lundi 8 juin 2015

"De mes spectres" au festival des caves à Strasbourg: médusante paranoia!


Si la tétanie, l'hypnose et la catharsis ont lieu d'être et peuvent élire "domicile" au théâtre, voici pour preuve, un solo pétrifiant joué par Damien Houssier !
C'est dans le cadre du festival des caves, un réseau rhizome et quasi confidentiel de diffusion de spectacles atypiques, qu'hier soir à Strasbourg, un petit groupe de spectateurs est invité à déguster sans modération une cuvée 2015, ici représentée par "De mes spectres" de Simon Vincent et Damien Houssier.
Une libre adaptation des "Mémoires d'un névropathe" de Daniel Paul Schreiber.
Et pour cette cérémonie, on descend les escaliers d'une cave privée de la ville, au fond d'une cour citadine.
On prend place en cercle, assis sur des chaises de fortune, de jardin pour l'occasion: petit mobilier bien plaisant, clef logistique d'un festival, nomade, itinérant!
Et pour ce sujet sur l'enfermement, la claustration, voici une matrice bien trouvée, un cube noir de terre battue, de gravas, solidement soutenue par des poutres ancestrales, magistrales de châtaignier ou de chêne
Les fondements de la raison d'un homme vont pourtant y basculer, dans la déraison, la désobéissance, l'indiscipline
Comment vivre, résister ou s'abandonner à son propre délire, voici bien ici, vécu, le sort d'un éminent personnage, basculant dans sa folie, sa démence ou tout simplement son imagination prolixe, fertile, délirante.
Une heure et demie durant, on assiste, on vit en proximité avec ce personnage, frôlant son corps, sa voix, ses intonations, ses regards. Promiscuité salvatrice pour mieux pénétrer son univers visionnaire, ses excès, ses flux et reflux d'énergie.Performance remarquable d'un comédien, Damien Houssier, à fleur de peau, plein de chair et de sensualité dès le départ où il offre son corps, de son lit de fer de clinique psychiatrique. A demi nu, il ausculte, tâte son corps, nous prend à partie pour mieux jouir ensemble des émotions et sensations connues ou inconnues d'un corps en déséquilibre, en instabilité
D'une voix aussi, d'un texte revisité et adapté pour "la scène", pour un théâtre de soliste, vivant, chaleureux, mystérieux aussi
Cérémonie partagée par un petit groupe de spectateurs privilégiés, sur le qui vive, toujours alléché, en apnée, suspendu aux actes et révélations de cet homme qui souffre peut-être mais qui jamais n'oppresse ni ne capitule sur son sort
Destinée chaotique qu'il semble déguster avec un malin plaisir et une jouissance communicative sans limite. Les objets qui l'accompagnent, son lit, socle vacillant et quelques autres accessoires, dialoguent avec lui, sobrement.
Ce "fou" dans sa diagonale revêt plusieurs atours, accoutrements évoquant la camisole ou la "grenouillère" très seyante !!! Un érotisme certain, évocateur de l'érection ou de la métamorphose du corps qui se transforme, se dessine , s'esquisse sans fard.
On ressort de la cave, aux escaliers escarpés un peu "sonnés" sous le charme d'une soirée conviviale, partagée, forte, haute en couleurs
Et l'on garde en mémoire des images de mise en scène où tout un empire familial en déliquescence est judicieusement évoqué dans une pyramide de  morceaux de sucre, fondant, trempés dans un café froid; le monde s'effrite, se délite, se répand s'effondre autour de lui et il n'en a pas grief !
A vous couper le souffle !

www.festivaldecaves.fr





D’après Mémoires d’un névropathe de Daniel Paul Schreber
Simon Vincent / Damien Houssier
Coproduction : Cie Ce que peut l’orage (Strasbourg)

Schreber connaît la vérité de l’Univers, cachée aux yeux de tous. Pour cela, il subit tous les outrages. Quand ce n’est pas Dieu qui le persécute, qui le transforme en femme, il est torturé par les sadiques lilliputiens qui travaillent à son service... Né à Leipzig en 1842, Daniel Paul Schreber fait carrière dans la magistrature. En 1884, épuisé par les élections qu’il vient de perdre, il connaît un premier épisode d’hospitalisation pour hypocondrie grave, avec tentative de suicide. En 1893, après avoir été nommé Président de chambre à la cour d’appel de Dresde, il est en proie à de nouvelles hallucinations. Interné dans une clinique spécialisée pour malades mentaux, il commence à écrire ses Mémoires d’un névropathe… Délires, hantises et obsessions : ce témoignage est d’une richesse rare pour la compréhension de la paranoïa.

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