dimanche 8 septembre 2024

"Le grand embrasement": sans voix sous la voute romane

 


Festival "Voix et Route Romane"
Concert "Le grand embrasement" - Ensemble Into the winds
dim. 08 sept. 2024 de 16h00 à 17h30 Eglise St Arbogast SURBOURG

Le grand embrasement 


En 1392, le roi de France Charles VI est déclaré fou. En pleine guerre de Cent Ans, alors que le conflit franco-anglais connaît un répit inespéré, les absences répétées du souverain laissent le champ libre à des princes avides de pouvoir et d’argent. Commencent alors trois sombres décennies pour le royaume de France…
 
C’est ce récit épique qu’Into the Winds met en spectacle, à partir des rares sources musicales conservées de ce début de siècle tumultueux où oeuvrèrent des compositeurs qui ont profondément marqué leur temps. Jetant un pont entre le raffinement extrême de l’Ars Subtilior de la fin du 14e siècle et l’esthétique de la chanson bourguignonne du 15e siècle, plus simple et plus épurée, ceux-ci initièrent une nouvelle ère musicale dont Gilles Binchois et Guillaume Dufay deviendront les figures les plus emblématiques.
 
Entremêlant compositions originales jouées sur des copies d’instruments anciens et textes de chroniqueurs de l’époque, Le Grand Embrasement propose un voyage musical inédit dans une époque troublée et méconnue, aux problématiques et aux défis profondément contemporains.

Les artistes

Anabelle Guibeaud (chalemie et flûtes à bec), Rémi Lécorché (trompette à coulisse, busine, flûtes à bec), Marion le Moal bombarde (flûtes à bec), Adrien Reboisson (chalemie, bombarde, flûtes à bec), Laurent Sauron (percussions). 


C'est sur le chemin du choeur à l'intérieur de l'abbatiale St Arbogast qu'ils font leur  apparition. Un ensemble qui "sonne" et résonne déjà des sonorités des instruments à vent. De belle facture à l'ancienne comme ceux couchés sur l'établi, autel des sacrifices et miracles qui vont se dérouler.En toile de fond un immense papier froissé de la patte de Véronique Thiéry Grenier est tendu
avec ses multiples veines comme une cartographie sanglante durant le concert, ponctué d'anecdotes fumantes. Après cette petite fanfare apéritive en prologue-introduction, c'est au coeur du destin du Roi Charles VI que l'on plonge.L'officiant de cette cérémonie païenne, dans une diction parfaite et animé d'un bon tonus nous conte des saynètes croustillantes sur les moeurs cruels et sans pitié de son royaume.C'est une musique distinguée et martiale qui s'offre à l'écoute, noble, pondérée, ponctuée et rythmée selon les tonalités, timbres des instruments à vent: flûtes  et percussions-petit tambourin carré-forment un trio charmant et enjôleur.Comme un chant d'oiseau, sans voix ajoutée pour le pur son du souffle et de la résonance.Belle entrée en matière sonore avec ses matériaux singuliers d'un instrumentarium original.

Succède à cette délicate mise en bouche une thématique sur ce "pouvoir de donner" du roi, illustrée par des morceaux comme un portrait musical, une fresque épique et variée. Gai rossignol puis tonalités plus graves sorties tout droit de ce chaleureux matériel sonore. Du souffle et de la verve percussive pour des airs vifs, scandés, saccadés.Telle une chevauchée princière avec beaucoup de tenue dans la verticalité et le maintien des sons.De la rectitude dans les pas, les marches solennelles. 

Puis c'est la maladie du Roi qui est évoquée, sa folie, son égarement, ses divagations. La fureur, la trahison seront de mise dans les morceaux suivants où la tuerie et le massacre sont choses communes. Cette narration devient sonore par le filtre des instruments à la rondeur de son étonnante et chaleureuse. Un tendre trio de flûtes, une fusion totale des sons saturés pour des évocations rythmiques de déambulation, de cortège. La musique devient images et les histoires contées sont encore torrides et cruelles. Du meurtre encore dans l'atmosphère qui suit en formes de morceaux brefs, saynètes théâtrales et dramatiques de bon aloi. Les sonorités, harmoniques, les timbres portent l'imagination très loin et la suggestion sonore fait le reste. Sons tissés et métissés au diapason de cette odyssée chevaleresque et royale. Sur l'établi, les interprètes se donnent, respirent et aspirent les hauteurs, dimensions et volumes sonores avec virtuosité, contraste et justesse. Alors qu'une légère sonnerie retendit, clochette de funérailles, la mort du roi est esquissée. Flèches et archers, guerre et hostilités au programme flamboyant de cette partie du concert.Telles des joutes guerrières, les dissonances se frottent et opèrent pour une partition plus puissante et dramatique. La grâce et la nonchalance reprennent le pas, relaient la suite. Encore une évocation de passage linéaire, de cortège chaloupé.

Et l'histoire se poursuit sous la dictée de notre officiant quasi chanteur de cet ode à la royauté. Car les voix, les appels à la paix et à la concorde retentissent Éloquence légère de voix absentes mais que les vents incarnent à la perfection. Timbres veloutés, onctueux, sensuels, chaleureux et distingués pour une oeuvre qui semble se terminer bientôt.

Au final une clochette annonce le rituel de fin de vie du roi. Funérailles, obsèques ou requiem de chambre médiéval. Une homélie, un sermon, une messe pour le roi Charles comme une élévation vers les cieux On communie en bonne compagnie-cum-panis,  avec ses chants instrumentaux, presque ceux du désert dans les tonalités. Sombre atmosphère de recueillement où l'on proclame la mort, tambour battant. Un moment très "dansant", relevé comme les futurs pas de danse baroque, bondissements esquissés par le rythme. Un final guilleret, optimiste et pas fataliste du tout. Notre roi, héros d'une tranche d'histoire au son du massacre des corps, se porte bien dans les mémoires. Voix et voute romane pour ce concert sans voix exceptées celles des instruments si personnalisés à travers les corps des interprètes à la présence florissante. Le "grand embrasement" aura bien lieu, flamboyant, sans pitié ni retenue au son des cors, des vents et des percussions tactiles si fragiles et opérationnelles. Bon vent à l'Ensemble "Into the winds" dans la tempête de ce répertoire inédit, singulier et rarissime que le public du festival "Voix et Route Romane" aura largement apprécié. Un bis réjouissant avant de quitter St Arbigast et St Martin et son manteau partagé de bonheur musical. Adrien Reboisson Anabelle Guibeaud Marion Le Moal Laurent Safar Rémi Lécorché, au meilleur de leur talent et qualité.

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