lundi 19 décembre 2022

"La belle au bois dormant" : sans rouet ni épine dans le pied, comme sur des roulettes! Baby doll-boom oblige!

 


"Du célèbre ballet composé par Tchaïkovski en 1890, Marcos Morau a tiré relecture audacieuse : une méditation sur la durée, où la Belle au bois dormant devient l’allégorie de notre rapport au temps. L’univers visuel foisonnant du chorégraphe revisite le sommeil de la princesse dans une procession impétueuse et débridée."

Et si l'on proposait une version freudienne de cet opus-dei iconoclaste en diable, païen, expiatoire et comme la "psychanalyse des contes de fées" de  Bruno Bettelheim, explore les bordures et les failles d'un récit mythique souvent édulcoré...?

C'est une termitière, gonflée, flottante qui pulse qui ouvre le bal: images surréalistes d'un microcosme qui ondule, se meut dans des mouvements choraux voluptueux. Rehaussés par des costumes vaporeux, sortes de crinolines ouvragées, tutus romantiques affriolants, de dentelles et coiffes à la nourrice dévolue à un bébé omniprésent dans les bras de chacune, de chacun. Car ici, on dégenre: pas assez de femmes pour incarner les nounous de cette pouponnière, berceau incubateur de la belle au bois dormant...Alors on berce à foison ce nourrisson indésiré que l'on se passe miraculeusement de bras en bras. Pouponnière à incubation tendre mais pas tant...Du rififi dans cette fourmilière, active, affairée qui ne cesse de bouger et de produire des effets redondants de mouvance qui finissent par lasser. Mais la lumière rougeoyante ambiante qui fait de l'espace scénique une matrice qui engendre la vie utérine de son sang menstruel nous longe dans une atmosphère mystérieuse et clinique.Label rouge....

Walter Sickert: crinoline !

De ces abeilles travailleuses va naitre une léthargie, une somnolence insoumise qui ira à l'encontre de ce sommeil sempiternel annoncé: la belle ne se réveillera pas, plongée dans l'enfance qui rebondit sous forme de poupon de plastique cellulose.Ce petit monde va et vient sur le plateau, en ligne horizontale, pions bien dressés en marche syncopée en cadence dans des glissés à la patin à roulettes impressionnants! C'est incroyable, absurde, fantastique à souhait. Et si conte de fée il demeure, la pièce faites de saynètes et d'entremets savoureux fonctionne à plein gaz. Les parcours et déplacements, les courses alternent peu à peu avec des portés, des duos et autres liens entre les danseurs, obnubilés par ce petit fardeau encombrant qu'est la belle: poupée à la Hans Belmer ou poupée mannequin qui ne fera jamais sa mue de sa chrysalide.? Une valse des fleurs épique pour évoquer la musique ....Qui demeure fer de lance désintégré, déstructuré du "ballet", coup de  balais à l'académisme!



Lâchés comme des salves inondant le plateau, les danseurs opèrent comme des images fuyantes, rémanentes qui passent et repassent, temps qui lutte contre l'oubli, la perte, la fuite. C'est beau, très esthétique et les costumes de crinolines, se transforment en aube ou tenue de sport, gilets rouges d'un labeur oppressant, mécanique, obligé. La lutte est dure, impitoyable et les décors que chacun arrache au fur et à mesure se démontent, disparaissent, comme des lambeaux arrachés à la matrice utérine.La communauté se dissout, la belle encore ingénue et adolescente dans les bras de quelques unes ne verra jamais l'adulte, ni le prince charmant. La marâtre peut-être qu'elle tient au final dans ses bras...Les corps se pressent, dérapent , regardent dans la direction du danger annoncé: ce qui va advenir de la vie de la Belle qui refuse de grandir et de se jeter dans la gueule du loup ou les bras du prince. Pas de baiser, pas de rouet ni de laine-coton, de ouate pour cette version débridée d'une Belle qui rode sans cesse sans s'assumer, bébé éternel dans les bras des langes et autres peaux protectrices.Chemises, lingettes et autres protections, couches et culottes en dentelle qui vont vers la nudité doucement cependant. Pan pan sur le tutu, sur le cul cul pour cette ode irrévérencieuse à Perrault, conte à rebours sagace et vertueux, antidote à la morosité, culottée et iconoclaste. Les danseurs, athlètes prodigieux pour cette performance aérobique impressionnante! Marcos Morau en prestidigitateur, agitateur remarquable metteur en scène à la Pina Bausch parfois interpellée! Épine dorsale d'une Belle agitée du bocal, fœtus éternel pour réjouir les aficionados du surréalisme ambiant!

