vendredi 30 septembre 2022

"Sonic Temple":Musica, super tonique, supersonique!

 


Prologue
Le temps fort de l’expérimentation sonore pose à nouveaux ses baffles à l’église Saint-Paul et Saint-Pierre-le-Vieux et continue de tracer le panorama d’une création musicale plurielle et alternative.
 
Ce quatrième volume se déploie en quatre temps, avec en before Shin Young Lee, artiste coréenne, qui s'empare de l'orgue de l'église Saint-Pierre-le-Vieux, pour interpréter notamment Volumina de György Ligeti.
La soirée s'enchaîne à l'église Saint-Paul avec la présence exceptionnelle d’Ellen Fullman. La compositrice, performeuse et factrice d’instruments américaine, installe son Long String Instrument dans la nef de l’église. Un instrument démesuré construit in situ avec des cordes vibrantes de plus de vingt mètres de long — pour une expérience d’écoute inouïe.Et c'est le cas pour cette déambulation très physique de la compositrice aux commandes de son curieux dispositif: une longe allée parsemées de cailloux, comme le sentier marqueur du Petit Poucet. De longs fils pincés pour faire frissonner ces cordes magiques surdimensionnées. Allées et venues incessantes, marche chorégraphiée pour un corps musical immergé dans la fabrication du son en direct. La nef de l'église Saint Paul comme écrin, caisse de résonance inouïe.Une fois de plus "regarder" la musique s'impose aux oreilles!

Après Infinity Gradient et Drift Multiply en 2021,Tristan Perich est de retour à Strasbourg. Il présente une autre facette de sa pratique, cette fois purement électronique, avec Tone Patterns et Noise Patterns, deux projets miroirs qui s’appuient sur les dispositifs 1-BIT dont il a le secret.C'est folie de l'espace sonore investi, gonflé, gorgé de tonalités et sons vrombissants, ou salves projetées comme des sonorités de lâchés de feu d’artifice à toute volée. Sur le tarmac de sa console, l'artiste suit son chemin , le volume s'amplifie, les lumières sortent l'ambiance de sa semi-obscurité.Des sons très "organiques" comme issus des tuyaux du monstre à vent, résonnent et font leurre et mystère.Les sens en éveil, en ondes et tremblements pour appui au sol et dans l'éther malmené par ces vibrations tonitruantes...Une ambiance quasi Steve Reich électronique, expérience sensorielle extrême et jouissive !

La soirée se conclut avec La Tène dans un effectif élargi, avec un folklore du futur antérieur.

La Tène est un animal à trois têtes d’où émane une seule et même énergie. Si l’on entend ici la résonance de musiques traditionnelles, la répétition saturée, les harmoniques éthérées ou une danse imaginée… c’est qu’ils coexistent dans la musique de La Tène comme une unique trame arrachée à ses racines.
Le trio franco-suisse produit une musique où chaque influence, aussi profonde soit-elle, se découpe en motifs devenus thèmes, il ne s’agit pas là de briser les modèles mais de les faire exister taillés dans la roche comme autant de fragments à reconstruire.
Il n’existe pas de ligne de départ ni d’arrivée, point d’habituels couplets, ceux-ci sont perdus dès les premiers chocs que le corps reçoit… On y trouve des obstacles dressés en statues, des inconnus familiers, des bribes entendues ailleurs, ou encore des angles multipliés, et autant de gestes répétés.
La volonté de La Tène n’est pas d’arranger ou réinventer une musique toujours vivante mais bien de tisser chaque fil dans un nouveau sillon encore et encore jusqu’à son épuisement.

Le public nombreux et captif pour ce temps fort du festival Musica, toujours à la recherche de musiques inédites s'enfonce dans la nuit de la cité et veille aux vibrations du monde, adhérant à la nouveauté, l'incongru...

jeu 29 sept | 19h - Église Saint-Pierre-le-Vieux
Shin Young Lee


jeu 29 sept | 20h30 - Église Saint-Paul
Ellen Fullman
Tristan Perich
La Tène :Alexis Degrenier : vielle-à-roue
D’incise : harmonium, électroniques
Cyril Bondi : percussions
 et invités !

"Until the Lions": Thierry Pécou en mudras musicaux....

 


Création mondiale. Nouvelle production de l’OnR. Dans le cadre des 50 ans de l’OnR.


Opéra en un prologue et trois actes.
Livret de Karthika Naïr.
Adaptation partielle de son livre Until the Lions: Echoes from the Mahabharata.

En préambule"....Au jeu des trônes, les gagnants d'hier sont souvent les perdants de demain. Alors que le roi de Kasi s'apprête à célébrer la cérémonie du svayamvara au cours de laquelle ses trois filles devront choisir un mari à l'issue d'un tournoi, il néglige d'inviter la famille royale de Hastinapura. L'affront déclenche la colère de la reine-mère Satyavati qui cherche à marier son fils Vichitravirya. Elle envoie en représailles son beau-fils, le chaste guerrier Bhishma, vaincre tous les prétendants et enlever les trois princesses. Seule Amba, réputée pour son esprit de liberté et d'indépendance, refuse de se soumettre. Humiliée par Bhishma, elle jure de provoquer sa perte, dans cette vie ou dans une autre, quitte à devenir un homme et prendre les armes à son tour.
Le Mahabharata est une immense épopée sanscrite consacrée aux aventures guerrières de deux branches d'une même famille royale descendante de l'empereur Bharata, fondateur légendaire de la nation indienne. La poétesse Karthika Naïr en propose une vision inédite et renouvelée, en donnant la parole à ses personnages féminins dont les voix sont habituellement passées sous silence. Le compositeur français Thierry Pécou signe la partition de cette fresque mythique et spirituelle donnée en création mondiale dans une mise en scène de la chorégraphe indienne Shobana Jeyasingh."

