jeudi 23 mai 2024

"Héraclès sur la tête" et aux pieds pour des travaux d'interet général

 

Anne Nguyen Cie par Terre France 4 interprètes création 2022

Héraclès sur la tête



Breakeuse virtuose, formée à la danse contemporaine et aux arts martiaux, Anne Nguyen fait rayonner, depuis 2005, l’esthétique et les valeurs du hip-hop. Son écriture, rigoureuse et maitrisée, est toujours associée à des sujets de société. Héraclès sur la tête remonte aux origines de la culture hip-hop. Sur une playlist de rap U.S. qui raconte la réalité, parfois brutale, de la jeunesse afro-américaine, de New-York à South Central en passant par Atlanta, Dallas, Houston ou Philadelphie, quatre danseurs, deux B-Boys et deux danseuses hip-hop, explorent les principes de la compétition, de la hiérarchie et de la méritocratie. De Gil Scott Heron, KRS-One et Public Enemy jusqu’au gangsta rap et au rap contemporain, la bande son nous plonge dans une vision du système décrit depuis là où il faut lutter pour survivre. Les danseurs, seuls ou en groupe, composent une narration sur les jeux stratégiques auxquels nous nous prêtons tous, mais dont nous subissons différemment les conséquences. Imprégné de la philosophie d’apaisement de la violence qui a vu naître la culture hip-hop, Héraclès sur la tête est un manifeste pour la paix, qui dénonce la corruption à toutes les échelles de la société, nous invite à prendre conscience de nos comportements et à questionner le sens de nos trajectoires individuelles et collectives.
 

L'énergie ne les quittera pas une heure durant même au bout des doigts, dans les moments d'immobilité feinte, les pauses exemplaires où le silence se fait et se fabrique en un temps de repos, de suspension du mouvement. Un solo démarre interprété par Konh-Ming Xiong, pétri de délicatesse, de petits phrasés brefs ou langoureux, sensuels, gracieux. Ondoyants et pourtant segmentés, structurés au cordeau. Les trois autres compères en tenue citadine, décontractée, sans entrave ni embuche se meuvent à l'envi dans une grammaire et syntaxe gestuelle en résonance, en canon. Chacun désigne quelque chose, menace le groupe à tour de rôle , prend le relais et navigue dans une mouvance syncopée. De la nonchalance aussi, extrême décontraction simulée qui fait mouche dans ce panel déployé de gestes, postures, attitudes très marquées par une esthétique de danse urbaine. Dans l'urgence de s'exprimer mais modulée par une pensée, réflexion qui semble sourdre des regards, des temps de suspension ou d'apnée visuelle. Des tableaux, visions et cadres très construits se donnent à voir le temps de signifier, de comprendre, de partager ce bonheur et cette intelligence de danser. 
 

Fraternelle pièce à conviction pour prouver s'il le fallait que le hip-hop est multiple, complexe, codé, intelligible. A décrypter comme autant de signatures et de corporéités individuelles. De quoi satisfaire les appétits d'identité, de singularité, de métissages. Les travaux de ses quatre interprètes comme des épreuves de force de qualité gestuelle, de contraste entre douceur et radicalité. Épopée des temps modernes, odyssée de l'espèce hip-hop sous toutes ses coutures et bien d'autre pas "prêt à porter". A la conquête de la singularité dans le groupe et de l'être ensemble tant revendiqué par notre société...dansante. Sur les pavés se joue tant de persévérance et d'espoir que seule la danse semble en possession de fédérer."Par terre", au sol ou sur la tête, qu'importe ! Anne Nguyen, assistée de Pascal Luce, une fois de plus propose un univers "déroutant" sur des chemins de traverse en bonne "compagnie": Janice Bieleu, Fabrice Mahicka, Clara Salge et déjà cité, Konh Ming Xiong.
 
A Pole Sud les 22 et 23 MAI

"Carmen.": "chanson" pour dragon: "point" barre... ou à la ligne....Et "tralala..."

 


Carmen.
, François Gremaud / 2b company

Après le succès de Phèdre ! et Giselle…, présenté en 2022 au Maillon, François Gremaud clôt avec Carmen. sa trilogie consacrée à trois figures tragiques de l’art dramatique. Après le théâtre et le ballet, l’opéra donc, et pas n’importe lequel : composé par Georges Bizet sur un livret inspirée d’une nouvelle de Prosper Mérimée, l’œuvre reste une des pièces lyriques les plus jouées à travers le monde depuis qu’elle fit scandale lors de sa création en 1875 à l’Opéra Comique. L’histoire est connue : chargé de mener en prison la jeune bohémienne qu’il vient d’arrêter, Don José en tombe éperdument amoureux jusqu’à la poignarder, ivre de jalousie, lorsqu’elle se laisse séduire par un torero local. Pas de remparts de Séville ici cependant, mais un plateau nu sur lequel la chanteuse Rosemary Standley, accompagnée par un ensemble de musiciennes, raconte, commente puis finit par interpréter ce standard de la culture musicale européenne. Variation sur celui-ci, la performance est un moyen de retracer avec humour son histoire, mais aussi de dire autrement les passions qui le traversent.

Point de Carmen classique dans cet opus singulier: mais une "ponctuation" de choix pour diversifier le personnage, le faire s'incarner par une femme libre et en possession de tous ses droits et facultés. Droit d'être droite, face à son contexte social peu enclin à considérer les femmes, surtout les cigarières de la manufacture des tabacs où Carmen règne. Bizet accouche d'une heroine dont il ne connaitra pas les bienfaits de la notoriété, ni des rentrées pécuniaires. Le personnage heurte et condamne le compositeur à modifier sans cesse le livret, osciller entre provocation et simple récit. Mais la "claque" est dans la salle qui vient encourager ce dernier à éduquer et élever sa "créature" pour la transporter dans une musique, désormais plus que célèbre et légendaire. C'est l'actrice-cantatrice Rosemary Standley qui s'y colle deux heures durant avec trois fois rien de décor et mise en scène. Accompagnée par un quintet de musiciennes résumant à elles seules toute l'orchestration symphonique de l'oeuvre de Bizet. 