A la Grande Halle de la Villette le 15 Décembre

mercredi 14 décembre 2022

"Smashed": pom pom show! A croquer comme fruit non défendu ! Un divertissement poétique très incorrect !

 


9 jongleurs, 80 pommes rouges, 4 services de vaisselle, interprété sur des chansons populaires de Tammy Wynette, du Music-Hall à Bach.


Cette pièce présente un mélange sensationnel de virtuosité, inspiré par le Tanztheatre de Pina Bausch. Une suite de tableaux vivants, vus comme des photographies anciennes rappelant les guerres, l’amour perdu, et le charme désuet du thé de l’après-midi.


Dans Smashed, l’utilisation des pommes comme accessoire de jonglage n’est pas anodine. En effet, la manipulation du fruit défendu propose un regard sagace sur les relations tendues entre sept hommes et deux femmes, écorchant gentiment le jonglage traditionnel et le cirque contemporain.

Ce travail drôle, inventif et original est comparé à de la danse théâtrale et remet en cause la perception du jonglage contemporain.

Le plateau s'anime avec une joyeuse bande de lords anglais très clean sur eux, simulant des gestes nobles, sauf que ce sont des pommes qui animent le moteur de leurs mouvements et que c'est ce petit détail qui tue! A la façon Pina Bausch dans son défilé de Kontakof , les voici répétant à l'envi avec petits sourires malins en coin, des tours de magie dans leur espace collectif.Des pommes-tétons, des pommes à terre, en l'air et tout bascule dans une douce dérision, suggérée. Pas de caricature de la grande dame de Wuppertal, mais un échantillon des capacités d'inventivité en inventaire à la Prévert. Sans mot, sans verbe...Des musiques d'antan, désuètes à souhait soulignent et révèlent la tendance à sourire de us et coutumes, des moeurs d'une micro-société ludique, un tantinet perverse et sagace sous les angles...Des dessus de table féminin pour satisfaire aux désirs des hommes, des portés pour mieux s'étreindre, des jeux de rôle, des jeux de pommes pour illuminer la scène . Les deux femmes, malines, mutines se font entourer comme dans "Les Louves et Pandora" de Jean Claude Gallotta, consentantes ou pas, esclaves . Là le bas blesse pour les féministes !Toujours en marche, en action, la grappe de comédiens avance, recule, en danse chorale, à l'unisson ou en individuelle parade. Un grand escogriffe en costume cravate comme ses semblables, joue à la star de la balle rebond, tel un Jacques Tati, Chaplin ou plus proche de nous Christophe Salengro, l'égérie de Philippe Decouflé. C'est drôle, décalé, fripon, coquin La danse chorégraphiée ici pour les besoins de la réception de toutes ces pommes en l'air, est juste, sobre, parfois acrobatique avec des clins d’œil au hip-hop ou capoeira...à la danse contact ."Complètement paf, bourré, brisé" traduit le dictionnaire de ce "Smashed" signé du collectif Gandini Juggling", au service de smash aérien de compétition de tennis ou badminton...Avec pommes en mains!La balle est dans leur camp et ce verger prolixe se transforme en autant de lieux, endroits hétéroclites singuliers.

Un divertissement intelligent, rythmé au cordeau plein de charme, de surprise, animé par une dramaturgie de cabaret, de jeux de jambes à la Mistinguett, music-hall où l'on reste incorruptible, imperturbable devant toutes sollicitations...érotiques, politiques, poétiques. C'est plein de verve, bien dosé comme un bon cidre acide, pétillant, bourru, délicieux, savoureux.Une tasse de thé pour lord échappé de sa tribu qui génère des femmes enceintes de pommes qui accouchent comme des call-girls désabusées très sexy. Et l'on croque la pomme, ce fruit défendu d'un paradis perdu et retrouvé. Au final, on se gave de cette chair végétale à l'envi tout en jonglant au passage. Jusqu'à une compote finale sur le plateau ou détritus et bris de vaisselle jonchent le sol dans un joyeux désordre tonitruant.Il y a de la casse dans ces scènes de ménages, ces tableaux successifs, saynètes virtuoses du jonglage qui mine de rien parcourt tout le spectacle. Discrètement ou ouvertement, objet et sujet de cet opus désopilant plein de distanciation, de recul. Sur l'humaine condition pas toujours radieuse, mais pleine de machineries, de subterfuges, de cachotteries inavouées qui font surface malgré tout; on veut étouffer les petits scandales, mais les voici réactivés par le biais des pommes!Jeu de circonstance pour pomme en l'air et saluts sur sol glissant plein de pelures et autres marmelade sur le tapis de scène Chacun des spectateurs invité à en emporter une part comme souvenir impérissable d'une soirée mémorable au Théâtre de Haguenau; un lieu plein de surprises de programmation à suivre assidument durant la saison...de la récolte des pommes bien sûr!