La danse s'y taille la part belle d'emblée.: guerriers aux gestes tranchés, écarts du bassin à la Béjart, attitudes bien campées, solidement sur leurs jambes. Sauts et virevoltes pour les hommes à l'unisson, gestes plus "maniérés" pour les six femmes. Les costumes donnent le ton; un soupçon d'exotisme à l'indienne, mais pas d'outrance populaire bigarrée!Très puissante musique au diapason de cette démonstration de forces et de puissance chorégraphique. Le décor comme support à la présence des chanteuses et de la narratrice, vue du haut de sa fenêtre. Décor lisse et métallique, froid et vertigineux.Deux carcasses de chevaux collées à la paroi: Berlinde de Bruyckere ou Morizio Cattelan en référence évidente..

morizio cattelan

berlinde de bruyckere

Des combats de corps en duo, duels de prises quasi de qi qong ou karate, des roulés au sol, de la capoeira en référence d'énergie, de poses, d'attitudes dansées.Un chef au centre d'un cercle chamanique ou chacun se déplace, menaçant, englobant l'espace qui se ferme, se rétrécit à l'envi.De belles ombres portées magnifient la danse, la transcende en images virtuelles inaccessibles iconographie mouvante. Les chanteuses, la musique portent la dramaturgie. Les costumes des femmes,rouges vermeil, incarnat, aux plissés comme des éventails, soulignent l'amplitude des mouvements s'identifiant à la statuaire indienne ou aux arts martiaux.Grâce et fluidité mais également inspiration des mouvements tranchés et saccadés des mudras. Un style parfois "Béjart", extatique et inspiré, spirituel et très habité par les interprètes du Ballet du Rhin.Coiffes et couleurs des costumes entre mordoré, métallique et or, très structurés dans leurs contours, plissés à la Fortuny.Des attitudes à la Ida Rubinstein, coudes croisés sur la poitrine, attitudes langoureuses, rêveuses au sol...

Profils et déplacements vifs et chorégraphiés de main de maitre par Shobana Jeyasingh à l’égyptienne parfois comme pour des frises romaines aussi.Un beau panel de références qui touche par la beauté des alliages et alliances qui se fondent, se confondent.
Au final un roulé au sol à l'unisson, alors que cendres et flèches rappellent que la lutte, le combat, le corps à corps font aussi rythme et musique, narration chorégraphique et soutien de l'action de cet opéra très contemporain de Thierry Pécou.

 

Direction musicale Marie Jacquot Mise en scène, chorégraphie Shobana Jeyasingh Décors et costumes Merle Hensel Lumières Floriaan Ganzevoort CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Chœur de l'Opéra national du Rhin, Shobana Jeyasingh Dance, Orchestre symphonique de Mulhouse

Satyavati Fiona Tong Bhishma Cody Quattlebaum Amba Noa Frenkel Femmes témoins de la guerre, Suivantes royales Mirella Hagen, Anaïs Yvoz

 


jeudi 29 septembre 2022

"Music in the belly": ventriloque, tripal et démiurge Simon Steen-Andersen! Les contes d'Andersen sont fabuleux...


Simon Steen-Andersen rend hommage à Karlheinz Stockhausen en mettant en scène son rêve d’une musique dans le ventre...

En 1975, Karlheinz Stockhausen composait une œuvre énigmatique à l’attention des Percussions de Strasbourg. Sa partition contenait davantage d’indications scéniques et de didascalies que de musique à proprement parler — et cette musique consistait en douze mélodies liées aux signes du zodiaque, le cycle Tierkreis, et matérialisées par des boîtes à musique que le compositeur fit lui-même fabriquer. L’idée de la pièce comme son titre lui étaient venus de la surprise de sa fille Julika découvrant à l’âge de deux ans de petits bruits à l’intérieur d’elle-même, des gargouillements d’estomac : « tu as de la musique dans le ventre », lui avait-il répondu. Quelques années plus tard, il se réveilla subitement un matin après avoir rêvé la pièce et la coucha sur le papier.

Des voix et cris d'enfants sur font de silhouettes , ombres chinoises qui ondulent sous des lumières rougeoyantes, et courent à toute vitesse dans ce vermeil lumineux...Bruits de vagues...Six personnages féminins en quête d'auteur arrivent sur planches à roulettes fluorescentes dans la semi-obscurité: le ton est donné dans cet univers rouge, interne, organique.Très bel instrumentarium, de plaques de fer suspendues, de trapèze musical, animé par les manipulatrices; sur trois établis, en fond de scène, trois interprètes s'adonnent à faire résonner des calices renversés grâce à des micro qui scannent le son. Un univers médical, chirurgical s'invente peu à peu et l'on voit et regarde la musique avec attention. Théâtre visuel de fantasmes, de rêves ou de cauchemars quand un mannequin descend des cintres, tel un oiseau pris au piège dans des filets malins.Des reflets magnifiques au sol trempé d'eau, liquide salvateur de cette opération à coeur, à ventre ouvert.Un téléphone rouge comme commanditaire de ces actions médicales, en direct, opération curieuse qui révèle trois boites à musique, sorties du ventre du pantin muselé, corbeau maléfique qui accouche de musique enfantine, simpliste.Des xylophones de couleur pour enfants soulignant cet aspect sobre, enchanteur de devin, de magicien du plateau...Les micros sondent les sons des calices comme autant d'instrument d’échographie sonore.Le laboratoire s'anime, se fait antre magique, fantastique ambiance de science fiction délirante.Deux toupies pour perdre les repères, de belles envolées fluorescentes comme les ailes d'éoliennes tranchant l'éther, manipulées en rythme. Un tableau pictural éphémère de toute beauté. Des balanciers dans des carrés de lumière pour recueillir les organes des boites à musique extraites par ces chirurgiennes diaboliques et le ventre de Stockhausen se vide de ses tripes virtuelles avec dextérité. Les roues des planches toujours fluorescentes comme des signaux navigant sur les ondes circulaires de l'eau qu'elles déplacent au sol.Six femme en noir et blanc, cravates comme officiantes de cette messe solennelle. Les percussions de Strasbourg toujours à la pointe de la création et de l'audace!


première représentation de la nouvelle version

musique Karlheinz Stockhausen
concept, mise en scène, électronique Simon Steen Andersen

Les Percussions de Strasbourg
Lou Renaud-Bailly, Olivia Martin, Vanessa Porter, Léa Koster, Hsin-Hsuan Wu, Yi-Ping Yang

construction des décors | Albane Aubin
régie générale | Claude Mathia, Étienne Démoulin, Raffaele Renne

mercredi 28 septembre 2022

"La femme au marteau".... sans maitre au Mobilier National...Literie, lutherie fantastique...Musique de chambre à coucher...


Silvia Costa met en scène un récital théâtral autour de la figure de Galina Ustvolskaya (1919-2006).

La compositrice russe, élève de Dmitri Chostakovitch, mena une recherche esthétique radicale et personnelle, en rupture tant avec le style de son maître qu’avec les attendus soviétiques. Elle fut alors surnommée, en raison de son écriture brute et percussive, « la femme au marteau ». Ses Six Sonates pour piano composées entre 1947 et 1988, ici interprétées par Marino Formenti, en sont l’expression emblématique.

Dans un brouhaha obscur, se dessine sur le plateau occupé par un immense piano, une silhouette de vampire, sorte de Loi Fuller affublée d'un tissu noir...Le monstre surgit, danse, écarte les ailes, se fait oiseau de malheur et augure d'une ambiance et atmosphère bien singulières...Alors que le piano impose sa présence, forte ou ténue pour inventer des images sonores saisissante Une iconographie qui va soutenir la pièce tout du long comme ces gravures de Kollwitz, Boeklin, Klinger ou Topor ,mouvantes, chancelantes.


