dimanche 26 mai 2024

"Le chant du père": l'amoureux itinérant..Colporteur d'Amour..Un duo père-fille sans pareil.

 


En 1986, Yavuz Özer quitte la Turquie pour venir travailler en France ; il veut pour ses enfants une vie meilleure. Ouvrier ferronnier de métier, il est aussi conteur, chanteur et musicien dans l’âme. Il exerce son art auprès de la communauté turque du Périgord, chante l’exil, la nostalgie, accompagné de son luth oriental. Aujourd’hui, c’est sa fille, Hatice Özer, devenue actrice et metteure en scène, qui l’invite à la rejoindre sur le plateau pour partager avec le public un khâmmarât
− le mot arabe à l’origine de « cabaret » et qui signifie : lieu où l’on boit et chante. Ensemble, père et fille évoquent, en turc ou en français, en mots ou en chansons, le lien profond qui les unit, le désir d’art et de beauté qui se transmet à travers le théâtre et la musique. Cette saison Hatice Özer présente aussi le spectacle Koudour.

Pour sa première création scénique, Hatice Özer construit une histoire sensible de transmission qui retrace le chemin d’une famille d’Anatolie jusqu’en Dordogne.

Sur scène, un père et une fille. Lui, venu en France pour donner à sa famille une vie meilleure, homme discret et un musicien hors pair, et elle, jeune femme volubile montée à Paris pour devenir comédienne professionnelle. Ensemble, en turc ou en français, parlé ou chanté, lui et elle racontent comment l’héritage se transforme. Que reste-il des histoires, de la convivialité, du grand départ, de la poésie ? Comment comprendre le sacrifice du père et la douleur du déracinement, si ce n’est par le théâtre et la musique? Le Chant du père vient rapprocher délicatement deux êtres, deux générations, dans un cabaret oriental intime.

D’emblée son sourire complice charme et Hatice Özer séduit, enjôle, enrobe son texte malin pour enchanter une évocation toute familiale de sa culture , de son enfance. Robe noire de velours, cheveux mi longs, collants et chaussettes blanches  de fillette-femme, elle verse le thé dans de beaux gestes chorégraphiques: longues coulées de liquides qui se mêlent en cascades pour les offrir au public. Mot d'ordre: le partage de souvenirs, d'épopées singulières, personnelles dans un texte à sa mesure: sobre, simple, évocateur de bons moments ou de doutes, de douleurs aussi. On joue avec le sens des mots, le recul du vécu pour mieux raconter l'histoire mêlée d'un père et d'une fille d'Anatolie, soudés par l'exil. Mais c'est la joie de conter, de chanter, de dévoiler des secrets de fabrication de contes et légendes, qui prend le dessus!Pas de nostalgie, mais des chants, de la malice, le gout du bon thé partagé et versé selon les coutumes du pays. L'ambiance "cabaret" du Magic Miroir" renforçait à l'origine cette atmosphère festive, le père présent et solidaire, Yavuz Özer comme partenaire enjoué et compère de toujours Un ravissement pour une soirée conviviale pleine de charme..Les voix chaleureuses dans un phrasé et une musicalité hors du commun pour bercer les prémisses de la nuit! Ici la boite noire n'a rien gâché de cette spontanéité du verbe, des attitudes complices avec le public. La comédienne-conteuse-chanteuse se donne à fond et enjolive une situation pourtant douloureuse et pleine de larmes qui débordent comme le thé que l('on sert à l'envi jusqu'à plus soif ou plus de larmes..

Le Chant du père est le premier spectacle conçu et écrit par Hatice Özer, en collaboration avec son père, Yavuz Özer. En tant qu’actrice, elle a été formée au Conservatoire de Toulouse et a suivi, en 2017, le programme d’ateliers Ier Acte du TNS, initié par Stanislas Nordey. Elle a notamment joué sous la direction de Jeanne Candel et Samuel Achache, Wajdi Mouawad, ainsi que Julie Berès − dans Désobéir, présenté au TNS en 2019 dans le cadre de L’autre saison. En 2020, elle a créé la compagnie La neige la nuit, basée en Dordogne.

