dimanche 22 septembre 2024

"Les Murs meurent aussi "François Sarhan et United Instruments of Lucilin: et les statues du pouvoir musical sont déboulonnées...

 


Quel impact les murs et les frontières — leur mouvement, leur érection, leur destruction et leur franchissement — ont-ils sur les personnes ?

Les terrains de conflits contemporains, en Ukraine, en Palestine et ailleurs, sont le point de départ de la dernière création de François Sarhan, une enquête théâtrale, musicale et documentaire menée à partir de témoignages et de matériaux d’actualité, au contact d’identités façonnées par la violence. On y découvre la gamme de produits anti-missiles MUSIC de la société israélienne Elbit Systems ou le sort tragique réservé au chamane iakoute Alexandre Gabychev, puni d’internement psychiatrique à perpétuité, après avoir tenté d’exorciser Vladimir Poutine.

Et si les images projetées sur grand écran, telles des témoins passeurs d'Histoire et de récits particuliers venaient ébranler nos conscience? Nos oreilles et nos yeux, assurément. Les cinq musiciens-conteurs vont performer sur le sujet brulant et d'actualité: la guerre, le pouvoir et l'insurrection, la résistance. Cordes-violons-batterie et piano vont servir ce récit bigarré entrecoupé de prises de paroles, de témoignages sur le vécu de chacun. Performance vocale et musicale sans filet. Des avions, un aéroport et une animatrice en chair et en os décryptent les situations géo-politiques et mercantiles de l'exercice du pouvoir. Et la musique de border, doubler, précéder les contes qui ne sont pas de fées mais de faits et gestes souvent criminels et prémédités. Les barrières de protection, les barbelés, les frontières et surtout les murs seront à l'honneur pour stigmatiser les prés carrés, la propriété et le pouvoir en général, mon Général! Car François Sarhan y va droit au but sans fioritures ni falbalas. Les murs ont des oreilles comme nous, une mémoire, une fonction d'obstacles infranchissables. Diviser, entraver, bloquer, réduire rencontres et échanges au néant au profit de la Haine. Un ballet de sorcières maléfiques à la solde du pouvoir en est une belle et fameuse séquence. En images, les sorcières voilées en incrustation y vont de leur balai, lac des signes des temps de soumission. Danse du mur de Berlin, également, petites danses russes esquissées à plusieurs reprise. La danse comme otage du pouvoir malin qui hante cette pièce et en fait un manifeste socio-politique de grand intérêt. La musique ici convoquée comme le geste et le théâtre pour une oeuvre totale et pas totalitaire. Deux sirènes à la coiffure de Gretchen, nattes folkloriques font leur show moqueur de pies voleuses. 


Seconde section de musique plus glamour pour semer "les grains de balles biodégradables". Il y a du génie dans l'invention de ces armes féroces, transformées en fertilisant de sol! Une graine déguisée se balade sur scène et dans la salle, désopilante figure d'un instrument de guerre et paix masqué. Il fallait l'inventer, Sarhan l'a fait!Incarnée en pénis, prépuce et gland, l'arme devient glamour et perfide. Le mur de l'Nfer resurgit, haineux et métaphorique, murmure en musique percutante encore quelques récits poignants, celle de la femme allemande persécutée et emprisonnée à tort et de travers.Pour les quatre comédiens qui rejoignent le plateau, la tâche est ardue de faire corps et concurrence aux sons de l'Ensemble instrumental. Le jeu est décapant, drôle et pertinent dans une mise en scène loufoque et fouilli, désordonnée et indisciplinaire. Un dressing de sapes pour loge, pour changer de peaux, retourner sa veste ou comme vêtement de combat et mascarade. 