Un lit pour couche et espace à se mouvoir pour une créature dévêtue, osseuse, décharnée,maigre corpulence fragile et inquiétante, à demi-nue...Lit d'un mort qui claudique, éructe, un talon haut chevillé à la jambe.Étrange image mouvante...Le surréalisme est proche et envoutant à l'écoute des sonates qui martèlent un univers inouï..Les oreilles n'ont pas de paupières pour dissimuler ces sons outrageux, virulents, envoutants."Je danse"murmure la bestiole diabolique qui rampe sous le piano et y opère sa métamorphose sous nos yeux.Sonate dégingandée, désarticulée, en miettes époustouflantes intonations parfois insupportables...Tombeau ou stèle funéraire, le couchage de cette créature intrigue, interroge l'imaginaire.Les chambres se succèdent, magasin de lits chacun à la mesure de son occupant: le second sera la couche d'une femme insolite, à la valise, en robe de chambre, souliers escarpins à la Goya, qui vient engrosser une houppelande de ses vêtements, puis les châtient en coups et blessures virulents. Frappes, coups et blessures de chacun des êtres qui viendront peupler ce décor énigmatique. Fantaisie ou fantastique appréhension du monde sonore de la pianiste en référence.Un lit à baldaquin fait suite, plus cosy pour un récit sonore apaisé.Les marteaux du piano travaillent, percutent pour ce corps scénique anatomique, cette leçon d'autopsie musicale, chirurgicale impressionnante...Un jeu de scrabble comme alphabet, virelangue original pour tromper le sens des mots, gravés sur le lit ou assemblés en direct par la quatrième protagoniste de cette cérémonie insensée

Magie et pharmacopée, fantastique univers, iconographie scénique et plastique pour un voyage onirique sans pareil, une navigation dans le temps, martelé par les accents virulents du piano malmené par Marino Formenti de main et coudes de maitre...Une grande oreille, objet de curiosité pour amplifier le son de cette mer ravageuse, envahissante, au flux et reflux entêtant, obsédant...

 « Dans la musique de Galina Ustvolskaya, nous dit Silvia Costa, il y a un noyau essentiel, une simplicité militante, une pureté venue d’un autre monde. C’est le son d’un voyage sans halte, dans le cœur d’une vision intime, pulsante, construite avec obstination à chaque coup que les doigts et leurs articulations infligent au clavier, forgée et sculptée avec l’insistance d’un forgeron qui bat le fer pendant qu’il est chaud. La musique de Galina ne ressemble à aucune autre. Dans cet univers sonore, aux motifs inattendus, embrasé de fffff, j’ai entrevu des images de chambres à coucher, de grabats aperçus à travers des portes laissées entrouvertes. Dans ces atmosphères raréfiées et privées de mélodies, j’ai vu des fragments de récits, des tableaux vivants où trouvent place des désirs, des peurs, des visions, des figures saisies dans l’instant intime où elles se confrontent avec la noirceur et le nerf de l’âme. »

Galina Ustvolskaja Sonate no 1 à 6
interprétées par Marino Formenti

mise en scène et scénographie | Silvia Costa
avec Hélène Alexandridis, Marief Guittier, Anne-Lise Heimburger, Rosabel Huguet Dueñas, Pauline Moulène ainsi qu'une petite fille et un figurant choisis sur place

costumes | Laura Dondoli
création sonore | Nicola Ratti
lumière | Marco Giusti
textes | Umberto Sebastiano
assistanat | Rosabel Huguet Dueñas

"Il se trouve que les oreilles n'ont pas de paupières": fredons et autres sons -frissons de la pensée.


Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières

« Ce qui est vu peut être aboli par les paupières, peut être arrêté par la cloison ou la tenture, peut être rendu aussitôt inaccessible par la muraille. Ce qui est entendu ne connaît ni paupières, ni cloisons, ni tentures, ni murailles. »

Dans son essai La Haine de la musique, Pascal Quignard sonde cette condition si particulière de notre écoute : elle traverse et transperce irrémédiablement le monde physique, notre corps et notre être. À partir d’extraits du texte de l’auteur, le compositeur Benjamin Dupé a voulu transposer cette réflexion en faisant osciller l’audition et l’entendement. Une forme originale, à mi-chemin entre le concert et le théâtre, avec le comédien Pierre Baux et l’altiste Garth Knox.

On se souvient de l'affiche du festival Musica: un coton tige dans la jaquette d'un violon...Et si le "non-bruit" n'existait pas? L'altiste en scène dans un son ténu, réverbéré qui circule en tourbillon le prouverait-il?L'acteur à ses côtés chantonne, fredonne...des "fredons surgissants"!, grésillements épars en micro-sons...Le duo devant nous va être le laboratoire des fameux écrits de Quignard sur la musique, qui n'est que sons empilés, accumulés.De belles ondes sonores enveloppent  l'atmosphère comme une canopée musicale incertaine: le philosophe écoute le musicien qui insiste, dérape, s'achemine vers une évidence biblique: les sons-frissons sont partout et l'on y échappe pas: pas de rideau, de volets, de persiennes ni de jalousie pour esquiver, étouffer, chasser le son..Dans une gestuelle très chorégraphiée, sur "mesure", au diapason de ses paroles, l'acteur-comédien Pierre Baux, feint d'ouvrir son thorax, d'accueillir les bruits du monde , de se "laver les oreilles" pour mieux gouter ce récit quasi mythologique, texte en soi très musical qui ouvre bien des perspectives d'écoute, de compréhension et d’intelligibilité.Un vrai danseur évolue, salue, se fait pantin, diable et philosophe docte et précis. L'intelligence du texte pour support graphique dans l'espace, éclairé de main de maitre.Un maitre à danser, ustensile indispensable pour mesurer l'espace-temps.

maitre à danser

Danse du balancier, tic-tac de l'horloge comme les trois métronomes qui se mettent à scander le temps comme une sculpture en ronde-bosse. Alors que le musicien fait de même avec son archet magique. L'alto a une présence prépondérante pour faire ressentir ce silence "mort" en réverbération qui ondule et envahit le plateau.Sons inouïs de l'alto pour une définition du son "violeur", cinglant, dérangeant qui déchire les tympans, coupent et tranchent l'espace comme un sabre, une épée, une toile de Fontana...Le réveil, instrument quotidien fait appel à l'oreille et à aucun autre sens...Le sonore est un pays qui ne se contemple pas, n'est pas un paysage, mais un bain constant de sensations auditives irréversible, irrévocable machinerie de vie:comme cette "obéissance", cette cadence à laquelle on n'échappe pas!. L’excitation des propos, la montée en puissances des dires et sons augmente la tension ambiante. Les deux partenaires, dans ce duo-duel sonore et verbal, sont complices, compères et responsables de notre indéfectible écoute. A l'affut d'une parole éclairante, limpide comme le son de l'alto, en phase constante avec la langue de Quignard. Le jeu d'acteur magnifique comme phare et fer de lance de la compréhension.Sons de guerre qui font autorité, incontournable obsession auditive, vibrations qui nous submergent en direct, qui déferlent, abusives, intrusives Cette pièce illumine le texte et fait résonner une pensée en mouvement, à suivre aux sons des bruits qui animent le vivant!Benjamin Dupé en chorégraphe averti et savant "mètre à danser" dans une partition très écrite et quadrillée, en cadence, en démesure dramatique soutenue par l'altiste minutieux Garth Knox...