Le 13 Décembre au relais culturel de Haguenau

vendredi 9 décembre 2022

"PROG.HB.ZérO": la tête au carré cubique ! Des architectes de la saga-cité! Aurore Gruel fait la tête au carré des lombes!

 


Cie ORMONE France trio création 2021

PROG.HB.Zér0

À l’occasion d’un précédent spectacle, les artistes de la compagnie ORMONE ont imaginé un drôle de petit peuple, les Hommes Boîtes. Avec leur tête au carré en carton et leur corps de danseurs, les voici qui reviennent, propulsés dans le nouveau monde de PROG.HB.Zér0. Voyage inattendu dans un espace aux images foisonnantes.

 

Entre le jour et la nuit, il se passe parfois de drôles de choses. Les trois personnages de la pièce se réveillent dans un univers qui les surprend. Il y a là de quoi jouer et danser entre images, sons, couleurs et objets à explorer. Et les Hommes Boîtes sont ravis d’en profiter, de sauter d’un univers à l’autre et d’inventer ensemble. Plaisir de la découverte et jeux nés de l’imagination sont, pour les héros de cette histoire pleine de rebondissements, l’occasion de se doter de nouveaux pouvoirs.
Créé par Aurore Gruel, PROG.HB.Zér0 poursuit la démarche entreprise par la chorégraphe depuis les débuts de sa compagnie fondée en 2004 : engager le corps dans l’acte poétique. Spécialement conçue pour le jeune public, cette nouvelle pièce pleine de fantaisie s’attache aux sensations en croisant différents langages artistiques : danse, musique, arts visuels. Dans ce spectacle, corps, objets, images s’animent, créant de nouvelles situations, d’autres paysages et récits. Selon Aurore Gruel, il s’agit « d’explorer les formes simples, les couleurs ; de faire de plus en plus de choses tout seul comme s’asseoir, ramper, attraper, courir, sauter, grimper, glisser, imiter… » et d’embarquer le public dans cette aventure.


C'est tout un univers de lumières au sol, au mur qui tracent des images, des hiéroglyphes colorés, mouvants aux formes carrées, petits lego mobiles animés de bonnes intentions icono- graphiques! Les spectres graphiques se promènent, se déplacent comme des pièces de puzzles ...Des cubes-écrans font office de toile de projection, en monticules: c'est du Alwin Nikolais ou de Loie Fuller, toile tendue pour accueillir le mouvement lumineux et le défier. De petits personnages se révèlent, les hommes-boites coiffés d'une structure cubique, masque corporel pour mieux révéler les mouvements du corps.Ils grimpent, réfléchissent dans des attitudes de "penseur de Rodin", ils s'emboitent en autant de pièces d'architecture en construction-déconstruction.Maison, escalier, marches, tout ce qui ne tourne pas rond! Des percussions en bande son signée Hervé Birolini pour accompagner les mouvements à angle droit, sorte de cache-cache enjoué, immergé dans des lumières fleuries au parterre.Les rencontres jouent au couple amoureux qui s'embrasse au carré, qui se poursuit à l'aveuglette dans des lueurs bleu-vert de toute beauté.Des acrobaties périlleuses sur les blocs carrés, des conversations, fusion de baisers et échanges animent le plateau.Soudain l'escalier sculpture s'anime, se met en jambes de façon comique, personnage insoupçonné.dissimulé derrière la structure.


Des nymphéas lumineuses comme décor changeant.On se salue poliment, on s'encastre savamment, en rouage ou engrenage et sur fond de pellicule photo les trois protagonistes asexués font leur cinéma muet, burlesque, mécanique, robotique. De beaux arrêts sur image explorent maille et chainon de corps, alors que le graphisme à la Paul Klee inonde le fond de scène à loisir.Quelques mouvements lents au ralenti laissent le temps d'apprécier la gestuelle, sobre et efficace langage sans queue ni tête, pour arrondir les angles.Telle une marquèterie sans joint avec mortaise souple, les corps s’emmêlent joliment. Puis ce sont des bandes tendues, liens horizontaux comme des fils tissés qui forment un ballet de tendeurs animés par les trois danseuses: géométrie et lumières stroboscopiques mouvantes, zébrures électriques pour partition colorée, telle des signes de notations chorégraphiques.