La protection en poupe: contre qui? L'inconnu ou le politicien, le poli petit chien de surface. Et revient cette toile imprimée d'un mur de briques cuivrées traditionnelles; linge qui flotte, oripeau ou drapeau fer de lance, voile d'une Loie Fuller libérée. Plein feu peu à peu sur le rangement de la scène, histoire d'évacuer les personnages, les accessoires , le récit et le public, à coup d'aspirateur et de balai. On quitte la salle conquis et jamais désabusé. On a déboulonné les statues du pouvoir musical académique, des harmonies et autres recettes de composition magistrales. Pour le meilleur d'une fable emplie d'images hallucinantes des anti héros du contre-pouvoir. Debout les fils rouges d'Ariane qui jonchent le sol comme une carte géographique, courbes de niveaux et enchevêtrements à délier de toute urgence.Et de trouver cette nécessité de quitter sa tribu musicale pour réinventer la musique!Et l'art brut de devenir musique originelle, théâtrale et accessible.Et ainsi faire partie d'une nouvelle tribu...Des "situations" autant cocasses que tragiques...

Au TAPS Scala le 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

 


en anglais, allemand, arabe, français, russe et ukrainien
composition | François Sarhan  
dramaturgie, traduction et sous-titrage | Maria Buzhor 
costumes | Lea Søvsø  
son | Camille Lézer 
direction technique et lumières | Eric Slunecko 

performance | Daniel Agi, Janina Ahh, Marie Buzhor, Julia Lwowski


United Instruments of Lucilin
violon | Winnie Cheng
alto | Danielle Hennicot
guitare électrique | Srđan Berdović
clavier | Pascal Meyer
percussions | Guy Frisch


commande Musica, United Instruments of Lucilin
production United Instruments of Lucilin
coproduction Musica, La Muse en Circuit - CNCM, TVL
avec le soutien de la Ernst von Siemens Musikstiftung
crédit photo United instruments of Lucilin © Alfonso Salgueiro

samedi 21 septembre 2024

"Frontière, point de rencontre Zone expérimentale" : un théâtre gestuel et musical hors norme

 


Musica invite Zone expérimentale, l’ensemble des étudiant·es de Sonic Space, département dédié à la création musicale au sein de la Hochschule für Musik de Bâle.

Au programme, un florilège de pièces performatives qui démontrent combien la jeune génération est avide d’incarner la musique par le geste et la théâtralité sans transiger sur la virtuosité instrumentale. Leur vision du passage des frontières artistiques se conclut sur Workers Union de Louis Andriessen, une pièce dont seule l’architecture rythmique est consignée dans la partition et qui sollicite les décisions collectives et la créativité des musicien·nes lors de chaque interprétation.

Oleksandra Katsalap, avec Surface (2024) création française entame ce parcours inédit dans le jeune théâtre musical expérimental. Elle est sur scène devant un écran blanc sur fond de boite noire qui diffuse des images sidérantes d’abattoirs: scènes et gros plans hallucinants sur le bestiaire bovin  en état de mortification. De ces images, comédienne et percussionniste, elle détourne le sens de ces peaux tendues d'animaux qu'offre les images. Son tambourin comme la peau du monde est bien issu de ces bestioles là. Similitudes et métaphores de la peau: celle qu'on caresse, qu'on lave ou que l'on gratte férocement avec ses ongles...Râpe, tannerie, étirement des peaux de bêtes et autres rapprochements façonnent une ambiance dramatique, cruelle et inéluctable. On s'y mesure, on s'y calibre en équivalence de sons et d'images. Un couteau pour scarifier ou tuer... Une bête se love et se débat dans un halo de lumière sur l'écran du tambourin: belle séquence picturale, iconique et sonore.

Au tour de l'opus de Matthew Shlomowitz, Northern Cities (2010) création française pour un tour de table à deux. Duo de deux personnages, comédiens, comédienne au restaurant. Paroles répétées, bruits et sons récurrents en cadence d'assiette, de couteaux. Les ustensiles du quotidien résonnent et font narration pour ce couple burlesque. L"accumulation de gestes robotiques en cadence,  sorte de mime sonore est efficace. Des litanies burlesques s'y profilent, leitmotiv, reprises et répétition pour le rythme. Voir, observer la source des bruits, des sons, des poli-sons du quotidien dans un jeu gestuel sur mesure, en mesure. La précision de l'interprétation exigeant une belle maitrise.