conception, musique, dramaturgie et mise en scène | Benjamin Dupé
comédien | Pierre Baux
altiste | Garth Knox

éléments de scénographie | Olivier Thomas
collaboration informatique musicale IRCAM | Manuel Poletti
collaboration à la lumière | Christophe Forey
régie générale et son | Julien Frénois

mardi 27 septembre 2022

"La contrebasse m'est tombée dans les mains....": Joelle Léandre en autobiographie sonore! Dans le rétro, dans le viseur, ça fait mouche!


La contrebasse m’est tombée dans les mains à l’âge de neuf ans et depuis je tisse sans cesse des histoires, des liens, des aventures, en totale liberté, avec le feu qui est en moi...

"Son instrument, dit-elle, c’est sa base, son socle, sa colonne vertébrale, une immense boite (à souvenirs), une sorte de tonneau, un radeau… Quel titre pouvait assumer la charge de cette passion musicale vécue à 100 à l’heure, sinon celui, impossible, qui pointerait vers toutes les ramifications, toutes les résonances ? Les mots s’accumulent et s’affolent pour dire un parcours extraordinaire. Une vie qui déborde sur la musique qui déborde sur la vie. Voici donc « la performance » de Joëlle Léandre : un moment brûlant, le concert, mais toujours aussi une façon d’exister, de désirer, de voyager et d’habiter le monde. Avec la liberté qu’on lui connaît, la musicienne livre son autobiographie sur scène aux côtés de la chanteuse Lauren Newton, du guitariste Serge Teyssot-Gay et du batteur Edward Perraud."

Elle apparait en compagnie de deux toutes jeunes interprètes, comme elle vêtues en gamine, soquettes et couettes à l'appui! Image tendre et burlesque pleine de recul et d'humour: retour en arrière dans le rétro pour cette as de la contrebasse, unique personnage désormais légendaire de l'instrument "contemporain". Trois musiciennes, deux clones ou avatars, Ambre et Ode,très scolaires et laborieuses: "elle était difficile"....cette mélodie!Prologue avec le Marius de Marcel Pagnol pour évoquer ses racines de fille du sud, ex-provencale, fille de prolétaire, simple et non destinée à la noblesse de l'apprentissage de la musique....Joelle Léandre se penche sur sa carrière, son parcours à force de verbes, de verve, de rage et de passion! L'écouter, c'est baigner dans un manifeste légitime: la contrebasse, objet musical négligé, non "noble", "oubliée" comme un légume d'autrefois, topinambour ou autre panais,exécutante dissimulée dans l'orchestre, maudite figure de ce qui est "basse" danse de la musique: musique nécrophile en diable.Elle vise, tire là où ça fait mal, dénonce virulente les méfaits du sexisme, revendique la place des femmes, auteurs mais surtout "instrumentistes improvisatrices" pour mieux exprimer comme John Cage: "laissez les sons, ce qu'ils sont"!Nomade, gitane, gipsye du jazz plus tard à force de rencontres inouïes, côtoyant le silence autant que la musique si rare dédiée à la contrebasse solo.Contre les requins d'orchestre qui se taillent la part belle...Free jazz, libérée du jazz académique, liberté revendiquée vers l'improvisation.La musicienne se fait conteuse, actrice, drôle de personnage sympathique, radicale, évoquant ses maitres-Boulez et autres grands de ce siècle passé-. L’invention de soi comme credo, manifeste vivant, vécu d'une femme rebelle, iconoclaste en diable.En bousculant et provoquant les compositeurs négligeant cet instrument trop grand pour une petite fille déterminée à faire de la musique sa vie!Du corps et du geste à l'oeuvre comme pour la danse pour cette utopiste, subversive personne, seule sur scène à nous délivrer son parcours. Et pour l'entourer, l'accompagner, ses trois complices à la guitare et au chant,et aux percussions pour deux morceaux de choix, illustrant à merveille ses propos: surprise, invention, silence, les instruments triturés pour en faire sortir rythme, couleurs et sons inattendus. Hors norme, toujours...Indomptable, insoumise Joelle !

performance musicale
voix | Lauren Newton
guitare électrique | Serge Teyssot-Gay
batterie | Edward Perraud
contrebasse, voix | Joëlle Léandre

Au TJP dans le cadre du Festival MUSICA en coproduction avec JAZZDOR le lundi 26 Septembre 

Loin de Patrick Suskind avec son roman "La contrebasse"!

"La contrebasse est l'instrument le plus gros, le plus puissant et le plus indispensable de l'orchestre, le plus beau aussi, dit d'abord le contrebassiste.
Mais bientôt l'éloge pompeux laisse affleurer les frustrations et les rancœurs du musicien et de l'homme. Et peu à peu la haine d'abord refoulée de cette encombrante compagne s'exprime, se déchaîne et explose jusqu'à la folie..."

dimanche 25 septembre 2022

"Donnez moi une raison de vous croire": Mathieu Bauer et le Goupe 46 de l'école du TNS :crédules mais pas dupes!

 

Mis en scène par Mathieu Bauer, donnez-moi une raison de vous croire est le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 46 de l’École du TNS. Partant du dernier chapitre de L’Amérique de Franz Kafka, texte resté inachevé, Marion Stenton, dramaturge, situe sa pièce au Grand Théâtre de l’Oklahoma. On entre ici dans les coulisses du rêve américain, où les déclassé·e·s et les inclassables occupent les couloirs dans l’attente ou dans le refus des rôles qu’une bureaucratie absurde veut bien leur attribuer. La musique occupe une place essentielle dans ce spectacle, avec la présence sur le plateau du guitariste et compositeur Sylvain Cartigny et la création sonore de Jean-Philippe Gross.