Le mapping signé David Verlet est un trésor de formes à géométrie cubique variable, inventive et très esthétique aux couleurs pastel donnant un ton et des variations chromatiques insolentes et recherchées.Des tourniquet de cubes évidés à la Sol Lewitt, Donald Judd ou des sculptures très contemporaines de Robert Schad font décor très pertinent et cette "boite de nuit"séduit par son ingéniosité, sa pertinence!Que du bon, que du beau signé Aurore Gruel pour nos bambins émerveillés, considérés comme des esthètes en herbe, des architectes de demain: en connaisseuse du nombre d'or qui fait écho à ces architectures de cité radieuse où il ferait bon vivre avec ces hommes boites matriochka angulaires à la Xavier Veilhan...Les interprètes dont Julie Barthélémy de toutes les expériences extraordinaires, au top de la perception!

Mais comment ces personnages peuvent-ils voir à travers ces masques boites coiffant leurs têtes s'interrogent les enfants spectateurs intrigués par cette science fiction de toute beauté? Par le dessous des masques, ne voyant que leurs pieds! On salue la performance de perception individuelle ,de l'espace des autres.....

A Pole Sud jusqu'au 9 Décembre

"Best off" répertoire des Percussions de Strasbourg : 60 ans pour faire le grand écart, une "formation"toujours souple et en alerte !

 

"Le 8 décembre 2022 à l’occasion de notre 60 ème anniversaire, nous mettons à l’honneur des pièces cultes de notre répertoire, dont les interprétations furent nombreuses durant nos 60 ans d’existence, ainsi qu’une nouvelle création."

Dans la salle chaleureuse du Théâtre de Hautepierre, c'est un parterre éblouissant d' instrumentarium percussif qui illumine le plateau et pour fêter les 60 ans de cette formation légendaire dédiée aux percussions, Jean Yves Bainier, son président introduit la soirée avec émotion.

Suivent 8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965):

Dans une ambiance monacale bordée par les xylophones, à petit pas, une marche solennelle, feutrée, discrète se distingue peu à peu, sur la pointe des pieds.Le son prend l'espace, lent, dosé dans ce premier mouvement suivi par des carillons résonants, caisses et vibraphones de mise pour une joyeuse composition métallique pour seconde phase de l'opus.Retour à la méditation profonde avec des sonorités distinctes et subtiles sur fond de grondement: c'est le troisième mouvement qui calme la tempête amorcée.Puis les caisses et xylophones étincellent: parade, défilé, mascarade ou cavalcade carnavalesque où surgit une petite mélodie intrusive, esquissée.Presque une note de western, de lutte, de combat dans ce quatrième volet.L'apogée des percussions et gongs se renforce dans une virulence et une clarté sonore, phonique entre poids et légèreté, appuis et libération de l'interprétation drastique.Les accumulations ascendantes font de ce cinquième chapitre, un zénith sonore remarquable. Des mélanges de timbres inédits, alliages et alliances de sons incongrus, entre bois chaleureux et  gongs plus métalliques façonnent des galops épiques, des frappes régulières et un climat exotique orientaliste de toute beauté au sixième mouvement.Les vibraphones en majesté, vibrations secrètes, infimes pour une lente pénétration dans un univers cosmique caractérisent la septième partie, ambiance souterraine, spéléologie du son répercuté comme dans une grotte.En épilogue annoncé, des fortissimo relèvent volume, espace et amplitude, rythme envahissant, submergeant l'écoute, musiciens à l'unisson d'une cathédrale percutante de sonorités foudroyantes. Une pièce de légende, 60 ans de maturation sans prendre une ride!Les six musiciens au top de la ponctuation, se dirigeant au feeling et à l'auto-orchestration, complices rythmiques, compères soudés en alerte constante.

Suit Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
 Toujours soucieux de la création d’aujourd’hui, nous offrons également l’occasion de découvrir le travail du jeune compositeur Maurilio Cacciatore, qui explore et développe les possibilités sonores de la baguette vibrante, outil unique au monde, dans sa pièce Corale.Trois musiciens, assis, démarrent des mugissements ténus, superposition de sons continu et interrompus.Sur les peaux des timbales cuivrées, les baguettes frôlent et caressent pour créer une ambiance curieuse, assourdie.Glissements rêches, rythmes en cadence, comme dans un laboratoire lumineux, gyrophares et sirènes mugissantes en muezzin, cloches intrusives,sons de sous-marins en scaphandre, compression auditives et sons de murène, déterminant une écoute sévère, exigeante, subtile, aux aguets des sonorités inédites. Ce trio laborantin sur sa paillasse, recherche sonore aléatoire, scrute les sons dans son atelier, plein feu sur les secrets de fabrication. Un opus étonnant, unique qui fera date dans l'élaboration d'un parc sonore pour percussions toujours renouvelé!