 
Thomas Kessler, avec Is it (2002)propose une sororité étonnante entre voix et saxophone qui se doublent, se bordent avec bonheur. Souffles et tenues, discrétion du jeu, des gestes des mains de la chanteuse: tout concourt à une juste interprétation de cette osmose fébrile entre l'un et l'autre. Le dialogue vrille en vibrations, gammes vocales, cris et expressions de jeu. Ils s'illustrent dans ce double monologue chanté, soufflé, le ton monte puis redescend pour calmer la donne.

Jessie Marino, avec Red Blue (2009) est une musique de table exécutée par deux femmes troncs perruquées de bleu et orangé, gantées de blanc. Un tableau croustillant de gestes, sons et images de corps segmentés, petite chorégraphie à la Philippe Decouflé.Un bijou drôle et décapant de percussions épatantes, cocasses et sans fard. Le visage impassible, elles martèlent, percutent tamponnent et s'assoupissent entre fondus au noir récurrents.


Au final toujours comme clin d'oeil et référent une oeuvre de Louis Andriessen, Workers Union (1975). L'ensemble des huit jeunes musiciens s'y révèle performant, épatant et très synchrone dans une prise irrévocable de l'opus. Performance dynamique, énergique, pour leurs capacités à s'adapter au répertoire après leur virée fantaisiste dans la création actuelle. De la précision, détente et aisance pour afronter cette partition de volière fébrile, de cancanements burlesques, de basse-cour animalière fantasque. Dans un rythme foudroyant où la dramaturgie fait surgir une narration possible. C'est canaille et de beaux timbres sonore s'y révèlent. Les flûtes traversières comme des instruments à soufflets étranges. Tonicité, burlesque, endurance et performance physique pour ces interprètes en herbes, en fleurs: jeunesse et talent ne sont pas incompatibles. Comme un train qui fonce à toute allure en rentre en gare, on vibre et frémit dans cette belle visitation de l'opus du "maitre".

salle de la bourse dans le cadre du festival MUSICA le 21 SEPTEMBRE

"Thoreau Day" Ensemble Klang : franchir la Haye d'honneur. " La vie dans les bois"et les sons des héritiers, passeurs de Louis Andriessen

 



Dans le sillage de l’enseignement de Louis Andriessen s’est développée « L’école de La Haye ». Depuis plus de 50 ans, la ville est devenue un centre névralgique de la musique contemporaine aux Pays-Bas, mais aussi un point de jonction musicale entre l’Europe et les États-Unis.

Il en découle une singularité esthétique, une sorte de synthèse transatlantique dont l’Ensemble Klang est l’un des principaux animateurs. On l’entend chez Andriessen, en particulier dans Hout, comme chez son élève le Chypriote Yannis Kyriakides, la Belge Maya Verlaak, l’Italien Giuliano Bracci ou l’Étatsunien Keir Neuringer — un creuset d’influences synonyme d’innovation sonore.

En préambule de cette belle matinée musicale, c'est la lumière du soleil qui s’immisce sur le plateau et rayonne sur les six musiciens de l'Ensemble.
 
C'est l'oeuvre de Giuliano Braccin, Pÿramide, à Paul Klee (2012 - création française) qui inaugure le programme: échos et réverbération des sons de chaque instrument, trois vents et bois, un piano, un xylophone, une guitare. Atmosphère alanguie, douceur, lenteur font naitre des sons étirés, spatiaux. Tels des perles de musique égrenées au gré des vents, les timbres de chaque instrument restent distincts.Et se succèdent dans une belle et tendre fluidité très inspirée. Paul Klee, le peintre, poete et musicien y est évoqué, "funambule" et porteur d'harmonie autant que de singularité.Cette poésie sonore aux accents d'une marche onirique, lente et rêveuse fait effet d'atmosphère nostralgique.

