dimanche 27 avril 2025

"Marius" : Joel Pommerat: du bon pain, une bonne pate.

 


À Marseille, Marius travaille dans la boulangerie de son père César. Les affaires vont mal, et Marius rêve d’ailleurs. Partagé entre son envie de prendre le large et son amour pour Fanny, une amie d’enfance, le jeune homme doute : faut-il tout quitter au risque de tout perdre ? Rester pour épouser la vie qui lui est destinée et honorer son devoir de fils ? Pour créer cette adaptation de la première pièce de la Trilogie marseillaise, Joël Pommerat a partagé les mots de Pagnol avec des détenus de la Maison centrale d’Arles, hors des sentiers battus du théâtre. Une aventure artistique et humaine qui les a menés à la création d’une troupe d’acteur·rices qui porte l’histoire de Marius et ses enjeux avec une vérité saisissante.


Une boulangerie reconstituée, un petit salon de thé seront l'unité de lieu de cette fable comique autant que dramatique, menée avec vivacité et tonicité singulières. Il y a le père et le fils et toute une gamme de personnages "secondaires" loin de l'être. Le discret vendeur de moineaux qui se terre dans son coin, le dandy entrepreneur de cycles opportuniste qui se targue d'être amoureux d'une Fanny tendre et respectable. Et les autres qui gravitent vont et viennent, font irruption dans ce petit monde, microcosme d'une société marseillaise joyeuse. Mais voilà, ici Marius ne fait jamais payer les cafés et "tire la tronche", fait fuir les clients et n'a ni ambition, ni rêve.

César le patron-boulanger en est désespéré et lui reproche ses attitudes, son laxisme, son indifférence, son flegme. Il n'y a qu'un semeur de trouble averti de tout pour le secouer et lui faire prendre une décision opportune fatale: fuir ce foyer, abandonner Fanny, la laisser alors qu'ils viennent tout juste de s'avouer leur amour d'enfance.


Cruelle destinée dessinée sous l'angle de l'humour, du comique plus que de la détresse et de la souffrance. Les acteurs jouissent ici d'une belle et juste direction d'acteurs, sobre, pertinente dans ses multiples rebondissements. On suit avec intérêt et empathie le sort de Marius, affalé sur sa chaise haute, les colères de César au grand coeur, qui se "pique" d"être un tricheur au jeu de cartes. Et ce frondeur dandy, homme d'affaires de pacotille, dérangé sur son portable pour faire croire qu'il est un ministre débordé par ses acolytes incapables. Une humanité bon enfant se dégage de cette pièce savoureuse aux accents du midi, à la richesse et générosité de la présence et de l'engagement des acteurs. 


Tous sans exception à leur place, au bon endroit sous la touche impressionniste de Joel Pommerat. Une exceptionnelle revisitation de Pagnol en compagnie de des associations Louis Brouillard et Ensuite qui augure de la confirmation ou de l'éclosion de talents d'artistes du monde du spectacle au profil parfait. Et touchant droit au but: ce camaïeu de caractères touche et fait "fanny" au jeu des fléchettes de l'existence. Les pieds tanqués au jeu de boules déboussolé.

 


Librement inspirée du texte de Marcel Pagnol Création théâtrale Joël Pommerat

Au TNS jusqu'au 3 MAI

Avec Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon

samedi 26 avril 2025

"Je suis venu te chercher": Claire Lasne Darcueil créatrice d'une géographie humaine mouvante. La sagrada familia de nos rêves....


 Amir n’a jamais su qui était son père. Il apprend un jour que ses origines prennent probablement racine dans le nord de Strasbourg. Guidé par une femme-ange de 92 ans, il part à la rencontre de l’enfance de personnes qui ont aujourd’hui entre 60 et 95 ans, plonge dans le paysage de cette ville, à la recherche des enfances perdues et des premiers amours. Dans son enquête, il rencontre Léa, qui changera sa route. Une histoire écrite par Claire Lasne Darcueil, née de son immersion au plus près des mémoires de Strasbourgeoises et de Strasbourgeois. Une création collective rassemblant au plateau l’acteur Salif Cissé, l’actrice Lisa Toromanian, des comédien·nes non-professionnel·les et un chœur dansant d’habitant·es mu·es par le même désir de raconter à plusieurs, à égalité. 