4 études chorégraphiques
, Maurice Ohana, (1962)

Dans les années 1960, Maurice Ohana ouvre la voie à la composition de pièces pour percussions seules. Initialement, elles étaient pensées pour accompagner des performances dansées. Aujourd’hui affranchies de la danse, elles possèdent une identité et une narration propre, et sont les témoins des premières recherches dans le domaine de la percussion.Dans une grande régularité, comme un rythme de train avec reprises et addition de timbres, la musique s'emballe peu à peu.Percutante, galopante au rythme échevelé dans des scansions abruptes.Franches et martelées.Des silences loquaces, éloquents pour contraster.Du suspens, du mystère en suspension pour des apnées salvatrices.Puis de légers affleurements d'instruments, en écho, tout en finesse, décalent, déplacent les ondes et endroits de sources sonores.Des vibrations persistantes, des rémanences en ricochet illuminent l'espace, ouvrent des perspectives de paysages sonores grandioses. L’émergence de chacun des instrument au bon endroit pour valoriser respiration, espace et marche en contrepoint. L'irruption de timbres métalliques, vifs, cinglants, colorés pour une conversation animée. On s'y coupe la parole dans une discussion enflammée, virulente narration de sons ou chacun ne parvient pourtant pas à prendre le dernier mot, la dernière note. Dans un équilibre concerté où les places de chacun semblent chorégraphiées comme par un maitre de ballet, au compas et à l’œil, à l’ouïe acérée!


Métal
, Philippe Manoury (1995)

De nombreux compositeurs talentueux s’engagent alors sur la voie de la narration  avec la complicité et l’expertise des Percussions de Strasbourg. Trente ans plus tard, naît Métal de Philippe Manoury, qui pense un sextet pour sixxens, ces instruments inventés expressément par Iannis Xenakis pour l’ensemble. Un dispositif en demi cercle accueille les instruments extraordinaires, comme une longue passerelle, des "planches"à fréquenter pour un parcours accidenté, protégé par cette directivité d'espace.Des carillons du Nord en folie s’agitent dans une très belle chorégraphie de gestes précis, amples: cette joyeuse polyphonie polychrome dégage des sons métallique à foison, à l'envi.Des matière sonores riches, compactes provoquent un charivari, chaos tectonique éprouvant.Comme des salves, des hallebardes de sons en pluie, en averse dans un village montagnard Sécheresse abrupte du matériau, envahissant sans répit la forge où les "ouvriers" s'affairent, au travail entre eau et feu, prêts à bondir et rebondir.Les corps des interprètes, engagés, aux aguets, intranquilles.Dans l'arène des sons, ce tintamarre jovial, joyeux, lumineux, ruisselle, contagieux comme une passation sempiternelle, jeu virtuose de réception et renvoi de la balle au bond! Des arrêts sur image dignes d'une cène à six, partage en cum-panis de la cérémonie musicale.Des images comme des icônes vibrantes, ode au geste musical, à la corporéité des sons émis d'un médium à l'autre: la chair et le métal...Les baguettes aimantées au corps dans des envolées de sonneries en échappée belle: pour les tympans agressés à vif, une musique incisive et vif argent sur l'établi de la recherche sonore. Un opus de toute beauté cinglante à souhait.
 

Les Percussions de Strasbourg nous accueillaient au Théâtre de Hautepierre dans le quartier où le groupe est implanté depuis plus de 40 ans. Avec 60 ans de répertoire taillé sur mesure, offert par les plus audacieux compositeurs de chaque époque....Toujours "jeunes" et entreprenants Musiciens-danseurs sur les sentiers non balisés de la découverte sismique, visuelle des sons-émotion-frisson...

Programme :
8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965)
4 études chorégraphiques, Maurice Ohana, (1962)
Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
Métal, Philippe Manoury (1995) 

Les musicien•nes sur scène : Matthieu Benigno, Hyoungkwon Gil, Théo His-Mahier, Léa Koster, Emil Kuyumcuyan Olivia Martin 

08.12.2022 — 105' — Théâtre de Hautepierre, Strasbourg

"Chère Geneviève, 

"Une fois encore votre analyse explore avec justesse et une sensible  pertinence la musique de compositeurs qui ont marqué l'aventure" des Percussions tout en soulignant la qualité  et l 'engagement des interprètes qui aujourd'hui ont su prendre le relais sur un chemin dont le tracé fut amorcé il y a soixante ans par des percussionnistes talentueux et visionnaires.
Merci  de partager ainsi votre  fervente écriture." J Y Bainier le 9 Décembre 2022

jeudi 8 décembre 2022

"Nostalgie 2175": le réchauffement climatique, couveuse d'un "Bébé" porteur d'avenir...

