lundi 19 février 2024

Ben Duke, Ballet Rambert: un cabaret inédit : de "Cerberus" à "Goat": un bestiaire fabuleux. Adopte un animal.....

 

DE NINA SIMONE À ORPHÉE ET EURYDICE, HOMMAGE AU JAZZ ET AUX MYTHES. MUSICIENS ET CHANTEURS REJOIGNENT LES SEIZE SUBLIMES DANSEURS DE LA CÉLÈBRE COMPAGNIE LONDONIENNE.

Formé en littérature et théâtre avant de créer la compagnie Lost Dog (Chien perdu), Ben Duke cultive un théâtre dansé au style inimitable, revisitant les classiques dans un esprit très british, où poésie et humour se complètent comme le yin et le yang. On retrouve avec bonheur l’excellent Goat, inspiré de Nina Simone et de sa relation si vivante au public, pour ensuite découvrir Cerberus, nouvelle collaboration entre Ben Duke et le Ballet Rambert, tragi-comédie inspirée des amants séparés par le Styx et de la bête gardienne du fleuve des ténèbres. Une descente aux enfers où on frémit, pleure et rit à volonté.

 Les animaux en majesté pour ce spectacle aux titres très "animaliers", figures et spectres ancestraux, sujets de mythologie, de légende pour une compagnie au titre éponyme. Ben Duke adopte et apprivoise la célèbre compagnie pour en faire une meute, une horde domestique peu traditionnelle, rompant avec des signatures classiques ou de caractère habituelles. Un cheptel rutilant: un chien bâtard, gardien et veilleur des enfers, une chèvre, bouc émissaire. Chasser les mauvaises ondes, s'écarter des tragiques destinées, en faire une fête, un appel d'air salutaire, se débarrasser des poncifs et se nourrir de la tradition du chant et de la voix. "Cerberus" démarre par une séquence troublante où une femme se débat avec un filon, un cordon ombilical empêchant ses mouvements, entravant une locomotion privée de liberté. Belle image troublante et iconique de la servitude.En laisse, capturée, prisonnière, la danseuse s"émancipe cependant en libérant ses liens à l'aide de ses pairs. Le groupe part à sa rescousse dans une danse libérée, tonique, virevoltante. Quelques clins d'oeil à Wim Vandekeybus ou Alvin Aley en filigrane. Les costumes en osmose, noir dominant. 

Quant à "Goat" on plonge dans un univers de music-hall, de cabaret, un Monsieur Loyal aux commandes, micro en main. Il sera le trublion de la soirée, inquisiteur, l'intrusif empêcheur de tourner en rond de cette petite communauté festive. Réunie autour d"une chanteuse sublime et d'un petit orchestre de poche étonnant. Estrade et rideaux de salle des fêtes de quartier pour décor désuet, désopilant. Le ton est donné et le show réussi. Tout s'agite au profit d'une danse fluide aérienne à peine teintée d'embuches. Un magistral solo masculin à l'appui détricote de l'endroit à l'envers les figures et envolées classiques. La voix légendaire de Nina Simone envoute, séduit et porte aux nues l'écriture sobre et tranquille de Ben Duke. Pour le Ballet Rambert, il fallait bien un processus entre tragédie et comédie humaine, légende et histoire vraie. En bonne "compagnie" assurément.

Au Théâtre de la Ville jusqu'au 20 Février

"Locomocion Templar el templete": Israel Galvan: matières à danser!


Une création mondiale par Israel Galván ! Sous empreinte d’architecture de la Renaissance, de Kafka et de Lorca, le génie du flamenco explore ses racines sévillanes, entre résonances et suspensions.

Le grand réformateur de la danse flamenca se réinvente, sous nos yeux ! Avec sa sensibilité aigüe, Israel Galván approfondit la sensation du templar, terme désignant un état de suspension qui précède le mouvement du danseur, le geste musical et la quiétude du toreador. Entouré de deux musiciens et d’une comédienne, le bailaor rentre dans les espaces entre les notes et entre les mots, en dialogue avec les airs traditionnels d’Andalousie. Après s’être imprégné de l’architecture du Tempietto de Bramante à Rome, il offre au Théâtre de la Ville la première mondiale d’une toute nouvelle mouture de son art ! Un bonheur à partager qui vaut bien qu’on remette à septembre son spectacle Seises, initialement prévu en février.