C'est un accueil bien spécial, celui d'un hôtesse fort polie destinée à recevoir les postulants d'un casting ou d'un rendez-vous d'embauche du Théâtre d'Oklahoma...Ici on semble considérer tout le monde et chacun qui se présente dans cet univers de salle d'attente très design, reçoit considération et sympathie.Jusqu'à ce que l'on s’aperçoive que c'est dans une arène que l'on se trouve: sorte d'amphithéâtre, bureau d'accueil multi fonction ou couloir que l'on visite en compagnie de la cheffe-guide tenant ce rôle ingrat mais nécessaire.La troupe de postulants suit allègrement, petit groupe hétérogène en diable. Chacun ira de son "solo"parmi ses souffrants du recrutement implacable de participants à ce théâtre fantôme en apparence si exigeant en comédiens et autres fonctions inhérantes à la bonne marche d'une petite entreprise. Un portier, briffé comme un fonctionnaire des sorties et entrées des candidats, "celui qui savait tout jouer", "celui qui voulait rester debout"...Autant de personnages à multiples facettes. Ainsi va le définition des rôle de chacun dans le générique et les comédiens excellent dans ces qualités définies et jouées avec justesse et sincérité.La cheffe du personnel comme principal rôle articulant les séquences, les niveaux de jeu, maitre de cérémonie, Emilie Lehuraux, Pauline Vallé qui accueille et rêve d'être chanteuse...Sela Yeboah qui a perdu l'usage de ses mains et vit son personnage franchement émouvant et drôle, en pleurs artificielles désopilantes Et tous les autres composant un bouquet, florilège des situations et conditions de vie des gens du théâtre ou du monde du, travail. Dans cette antichambre de Pole Emploi, des Assedics ou de la Sécurité Sociale, chacun tente de se faire reconnaitre plus qu'un numéro Mais au baromètre et à l'horoscope du travail, le temps et les astres ne sont pas vraiment de la partie. Beau fixe pour les sept musiciens qui accompagnent texte et gestuelle, déplacements et autres pérégrinations de mise en scène. Des gestes, attitudes recherchées et élaborées sous l'oeil de Thierry Thieu Niang permettent à chacun de se démarquer, d'être soi et dans une altérité pertinente. L'empathie ressentie alors du spectateur à l'acteur se renforce et cette "jeunesse" devient maitrise et maturité: une richesse émotionnelle transmissible et contagieuse dans ce dispositif à la fois accueillant et repoussant de fausse bienveillance.L’hypocrisie ici vaincue par des destins qui gagneront la bataille, on l'espère pour trouver leur "place" et exister pour une utopie. Marion Stenton et Mathieu Bauer en poupe pour restituer cet univers, cette ambiance quasi jubilatoire des salles d'attente où tout semble se jouer entre les protagonistes.Le titre de la pièce  trahissant le doute, la méfiance, l'appréhension que font naitre ces situations sur la corde raide où il faudrait faire ses preuves dans un monde où les dés sont joués, où le sort s'acharne à nous faire douter de nos capacités et ternir nos rêves.

 

 


mise en scène | Mathieu Bauer
texte et dramaturgie |Marion Stenton
collaboration artistique et composition | Sylvain Cartigny
création sonore | Jean-Philippe Gross

avec l’ensemble des artistes du Groupe 46 de l’École du TNS

Jeu
Carla Audebaud, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Kadir Ersoy, Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Émilie Lehuraux, Aurore Levy, Joséphine Linel-Delmas, Pauline Vallé, Cindy Vincent, Sefa Yeboah

Orchestre
guitare, claviers | Sylvain Cartigny
batterie et trompette | Mathieu Bauer
euphonium | Jessica Maneveau
claviers | Antoine Hespel
saxophone alto | Ninon Le Chevalier
trombone | Thomas Cany
thérémine et orgue | Antoine Pusch
basse | Foucault de Malet

lumière | Zoë Robert
regard chorégraphique | Thierry Thieû Niang
assistanat à la mise en scène | Antoine Hespel
scénographie, costumes | Clara Hubert, Ninon Le Chevalier, Dimitri Lenin
son | Foucault de Malet
régie lumière | Thomas Cany
régie son | Margault Willkomm
régie plateau | Antoine Pusch
régie générale | Jessica Maneveau

"La Construction du monde" de Georges Aperghis : la table diabolique de Merlin l'enchanteur!

La Construction du monde est une tentative de faire presque tout avec presque rien. Un retour aux sources pour le compositeur Georges Aperghis. Le percussionniste et comédien Richard Dubelski voit son champ d’action limité à un unique objet, une table, dont on saisit bien vite qu’elle est tout sauf ordinaire. Surprise…

Dans la "danso-thèque" de Pole Sud, aménagée pour l'occasion de plain-pied avec le dispositif scénique, sur des bancs, proches de l'artiste, le petit rituel démarre. L'autel, c'est une table magique, l'officiant, un acteur-comédien-musicien. Homme orchestre qui va manipuler moultes objets, et les rendre "sonnant et trébuchant" sans cesse animés par un rythme constant de facéties de manipulateur, prestidigitateur de sons. Des plumes caressées par le souffle de sa bouche, des doigts de bois, animés comme sur un clavier, des toupies tournoyantes, un serpent de tissu qui grimpe aux pieds de la table, véritable établi de maitre à faire résonner le quotidien magnifié! Un tissu qui se dérobe au rythme des mots et bribes de paroles séquencées à la Aperghis, presque "slamées" contemporain avec beaucoup de vélocité, de rapidité. Surprises des mimiques de ce malin et mutin manipulateur aux yeux étonnés et nous voilà transportés dans le monde sonore et visuel du maitre du théâtre musical...Richard Dubelski, fidèle compagnon de route du compositeur pour mieux servir cette dextérité étonnante, ces dissociations vertigineuses et virtuoses,ce phrasé inimitable de bribes de sons architecturés de main de maitre. Magicien très honnête ne cachant presque rien des secrets de fabrication sonore ses appeaux aux doigts surgissant de nulle part...Et ce gant blanc qui comme un petit oreiller vient accueillir le visage de l'interprète, pour mieux faire rêver le spectateur. Dans cette boutique fantasque à l'étal si joyeux, les toupies dansent et font des bruits d'avion, les oiseaux chantent, le monde s'agrandit...Et c'est un régal, comme un jeu d'enfant très complexe, toujours plein de charme, de finesse, de trouvailles sonores et visuelles enchanteuses. Une réplique en miniature de l'instrument permet d'observer et de manipuler certaines parties de la table, boite surprise, et l'on discute poésie-objet avec l'artiste encore illuminé de malice ......

Composition Georges Aperghis
percussionniste Richard Dubelski
scénographie Nina Bonardi

A Pole  Sud dans le cadre du festival mini musica

samedi 24 septembre 2022

"I dont' want to be an individual all on my own": Geneviève Murphy méta-morphique musicienne !



"La performeuse écossaise Genevieve Murphy se met elle-même en scène. Avec I don’t want to be an individual all on my own (Je ne veux pas être un individu isolé), elle cherche à établir une nouvelle relation avec le public centrée sur l’empathie et la curiosité pour l’inconnu. Son point de départ est une ordinaire fête d’anniversaire — plus précisément, la célébration de ses neuf ans, il y a une vingtaine d’années, dont elle avait elle-même composé la bande-son. Les spectateurs s’immiscent dans une tranche de vie familiale munis de casques d’écoute, à la manière d’une fiction radiophonique. Seule en scène, Genevieve Murphy réalise en direct tous les aspects de ce théâtre sonore mêlant récit de soi, poésie sonore, musique électro-pop et ASMR."

Elle invite d'emblée à rentrer en empathie avec son personnage, très présente et charnelle, joueuse de tout son corps musical: paroles et texte à l'appui, elle se fait conteuse de sa propre mémoire sensorielle. Déjà pour son premier anniversaire mis en scène, elle se souvient du rituel autant que de l'angoisse de ne pas réussir cette fête aussi sociale que ludique. Munis de casques on la suit ou la précède sans encombre, en sympathie et complicité sonore. Bruits et sons modulés, recherchés qui s’immiscent dans les tympans et deviennent sources de sens et de jouissance. Très sensuelle approche de bruits gourmands de bouche, de sons créés in situ en direct, dont on peut discerner la source: objets divers et variés à l'envi.Danseuse aussi pour son concours de danse de chaque année dont elle est victorieuse et vedette!Sous les néons de la scénographie, la voilà qui ondule, pop star enfantine et joviale...Des images impressionnantes de morphing du visage grimaçant à l'excès éclairé de façon à leurrer le spectateur: de la 3D ou de la réalité? Chorégraphie des traits, des lèvres, de la bouche pour un portrait à la Francis Bacon sans aucun doute. Le travail de Geneviève Murphy est direct et le médium du casque incruste dans les méandres du cerveau et de l'ossature  crânienne de belles et curieuses sensations phoniques. Amplification des timbres, subtilités des volumes, infimes aigus à percevoir pour le plaisir de l'écoute visuelle qui en découle.

Un travail à suivre pour une poursuite de cette exploration inédite autant des sons que des images: tel un "wildermann" sonore à la Charles Fréger, vêtu de bandes magnétiques froissées en boule,en tutu de circonstance pour un statuaire vintage de toute beauté!




concept, mise en scène et performance | Genevieve Murphy

"Marelle" de Benjamin Dupé




"Marelle / que les corps modulent ! est une pièce de concert dansée dont les interprètes sont des enfants, à la fois danseurs et musiciens. La scène prend la forme d’un atelier de lutherie en construction, modulé et habité par des corps énergiques et joueurs, à l’écoute d’eux-mêmes et de l’environnement. Une expérience artistique et sociale conçue par le compositeur Benjamin Dupé avec la collaboration du chorégraphe Étienne Fanteguzzi, ainsi qu’une douzaine d’enfants du quartier de la Meinau."

Un généreux moment de partage convivial et ludique parsemé d'embuches et de handicaps à franchir pour une expérience hors pair en compagnie de "performeurs" amateurs plein de talent et d'ingéniosité; au coeur d'un beau studio de danse professionnel sans doute impressionnant et auprès d'un public bienveillant, au sein d'un dispositif en carré.Public attentif à toutes les découvertes sonores investiguées: un élasto-clap inventé de toutes pièces, des verres frémissants et  tintant grâce à une perche magique manipulée de main de maitre.Des objets détournés pour devenir "sonnants et trébuchants", résonnant , sources de sons inédits émanant d'objets du quotidien. Un éveil corporel aussi pour ces jeunes protagonistes, danseurs en herbe, bons joueurs et acteurs le temps d'une représentation sans "fausse note" ni bavures sonores: au contraire, sans partition écrite, la musique se fait vive, curieuse avant de devenir "savante écriture" et instrumentale! 

Benjamin Dupé, Marelle / que les corps modulent ! (2022) - création mondiale

concept et musique | Benjamin Dupé
chorégraphie | Étienne Fanteguzzi
espace et dispositifs instrumentaux | Olivier Thomas, Benjamin Dupé
son | Julien Frénois


"Concert sur soi": Joachim Angster en toute intimité! Alto, prends garde à toi .....

 

"Musica convie auditeurs et auditrices à vivre un moment unique. Durant tout le festival, des concerts ont été dissimulés dans des lieux insolites ou normalement inaccessibles du centre-ville strasbourgeois. Des musiciens proposent une lecture du répertoire contemporain à travers plus d’une centaine d’oeuvres. Une expérience de l’intimité musicale qui, pour être vécue pleinement, est destinée à un public extrêmement réduit. Quant au mystère des lieux et du programme des concerts, il ne sera levé qu’au dernier moment…

Une cinquantaine de musiciens et musiciennes issus des formations invitées, d’ensembles locaux et de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg proposent une lecture du répertoire contemporain à travers plus d’une centaine d’œuvres. Une expérience de l’intimité musicale qui, pour être vécue pleinement, est destinée à un public extrêmement réduit. Quant au mystère des lieux et du programme des concerts, il ne sera levé qu’au dernier moment…

Le protocole est simple. Le spectateur choisit le créneau horaire qui lui convient, sans que ne lui soient dévoilés le lieu et le programme du concert. Une adresse lui est communiquée par SMS et email 48 heures avant la manifestation. Tous les lieux sont situés à Strasbourg même et ont été sélectionnés pour ne poser aucun problème d’accès. Sur place, à l’adresse et à l’horaire précisés, le spectateur est reçu et guidé par un agent d’accueil vêtu aux couleurs du festival."


 

Le lieu tenu secret jusqu'au bout de ce futur voyage intriguant où le "trac" de l'inconnu, de l'étranger, se fait au coeur de l'auditeur-spectateur d'un soir, d'un moment attendu. Voyeurisme, curiosité, tout semble animer celui ou celle convoquée à ce show unique, taillé sur mesure. C'est dans la salle Stravinski de l'ancien conservatoire de musique de Strasbourg que nous guide une charmante hôtesse identifiée Musica sur les marches du café du TNS...Suspens et petite anxiété ou enthousiasme de retrouver un lieu où 40 ans auparavant on y écoutait Françoise Kubler chanter Aperghis pour les premiers pas de l'Accroche Note...En robe rouge, gainée de voix déjà percutante et timbrée contemporaine!

 Un jeune musicien fait irruption sur la scène déserte dans ce théâtre vide aux fauteuils peuplés de spectres absents...Vision surréaliste et onirique, l'auditeur assis sur une chaise dans l'intimité de la relation à deux, face à face!Un violon-alto pour trois morceaux de choix en soliste...De Gyorgy Kurtag, avec une pièce courte "Signes, jeux et messages"à Gyorgy Ligeti et son "Sonate pour alto", il n'y a qu'un pas que franchit l'interprète du Philarmonique de Strasbourg, avec dextérité, virtuosité et bravoure.Les cordes menées à bout de leurs possibilité sous ses doigts agiles pleins de maitrise: oeuvres qu'il a choisies pour leur originalité, leur "modernisme" musical, leur rareté et complexité..Un choix judicieux qui éclaire les possibilités d'écriture musicale pour alto et réjouit le tympan, agile à restituer les harmoniques qui se dissolvent dans la finesse et l'extrême difficulté à reproduire des sons inouïs..La dernière pièce exécutée de Pascal Dusapin, extraite de "Inside" de 1980 fait figure de zénith, de "clou" de ce concert inédit. L'alto vibre, surprend, se plie aux caprices d'une partition pleine de didascalies, de notes d'intension de niveau, de timbres, de rythme....Un régal, le temps de cet échange inédit musicien-auditeur qui flatte quelque peu l'ego personnel de celui qui reçoit ce cadeau unique et ciblé pour le meilleur d'une écoute recueillie, intime, intense. Promesse d'une encore meilleure lecture d'autres oeuvres après cette leçon particulière de musique de premier choix. Joachim Angster et sa frêle silhouette tout en noir se pliant à cet exercice avec générosité, enthousiasme, éclairant de son "discours amoureux" les oeuvres interprétées devant et pour celui ou celle qui ose franchir les barrières du concert classique frontal, pour dériver sur le fil du danger de la rencontre, de la proximité: belle initiative du festival Musica pour faire se rapprocher acteur et auditeur dans le vaste champ de la musique! On quitte les couloirs, escaliers, salles de cours et rampe de fer aux diapasons sculptés, pour réintégrer le monde de la cité, le rêve encore plein les oreilles....

"Noir sur blanc" Heiner Goebbels et l'Ensemble Modern : du vent dans les voiles !Ghost save the music !


Noir sur blanc

Prologue:"Créé en 1996, Noir sur blanc (Schwarz auf Weiss) est un incontournable du théâtre musical. Avec pour fil rouge la parabole Ombre d’Edgar Allan Poe, Heiner Goebbels montre comment l’acte solitaire de création artistique est toujours aussi un acte d’invention collective.

L’action se situe hors du temps, dans la profondeur d’un passé antédiluvien — qui pourtant semble résonner avec notre inquiétant aujourd’hui. Un groupe de personnes, des hommes et des femmes, sans doute des survivants, se trouvent confinés dans un grand espace, peut-être un temple avec ses longues rangées de bancs. Derrière la porte d’airain, ils se croient protégés des catastrophes du monde extérieur. Ils jouent, ils boivent, ils chantent… jusqu’au moment où, soudain, une ombre apparaît sur le mur. De leur désœuvrement naît alors une action collective, tout d’abord désorganisée, mais qui semble peu à peu tendre vers un but commun. Lequel ?"

Ils sont déjà sur scène pour les uns, en costume de ville, assis sur des bancs en rangée, alignés et préparent leurs instruments. De dos alors qu'une voix murmure en off.Puis la scène se peuple, chacun rentre avec sa qualité de gestes, de déplacement et suggère un personnage.Ils jouent, de dos en rang serré, un rythme soutenu puis émigrent en grappe, jouent à la balle de tennis: joyeuse assemblée réunie pour se divertir. Un bruit continu de machine en fond d'atmosphère.Puis dans une belle accalmie après ce tsunami musical très ventilé de cuivres, de vents et autres trombones,se dresse en devant de scène un petit théâtre d'objets, une collection d'embouchures en étal, boutique fantasque, symbole de mémoire artisanale.Six panneaux en fond de scène laissent découvrir des ombres, des images de cité perdue.On songe à Kentridge dans ce défilé de silhouettes burlesques, à l'orchestre dégingandé, débridé de  Kusturika...

william kentridge

Trompette et trombone en majesté pour des soli remarquables de dramaturgie, de mise en scène imaginative et décalée On leur donnerait bien un "zéro de conduite" à ces guignols pas tristes de théâtre visuel et sonore.Un joli tintamarre en perspective s'installe, ponctué de jeu, de voix et de texte. Un solo de saxophone virtuose, digne de free-jazz se défoulant à l'envi pour donner le ton de ce concert décapant!Un échafaudage d'échelle, un panneau qui s'écroule pour mieux ventiler l'espace et faire voler les feuilles des partitions. Une marche collective, défilé-parade, de dos, efface les silhouettes, les rend spectrales.Une marche funèbre comique en diable.Un petit faune joue du pipeau devant sa bouilloire face à cette vision dantesque, enchanteresse, onirique à souhait.Un soupçon de référence à Bernstein et son "West side story" avec ses vents menaçants, plein de suspens et de couleurs sonores.Des simulacres de sons de goutte de pluie sur les cordes et corps des violons pour créer une ambiance étrange mais toujours rassurante Au pays des spectres et des ectoplasmes, le suaire n'est jamais blanc, le linceul jamais triste, plutôt évocation de gaieté, de réjouissance, de sobri-ébriété jouissive!C'est écrit noir sur blanc dans la partition à tiroir de cet opéra ludique plein de malice et de verve, éventée, cuivrée, le bec dans les anches et autres articulations instrumentales....


Epilogue:"L’Ensemble Modern est le protagoniste collectif de cette extraordinaire parabole donnée dans le monde entier avec un succès constant depuis vingt-cinq ans. Les 18 musiciens et musiciennes investissent la scène avec leurs instruments et la font vivre comme jamais auparavant. Pour Heiner Goebbels, il s’agissait d’explorer en profondeur le potentiel théâtral de la musique, mais aussi de façonner une allégorie de l’écriture et des voix multiples qui l’accompagnent. Sous la forme d’un manifeste pour l’invention partagée, le compositeur-metteur en scène déploie le cœur de sa vision : toute œuvre d’art est un héritage collectif et doit être reconnue comme tel.

Noir sur blanc n’a été donné en France qu’à deux occasions, au Festival d’automne à Paris en 1997 et à la Filature de Mulhouse en 1999. C’est donc une occasion unique de découvrir ce chef-d’œuvre du théâtre musical dans sa mise en scène originale."


