samedi 14 septembre 2024

"Tempus muliebre" : une musique arachnéenne sur toile de fond militante

 


samedi 14 sept. 2024 à l'Eglise St Etienne Strasbourg dans le cadre du festival Voix et Route Romane

Tempus Muliebre
 
“Cette époque est un âge de femme” - Istud tempus tempus muliebre est - écrivait Hildegard von Bingen à l’archevêque de Mayence en 1178. Connue pour ses visions et ses compositions, la moniale du 12e siècle, fondatrice de deux monastères, porte en son nom le combat - “hild” - qu’elle a mené sa vie durant contre l’injustice et la corruption. Elle n’hésite pas à conclure sa lettre en ces termes : « En résumé, vos propos outrageants, injurieux et menaçants n’ont pas à être écoutés. Les châtiments que votre orgueil brandit ne servent pas Dieu mais les présomptions débridées de votre volonté éhontée. » 
 
Tempus muliebre est un dialogue littéraire, à partir d’un livret original réunissant des lettres de Hildegard et des poèmes et écrits de femmes iraniennes et afghanes. C’est aussi un dialogue musical réunissant des extraits de chants médiévaux et une création du compositeur strasbourgeois Gualtiero Dazzi. Il y est question de la liberté et de la place des femmes dans différentes sociétés : d’hier, d’aujourd’hui, d’Orient, d’Occident ; une thématique à la fois universelle et d'une actualité indéniable.


Dans l'Eglise St Etienne va se dérouler une cérémonie médiévale croisée d'une création contemporaine au regard d'un répertoire patrimonial de toute beauté et de grande qualité musicale. Deux ensembles, l'un à cordes, l'autre à quatre voix vont se confronter, s'allier, se relier pour façonner un concert fait de petites touches créatives qui s'enchainent, s'enchevêtrent et se chevauchent à l'envi. Si bien que les compositions de Gualterio Dazzi et du livret d’Elizabeth Kaess se fondent à cette archéologie musicale avec justesse et respect, inventivité et rigueur. Tissage et métissage des instruments, des voix façonnent des tableaux qui se suivent comme un livre qu'on parcourt et feuillette. L'élévation des voix, la saveur des cordes comme des ondes, un flot, une mer voluptueuse se distinguent par leur sobriété. En teinte ou demi-teinte, la musique sourd de chacun des interprètes avec bonheur et distinction. "Le sceau de la maternité afghane" et bien d'autres thèmes viennent abreuver et inspirer la musicalité des cordes et des cordes vocales!Plusieurs morceaux font appel aux percussions sur les corps des instruments et sur les peaux de tambourins bien tendues pour offrir résonance et vibrations. Tempi et cadences au diapason pour une danse des sons très éloquente et fébrile. Les cloches comme des calices de messe renversés résonnent et sonnent scintillantes et omniprésentes. Telle une officiante, la récitante donne corps et chair, souffle et intensité aux textes des femmes convoquées pour cette ode et hommage à celles qui donnent la vie. A choeur parfait, accord parfait pour ces deux ensembles, enveloppés par la toile de fond de Véronique Thiéry Grenier qui accompagne de ses plis et replis les concerts du festival. Cheminant de concert avec les artistes et le public. Fidèle décor vivant de ses failles, replis et reliefs tectoniques très visibles selon les lumières qui s'y frottent ou y glissent entre les lignes ou courbes de niveau. Vu d'en haut ceci fonctionne comme une cartographie céleste de paysages changeants. Voyages!  Le son glisse, frôle l'espace et la toile semble filtrer et tamiser les harmonies et les voix: celle de la soprano enchantant le tout de son timbre pur et léger. Dévoilées, les voix resplendissent, s'élèvent comme des spectres, des fantômes: ceux des femmes absentes qui sont ici célébrées. Présentes à travers la matière poétique des textes interprétés de voix de maitre. Les mots s'affichent sur la toile, espace offert pour la lecture sonore des écrits féminins. "Les âmes savantes" se taisent, ne parlent pas et ces femmes "savantes" restent silencieuses devant la fatalité de leur sort. La fluidité des tonalités, des sonorités ravissent l'auditoire qui près de deux heures durant déguste ce festin de couleurs et de diversités rythmiques et sonores. Alors que la toile de fond se plisse, s'irrite, que ses cassures et fêlures absorbent le chagrin, la peine ou l'espoir: les failles sont paysages changeant et le voyage se termine sur des percussions et voix complices de bonheur et de réconciliation. Un concert brillant et innovant quant à la facture de la musique médiévale revisitée pour sa plus belle parure.


Les artistes

Ensemble Discantus : Cécile Banquey, Christel Boiron, Maud Haering et Catherine Sergent (voix chantée et cloches à main), Brigitte Lesne (direction, voix parlée et harpe médiévale)

Trio Polycordes : Florentino Calvo (mandoline, instruments traditionnels à cordes pincées), Sandrine Chatron (harpe), Jean-Marc Zvellenreuther (guitare)

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Concert absolument magnifique!

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