurs pastels, tuniques et pantalons flottants. Pour mieux épouser une gestuelle angulaire, tectonique peu commune à Trisha que l'on connait mieux avec son velouté dynamique,énergique fluide et fuyant.i Un "Laterll pass" en devenir, architecture dansée à merveille dans un consensus de groupe soudé, interliguéré à souhait. Loin d'une relecture, une restauration, une reconstitution intelligente d'une pièce emblématique, "ancienne" du répertoire de la compagnie. Et quand loin d'un mausolée dressé en mémoire de, l'opus est vivant et en osmose, symbiose avec l'esprit d'aujourd'hui de la compagnie.

Il en va de surprise en surprise avec "For M.G.: The movie", une pièce de 1991: chorégraphie, costumes, lumières et décor de Trisha Brown! Seule la musique lui échappe, celle de Alvin Curran pleine de bruitages, d'évocation de sonorités du quotidien et autres aventures sonres au poing. Un espace musical pluriel qui contraste avec les costumes orangés, justaucorps traditionnels très cunninghamiens qui façonnent et délivrent les corps tels quels. Etrange composition stricte et pleine d'humour à la fois. où les corps composent des variations de déplacements, de directions de segments corporels étonnants, vecteur d'intentions, de décisions surprenantes dans l'espace. Une composition, écriture d'orfèvre de la chorégraphe pour souligner la virtuosité inhérante des interprètes galvanisés par ce vocabulaire pertinent et si efficace de Trisha Brown: chorégraphe "multiple", déroutante dont a su si bien parlé et contenir les paroles Lise Brunel dans son "Trisha Brown"...A relire absolument...à "Bâtons rompus".....

https://mediatheque.cnd.fr/spip.php?page=archives-sonores-de-Lise-Brunel-article&id_article=1277


A la Filature ven 01 décembre 20h00 

commande de la Trisha Brown Dance Company sur une proposition de La Filature, Scène nationale et du CCN · Ballet de l'Opéra national du Rhin

dimanche 3 décembre 2023

Une Exposition – activation d’œuvre- performance : Julia et Juliette s'en vont en bateau...et nous mettent en boite.

 


Pensée en lien étroit avec l’exposition Julia Armutt, Juliette Steiner propose une performance in situ au coeur de La Kunsthalle. Elle prend la forme d’une sélection de scènes du spectacle Une Exposition, choisie et adaptée pour l’occasion.
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Une Exposition
Sept personnes sont réunies dans une galerie d’art contemporain. Elles ont une semaine pour mettre au point la rétrospective du travail de Julia Armutt, plasticienne méconnue, mais femme d’un célèbre sculpteur. Toute sa vie, Julia a souffert de sa place de « femme de » et mourra sans avoir vu son travail reconnu par ses pairs.
Avant sa mort, elle a débuté sa dernière œuvre, qui prendra la forme du montage de son exposition posthume. C’est dans ce cadre que nos personnages sont réunis. Ils vont suivre une série de protocoles laissées par Julia afin de mettre en scène son travail. Au cours du montage de cette exposition, elles et ils nous livreront les différents visages de Julia, échangeront leurs souvenirs et parviendront peut-être à trouver l’apaisement face à sa disparition brutale.


"La femme en boite" c'est le centre d'une narration-scénario digne d'un feuilleton à épisode qui tient en haleine du début à la fin de l'unique et insolite performance de la compagnie Quai n° 7 à la Kuntshalle à Mulhouse ce soir là. Au coeur de l'exposition "Julia Armutt" dans le cadre de Regionale 24, sept comédiens et comédiennes vont jouer le prologue du vernissage et de la mise en place de la rétrospective d'une artiste "fictive", sorte de Lydia Jacob sortie tout droit de l'imagination de Raymond Waydelich...Tour à tour ils seront tous les personnages, basculant dans le leurre total pour le spectateur. Double fiction, dispersion et trouble pour mieux remuer le déni et le mensonge de l'auteur célèbre, peintre sans nom qui s'est servi joyeusement du talent de sa femme pour se mettre en avant en l'écartant durement du monde de l'art. Menée de main de maitre par Ruby Minard, la tribu toute en bleu de travail comme pour mettre la dernière main à l'exposition et son installation nous tient en captivité et nous captive dans des dialogues, vérités et formulations justes, judicieuses et opportunes. 

 

photo robert becker


Belle mise en bouche des textes qui touchent et font mouche, révèlent des caractères, des points de vue sur les critiques d'art, les amants, la fille et la mère de l'artiste absente. Seule témoin de cette agitation autour de cette "femme en boite", une oeuvre insolite qui tient du miracle plastique. Heureuse figure, empreinte d'un corps oublié, renié, écarté de la scène de l'art contemporain. Comptant pour rien, contente pour rien dans cette atmosphère de ligue, de relations suspectes et hypocrites. Du très beau travail d'embrouille, du suspens, du "polard" plein de rebondissements, de répliques fameuses pour dénoncer les rouages du mercantilismes, de la ségrégation masculine auprès des oeuvres de créatrices peintres-plasticiennes femmes. Qui pour beaucoup furent méconnues , repoussées, écartées du monde masculin de la création picturale. Une démarche insolite pour Juliette Steiner, commissaire au près de la directrice artistique de la Kunsthalle et complice avec ses coproducteurs, le TJP, la Filature. De quoi décaler, surprendre, dériver et concevoir en amont tout un processus de création inédit, original. Qui fera de cet opus OVNI un objet théâtral et plastique surprenant au cour de sa vie future: boite noire, white cube et autres lieux de monstration spectaculaire dont on se réjouit de découvrir les "endroits" où être en phase avec la création artistique d'aujourd'hui. Les interprètes au diapason de cette aventure à tiroir, mise en boite de Pandore de secrets de fabrication qui pose bien des questions et remue l'histoire de l'art et de sa divulgation. 

 

photo robert becker

Mise en scène Juliette Steiner
Textes à partir du plateau Olivier Sylvestre
Assistanat à la mise en scène Malu França
Création lumière Ondine Trager
Création son Ludmila Gander
Scénographie Violette Graveline
Costumes Pauline Kieffer 
Sculptures, masques et objets de manipulations
Juliette Steiner, Malu França et Violette Graveline
Stagiaires scénographie Prune Krotoff et Jeanne Berger

Avec Camille Falbriard, Ludmila Gander, Ruby Minard, Logan Person, Yanis Skouta, Naëma Tounsi, Ondine Trager

crédit photo: michel grasso

 A la Kunsthalle Mulhouse samedi 2 Décembre 18H dans le cadre de Regionale 24