Au TNS jusqu'au 25 MAI



 

vendredi 24 mai 2024

"Lettres et sons": la musique et les mots aux bons soins des docteurs Cadiot, Dusapin et Accroche Note.

 


L’Ensemble Accroche Note propose un croisement créatif entre les textes de l’écrivain Olivier Cadiot, considéré comme une figure emblématique de la poésie contemporaine et des œuvres de Pascal Dusapin, compositeur pétri de littérature, de philosophie et de poésie. En présence d’Olivier Cadiot, qui lit les textes de ses œuvres mis en musique.
 
 "Incroyable ! Si heureux d'inviter Olivier Cadiot à la salle Arp ( Aubette )
Strasbourg Capitale mondiale du livre .
Celui-ci lira des extraits de son livre : Médecine générale . ( P.O.L )"...."
 
Alors après ce "cri" du coeur voici venir la soirée tant convoitée!
Olivier Cadiot en personne après avoir exposé sa complicité avec la musique et le métier d'auteur librettiste s'adonne à la lecture de "Médecine générale" celle qui pourrait soigner celui qui écoute sa voix légère, aux intonations musicales et sonores "à toutes vitesse" ou plus posées. Belle diction habitée, vécue de tout son corps et avec expressivité et tendresse. Douceur et bienveillance du ton, jovialité du visage, ouvert à l'autre. "Place à la musique" après cette lecture animée et vivante de l'auteur.

"Anacoluthe" en suite logique pour voix de femme, clarinette-contrebasse et contrebasse  pour le plaisir.
 Un savant et joyeux mélange de sonorités entremêlées ou soudées par une ligne mélodique sous-jacente.Beau trio aligné face à nous dans cette mythique Salle de ciné-bal de l'Aubette.

"Mimi" pour deux voix de femmes, hautbois, clarinette basse et trombone prend le relais et la composition de Pascal Dusapin se fait virulente et frontale, comme les "Cris de Paris". Les chanteuses, Françoise Kubler et Hae-lim Lee excellent en résonances, émissions virulentes, stridentes, fortes et aiguës. 

 "Il-li-ko"pour voix de femme seule (Iet II) nous emmène très loin: on repart sur des propos de la musique de Pascal Dusapin, complice de l'auteur Olivier Cadiot, autour de l'oeuvre dédiée à Françoise Kubler. Un parlé-chanté qui surfe entre texte et musique, du chant lyrique virtuose , sorte de sprechgesang revisité. Une phrase légère et continue: faut-il chanter ou parler? C'est une musique pour le texte, préfiguration de l'opéra" Roméo et Juliette" de 1987...De bien beaux souvenirs...Jeux sur les mots, les langues, les intonations et le questionnement: chant ou lecture, parlé ou chanté...Françoise Kubler très à l'aise dans cette partition-récit invraisemblable et succulente. Tout le plaisir semble être partagé entre l'interprète qui se livre corps et voix et le public ravi par tant de prouesses de la performeuse en direct.Chevelure architecturée, toute de cuir noir vêtue.
 
"Now the fields are ": dernier morceau du récital-lecture, extrait de "Roméo et Juliette" pour voix de femme, clarinette et contrebasse. Un "final" qui mêle une extrême exigence de composition et d'interprétation pour ce trio qui se révèle interprète solaire et inspiré de la musique inqualifiable de Dusapin. 
 
Olivier Cadiot clôt la soirée avec en lecture un extrait de "Pour Mahler", une lecture primeur qui touche et impacte l’ouïe et tous les sens qu'il sait mettre en éveil. Les mots, leur combinaison, leur choc se font ludiques et percutants: "je pose, je compose et décompose" comme une partition: la langue et le verbe comme un enchantement de l'esprit par la musicalité et le rythme du phrasé de cet auteur si proche des musiciens et des compositeurs de son temps.
Belle et partageuse initiative de la part de l'Accroche Note, renforcé par Laetitia Nguyen, Dimitri Debroutelle et Jean Daniel Hégé.
 

.
Oeuvres de Pascal Dusapin et texte
Olivier Cadiot.
 
Strasbourg Salle de l'Aubette (Arp ) Vendredi 24 Mai

"Epopées fantastiques": picaresque et passionnant !