Sacrée famille que cette ode au collectif, à la mémoire d'une collectivité urbaine qui au départ n'a rien commun. Excepté l'enquête et la récollection d'histoires personnelles d'habitant de l'Eurométropole strasbourgeoise. Plus qu'un récit, qu'une accumulation de témoignages intimes, voici reconstituée sur l'immense plateau nu du TNS, les évolutions spatiales de ce petit peuplé fédéré autour de la notion de mémoire et de filiation. Notre héros se tient debout oscillant dans un soufflet de train et téléphone à une femme très âgée qui lui avoue être en filiation avec lui: il en doute, il est noir, elle toute blanche de peau plissée!Alors commence une recherche, une chasse à l'âme soeur parmi tous ces volontaires, ces candidats potentiels à l'élection familiale. Chacun s'y présente à ce casting, parmi une soixantaine d'élus, acteurs, comédiennes amateurs auditionnés pour partager cette expérience audacieuse de la scène. 


Lui, Amir Cissé,au milieu de cette population mouvante qui danse, oscille, ondule et tangue pour intriguer, séduire, convaincre de leur légitimité à être l'élu du coeur filial de Amir. Beau gars plantureux, généreux, perturbé par ses craintes, ses inquiétudes quant à la décision de partir à la recherche de ses origines. Et si il dérangeait ainsi le bon ordre des choses en bouleversant le destin d'une famille constituée? Remarque que lui fait son coatch, Lisa Toromanian, conseillère de vie.

Egoisme contre humanité plénière de droits et devoirs illégitimes? Eux dansent autour de lui, s'affairent sans se bousculer, courent, sautillent et parlent sans pudeur de leur vie. Par coeur, par bribes qui font avancer la narration. La dramaturgie souligne les divagations et interrogations de l"âme en perdition d'Amir. Une femme tout de noir danse sa vie, gracieuse, éloquente dans ces gestes. Une autre évolue dans des tourbillons aléatoires de toute beauté, lyrisme corporel chantant joie et liberté. Encore une autre femme qui sourit à la vie en esquissant dans l'espace traces et signes du vivant. 


C'est à Kaori Ito que l'on doit cette "écriture corps", chorégraphie soignée, spatiale, épousant les qualités de chacun pour ce qu'elles sont dans le bon sens et l'écoute. Le chemin corporel respecté pour faire émerger en chacun sa part de mouvance.Et la fiction narrative de sourdre de cette expérience corporelle collective insolite en compagnie de Léonore Zurfluh, chorégraphe. Les mots se mêlent à cette présence d'un corps de ballet hétéroclite aux identités physiques et d'origines fort variées. Un break danseur deux femmes à la mouvance remarquable sans être "danseuses professionnelles" pour autant. Une belle réussite qui honore l'esprit des "Galas", recherche de la mémoire collective vécue pour produire textes et mises en scènes d'aujourd'hui. Ou excelle Claire Lasne Darcueil, chercheuse et metteur en scène et en mots.Une cartographie socio-politique et poétique de la tendresse et des liens qui nous unissent. Des courbes de niveau qui s'effacent pour faire un endroit, un territoire, terrain d'entente, d'écoute et de fraternité.Topographie d'un finage extensible à l'infini. Je suis venu te dire...qu'on existe ensemble. Et qu'un père retrouvé vaut autant qu'une communauté gagnée, choisie. En bonne compagnie dansante. "Papaoutai", T'es où Papa: nulle part et ailleurs, ici et maintenant....chantait Stromae.




[Écriture texte et mise en scène] Claire Lasne Darcueil
[Écriture corps] Kaori Ito chorégraphie Léonore Zurfluh

[Avec les acteur·rices] Salif Cissé, Lisa Toromanian
Et Marie-Cécile Althaus, Pierre Chenard, Jean Haas, Jean-Raymond Milley, Dominique Wolf.....

