mercredi 5 novembre 2025

"Barber Shop Chronicles" Inua Ellams, Junior Mthombeni, Michael De Cock ne broient pas du noir

 


Inspiré par l’histoire d’un barbier de Leeds, ancienne cité industrielle du Nord de l’Angleterre, Barber Shop Chronicles invite le public au coeur d’un salon de barbier, lieu de sociabilité et des mémoires vives de la diaspora africaine. La pièce du poète anglo-nigérian Inua Ellams ouvre les portes d’un espace intergénérationnel, où l’on entend résonner le wolof, le lingala, le soninké, le bambara et le bamiléké. Les plaisanteries peuvent être acerbes mais elles visent juste. Business, relations avec les parents, amour et politique s’enchevêtrent dans des récits portés par le verbe haut et l’humour de ces hommes qui trouvent chez le barbier un espace de soin, mais aussi d’écoute et de conseil. À défaut de pouvoir couper vos cheveux, raser votre barbe ou tailler votre moustache, installez-vous confortablement pour un voyage entre Abidjan, Bruxelles, Dakar et Kinshasa !

Ambiance débonnaire dans toute la salle du TNS et surtout sur le plateau où les comédiens, acteurs de tous les jours semblent nous attendre et nous convier à une grande fête. Mais laquelle? Celle des retrouvailles entre un très jeune public invité à grimper sur scène pour se tailler un selfie avec cette joyeuse bande et plus tard en inondant les réseaux sociaux: j'y étais..Regarde tous mes copains noirs...Ou celle d'une communauté rassemblée ici pour savourer des cultures différentes, celles d'une Afrique francophone et de ces capitales, encore imprégnées de colonialisme linguistique et culturel? On en débattra ultérieurement tant le vif du sujet est abordé de front et de plein fouet. Au coeur d'une agora naturelle, celle de l'échoppe et du salon de barbier-coiffeur, lieu, endroit de rencontres, d'échanges entre hommes, autant que de soins et rituels de coiffure.On songe à ces salons de coiffure du boulevard de Strasbourg à Paris qui ne désemplissent pas de population immigrée désireuse de reconstituer, de reconfigurer les us et coutumes conviviaux et riches de relations humaines fraternelles.


Cette communauté ici portée aux nues sur un plateau est belle et émouvante. Et l'empathie nait ou surgit d'emblée avec les clients autant que les barbiers professionnels, chacun trouvant ici le lieu pour se raconter, se confronter à l'autre dans l'amitié ou le conflit de générations. Musique, rires, chamailleries ou règlements de compte, tout y passe dans un rythme vagabond, tonique. La chorégraphie, les déplacements, les corps des comédiens tous si différents au taquet. La signature de Serge Aimé Coulibaly (compagnie Faso Danse Théâtre redécouvert pour son "Wakatt" récemment ) rehausse la mise en scène signée Junior Mthombeni et Michael de Cock pour ces récits épiques. Choeurs et show choral,alignement en tête de gondole pour ces artistes qui brulent les planches et affrontent des situations entre comique et tragique comme une ode à la fraternité dans l'altérité et la diversité. On jubile devant ces personnages incarnés brut de coffrage dans des costumes chatoyants, rutilants digne d'un défilé voguing et tout prend du relief, même dans cette belle déformation mécanique des héros sur des panneaux suspendus comme des miroirs déformants. Ou est la vérité de ces histoires qui cavalent du Congo au Burkina, de Belgique au Sénégal pointant à chaque fois des détails sur chaque condition géographique et politique. Poésie aussi de ces saynètes qui s'enchainent introduites par la seule et unique présence féminine d'une conteuse-chanteuse discrète. Tambour battant tout se tricote aisément avec coup de théâtre, intrigues et exercice du jeu de comédiens: Salif Cissé, le chouchou de la maison, découvert dans le solo de "Je suis venu te chercher" et plus tard à l'écran dans les films "Méteors".."Spectateur" ou "Le répondeur",est fort et présent dans ses deux rôles où sa puissance se révèle fragile autant que véhémente et colérique. Tous les autres partenaires éclaboussant de joie, de tendresse, de malice ou de cruauté selon les épisodes parcourus. Du bel ouvrage pour un sujet délicat autant que crucial à évoquer: faire entrer au théâtre le quotidien d'un salon de barbier où tout ce dit comme des brèves de comptoir acerbes, tendres ou tout simplement sidérantes.