 


Richard Strauss admirait tant le Traité d’instrumentation de Berlioz qu’il l’étoffa de commentaires et d’exemples nouveaux. Il est donc légitime de réunir les deux musiciens qui illustrèrent avec éclat leur sens de l’orchestre.

Dans la Symphonie fantastique, d’abord intitulée « Épisode de la vie d’un artiste », Berlioz met en scène ses passions amoureuses par le biais d’une idée fixe qui donne sa fièvre à la symphonie puis la précipite dans des couleurs infernales… Un must de l'orchestration, de la vibration des cordes pour installer une atmosphère immensément dense, masse sonore empreinte de romantisme et de grandeur. Les cordes en poupe, les vents pour qui Berlioz offre une place de choix, interventions singulières de chacun pour initier sons et musique. Le leitmotiv revient, familier mais jamais galvaudé, magnifié par une interprétation d'ensemble magistrale Les coups de sonnerie du clocher qui appelle à la concentration et méditation sont de toute grandeur et beauté: une présence magnifique qui émeut, touche et vibre au plus profond. L'oeuvre est ample et se déploie dans toute son envergure sous la direction et la baguette agile de Aziz Shokhakimov, directeur habile et inspiré de ce chef-d'oeuvre aux teneurs, fragrances et sonorités fantastiques.

Quant à Don Quichotte, sous-titré « Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque », il s’agit de l’un des poèmes symphoniques inspirés à Strauss par les grandes œuvres de la littérature. Don Quichotte, évoqué par le violoncelle, c’est bien sûr aussi le compositeur lui-même !

« Oui, avoue le chevalier, je suis peut-être fou, mais à tout prendre je le suis moins que la société où nous vivons ». Si chacun se retrouve dans Don Quichotte, c'est qu'il s'agit de l'oeuvre qui, par excellence, nous permet de faire face à un monde privé de sens. L'ingénieux hidalgo est le symbole de l'homme moderne confronté à un univers dont toutes les structures signifiantes se délitent. Sa réponse : croire sans relâche et faire comme si. Voilà ce que conseille le roman de Cervantès : substituer au monde réel un imaginaire où l'on puisse conserver espoir. Don Quichotte n'est pas un simple personnage, il est aussi auteur, celui de son destin . De toute l'histoire de la littérature, il est le premier personnage à décider de vivre sa vie comme dans les livres.  

Alors en musique, vous imaginez la suite! Un Don Quichotte qui fait la part belle à la surprise, au jeu musical de l'intervention singulière des instruments à vent pour évoquer cavalcades, erreurs, moulin à vent et autre Dulcinée ou Sancho Pença. La narration a la part belle et l'imagination du "spectateur" va bon train: paysages en ouverture pour camper le décor, instruments insolites pour dessiner dans l'espace sonore les contours des caractères et des situations. Et sur ce fameux énergumène de grande classe et de noblesse fortuite, on se prend à imaginer péripéties et autres aventures chevaleresques, picaresques en diable..

 


On songe au bel ouvrage illustré de Garouste "L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche" et à la musique de Léon Minkus pour le ballet de Marius Petipa...Mais les yeux grands ouverts on observe avec délice d'où viennent ces sources sonores inédites qui activent et propulsent l'action, dépeignent les personnages et le tour est joué. Une redécouverte où le violoncelliste Pablo Ferrandez excelle en délicatesse, retenue, glissé de l'archet sur le corps de son instrument scellé au corps en toute indépendance mais osmose.Un régal de fantaisie musicale qui confère à cette oeuvre un caractère bigarré, enjoué, lumineux et plein de vie!

Une soirée de rêve où découverte et familiarité avec les oeuvres vont de pair et scellent la complicité de Berlioz et Strauss pour une page musicologique de très grande qualité et ingéniosité. Avec deux bis, l'un du violoncelliste, cadeau soliste toute en retenue et un morceau de choix du répertoire par tout l'orchestre très partageux!

Au PMC les 23 et 24 MAI Orchestre Philarmonique de Strasbourg

lire: "Un été avec Don Quichotte" de William Marx