Au TNS jusqu'au 30 AVRIL

vendredi 25 avril 2025

"Exit" de la compagnie Circumstances: porte à portes battantes! Piet Van Dycke s'emporte à la pièce.

 


Pour Exit, le chorégraphe flamand Piet Van Dycke a invité quatre spécialistes de disciplines différentes à inventer ensemble un langage commun. Pas d’agrès ni d’accessoires pour cela, mais cinq portes et un mur pivotant. Dans cet espace qui leur réserve des surprises, les artistes entrent et sortent, apparaissent et disparaissent, sautent et tombent, se retiennent et se propulsent, se soutiennent et s’entraident. Tous les quatre se hissent dans les airs, glissent du mur et cherchent un état d’équilibre commun qu’ils finissent par trouver. En jouant de l’intérieur et de l’extérieur, explorer l’environnement et ses obstacles devient une façon d’explorer la relation entre l’individu et le groupe. Selon Piet Van Dycke, le cirque ne consiste pas à réaliser, mais à défier l’impossible : en quête perpétuelle d’interaction, frôlant régulièrement la chute, les circassiens découvrent peu à peu la nécessité de la confiance en l’autre. Une manière de donner une forme physique au vivre-ensemble, dans un spectacle brillant sur l’importance du collectif.
 
Entrée des artistes
Une construction cubique grise à un étage comme lieu d'action avec plein de portes et pas de fenêtres.Un territoire à conquérir peu à peu pour ces personnages vêtus sport à tee shirt gris barrés de vert. L'un passe par une porte et s'ensuit une succession d'allées et venues intrigantes . Ils se croisent, se mêlent, s'évitent, se rejettent  se repoussent et conversent ainsi .Un vrai ballet réglé comme une horlogerie sans faille ni disfonctionnement.Magie de ses apparitions disparitions jouissives qui s’enchainent tambour battant sous la tension d'une musique percussive qui galvanise les interprètes.Peu à peu tout s'envole dans la verticalité, histoire de conquérir le premier étage: la porte principale du bas étant comblée. La danse se fait contact, contours et virevoltes incessantes au gré des rencontres. 
 

Chacun s'y croise ou évite sa relation. Suspens et élévation au menu sur des plaques glissantes, parois du petit cube qui deviennent hélice tournante de moulin à vent pour ces quatre garçons dans le vent .Le ravi de la crèche, innocent personnage très intrépide s'en donne à coeur joie pour exécuter les figures les plus audacieuses. C'est quasi une piste de skateboard pleine de surprise.Le danger est constant, les prises de risques se succèdent dans un sans faute remarquable. Alors que les complicités se tissent pour devenir berceau de réception faite de confiance et d'acceptation et de soutient de l'autre. On gravit mieux la montagne ensemble dans cet "être ensemble" fort aventureux fait d'expériences physiques remarquables. La musique transporte toujours les corps dans l'éther, éternité spatiale très construite. Le vertige s'empare du spectateur en apnée. Au seuil de cette petite bâtisse, le monde est vaste et la surface de réparation dangereuse. Les couleurs des maillots change, caméléons de camaïeux gris ou verdâtre.Cette folle virée vers des acrobaties proches du rock n'roll ou de la capoeira, du cirque est tonitruante et haletante. En suspension comme eux, on oscille, on bascule dans l'équilibre-déséquilibre permanent. La notion de poids et de contact, fondements des déplacements et appuis se révèle bien opérationnelle et fil conducteur d'une dramaturgie sur le vif, sur la sellette. La chorégraphie de Piet Van Dycke célèbre cette pesanteur-apesanteur en cérémonie burlesque où l'on s'emboite sans claquer les portes ou l'on s'empoigne sans heurt mais dans la joie et la jouissance du partage. "Danser sur moi" disait Nougaro en parlant des planchers de bal si propices à l'échange. Pivot du spectacle, le corps en mouvement défie les chutes et construit une architecture tectonique frissonnante.
 
 

Au Maillon jusqu'au 26 AVRIL