mardi 11 mars 2025

"Guest": Noémie Cordier: terpsichore en baskets: une hotesse de choix!

 


Noémie Cordier  Cie Watt Fance1 danseuse + 1 batteur + 1 DJ beatmaker

GUEST

Breakeuse talentueuse, Noémie Cordier signe une ode à l’univers du clubbing. Sur un sol recouvert de poudre blanche, les pas de la jeune Strasbourgeoise tracent une cartographie intime des cultures undergrounds qui la constituent. Formée aux danses Hip-Hop, elle s’est nourrie de capoeira, de house et de contemporain. Cet héritage se cristallise dans un groove témoignant de ses états d’âme, transcrits en pas iconiques (chase, plié, bounce, roll…). L’enjeu étant de conserver l’intuitif de ses gestes, de porter haut un langage corporel métissé témoignant d’une histoire des marges, s’exprimant face à l’oppression, qui s’écoule comme un sablier. Ce « patrimoine vivant et inobjectivable », porte en creux une liberté émancipatrice, une expression existentielle et identitaire. Dans un second temps, elle est rejointe par le batteur Joël Osafo-Brown et un DJ Beatmaker dans une invitation au partage de l’espace pour re-créer du commun avec les spectateurs.


Bienvenue au Clubbing !

Elle prend le plateau dans un beau rituel: se revêtir de talc comme ses coreligionnaires et tracer sur le sol des empreintes de pas en autant de cercles et circonvolution. La danse de Noémie tangue, chaloupe, se tord et ondule à foison avec grâce comme envoutée par une gestuelle qui lui colle au corps, à la peau.Le corps cambré, allongé, flexible, souple comme figure et attitude réitérée.




En training, sobre, tunique à l'indienne, cheveux couronnant sa tête qui ne cesse de dodeliner, elle est rivée au sol et cependant son corps oscille sans cesse comme happé par un aimant invisible. La musique et elle, ne font qu'un qui la galvanise et la propulse peu à peu dans l'espace. Des gestes évoquant l'étroitesse autant que l'embrassement du monde, voilà qui ouvre des perspectives de lectures généreuses et partageuses. Ce solo diffuse émotions et palpitations, éléments naturels et fondateur d'une danse très organique et contagieuse.Le corps de cette jeune femme s'embrase peu à peu et irradie des petits riens en volutes, tournoiements, spirales et autres circonvolutions rares et virtuoses. Sans cesse dans le mouvement qui l'anime, la rend vivante et abordable. C'est le chapitre Un de ce spectacle qui fait place après un petit entracte où l'on peut découvrir son parcours sur la planète avec ses complices de jeu internationaux , à une seconde partie. 


Place à la musique, la batterie et la console pour succéder à tant de plasticité physique incarnée par Noémie Cordier. Batterie affolée de Joel Osafo-Brown qui s'en donne à corps joie puis rejoint la piste de danse pour un solo griffé, prêt à porter à la taille de cet athlète jouissant d'une gestuelle sur mesure. Se joint à lui le beatmaker Micharel Rossi qui n'a de cesse de quitter sa console pour y revenir dans une mouvante ondoyante qui lui sied à merveille Quand danse et source musicale ne font qu'un, c'est à un ravissement que l'on assiste , qui vous étripe et séduit. Rapt et capture, pour rester captivé tout le long de ce show-clubbing de toute beauté. Alors qu'un trio se forme entre les protagonistes à l'unisson de leurs pas électriques et hypnotiques, la petite assemblée réunie autour d'eux se met à bouger en empathie totale avec ce trio d'artistes. Chacun y va de son talent, de sa mouvance en osmose avec le style de danse ici convoquée. C'est le clubbing qui l'emporte, très habité par des interprètes façonnés par cette mouvance ample, sensuelle, ondoyante.Tous très à l'écoute de ces propositions rythmiques engageantes, innovantes , déstabilisantes où équilibre-déséquilibre tissent des relations de déplacements, divagations et autre déambulations hallucinatoires. Communauté, petit groupe qui pulse, respire et tangue à l'envi et ne se détache pas de cette masse en mouvement. Bel échange et partage avec la salle qui n'est pas de reste dans cette communion fraternelle, dansée, en bonne compagnie.

A Pole Sud jusqu'au 12 Mars 




vendredi 7 mars 2025

Karl Naegelen Accroche Note + Étudiants de la HEAR-Musique : une découverte fort bien "servie" !


L’ensemble Accroche Note interprète les œuvres du compositeur Karl Naegelen avec la participation des musiciens de la HEAR-Musique.