Et jamais "rasoir" ni "on rase gratis" pour ce pamphlet où la scène tournante au final joue au manège infernal de la vie. 


[Texte]
Inua Ellams 

[Mise en scène] Junior Mthombeni et Michael De Cock 

[Avec] Priscilla Adade, Junior Akwety, BATGAME, Hippolyte Bohouo, Martin Chishimba, Salif Cissé, Yoli Fuller, Aristote Luyindula, José Mavà, Jovial Mbenga, Souleymane Sylla, Clyde Yeguete 

 Au TNS jusqu'au 14 Novembre

lundi 27 octobre 2025

POUSH #3 Chaillot invite : transformation et métamorphose au menu! Poush toi de là que je m'y mette...

Pour la troisième fois, les espaces du Palais de Chaillot vont être bousculés par des propositions artistiques choisies par Yvannoé Kruger et son équipe du POUSH.  Centre d’art et de résidences d’artistes d’Aubervilliers. Dans un esprit de découverte et de dialogue avec les publics, cinq artistes investissent le haut lieu de la danse par des installations in situ, des vidéos, et des performances, promptes à rendre l’événement unique. Spare Memories de Hector Garoscio s’empare d’une moto désossée et d’une guitare électrique, tandis que le Libanais Pascal Hachem expose des corps à la manière d’une sculpture vivante (Photoshop me). Suricata, de son vrai nom Federico González, musicien multidisciplinaire proche de la culture rave, installe son soundsystem pour une performance et un set live. En continu, on découvrira le travail de vidéo de Jisoo Yoo, et une installation de Winnie Mo Rielly.

 

'Dichotomy 3' par Pascal Hachem 

Avec : Pascal Hachem, Hector Garoscio, Winnie Mo Rielly, Suricata et Jisoo Yoo


'Dichotomy 3' par Pascal Hachem serait la perle de cette soirée déjantée, marathon salvateur pour public friand de surprises, de déambulations et autre pérégrinations au sein du Palais de Chaillot: ici berceau des fines fleurs de l'art contemporain associé de très près à la performance, aux installations et autres formes de monstration des expressions artistiques contemporaines. Ecrin de mise pour ce mur blanc percé qui abrite les fragments de membres comme Robert Gober le plasticien sculpteur des corps démembrés qui surgissent de murs, de recoin. On les rencontre ici comme sur une surface de grimpette alpine qui se battent avec les apparitions-disparitions et l'effet est sidérant. Comme un abécédaire, les formes des corps insérés dans l'envers du cadre cherchent leur place, recto-verso et mobilisent l'ensemble dans une vision quelque peu fantastique et fantaisiste d'une architecture vivante. Les propositions corporelles comme un codex à déchiffrer et décrypter à foison.

Plus intimiste, les vidéos de Jisoo Yoo, où un corps translucide sans tête se déplace au sein d'un appartement fantôme. Le spectre erre et navigue dans ces espaces, espèces de mirages en noir et blanc. Légers et transparents, les décors se fondent en lui et respirent cette perte, cette absence de chair en harmonie, simple mise en scène onirique et translucide de l'indicible.

 Et quand les pianos préparés, disloqués de Suricata susurrent une musique cosmique au coeur du public dans le Grand foyer de la danse, c'est comme un bal qui s'emballe et disloque l'attention en autant de points sonores déversant des sons et harmonies plein de fréquences rarissimes. Les tableaux piège de ces carcasses d'instrument à cordes pincées, à touches désarticulées sont autant de vestiges, de carapaces ou d'exosquelettes fort beaux et intriguant à contempler durant l'écoute.