 



"L’écrivaine allemande Anja Hilling situe sa pièce en 2175. Après une catastrophe écologique, les humain·e·s se sont adapté·e·s, dans un monde où il fait 60°, mais les femmes ne peuvent plus être enceintes naturellement. C’est pourtant ce qui arrive à Pagona. Elle sait qu’elle n’a que 2 % de chance de survivre à l’accouchement, mais elle décide de garder l’enfant, une fille, et reconstitue pour elle son histoire et celle des deux hommes qui l’entourent : Taschko, le peintre écorché vif, et Posch, l’entrepreneur esthète. Anne Monfort met en scène cette histoire de transmission et d’amour où se mêlent le désir, la beauté et la force d’évocation de la peinture et du cinéma, la violence et l’extraordinaire énergie vitale des êtres. En 2175, que reste-t-il du vieux monde, celui d’aujourd‘hui ?"

Une foret à l'automne, des futs en érection, à la verticale pour simuler un environnement figé, médusé par la chaleur...Une maisonnette toute colorée, translucide, un sol réverbérant la lumière et trois personnages en proie , pour l'une, à un inventaire des effets cliniques du réchauffement climatique: elle brosse ainsi un panorama du désastre, pas si dramatique que cela, qui désormais dirige et conduit chacun à un comportement hors norme, Toujours à fleur de peau, le texte qui s'avère écriture entre monologue, dialogue et adresse directe au public, se charge de sens et de rythme, de poésie et de douleur, de charme et de réalité incontournable.La femme, Judith Henry, "resplendissante"Pagona, se livre et nous invite en empathie à partager doute et certitude, interrogations et ravissements. C'est face aux deux autres partenaires, un peintre déséquilibré, atteint d'une folie créatrice déviante et un savant technocrate aux valeurs sures, qu'elle brandit sa foi en la vie. Ce "bébé" qu'elle nomme à l'envi comme amant, progéniture ou création individuelle, propre à son être.Les deux hommes l'entourent, Mohand Azzoug en Taschko versatile, Jean Baptiste Verquin en Posch,en réplique froide et calculée.L'amour des uns pour les autres en est le thème central, ce qui glisse sur la peau du monde sans qu'on ne puisse se toucher, effleurer l'autre sous peine de danger, de contamination.Bébé, cette créature fictive, enfant improbable, autant que signe de mort pour la  parturiente, hante les paroles de Pagoda. La musique signée Nuria Gimenez Comas se fait actrice, personnage qui dialogue avec la partition des comédiens, accompagnant le timbre des voix, rythmant la diction, avec des appuis quasi dansant sur la surface du sol magnétique, luisant, réverbérant la lumière changeante. Tantôt chaleur insupportable, tantôt froideur d'un bleu glaçant mais fort esthétisante..Et le texte de Anja Hilling de déborder d'humanité sans frôler la science fiction trop porteuse de rêve ou d'utopie. Ici la réalité est de mise, on s'y colle et confronte avec courage, espoir, parfois joie et jouissance: pas de fatalité: on s'adapte, le monde change à notre insu mais l'intelligence est ici de mise pour réagir, aimer, tenter l'impossible: se rejoindre malgré tout, se toucher peut-être à nouveau sur cette superficie du corps si érogène: la peau, tissu de désir, de douceur, de lumière, interface entre dedans et dehors. L'argent aussi, moteur du présent détermine les attitudes voraces et cupides de Posch, face à la rêverie angoissée de Taschko: les deux pères en opposition face à la future mère-morte en couche que sera Pagona.Et si 2175 était une date butoire pas si lointaine?Que ferions nous, aussi de cet avenir qui semble pas si affirmé: "je ne sais pas" murmure Pagoda, emportée dans une barque fluorescente, bordée de mousse verdoyante dans des lumières fantastiques...Le voyage se termine sur la rive où se joue une suite inconnue: pas de final ni de morale à cette narration incongrue, musicale, miroitante et pleine de verve, de facétie, de recul aussi Une robe de plumes pour Pagona, un rêve réalisé qui lui sied à merveille mais qui ne lui permettra pas pour aussi d'esquisser une échappée belle!La mise en scène signée Anne Monfort épouse avec finesse intrusive les mots, la musicalité du texte et des corps en mouvement, animé par le son omniprésent de la composition originale musicale. Scénographie et costumes de Clémence Kazémi alliant couleurs, luminosité d'un univers jamais sombre malgré la gravité du propos.f

Anne Monfort dirige la compagnie day-for-night depuis 2000 et a créé les textes de nombreux·ses auteur·rice·s vivant·e·s comme Falk Richter − dont elle est la traductrice en français −, Thibault Fayner, Mathieu Riboulet, Lydie Salvayre… Son théâtre interroge ce qu’est le « point de vue », intime et historique, sa dimension politique. Elle met ici en scène l’écriture d’Anja Hilling, écrivaine allemande née en 1975, connue internationalement depuis son texte Tristesse animal noir, écrit en 2007.