Il fait feu de tout bois, ce démiurge qui revisite a chaque fois les fondamentaux de la danse flamenca pour les porter aux nues. Les transformer, les métamorphoser comme une sorte de mue, de transe-formation toujours im-pertinente. Il apparait sur scène, altier, noble, puissant et s'empare d'un matelas pneumatique: en pantoufles. En opposition totale aux sons et bruits percutants des résonances terrestres du flamenco. Paradoxe qu'il soulève avec audace et quiétude, frappant sur ce sol mou et souple comme à l'habitude. Le résultant est probant: le rythme demeure, la grâce et l'habileté absorbent la matière, boivent les pas et trépas de cette danse, précise, régulière. Le rythme enfle, se déploie et ce sol docile se prête à ses moindres caprices. Son développé des bras toujours aérien, son profil jamais bas. Virtuose en diable blasphémateur. Avec lui, un percussionniste, un saxophoniste pour faire écho à ses frappés de velours, de soie, de respirations. Un rien le transforme; un petit châle rouge autour du cou, un béret de corrida, de toréador irrévérencieux et la chrysalide se fait papillon frémissant. Ses supports varient d'une estrade à l'autre; rond de bois, grille sur laquelle il rappe, frotte, griffe la matière pour obtenir des sons inédits bordant sa danse.  Le matelas devient harpe, un plumeau rose se fait Zizi Jeanmaire.En tunique noire et legging le voici prenant toutes sortes de matériaux comme prétexte à vibrations, pulsations. Une chaise se fait instrument de musique à chatouiller avec délice et humour. Des bottines noires et blanches pour gainer ses chevilles mobiles et futiles vecteurs de sa mouvance. Le regard lointain ou à terre. Une jeune fille frêle et fragile, Ilona Astoul l'accompagne dans ce périple périlleux, conteuse et comédienne aux collants roses: gracile compagne de scène, présente, forte et discrète à la fois face à cet animal humain, hybride entre faune et bête de scène valeureux.Un orchestre fertile en sonorités quasi klezmer, avec corne de brume et autres instruments à vent font corps et graphie sonore. Antonio Moreno et Juan Jimenez Alba aux commandes.Israel Galvan, électrique et magnétique espèce de créature charmante autant que démoniaqie pour cet opus intriguant surprenant. A chaque étape de ses recherches, le danseur incarne, vit et habite son patruimoine, ses racines et son vocabulaire réorganise, invente une syntaxe physiuque et corporelle hypnotisante. En décalage, en rebonds et autres surprises décoiffantes.Un quatuor hors norme, une création aux dimensions hypnotiques et suréelles de toute beauté.

Au Théâtre de la Ville-Abbesses jusqu'au 23 Février

mercredi 14 février 2024

"Simple" comme du Parolin.Ca frappe et ça pulse.La grande récré....


 

À partir d’un vocabulaire chorégraphique volontairement restreint, économe, Ayelen Parolin lance trois interprètes dans un étonnant jeu de rythme et de construction, à la fois répétitif et toujours mouvant, sans cesse redistribué, restructuré, ré-envisagé.Un jeu dont l’inachevé et le recommencement seraient les règles de base. Un jeu-labyrinthe.Un jeu musical… sans musique.Car dans SIMPLE, la chorégraphe s’est privée d’un de ses principaux partenaires de jeu. Et comme la musique n’est pas au rendez-vous, c’est aux corps qu’elle embarque sur scène de l’inventer, de l’imaginer, de la jouer. À la recherche d’une pulsation vitale. À trois, en complicité, en connivence. Avec la puissance et la sincérité profondément humaine de l’idiot, du naïf, de l’enfant – là où tout est (encore) possible, de l’insensé à l’onirique.

Comme un règlement de compte à Merce Cunningham, le trio affiche une danse très technique, pleine d'humour, de mimiques drolatiques, pleine de distanciation. Les couleurs du fond de scène, des justaucorps pourraient être de Rauschenberg, peu importe d'ailleurs, l'humour joue et gagne, les apparitions-disparitions se succèdent haut la main, le rythme est tenu alors que peu de matière est en jeu. C'est la magie des interprètes, excellents danseurs-comédiens dirigés par Ayelen Parolin qui fait le reste. L'un est effarouché, tremblant d'anxiété, l'autre sérieux et pince sans rire, le troisième est orgueilleux et cabotin. Trois caractères bien trempés. Des cavalcades chevaleresques comme leitmotiv, comme "dada" à chevaucher en canon, en décalé, à répétition.C'est un travail d'orfèvre qui se déroule à l'envi sans tambour ni trompette mais dans un ravissement-divertissement plein de musicalité, de percussions corporelles des pieds, entêtantes et redondantes, obsédantes. Un brin de trio classique comme s'il manquait une pièce au célèbre quatuor du Lac asséché, une citation musicale pour se familiariser avec ces Pieds Nickelés de la danse. Ils font des gaffes, se trompent ou simulent l'attente, l'erreur dans des poses ou changements de caps radicaux. De quoi bénéficier de tonalités, vibrations et mesures rythmiques, cadence et métronomie infernale. On y casse des planches fluo sur le dos de l'autre comme jeu de cette grande récré burlesque.Au final la batterie se fait jour de fête en orchestre de choc. Et le divertissement se termine sous les applaudissement du public, charmé par tant de drôlerie feinte, de "pince sans rire" que l'on aimerait serrer plus souvent.

A Pole Sud les 13 et 14 Février