Au TND Chaillot le 21 Octobre 

dimanche 26 octobre 2025

UMUNYANA Cedric Mizero: quand la voix est fête et danse, quand les cornes résonnent comme des trophées de mémoire

 


On dit que Girinshuti erre sous l’emprise d’une étrange maladie mentale, confronté à des vaches, figures centrales du paysage rwandais. Cedric Mizero déploie une installation performative où se tissent récit fictionnel et réminiscences de l’enfance. Né dans l’ouest du Rwanda au début des années 1990, Cedric Mizero est un artiste autodidacte dont la pratique hybride mêle
arts visuels, mode et performance. UMUNYANA évoque un monde suspendu, traversé par un personnage souffrant d’un trouble de la mémoire, qui l’entraîne dans un univers où l’Inka — la vache — est pleurée, chantée, incarnée. Déesse vénérée autrefois, aujourd’hui disparue, elle réapparaît comme un spectre lumineux que les corps tentent de ressusciter par le geste, le souffle et le chant. Marqué par ses recherches sur l’abattage des animaux les jours de marché — une pratique qui contraste fortement avec la vénération culturelle du Rwanda pour les vaches — Cedric Mizero construit cette installation comme une vision fragmentée. Des images émergent d’une salle à l’autre, explorant l’histoire et la culture du bétail au Rwanda. UMUNYANA chante la perte d’un monde rural effacé et célèbre les liens invisibles qui unissent l’humain à l’animal, au passé et à la terre.


A la Ménagerie de Verre tout tremble et retentit au son de la voix d'une femme noire au coeur de l'espace partagé de plain pied avec le public appelé à partager une cérémonie païenne sonore et pleine de résonance, de sonorités charnelles: celle de la voix puissante aux fréquences denses et emplies de présence. Alors que sur un écran défilent les images d'une assemblée réunie à l'occasion d'une fête ou d'un rituel. Le mystère demeure, des offrandes circulent parmi le public: de petites abeilles en matières de récupérations très touchantes et naïves. Les cornes des vaches de ce rituel de la mémoire en objets d'adoration respectueuse autant qu'en oeuvres d'art plastiques singulières.Trophées de mémoire et de passation cultuelle rare et symbole d'appartenance à une tribu, à un peuple, à une famille élargie d'être humains soudés et solidaires. Un danseur s’immisce dans ce jeu de réactivation de mémoire, c'est Cédric Mizero à l'envergure gestuelle singulière. Corps offert et livré à l'évocation de sensations archaïques: celle de la dévotion autant qu'à l'amour de l'animal, vache chérie de l'enfance rurale. Il chante accompagné de notre guide qui nous invite à déambuler jusqu'au grand studio à l'étage de la Ménagerie. Voyage spatial animé de surprises et du développement du propos du chorégraphe. Divagations salvatrices dans cette atmosphère prenante et envoutante. Ils seront plusieurs à nous conduire dans l'antre de ce rituel, le chant comme fondement et clef de voute du passage d'un endroit à un autre.Voix puissante aux sonorités graves et frémissantes, aux accents joyeux et radieux. Les corps se mouvant, offerts, rythmant la danse, frappes au sol, sauts brefs, rapides, enchainés comme des coups , des percussions rituelles évidentes. Les costumes chatoyants comme des flammes, les guêtres comme des peaux d'animaux, revêtues le temps d'un sacrifice ou d'une cérémonie partagée salvatrice. Un groupe, une tribu passionnée incarnant des esprits très présents, bienveillants saluant terre et ciel comme des axes fondamentaux de pensée en mouvement. Entre anges et bêtes, entre corps et voix poreux et transversaux sans cesse animé par une énergie débordante et contagieuse. Quand ils disparaissent à nos yeux c'est pour mieux incarner les voix et la muse Echo qui ne se montre jamais. Et les cornes demeurant comme des arches à franchir pour accéder à un au delà inconnu.


A la Menagerie de Verre jusqu'au 25 Octobre dans le cadre du festival d'automne à paris