Au TNS jusqu'au 15 Décembre

mercredi 7 décembre 2022

"Man's Madness": folie des hommes...Marino Vanna divague et navigue à flot...sans perdre pieds!


Marino Vanna France 4 danseurs création 2022

Man’s Madness

"De la folie des hommes, Man’s Madness, et du désordre des corps, Marino Vanna fait écriture. Un quatuor à la fois délicat et puissant où géométrie des formes et musicalité, alternent entre tension et abandon. Avec pour ligne d’horizon, une physicalité ouverte au mixage des styles tant musicaux que dansés.

 

Dans No-Mad(e), sa première création présentée à POLE-SUD en 2019, Marino Vanna invitait le public à suivre le récit abstrait et sensible de son propre parcours artistique. Un solo initiatique à la découverte de son propre langage irrigué par une passion pour la danse cultivée depuis son plus jeune âge.
Second volet de cette recherche, Man’s Madness. Dans cette récente pièce, le jeune chorégraphe se retrouve au plateau en compagnie de trois autres danseurs : Sandy den Hartog, Lory Laurac et Joël Brown. Élargissant son champ de recherche sur le mouvement, il chorégraphie un quatuor qui fait la part belle à chaque interprète. Ainsi la danse fourmille de motifs qui se déploient dans l’espace ou bien se joue du déséquilibre, oscillant parfois entre scansion et répétition ou encore entre unissons et orages gestuels. Complice de ce mouvement, la création sonore d’Alexandre Dai Castaing dont le parcours artistique, tout comme celui du chorégraphe, est porté par de multiples influences et styles. Une autre façon pour Marino Vanna d’explorer différents états de présence et qualités de corps, créant sans cesse de nouveaux paysages, de nouveaux territoires à défricher sur le chemin de cette singulière quête chorégraphique."

Quatre danseurs en prologue évoluent dans le silence, lentement, assurément.La bande son diffuse des sons de chocs de pierre, un brouhaha minéral qui génère des mouvements hachés, tranchés de Joel Brown, soliste de profil .Trois autres personnages en rebonds sur les temps binaires se glissent dans un rouage infernal de répétition, mécanique réglée à l'identique, usine où tous pareils ils sont soumis au règlement, à l'unisson consentie.A la chaine tayloriste de robots formatés dans des lumières rasantes, crues, sculptant les corps pour un ralliement à l'ordre.De lentes vrilles en spirales après une pause "photo" immobile et c'est le flux et reflux qui fait surface.Un beau ralenti, spacieux, voluptueux inonde l'espace, le détend, le prolonge


.Quand survient la musique de Steve Reich, tours, suspension, enroulement et frôlements du sol apparaissent dans l'écriture chorégraphique qui se multiplie, se diversifie au fur et à mesure. Ondulations, balancements, moulinets, balayages et tours de bras pour créer des vagues, des avancées du buste arrondi, happé par un aimant aspirant.On caresse, on embrasse l'air avec voracité, détermination et engagement, la musique galvanisant les corps amoureux d'un rythme sempiternel ascendant. Le tempo est roi, directif, autoritaire en osmose avec le style répétitif captivant, entêtant et communicatif! L'un se détache du groupe, s'enroule, joli mouvement fin et raffiné au corps. En contraste avec les musiques toniques, saccadées, très rythmées, de beaux et puissants ralentis modulent l'énergie; un solo d'envergure, bras et buste, épaules offerts en petites secousses sismiques qui ébranlent la vision d'un corps dansant...Un couple rescapé ré-anime deux corps au sol vers la rectitude, l'érection savante. Un enchevêtrement s'ensuit, maillage tendre et sensuel pour sculpter l'espace, à la Shiva, Dieu aux mille bras. Corps en arc, courbé, renversé, arcbouté pour un très beau solo de Sandy den Hartog, impromptu spatial magnifique. 


Retour au prologue pour une marche frontale commune, agitée, possédée puis qui s'éparpille, se disjoint toujours en rythme scandé binaire, obsessionnel: la machine va se dérégler, se coincer, se gripper, enrayée, emballée pour ces prisonniers ravis, téléguidés par une force extérieure innommable.Guidés par la musique, traqués par la lumière possessive, le renoncement, l'abdication  font surface et l'on capitule sous le joug de la folie ambiante qui règne, maitresse et invasive... Une belle et nette composition chorégraphique, servie par de beaux interprètes inspirés, discrets objets manipulables d'une ligne directrice aboutie et lumineuse...

 

A Pole Sud les 6 et 7 Décembre

jeudi 1 décembre 2022

"New Creation": Bruno Beltrao, figure du déplacement, du décallage explosif d'un microcosme, piège de lumière, cour des miracles....

