Dans un no man’s land, en marge de nos sociétés policées, trois figures tentent de survivre. Souvent loufoques, parfois inquiétantes, elles se débattent dans l’existence, nouent et renouent des liens toujours fragiles, tentent de former tant bien que mal une communauté précaire. Mais elles ne sont pas seules : comme dans le motif pictural remontant au XIVe siècle qui donne son nom au spectacle, c’est la figure éternelle de la mort, sur la scène, qui mène le bal. Et dans ce monde où le comique est grinçant, les objets eux aussi ont droit de cité : ils y déploient leur propre existence, se rebellent contre l’autorité des humains.
Une boite de Pandore comme un balancier, un métronome irrévocable.
La faucheuse est fauchée et dans ce décor à la "arte-povera" ou Anselm Kiefer, peuplé de ruines, de papiers jonchant le sol comme après une catastrophe, on pénètre dans l'univers de Zimmermann and C°.
De quoi retrouver ces architectures à bascule, ces constructions aléatoires qui changent tout le temps, se métamorphosent à l'envi. Et ce petit peuple dans ce "jardin des délices" à la Jérôme Bosch, de s'animer comme des vermisseaux au pays de l'hybride, de la mutation humaine, animale. La camarde en sus, une créature en justaucorps noir agrémenté de dessins de squelette: un Michael Jackson en herbe comme dans la version clip-épouvante de Martin Scorsese "Triller". Ou une Conchita Wurtz en puissance.Car la danse, la gestuelle ou gesticulation de ces quatre personnages est singulière et propre à chacun: un plus vieil homme se taillant la part belle dans des évolutions en cascade dans cette maison vertigineuse comme celle de "La ruée vers l'or" de Chaplin revue et corrigée par les architectes Herzog et de Meuron.
La danse macabre n'a ici rien à envier aux représentations moyenâgeuses: pas de ronde ni de cortège mais plutôt une ambiance, des corps consentant à faire des galipettes, contorsions et autres conférences gesticulées. Dimitri Jourde n'en fait qu'à sa tête pelée par l'alopécie burlesque, Methinee Wongtrakoon se contorsionne à loisir, Tarek Halby ne se dégonfle jamais et la pièce n'est pas un long Styx tranquille.Le son rebondit au sol, les hurlements, cris et autres expressions verbales fusent. Feu d'artifice, la mise en scène grouille de petits détails à fouiller et Peter Greenaway est proche avec sa version dansée live en performance d'une vision plutôt joyeuse et décalée de la figure déclinante de la mort. La "Skeleton dance" de Walt Disney s'en rapprocherait aussi.Sorte de vanité ou nature morte animée, l'opus de Zimmermann et ses compères-complices fonctionne à loisir.
Une once d'habanera, un soupçon de glas de l'horloge astronomique et une danse de zoulous à la Decouflé dans Caramba, et le tour est joué.Désordre, déca-danse et autre contre-danse pour un chaos tectonique à la dérive des continents. La musique très tonique signée Colin Vallon, de bruits et de fureur, bat son plein et sa coulpe et l'on plonge dans une atmosphère noire et sombre, solaire, au plus près des images d'un cimetière joyeux en Roumanie. Les quatre interprètes ne quittent pas le plateau et se frottent sans cesse à l'humour et la distanciation.
Cela prête à en rire, sans doute, mais à réfléchir sur la place des fantômes, pantins et autres farfadets que nous offrent cette pièce. Lutins maléfiques ou bonnes petites bêtes à bon dieu aux enfers pour le meilleur et pour le pire. Des formes hybrides en constante métamorphose pour mieux invoquer la transformation de la matière corporelle. Danser pour échapper à la mort dans une frénésie contagieuse et jubilatoire: voici le credo de cet opus où le "memento mori"se fait audacieux et irrévérencieux. Les objets y ont une âme, les placards, des macchabées morts-vivants. La condition humaine se révèle pitoyable autant que jouissive: alors on ferait bien une petite farandole avec eux pour déjouer le sort implacable qui est le nôtre: mourir ou ressusciter: à bon entendeur, salut! Beau final style foire du Trône avec néons et clignotants fluo!
Convoquant le cirque, le théâtre, les arts
visuels dans un décor audacieux, Martin Zimmermann déploie un univers
où s’exprime le tragicomique de l’existence. Sans cesse menacés de
disparition, quatre marginaux y expérimentent le « vivre-ensemble »,
dans sa version grimaçante. Miroir déformé de nous-mêmes, ils nous
rappellent autant la récurrence de l’échec que la capacité humaine à se
relever. Comme celle de Baudelaire dans Les Fleurs du Mal, la danse macabre de Zimmermann nous « entraîne en des lieux qui ne sont pas connus » – à moins que... ?
Au Maillon Wacken jusqu'au 20 Octobre
Conception, mise en scène, chorégraphie : Martin Zimmermann
Avec Tarek Halaby, Dimitri Jourde, Methinee Wongtrakoon / Eline Guélat, Martin Zimmermann
Création musicale : Colin Vallon
Dramaturgie : Sabine Geistlich
Scénographie : Simeon Meier, Martin Zimmermann
Collaboration artistique : Romain Guion
Au Maillon Wacken jusqu'au 20 Octobre
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