Jérôme
Danser l’Amant des Morts

Le 15 octobre 2023
Musée d'Art Moderne et Contemporain
1 place Hans Jean Arp - 67000 Strasbourg 
 

Héraut des arts de la représentation, l’Opéra national du Rhin collabore régulièrement avec les Musées de Strasbourg et Colmar, soit en proposant dans ses murs des contrepoints musicaux ou chorégraphiques à certaines expositions, soit en allant déployer ses forces artistiques dans les musées eux-mêmes, pour des performances dansées, concerts ou ateliers.

Avec une chorégraphie librement inspirée de l’ouvrage L’Amant des Morts de Mathieu Riboulet, Bruno Bouché signe une création pour les danseurs et danseuses du Ballet de l’OnR.

Le MAMCS une fois de plus investi par la danse, c'est une occasion unique de porter son regard sur une oeuvre éphémère qui ne s'accroche pas aux cimaises, ni en ronde bosse. En relation étroite avec l'exposition phare de la rentrée" aux temps du sida" cette proposition chorégraphique interroge, interpelle, secoue, émeut et déplace le sujet au coeur de l'évocation de la "maladie": le corps. 
En préambule, je vous renvoie à la recherche de Gerard Mayen: "ce que le sida a fait à la danse, ce que la danse a fait du sida"
https://www.cnd.fr/fr/file/file/2303/inline/mayen_gerard_2013.pdf
 
L' étreinte et la rédemption.
 
 Deux lits en fer noir, une rampe de néons rose fluoresçant comme décor: une scénographie sobre dans la grande nef du MAMCS. Et les silhouettes tout en noir, habillées de chasubles, jupes, apparaissent glissant sur le sol, en chaussettes noires. Un homme se distingue, d'une grande beauté, longiligne tout en souplesse et fluidité gestuelle. Il est accompagné dans sa solitude par des compagnons de route qui le transportent comme un corps déjà à l'horizontal. Supports, guides, assistants ou simples connaissances pour accompagner, déplacer un être souffrant. Une atmosphère grave, intense rehaussée par la célèbre interprétation du "Cold song" de Purcell, interprétée par Klaus Nomi devient évidence claire et limpide. Les corps se rejoignent, se frôlent, s'étreignent, déroulent au sol des traces , empreintes de sensualité, de retenue aussi. Le mouvement est contagieux, se propage, se transmet comme un flux salvateur. Évoquer la maladie, c'est ici provoquer la rédemption par la danse d'un état de corps déclinant. Mais dont la course est loin d'être terminée. Après une "métamorphose" de costume, du noir intégral, au rose sportif et lumineux, la danse devient solaire et ôte ses atours sombres, noir d'ivoire, outre-noir. On songe à Djamel Tatha et ses créatures vêtues de noir, immobiles mais pourtant émergeant du coucher vers la rectitude, l'érection du corps. Corps ici fulgurants, sportifs, alertes, jamais absorbés par les chutes nombreuses, qui rebondissent, se relèvent, affrontent leur sort quoi qu'il en soi: pour preuve cet alignement frontal très athlétique qui simule une course compétitive vers le meilleur, la performance. Bruno Bouché oppose force et relâchement, étreinte et abandon sans soumission ni capitulation. Les danseurs se redressent, les regards se convoitent, les duos se reforment pour épouser affinité et solidarité, instinct et raison. L'émotion est grande et forte face à cette proposition solaire débordant d'une intelligence , d'une grâce douce et sensible qui ne laissera personne infidèle, indifférent. Une pièce courte, comme une "bonne nouvelle" authentique et limpide, réaliste et digne de la gravité du sujet. Gravité des corps, puissance du geste et audace de l'interprétation de ces sept danseurs et danseuses du Ballet du Rhin. Histoire de balayer toute affectation et dépression au sujet du SIDA et de ses impacts indélébiles sur nos consciences contemporaines. A l'image de l'exposition : radicale, poétique, réaliste et pleine de rhizomes.
 
Une performance de Bruno Bouché avec les danseurs du Ballet de l’OnR

Emmanuel d’AUTHENAY, assistant à la dramaturgie, costumes et scénographie

Interprètes: 

Audrey BECKER, Pierre DONCQ, Mathis NOUR, Marwik SCHMITT, Emmy STOERI, Alain TRIVIDIC, Hénoc WAYSENSON

 
Jérôme Alleyrat avait seize ans quand son père prit l'habitude de coucher avec lui, et lui avec son père. La mère a décidé de s'enfuir. Quand il arrive à Paris, un matin de septembre 1991, il a vingt ans. À cette date, l'épidémie de sida bat son plein. Peu concerné par cet événement, tout entier concentré sur la quête d'un plaisir qui frôle l'anéantissement de soi, Jérôme est arrêté au beau milieu de son accomplissement par l'irruption sous son toit de la maladie, en l'espèce : son voisin de palier qu'il recueillera, soignera, accompagnera jusqu'à la fin. De cet épisode fondateur découlera l'orientation de sa vie tout entière. Sa trajectoire remet au centre de notre attention ce qui désormais a disparu derrière le rideau de fumée de la réification triomphante : le goût du sexe, l'élan vers l'autre, la tentation du bien...
patrick bossatti

https://www.cnd.fr/fr/file/file/2303/inline/mayen_gerard_2013.pdf    lire !!!!!