Suit la composition de Yannnis Kyriakides, Chaoids (2001 - création française) pour guitare, percussions et saxophone. La virulence tectonique surprend et secoue l'écoute: un rythme à trois marques en est la matière répétitive dans ce démarrage en trombe Par petites touches colorées qui s'ajoutent à la métrique, insistance de la reprise. L saxophone, le xylophone y seraient presque mélodiques... En sous-couche un tempo régulier se fait récurent, craquelle et fritte le son. Le saxo halète et tel un carillon, le xylo délivre des sons de clochettes de campanile. Les hauteurs se mélangent, et la balade sur les chemins de traverse sans embuche peut continuer. Entêtante et pugnace, l'ascension des sons se précise dans une belle accélération, foisonnante, riche. L'implosion finale pour orner le tout d'une conclusion jubilatoire.

A l'oeuvre de Maya Verlaak, Vanishing Point (2022 - création française) de faire suite: un seul percussionniste aux cymbales cuivrées.Accompagné d'une bande électroacoustique, c'est le chiffre trois qui l'obsède en écho.Décliné, répété, repris à l'envi.Radicale composition, sobre et efficace, aux tonalités feutrées.Éclate une virulente intrusion sonore qui élargit le spectre du rythme et de l'espace. Avec une grande virtuosité explosive l'interprète Joey Marijs s'éclate et frissonne, les gestes larges, l'ampleur et l'envergure de ses bras et de son corps dessinant dans l'espace des esquisses chorégraphiques certaines Le retour à l'ordre des trois temps vient border de son calme apparent cet opus plein de charme.


A l'ensemble dans son entier d'interpréter de Keir Neuringer, Thoreau Day (for Kadri Gopalnath) (2020 - création française) Un hommage au philosophe "des bois", des instruments à vent et de cet ensemble de clairière sylvestre. Une belle et harmonieuse symbiose spatiale en fait une oeuvre fluide, dense, sans incidents, ample, planante La "mélodie" des vents en poupe, les postures des autres instruments comme ornementation aux sons suaves, doux et langoureux.La fluidité cosmique s' entremêle dans ce chant  plaisant  horizon linéaire sans surprise.

De  Louis Andriessen, Hout (1991) vient clore le concert en hommage au "maitre" de la valorisation de l'instrumentaliste et du joueur, interprète. Un canon à quatre voix pour piano, percussions, guitare et saxophone. Très vif tel une course contre la montre à celui qui va gagner sa place finale. Poursuite, arrêts brefs comme au jeu de 1/2/3...4 Soleil! On y imagine un film d'animation, pixilation des notes pour chaque instrument prêt à garder et protéger son territoire. Et faire jeu de marelle et montée au ciel tant la tension et l'énergie s'y rassemblent, s'y précisent. Dans un rythme infernal, solide, appuyé on se tient en haleine et tous gardent le cap dans la répétition, les courbes de niveau sonore. Des pulsations ininterrompues ascensionnelles comme credo, leitmotiv jouissif.L'énergie physique, la dynamique sourdent de cette résistance affolante, cette endurance musicale qui conduit à faire de cet opus une oeuvre performance sans être "à bout de souffle".


Ensemble Klang
saxophone | Michiel van Dijk, Erik-Jan de With
trombone | Anton van Houten
guitare électrique | Pete Harden
piano | Saskia Lankhoorn
percussions | Joey Marijs


dans le cadre de Nord Sonore, musiques aventureuses des Pays-Bas - projet initié par et avec le soutien du Performing Arts Fund NL.

Le 21 SEPTEMBRE à la salle Ponnelle dans le cadre du festival MUSICA

samedi 21 septembre 2024 — 11h00 Salle Ponnelle