samedi 21 septembre 2024

"Frontière, point de rencontre Zone expérimentale" : un théâtre gestuel et musical hors norme

 


Musica invite Zone expérimentale, l’ensemble des étudiant·es de Sonic Space, département dédié à la création musicale au sein de la Hochschule für Musik de Bâle.

Au programme, un florilège de pièces performatives qui démontrent combien la jeune génération est avide d’incarner la musique par le geste et la théâtralité sans transiger sur la virtuosité instrumentale. Leur vision du passage des frontières artistiques se conclut sur Workers Union de Louis Andriessen, une pièce dont seule l’architecture rythmique est consignée dans la partition et qui sollicite les décisions collectives et la créativité des musicien·nes lors de chaque interprétation.

Oleksandra Katsalap, avec Surface (2024) création française entame ce parcours inédit dans le jeune théâtre musical expérimental. Elle est sur scène devant un écran blanc sur fond de boite noire qui diffuse des images sidérantes d’abattoirs: scènes et gros plans hallucinants sur le bestiaire bovin  en état de mortification. De ces images, comédienne et percussionniste, elle détourne le sens de ces peaux tendues d'animaux qu'offre les images. Son tambourin comme la peau du monde est bien issu de ces bestioles là. Similitudes et métaphores de la peau: celle qu'on caresse, qu'on lave ou que l'on gratte férocement avec ses ongles...Râpe, tannerie, étirement des peaux de bêtes et autres rapprochements façonnent une ambiance dramatique, cruelle et inéluctable. On s'y mesure, on s'y calibre en équivalence de sons et d'images. Un couteau pour scarifier ou tuer... Une bête se love et se débat dans un halo de lumière sur l'écran du tambourin: belle séquence picturale, iconique et sonore.

Au tour de l'opus de Matthew Shlomowitz, Northern Cities (2010) création française pour un tour de table à deux. Duo de deux personnages, comédiens, comédienne au restaurant. Paroles répétées, bruits et sons récurrents en cadence d'assiette, de couteaux. Les ustensiles du quotidien résonnent et font narration pour ce couple burlesque. L"accumulation de gestes robotiques en cadence,  sorte de mime sonore est efficace. Des litanies burlesques s'y profilent, leitmotiv, reprises et répétition pour le rythme. Voir, observer la source des bruits, des sons, des poli-sons du quotidien dans un jeu gestuel sur mesure, en mesure. La précision de l'interprétation exigeant une belle maitrise.

 
Thomas Kessler, avec Is it (2002)propose une sororité étonnante entre voix et saxophone qui se doublent, se bordent avec bonheur. Souffles et tenues, discrétion du jeu, des gestes des mains de la chanteuse: tout concourt à une juste interprétation de cette osmose fébrile entre l'un et l'autre. Le dialogue vrille en vibrations, gammes vocales, cris et expressions de jeu. Ils s'illustrent dans ce double monologue chanté, soufflé, le ton monte puis redescend pour calmer la donne.

Jessie Marino, avec Red Blue (2009) est une musique de table exécutée par deux femmes troncs perruquées de bleu et orangé, gantées de blanc. Un tableau croustillant de gestes, sons et images de corps segmentés, petite chorégraphie à la Philippe Decouflé.Un bijou drôle et décapant de percussions épatantes, cocasses et sans fard. Le visage impassible, elles martèlent, percutent tamponnent et s'assoupissent entre fondus au noir récurrents.


Au final toujours comme clin d'oeil et référent une oeuvre de Louis Andriessen, Workers Union (1975). L'ensemble des huit jeunes musiciens s'y révèle performant, épatant et très synchrone dans une prise irrévocable de l'opus. Performance dynamique, énergique, pour leurs capacités à s'adapter au répertoire après leur virée fantaisiste dans la création actuelle. De la précision, détente et aisance pour afronter cette partition de volière fébrile, de cancanements burlesques, de basse-cour animalière fantasque. Dans un rythme foudroyant où la dramaturgie fait surgir une narration possible. C'est canaille et de beaux timbres sonore s'y révèlent. Les flûtes traversières comme des instruments à soufflets étranges. Tonicité, burlesque, endurance et performance physique pour ces interprètes en herbes, en fleurs: jeunesse et talent ne sont pas incompatibles. Comme un train qui fonce à toute allure en rentre en gare, on vibre et frémit dans cette belle visitation de l'opus du "maitre".

salle de la bourse dans le cadre du festival MUSICA le 21 SEPTEMBRE

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire