lundi 6 octobre 2025

DANCE MARATHON EXPRESS: quand la musique est bonne! Kaori Ito made in japan...Toilet paper..à la Catelan..

 


Kaori Ito TJP – CDN de Strasbourg Grand Est & KAAT Kanagawa arts theater 

Au Japon, les onomatopées sont perçues comme un langage primitif. Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent le son des choses avant de pouvoir les nommer. Ainsi disent-ils « Pota Pota » pour désigner des gouttes de pluie, ou bien « Shin Shin » pour imiter le crissement de leurs pas sur la neige.

Dans cette pièce de théâtre musical, Kaori Ito nous révèle des facettes insoupçonnées de son pays natal. Elle s’empare du récit poétique Les pieds nus de lumières de Kenji Miyazawa, riche en onomatopées, pour évoquer l’amour fraternel et le sacrifice.

Sur scène, huit interprètes extravagant·es participent à un véritable marathon de danse. À leurs côtés, nous remontons le temps et l’histoire de la discographie japonaise, de la pop contemporaine des années 2000 jusqu’aux années 30, en passant par la City pop des eighties et le boogie-woogie d’après-guerre. Au fil de leurs chorégraphies, iels sont tour à tour élu·es puis exclu·es avant de basculer dans un paysage enneigé.

Là, la famille du petit Narao, bien trop pauvre pour nourrir tout le monde, choisit de le sacrifier. Car, au Pays du Soleil-Levant, mieux vaut mourir que se sentir inutile. Soutenu par son frère, Narao fait face à l’inéluctable. Mais derrière ce geste, il n’y a pas une, mais bien deux victimes : il y a celui qui part et celui qui reste, celui qui décède et celui qui porte le deuil. Un rite cruel interprété ici avec pudeur et émotion.


Quand la musique est bonne le plateau s'enflamme au TJP sur la grande scène et l'on y découvre des "tubes" japonais inconnus de notre culture européenne avec joie, curiosité et beaucoup d’intérêt. Pas ethnographique ni folklorique mais bien ancré dans un passé-présent et avenir, chronos en poupe pour redescendre le temps, de nos jours à 1930..Un voyage temporel vécu par de tous jeunes danseurs interprètes en majorité japonais mais aussi coréen, suisse. Mixage, alliance et alliage pour créer un univers, des époques bien campées dans des costumes de rigueur. Au départ, jupettes plissées et chemisiers, en passant par des justaucorps chatoyants, fluorescents, bigarrés, colorés comme cette jeunesse qui s'affole dans des danses de midinettes ou de claudettes japonaises. Danse tonique, joyeuse, flamboyante qui évoque des contenus douloureux autant que romantiques, passionnés autant que nostalgiques. Ceci dans une énergie contagieuse et bénéfique pour le plus grand plaisir de déguster un divertissement de grande qualité, une comédie musicale à la nippone qui décoiffe et rend attentif aux tenants et aboutissants de l'Histoire d'un peuple malmené. Victime ou sacrifié à travers le récit qui se dessine, parlé par les interprètes, bordé des interventions musicales de deux compères aux consoles.


Mais qui combat et se soulève, prône la paix lors de ce cercle très labanien où les danseurs tout en noir évoluent en ronde fédératrice et réconciliante. Un siège de toilette tout blanc, clinique à souhait recueille tel un trône, corps et pensées, trop plein et méditation avec un humour féroce bien décalé.Tel en mouvement le magazine Toilet paper de Mauricio Catelan. En filigrane, un récit qui va prend toute sa place, l'histoire de deux jeunes japonais en prise avec la réalité et sa cruauté. C'est seul sur le plateau, qu'un jeune homme déclame sa tristesse et son espoir. Tout bascule dans la chorégraphie tonitruante de Kaori Ito du désuet au dramatique au fil d'une trame chorégraphique dont la dramaturgie révèle chaos , gravité autant que joie et nonchalance. Ils sont pêchus, habités, athlétiques et performants, empruntant aux divers styles des poses et formes inspirées de capoeira, de danse disco, pop et autre jerk à la nipponne..Bel enchâssement de virevoltes pleines de sens et de conscience sur l'humanité en voie de reconstruction. La musique alliant corps, espace et histoire dans un seul élan: celui de l'originalité d'une tranche de vie méconnue et ainsi réhabilitée pour le plus grand bien de nos mémoires amnésiques.. Un sacre où les élus comme dans notre mythologie se sacrifient et parviennent à transcender la réalité pour basculer dans la légende. Du travail d'orfèvre pour passer à travers les mailles du temps et restituer une authenticité digne d'un cours d'histoire conférence gesticulée haut de gamme. Un marathon orient-express, fougueux, tonifiant et vecteur d'un idéal de combat vivifiant.



Née au Japon dans une famille d’artistes, Kaori Ito se forme très jeune à la danse classique puis à la modern dance avant de devenir interprète pour de grands chorégraphes européens comme Philippe Decouflé, Angelin Preljocaj, Sidi Larbi Cherkaoui et James Thierrée. Elle se lance dans l’écriture chorégraphique dès 2008 à la faveur de diverses commandes (Ballets C de la B, Ballet national du Chili…), dans le cadre de collaborations (avec Aurélien Bory, Denis Podalydès, Olivier Martin Salvan, Yoshi Oïda, Manolo) ou pour sa propre compagnie, Himé, qu’elle crée en 2015. Elle y développe un cycle de créations autobiographiques Je danse parce que je me méfie des mots
(avec son père – 2015), Embrase-Moi (avec son compagnon – 2017) et Robot, l’amour éternel (en solo – 2018). En 2018, Kaori Ito opère un retour à sa culture japonaise se sentant enfin autorisée à se l’approprier. En 2020, elle crée, à partir de lettres adressées aux morts, une pièce pour six interprètes, Chers, et une installation en collaboration avec Wajdi Mouawad et le Théâtre de la Colline, La Parole Nochère. En 2021, convaincue de la nécessité de faire entendre les enfants et leur créativité innée, Kaori Ito crée Le Monde à l’envers, son premier spectacle à destination du jeune public. En 2023, elle est nommée directrice du TJP – Centre Dramatique National de Strasbourg, pour développer un projet autour de la transversalité dans l’art, l’intergénérationnel et l’implication des enfants dans les processus de création. À son arrivée, elle crée Waré Mono, création à partir de 6 ans sur la réparation des blessures de l’enfance. Outre Moé Moé Boum Boum créé avec Juliette Steiner, elle présente, durant cette saison, une création franco-japonaise Dance Marathon Express sur l’exclusion et le sacrifice.


Au TJP jusqu'au 15 Octobtre 


samedi 4 octobre 2025

KKAARREENNIINNAA Charlemagne Palestine Oren Ambarchi Daniel O’Sullivan : indian meditation!

 


Last but not least, pour clore sa 43e édition, Musica invite une page d’histoire des musiques minimales et expérimentales en la personne de Charlemagne Palestine

Accompagné en trio d’Oren Ambarchi et Daniel O’Sullivan, il présente une nouvelle version de Karenina, une de ses œuvres-rituels légendaires. Composée à l’origine pour voix de fausset et harmonium, elle fait référence aux ragas hindoustanis comme à certains chants hébraïques. Un moment de méditation et d’introspection auditive dans un flux musical continu.

Et l'église de se délecter de sons tenus comme des drones voltigeants au dessus de nos têtes...Les musiciens font front, une petite valise ouverte débordant des peluches fétiches du plasticien, venu en bonne compagnie. Un trio soudé parfaitement "accordé" entre des sons électroniques, des voix enregistrées prolongées par celle du violoniste qui à l'aide de son "vrai" instrument rivalise avec les consoles branchées. Étrange formation presque bon-enfant qui déroule ses litanies, sorte de rituel, de petite cérémonie collective planante et sereine , jamais nostalgique dans ses sonorités répétitives et minimalistes. Une belle ambiance parmi le public allongé, méditatif et relax, abreuvé de musique cosmique, fluide et continuel. Hypnotique, saupoudré de teintes sonores colorées comme ces petits animaux en peluche, marottes du concert dans cette valise ouverte qui invite au voyage. Voyageurs non sans bagages comme ces spectateurs qui quittent la salle, coussins à la main, voguant vers d'autres rives... 

 
Charlemagne Palestine

Karenina (1997)

voix, électronique Charlemagne Palestine
guitare, électronique Oren Ambarchi
voix, alto, électronique Daniel O’Sullivan

A ST Paul le 4 Octobre dans le cadre du festival MUSICA 

jeudi 2 octobre 2025

"Último helecho": Nina Laisné François Chaignaud Nadia Larcher : un trio où chacun serait félin pour l'autre. Un humus sonore, terre de danse vocale.

 


Último helecho est un spectacle né de recherches de terrain sur des répertoires populaires et baroques en Amérique du Sud, notamment en Argentine. En compagnie de Nadia Larcher, figure des musiques folkloriques contemporaines argentines, et de six musicien·nes traditionnel·les, Nina Laisné et François Chaignaud poursuivent leur quête d’une performance dans laquelle les expressions vocales et chorégraphiques se tressent sans que jamais l’une ne domine l’autre. À travers des danses traditionnelles telles la zamba, la chacarera ou le huaynos, à travers les corps, les rythmes et des chants aux timbres androgynes transparaissent la culture et la mémoire des peuples opprimés par la colonisation. Un geste de reconnaissance et une célébration souterraine à la croisée des mythologies sud-américaines.

François Chaignaud surprend, dérange, se plait à décadrer, décaler les genres et les disciplines pour mieux cibler son propos:avec la complicité de Nina Laisné il navigue en eaux claires et donne à voir et à entendre une œuvre inouïe. Seul sur le plateau une créature de rêve se love, se meut délicieusement dans des atours fantastiques: faune ou héros d'un Shéhérazade revisité, le danseur fabuleux visite toutes les possibilités de jeu avec un bâton qu'il s"amuse à expérimenté le point de gravité ou d'ancrage au sol. Lente progression ludique d'une danse envoutante, hypnotique, alors que juchés sur un dispositif fascinant, grotte ou caverne étrange et diabolique,trois musiciens ne retiennent pas leur souffle dans des sacqueboutes longilignes. Torsions, grâce et vélocité remarquable émeuvent la danse de François Chaignaud, alors que près de lui, Nadia Larcher chante et nous berce dans des mélodies puisant aux racines lointaines, leur chant nostalgique ou enjoué. Du haut de cette vasque, sorte de fontaine de jouvence agrémentée d'une montée d'escalier en colimaçon, les musiciens, officiants tout de noir vêtus respirent des sonorités vibrantes , oscillantes accompagnant bandonéon et percussions à l'envi.

Les courbes du corps de Chaignaud virevoltent, se cabrent se délectent sensuellement de plaisir et d'audace. On songe à Nijinsky, androgyne créateur de mouvements rétractés, en dedans ou étirés gracieusement à l'extrême. Tous les deux chantent, martèlent le sol et font communion avec les interprètes de ces chants venus d'ailleurs. Les costumes sont ceux d'une galerie de l'Evolution, exosquelettes chatoyants, colonnes vertébrales tissées sur le flan, très seyants: quasi fantastiques, voisins de peau animale colorée, brillante.Les voix se fondent de concert, le décor magnifie une atmosphère sereine, martiale, magistrale icône enluminée chère à l'univers baroque de François Chaignaud. Et c'est flamenco détourné et claquettes fantaisistes qui animent le corps faunesque et félin du danseur: on songe à "Mirlitons" son duo rageur et ravageur où il expérimente bonds, sauts frappes des pieds et pointes flamenco dans une savante chorégraphie. Un peu de tauromachie dans un jeu d'esquive esquissé avec une bribe de foulard flambant et le tour est joué.

 

Des tuniques orangées, votives et sacrées leur sont offertes, chasubles de cérémonie, de messe pour ces chansons de gestes savantes et l'office se continue précieux, savant, aux gestes millimétrés.


Avec brio il arpente la scène, gainé de cuissardes ou guêtres dorées en porte jarretelles, coiffé de pouf ou de couronnes évoquant crêtes d'oiseau ou parures d’iroquois. Et chante de sa voix de contre ténor, épousant la voix chaleureuse et bariolée de Nadia Larcher. Le spectacle est onirique, flamboyant, remarquable bréviaire et codex dansé de toute beauté. La mise en scène et scénographie portent la signature d'une complice de presque toujours, Nina Laisné. "Ultimo helecho", "dernière fougère" serait-ce une ode à l'énergie fossile, à un herbier poussant en terre fertile dans le creuset d'alluvions, de tourbe salvatrice? Et cet humus se fait terre d'élection d"une danse fertile:« Si homme vient d'humus, détruire l'humus revient à perdre notre humanité. » Cette conviction, déjà défendue dans son roman Humus, Gaspard Kœnig pourrait s'y reconnaitre...

Último helecho (2025)

conception, scénographie, mise en scène Nina Laisné
chorégraphie, collaboration artistique François Chaignaud
conseil musical, collaboration artistique Nadia Larcher
chorégraphe associé Néstor « Pola » Pastorive

performance François Chaignaud, Nadia Larcher 

 sacqueboute ténor, serpent, flûte Rémi Lécorché

sacqueboute ténor Nicolas Vazquez
sacqueboute basse, wracapuco Cyril Bernhard, Joan Marín
bandonéon Jean-Baptiste Henry
théorbe, sachaguitarra Daniel Zapico
percussions traditionnelles Vanesa Garcia


Au Maillon jusqu'au 3 Octobre dans le cadre du festival MUSICA en partenariat avec ¨POLE SUD