Rrose Mary Selavy...hétéronyme de Marcel Duchamp, créature de Bizet comme devenue son double et celui de François Gremaud. Car le géniteur de cette Carmen à changé et voici celui qui la redécouvre et nous la livre entière incarnant à tour de rôle tous les personnages de cet opéra "comique" pour salles Favard des grands boulevards du crime parisien.!L'artiste devant nous, seule, auréolée de musique est fabuleuse et s'inscrira dans la légende des démons et bêtes de scène actuelles.Tout en noir sans falbalas ni froufrou, la voici qui s'empare du plateau, discrète, attendrissante autant que furibonde et féroce. "Chantal" chante et ne parle pas et tous les airs qu'elle porte sur le plateau sont finement et délicieusement interprétés.Les "tubes" et canons de la partition venant auréoler ce solo magistral. La voix est tantôt celle du baryton, de la mezzo soprano ou du maitre Bizet et ses dialogues, paroliers de compagnie. Que l'on découvre au fur et à mesure du récit que tisse la comédienne. On y apprend plein de petits détails croustillants sur la genèse de cette Carmen, la vraie, et le festin va bon train. De trouvailles en surprises, on suit ce personnage en empathie totale et Don José autant que le fameux toréador deviennent non plus des fantômes désincarnés mais des acteurs présents avec qui elle dialogue. On voit tout ce petit monde jusqu'à la mère, figure freudienne par excellence pour cette Lacan-tatrice loin d'être chauve. Alors le spectacle se joue de bien des embuches et avec humour, distanciation et autres stratagèmes de scénographie et dramaturgie: François Gremaud fait mouche et touche en chef d'orchestre ou de partie, de salle, pour formation réduite mais au combien efficace. La musique de l'opéra dit "comique"restituée à l'envi dans son plus simple appareil: les instruments phares qui donnent le "la" à toute l'oeuvre. Son suspens, sa joie, sa douleur, son drame...En toute simplicité, en toute complicité. Les musiciennes au diapason du jeu de la chanteuse-actrice.

Le recueil que chacun emporte avec soi pour sa bibliothèque (Giselle-Phèdre et désormais Carmen)est cadeau de la maison. Ce ne seront pas les "fantômes" de bibliothèques mais bien de femmes de caractère que nous conservons en mémoire! Point d'exclamation...Taratata !

Au Maillon jusqu'au 25 MAI

mardi 21 mai 2024

"Tropique du Képone": bananes toxiques à fond de cale...




"Tropique du Képone ou Principe de précaution" de Myriam Soulanges de Back Art Diffusion et Marlène Myrtil de la Cie Kaméleonite

Une pièce de danse aux manières afro futuristes qui alerte sur les problèmes écologiques des territoires de Martinique et de Guadeloupe. Une invitation à se lever contre l’ordre imposé.

Tropique du képone souligne l’urgence d’agir face à l’état préoccupant des Antilles autour du scandale du chlordécone, commercialisé sous le nom de képone. Les deux femmes se projettent dans un avenir où les paradigmes du vivant ont été modifiés. 2722, le Tropique du képone est un lieu où les corps se sont adaptés, révoltés, néantisés. La vie pourtant subsiste. Mais à quel prix et par quels chemins ? Construit à partir d’archives radiophoniques, textuelles, télévisées et d’articles scientifiques, le spectacle prend une dimension plastique sous la forme d’une installation dans laquelle évoluent les danseuses. Découvrez un duo où la poésie et l’absurde leur servent d’outils de résistance face à un sujet toxique.


Le chlore des "pas connes" ! 
Un duo chorégraphique venu de la Martinique, Guadeloupe et Guyane où deux femmes emplumées de tutus colorés bigarrés pastichent les effets de la chlordécone, insecticide puissant utilisé dans les bananeraies aux Antilles.C'est tout d'abord de la folie sauvage, allumée, elles ont la "banane", le frite ou la pêche, elles sont "happy" hallucinées par les effets néfastes de ce poison toléré dans l'agriculture intensive de l'exportation. Pourtant le décor, plaque blanche glissante inclinée sera le terrain à haut risque de leurs évolutions: agrippées à cette pente descendante, elles cèdent ou résistent, grimpent ou dégringolent à l'envie tout en effeuillant les bananes empoisonnées .Elles passent de la joie, à l'euphorie, de la stupeur à la tétanie, de la peur partagée à l'amitié fraternelle, ces deux travailleuses enjouées de plantation, carrière à pesticide ou usine à gobelets en plastique blanc polluant.Pollution ou intox, on le sait et on le subit, on l'ignore ou on s'insurge: c'est ce dernier choix qu'elles proposent dans une rencontre dansée endiablée, tonique où dans une aire de détritus, les sacs à bananes sont poubelles ou masques: c'est "bon banania", et bien "planté"! Froufrous et gravité s'y côtoient dans l'humour pour évoquer une vraie question et faire réagir petits et grands, vidéo et musique au poing. Les "plongées" visuelles du plan incliné très cinématographiques sont bluffantes et l'empathie fonctionne: à fond la banane !


Dans le cadre du festival "passages transfestival " Archipelago" le 20 MAI à Metz