 Un concert monographique est toujours le bienvenu pour apprécier, découvrir un compositeur: c'est chose faite en compagnie de Karl Naegelen, musicien-compositeur strasbourgeois servi par des étudiants de la HEAR et des enseignants généreux de leur temps, compétences et talents d'interprètes. 

La première pièce "Modules" s'articule autour d'instruments quasi détournés pour clarinette, violoncelle, harpe et piano. La harpe claque, résonne, le piano trépigne, la clarinette souffle en cavalcade rocambolesque Des ré-percussions fusent de partout puis c'est l'intrusion de l'intime qui prime et magnifie ce curieux quintet. Et en présence de Armand Angster à la clarinette Christophe Beau au violoncelle Marceau Ballou à la harpe, Gabin Domaison aux percussions et Wilhem Latchoumia au piano, c'est "cadeau"!

Pour le chorégraphe Noe Soulier Karl Naegelen avait composé plusieurs pièces dont
"First Memory «Jeté»" pour flûte basse interprété brillamment par  Lisa Meignin :des verbes d'action comme "jeter", "éviter" il compose une partition relevée: un solo avec de longues tenues, des respirations évoquant une narration continue, une autre langue.

 "Accompagnés des gestes musicaux composés par Karl Naegelen, aux prises avec l’espace morcelé conçu par l’artiste Thea Djordjadze, les danseurs combinent, recomposent, juxtaposent des activités en temps réels, jusqu’à produire un espace tissé de correspondances et d’échos. Dans un jeu de va-et-vient entre le visible et l’invisible, le contrôlable et l’imprévisible, la gestualité se propage à tout l’espace – sensoriel, sonore, visuel – creusant les couches mémorielles singulières des interprètes et donnant à voir une syntaxe d’intensités."

Succède "First Memory" pour flûte, violon et guitare: de la finesse, de la douceur dans la lenteur, une guitare intrusive et des sirènes qui mugissent et gémissent grâce à Lisa Meignin flûte,Gaspard Schlich guitare et Margaux Bergeon violon

"L'Étude fantôme pour piano" avec Wilhem Latchoumia revèle des accents de frappe flamenca dans une vitesse effrénée et virtuose, une dextérité percussive intense et forte

"Laïka" pour piano à quatre mains est un hommage bref et volcanique, éruptif à Stravinsky: 45 secondes de folie inventive qui font mouche et touche une cible radicale. Avec
Loup-Guillaume Tual piano et Wilhem Latchoumia piano


Pour "Oh dear ! O Mensch !" - Création (avec l’aide de la SACEM) pour soprano, clarinette, violoncelle et piano Accroche note :Françoise Kubler voix Armand Angster clarinette Christophe Beau violoncelle Wilhem Latchoumia piano se sera pour un prochain épisode en Juillet la chanteuse légendaire étant souffrante.

Quant à "La chute des anges rebelles" pour quatuor à cordes c'est le chaos qui prend le dessus, le relais. Imaginé à partir du choc visuel d'une toile de Brueghel très ordonnée en apparence, c'est le désordre qui s'installe. Un véritable ballet d'archets des cordes pour des glissades subtiles, des dissonances au diapason très vives Fort dansant de surcroit malgré les difficultés de la partition. Un exercice de virtuose pour ces jeunes musiciens en herbe déjà aguéris et galvanisés par une inventivité des tonalités, des contrastes et mutations constantes de sonorités complexes. Avec Matoses Margot violon Liam Lefèvre violon Silvère Couturier alto et Loïc Fontalive violoncelle

"La plainte du Ney" pour saxophone soprano revêt un charme fou entre sonorité de hautbois et flûte: une pièce "schizophrène" aux dires du compositeur avec des échappées belles remarquables, des sortes de reprises comme des leitmotiv qui s'affolent. Avec Chloé Chasson au saxophone, une interprétation précise et habitée, incarnée.Des variations et une grande diversités de sons, des sifflets stridents, au hululement: différents registres de narration musicale d'une grande beauté.


Au final de ce concert unique et singulier "Children’s Folk Songs" pour soprano et ensemble
Plus de six chants et comptines issues de répertoire et influencés par celles de Bério C'est Sara Taboada soprano qui s'y colle savamment et avec un grand talent d'interprète: vivante, habitée, elle saute d'un registre à l'autre sans faille et illumine cette musique tantôt douce et et tendre, tantôt enflammée et virulente comme sur un marché animé D'un cheval hirsute à une balade nostalgique, la voix est vive, rapide, l'élocution précise et tonique. Volubile cavalcade quasi folklorique et chaleureuse, cet opus surprend , séduit, ravit. Avec Louise Deschodt flûte Charlotte Cassagnabere clarinette Silvère Couturier alto Timothée Montreuil violoncelle Marceau Ballou harpe Gabin Domaison percussion Léopold Lemonon percussion et Laure Deval direction

Une heure bigarrée, savante, enjouée de toute beauté en compagnie des jeunes musiciens en grande forme boostés par leurs enseignants et la compagnie généreuse d'un compositeur à qui est rendue justice: faire connaitre son oeuvre interprétée par ses contemporains avides de découvertes authentiques.