 

©Jose Caldeira / ©Karla Kalife  ©Wonge Bergmann

"Croiser le hip-hop avec un énième dialecte de mouvement n'a jamais été l'intérêt de Bruno Beltrão. Pour cela, il est trop critique à l'égard d’un hip-hop absorbé par l’industrie culturelle, et s’oppose à l’idée qu’une seule langue puisse permettre de développer des idées complexes. "

 ©Jose Caldeira / ©Karla Kalife / ©Wonge Bergmann......

"Dans ses chorégraphies, Beltrão aborde les contradictions sociales violentes d’une société sous l’emprise de l’extrême-droite. Comment rester en mouvement, alors que la situation politique et sociale dans un pays comme le Brésil semble tout paralyser ? Le fait que nous, les humains, soyons trop enclins à poursuivre nos habitudes et schémas de pensée est l'une des préoccupations du chorégraphe dans sa déconstruction ludique des danses hip-hop, de leur machisme et du culte de la virtuosité. Sans perdre le lien avec l’expérience de la rue qui a marqué ses débuts, il transpose la danse urbaine sur la scène, entrelaçant les styles et les figures du hip-hop avec les principes de la danse contemporaine. Dans cette nouvelle création, tant contemplative que chargée d’une impressionnante énergie des corps sur scène, la compagnie Grupo de Rua interroge les tensions explosives du quotidien, mais aussi les solidarités."

Bruits de rue, bande son à la Cage pour observations des sons d'un quotidien intempestif et des petits personnages qui surgissent, pantins manipulés par leur propre désir et énergie..Doigts, mains agiles, véloces ornent les corps vêtus de longues tuniques quasi religieuses, en noir, blanc ou rouge...Trois couleurs déclinées en nombre de suite de Fibonacci: 1 ...2...3...5... etc...Un lent déplacement d'un petit groupe d'individus, loquaces à souhait dans leur gestuelle chaotique, désordonnée en apparence . C'est tout simplement visuellement magnétique, tectonique, au millimètre près, comme dans une facture de maitre à danser, compas dans l'oeil du chorégraphe minimaliste. Un élément s'échappe de cette petite grappe compacte, ricoche, va et vient, revient, sempiternel aimant absorbé par une attirance démoniaque . Des "tritons" musicaux, diaboliques éléments interdits, prohibés par la gente monastique. Il y a du sacré et du païen dans ces danses  captivantes, irrésistibles tentations de corps voués à des directives et consignes d'écriture chorégraphique drastiques. Pas d'abandon ni de laisser aller, excepté un court instant de triolet à la Childs, danse contact éphémère, clin d’œil à une autre discipline: la danse libre, improvisée qui n'est pas de ce monde sur le plateau.Sur des fondus enchainés de lumière, dans des découpes précises des halos sur les corps mouvants, l’inouï, l'imprévisible  apparait, disparait. Les trajectoires des danseurs comme des lignes tracées frontales où la vélocité des gestes, des parcours fulgurants, médusent, tétanisent les regards. 

C'est hallucinant , jamais vu ni ressenti et très chaotique. Tels des pions sur un échiquier, tous gravitent, se mesurent, se toisent à l'envi dans un joyeux délire digne d'un centre psychiatrique: gestes désordonnés, déséquilibres rapides, reculades vertigineuses dans cette cour des miracles.Corps rétrécis, empêchés, réduits à leur plus simple anatomie, genoux fléchis, niveau de gravitation limité...Ca fourmille intensément sur le plateau nu où l'on courbe l'échine pour être mieux aérodynamique.Ponctuation, courtes pauses et un petit miracle opéré par les projecteurs rasants: comme des figures de petits cygnes repliés qui font office de jouets perdus sur scène. Sur des percussions quelques combats singuliers fulgurants, toujours genoux pliés recroquevillés, encore un "triolet" , des piétinements hyper rapides comme des figurines de jeu vidéo commandées par un esprit étranger à ces corps manipulés.Glissés savants et fugaces, petits nains aux micro-mouvements calculés. C'est de la  haute couture, de la haute voltige au ras du sol pour créer un "microcosmos" fabriqué d'insectes pris au piège de la lumière. Petit monde sorcier, énigmatique, diabolique, sonore à l'envi. Bruno Beltrao comme magicien , Merlin l'enchanteur d'un monde en mutation, métamorphose kafkaïenne de l'univers.

musique de Lucas Marcier/ARPX .........

 présenté par le Maillon avec POLE-SUD, CDCN au Maillon Wacken jusqu'au 2 Décembre 

A la Filature Mulhouse le 14 Décembre