Partout autour de nous, aux portes de l’Europe ou loin de ses
frontières, le fracas incessant des armes recouvre les voix des
victimes, des réfugié·e·s, des persécuté·e·s. À ce vacarme que nous
peinons pourtant à entendre, la metteuse en scène polonaise Marta
Górnicka oppose le chant puissant du chœur. Mothers. A Song for Wartime
est une réaction directe à la guerre. 25 mères ukrainiennes,
biélorusses et polonaises font entendre leur voix, une énergie vitale
qui s’oppose farouchement aux forces de la destruction. Une voix qui
fait écho au chœur antique, mais emprunte aussi à la lointaine tradition
des chtchedrivky, ces chansons populaires venues d’Ukraine que
l’on chante aux enfants pour célébrer la nouvelle année. Ces femmes les
nourrissent de ce qu’elles ont traversé, elles font résonner un langage
nouveau, à la fois immémoriel et profondément contemporain. Lorsque les
musiques et les sons traditionnels rencontrent les revendications
politiques du présent, la scène redevient l’espace d’une communauté, non
pas fondée sur une idéologie partagée, mais sur l’écoute sensible de
l’expérience de l’Autre.
Un groupe compact de femmes, plutôt jeunes nous attend déjà sur le plateau, sorte d'estrade-ring tout gris...Vêtues de costumes banalisés de la vie quotidienne: jupes, legging et autres tenues passe-partout plutôt sombres. Elles sont en guerre ces amazones de la paix...C'est une fillette gracile qui introduit cette marche qui ira de l"avant ou à reculons, une petite heure durant. Mise en scène de circulations, déplacements d'un choeur qui chante ou hurle son désarroi, sa frustration, sa colère: des mères qui ne veulent plus attendre leurs fils. Retour de guerre improbable. Un choeur féminin comme un groupe de manifestantes aux revendications de slogans. Mais très cadencés, musicaux, comme autant de cris d'oiseaux, de corneilles en envolées hitchcockiennes. Murmurations d'une population dont les gorges, les langues ne sont pas de bois et lancent des salves de mots, de phrases répétées à l'envi. Des textes défilent sur l'écran de fond comme autant de manifestes à décrypter dans l'urgence: en bataille, en ordre rangé de lecture édifiante. Elles avancent ou reculent en chorus, en danse chorale à la Rudolf von Laban. Rythme, poids et forces directionnelles en poupe. Elles se font guerrières, porteuses de colère et d'espoir, mutines en trois groupe pour évoquer la sacro-sainte Europe. Sit-ing sauvage sur plateau effervescent ! Belle ironie et caricature de la politique internationale. De l'humour pour ces vingt pionnières frondeuses qui osent s'insurger, se "soulever" à la Didi Huberman: révolution de voiles de palais, de diaphragme, de poumons qui pulsent et s'emballent pour ces vociférations, ces berceuses infernales, scandées comme pour ne jamais s'endormir. Des diagonales savantes, des déroulés de corps, des alignements quasi militaires, des marches et démarches résolues, solides et teintées de violence retenue. Ou exprimée par le son. Un choeur pour évoquer l'amour, les bras noués, reliés comme un collier de perles enfilées. Et chacune de se présenter par son prénom, ses désirs, ses envies, sa biographie. C'est émouvant, renversant, loin d'un récital de chants traditionnels. Et au final ces femmes rebelles en rut, en proie à leurs convictions et combat quotidien forment une architecture tectonique de barricade. Ces "pétroleuses" d'aujourd'hui nous racontent leur histoire avec une interprétation nue et crue comme un chorus-line très politique. Au sens de cette polis, agora du débat, de la rencontre, de la parole qui se livre.Une cité-État, c'est-à-dire une communauté de citoyens libres et autonomes, le corps social lui-même, l'expression de la conscience collective des Grecs. Et se délivrent des tonalités murmurées comme à la messe ou dans les carmina burana,ces poèmes, cantates scéniques polyphoniques. On avance en chantant et on gagne du terrain en combattant avec d'autres armes. Les armes de la douleur, de l'énergie, du courage et de la volonté féroce et pugnace de regagner la rive. Le choeur battant en bandoulière, les poings serrés, les bouches ouvertes comme des dégorgeoirs à farine où à jus de la vigne."Dégorgeoir" de moulin. vomisseur de son orné de mimiques expressives ... Leur rôle était d'effrayer les esprits malfaisants qui auraient pu arriver jusqu'à la farine et la contaminer.
Au Maillon jusqu'au 6 OCTOBRE
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