Vendredi 7 mars 2025 à 19h Salle d’orchestre Cité de la musique et de la danse

"Tamanegi" de et par Ikue Nakagawa : tout un peuple pour compagnons

 


Pendant que son père luttait contre la maladie, Ikue Nakagawa a dessiné un oignon tamanegi, variété piquante et sucrée : un symbole des relations familiales à partir de son cœur, entouré d’une multitude de couches protectrices. Au milieu de cinq marionnettes à taille humaine et aux visages figés, la chorégraphe japonaise se fait tour à tour fille, sœur, mère et épouse. Ses mouvements seuls activent les personnages inertes qu’elle déplace et surveille, autant qu’elle soigne et réconforte. Par un habile jeu de focales de lumières, se dessinent des scènes à la narration silencieuse, dévoilant les dynamiques familiales placées sous l’aune du mimamoru (見守る). Ce terme japonais se compose de deux kanjis : miru (見る) signifiant regarder, et mamoru (守る) protéger. Une sorte d’attention réconfortante qu’on sent plutôt qu’on l’observe. Elle confère à chacun·e une présence protectrice, une force qui ancre dans une histoire peuplée d’ancêtres, d’aléas et de bienveillance. Au milieu des pantins représentant ses proches, Ikue danse ce qu’on ne voit pas, ce qui nous lie et nous constitue. Elle dévoile les strates des dynamiques familiales où les plus âgé·es entourent les plus jeunes, avant que l’âge avançant, les rôles ne s’inversent. Avec délicatesse, s’esquissent les enchevêtrements de trajectoires de chacun·e, les absences et les peines, les traces qui nous ancrent et que nous transmettrons, notre tour venu.

 



Quand elle se présente sur scène sur fond blanc et  tapis blanc, elle parait menue, esseulée, pudique et perdue dans un isolement très touchant. De noir vêtue pour faire contraste à ce pays immaculé de la blancheur virginale. Viennent à sa rescousse deux personnages inanimés, une femme emmitouflée, un homme en anorak qu'elle dépose doucement sur le sol. Ils se tiennent debout sans aide ni socle ou support. Ils vont devenir compagnons de jeu, de formes de mouvement malgré leur fixité, leur ancrage au sol comme des mannequins, muets. La gamme des mouvements de la danseuse se fait riche de longues et graciles avancées dans l'espace, tournoyant en présence de ses compères figés.Encore un autre homme et un enfant se joignent à cette famille improbable et lui donnent l'occasion de converser, de s'interroger, de douter, de fuir aussi ces effigies peut-être disparues et réincarnées, peut-être ancêtres vénérés ou simples compagnons de vie, de route.C'est tout un imaginaire à construire, constituer alors qu'elle nous fait signe et nous donne quelques pistes d'interprétations. Demeure le rêve, le possible, le phénomène d'une réanimation possible de ces êtres perdus et retrouvés. On songe à Ron Mueck ou plus justement aux plasticiens George Segal ou Duane Hanson, hyperréalistes.Gisèle Vienne et Kantor bien sur qui peuplent le plateau de personnages figés, prétextes à de vives réactions des acteurs ou simples habitants de territoire du spectacle. Ikue Nakagawa et son perit peuple à la peau noire, grandeur nature émeut comme elle aussi d'un autre continent, animé d'une culture singulière qui convoque ici fantasme, réalité et différences à l'envi.
 
Née au Japon, Ikue Nakagawa se forme au Centre de développement Chorégraphique national Toulouse-Occitanie. Elle a travaillé comme danseuse dans de nombreuses créations de la Cie Kubilai Khan Investigations de Frank Micheletti (Archipelago, Tiger Tiger Burning Bright…), mais aussi au théâtre, sous la direction de Pascal Rambert (To Lose, Toute la vie, Avant que tu reviennes…). Sa pratique assidue du dessin sert de point de départ à chacune de ses propres pièces, dont elle signe la scénographie à partir de séries personnelles. Il représente sa porte d’entrée pour accéder à ses mondes intérieurs et l’aide à traverser les strates du mille-feuilles dont elle est composée, mais aussi à s’émanciper des limites des corps représentés ou dansés.

 
Au TJP jusqu'au 8 MARS en partenariat avec Pole Sud