Heiner Goebbels Noir sur blanc / Schwarz auf Weiss (1996)
spectacle pour dix-huit musiciens

conception, musique, direction et mise en scène | Heiner Goebbels
scénographie et lumière | Jean Kalman
costumes | Jasmin Andreae

Ensemble Modern
flûte, flûte piccolo, flûte basse | Dietmar Wiesner
hautbois d'amour, voix, didgeridoo | Cathy Milliken
clarinette | Jaan Bossier
saxophone, clarinette contrebasse | Matthias Stich
basson | Barbara Kehrig
cor, récitant, direction musicale | Franck Ollu
trompette, récitant | William Forman
trombone | Uwe Dierksen
clavicorde, harpe | Ueli Wiget
accordéon, échantilloneur, cymbalum | Hermann Kretzschmar
percussion, cymbalum | Rumi Ogawa
percussion | Rainer Römer
violon | Jagdish Mistry
violon | Megumi Kasakawa
alto, voix | Freya Ritts-Kirby
violoncelle | Eva Böcker
violoncelle | Michael Maria Kasper
contrebasse, e-basse | Paul Cannon 

vendredi 23 septembre 2022 au Maillon

 

vendredi 23 septembre 2022

"Discreet music": ça plane chez Eno !

 


Discreet music

Au milieu des années 1970, à mi-chemin entre l’avant-garde et la pop, Brian Eno posait les bases d’un nouveau genre musical, l’Ambient Music. Inspiré par la musique d’ameublement d’Erik Satie, la musique indéterminée de John Cage ou les drones de La Monte Young, il réalisait alors en studio une série de compositions fondées sur des processus formels stricts. L’impression d’une musique toujours à peu près la même et pourtant toujours différente nous plonge dans une écoute flottante, un état de conscience modifié propres aux musiques répétitives. Sous la direction artistique de Didier Aschour, l’Ensemble Dedalus propose une transposition instrumentale de quelques-uns des plus beaux titres de l’expérimentateur britannique.


Brian Eno
Discreet Music (1975) :le ton est donné avec le piano, compagnon de ce morceau hors norme: un leitmotiv envahissant, ascensionnel en reprise sempiternelle.La contrebasse s’immisce doucement dans ce maillage de notes égrenées à l'envi. Puis c'est au tour du xylophone-vibraphone de se glisser entre les notes, suivi des vents et cordes peu à peu.Cette lente et subtile addition, comme une accumulation savante de sons tuilés, se bordant, enrobant l'espace.L'amplification, le développement de ce motif, simple et enivrant, façonne l'opus dans une pureté des timbres rehaussée par l'acoustique vibrante et lumineuse de l'Eglise St Paul. Les auditeurs, allongés ou en position de méditation recueillie semblent bercés, apaisés par l'écoute de cette ode au calme, à l'évanescence de l'ether.Entêtant, persistant, les appuis et rebonds sonores font inflexions, pulsations régulières et mouvements de pliés, assemblés, chassés et détournés dignes d'un langage de danse classique reviisté.

Les oeuvres se succèdent indissociables...
Music for Airports (1978) : un must du genre sur le tarmac, embarquement immédiat pour survol aérienne, hors sol.Une longue tenue des cordes en introduction, envol et décollage vers des cieux prometteurs de paradis.Purgatoire oblige, calme et mystère comme ambiance globale.Le piano égrène ses notes, paisible, pondéré, douce et sensible référence acoustique.Dans une atmosphère lumineuse les perles de notes pianistiques rehaussant ce goutte à goutte délectable.Sur fond lisse, atonal, répétitif, minimaliste.Vents et piano comme des litanies, ondes et vagues sonores douces, enrobantes.Des inflexions votives comme mouvement aléatoire persistant.


Thursday Afternoon (1985):La sonorité inouïe des vents, saxophones à l'appui est reine et enchante.Symphonie relaxante, ambiance zen qui étire les sons et se répand sans cesse avec bonheur.De très belles intonations dans les graves de la part des trombones pour cette pesanteur solennelle édifiante. Telle une lente parade en hommage au temps, à la pondération.Les flûtes et clarinette, les cordes créent un univers lent, cortège qui passe sobrement comme une longue marche vers l'éternité.Eno en majesté dans un écrin acoustique idéal et pour un public nombreux, planant dans des sphères virtuelles de rêve.

Ensemble Dedalus
guitare, arrangements et direction artistique | Didier Aschour
flûte | Amélie Berson
clarinette | Laurent Bruttin
saxophone | Pierre-Stéphane Meugé
trompette | Christian Pruvost
trombone | Thierry Madiot
violon | Silvia Tarozzi
alto | Cyprien Busolini
contrebasse | Éric Chalan
piano | Denis Chouillet
vibraphone | Linda Edsjö
violoncelle | Deborah Walker

jeudi 22 septembre 2022 Église Saint-Paul dans le cadre du festival MUSICA
 

 

"Eblouissements": Kaija Saariaho en majesté.

 

Éblouissements

L’Orchestre national de Metz Grand Est s’associe à Musica pour clore le portrait consacré à Kaija Saariaho.Deux pages orchestrales qui encadrent la carrière de la compositrice finlandaise sont données sous la direction de David Reiland.Entourées de complices acoustiques inégalées.


Olga Neuwirth, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020)

La pièce d’Olga Neuwirth qui ouvre le concert, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020), fait partie d’un cycle d’œuvres composées durant la période de confinement.C'est en fanfare martiale dissonante que démarrent ces hostilités musicales bienvenues!Aux accents joviaux, sortes d'hymnes nationaux en référence acoustique.Comme une lente marche avec cependant beaucoup d'énergie, de virulence, de clarté des timbres: un brillant solo de trompette comme gageure d'écriture, surprise et enchantement du tympan!En contrepoint, les percussions s'adonnent à faire vibrer le tout.

Kaija Saariaho, Trans (2015)

Son concerto pour harpe Trans composé en 2015 est interprété par l’un des plus éminents représentants de l’instrument, Xavier de Maistre. La rémanence des sonorités tenues de la harpe, reconduites par les cordes profile une atmosphère légère, délicate, subtile manipulation des cordes de l'instrument si beau à regarder aussi!Tout en délicatesse, l’orchestre ouvre des espaces et s’efface pour mettre en valeur la fragilité de la partie soliste.Doigté, virtuosité du jeu de l'interprète qui se balance au gré des impulses de cet instrument, spectaculaire objet de désir, de tendresse Les sons tourbillonnent dans l'ether, enveloppent la divine harpe, lui répondent comme à une muse inspiratrice de l'oeuvre. Fluide subtil, impondérable, remplissant les espaces situés au-delà de l'atmosphère terrestre.Légèreté des flûtes, sons fluides, hauts en couleurs.La harpe se fait frapper, l'ambiance monte en tension dans une atmosphère inquiétante.Les mouvements ondulatoires de la harpe, le xylophone en contrepoint et le paysage sonore s'amplifie, s'élargit, prend corps sonore et visuel. Tout l'art de Kaija Saariaho triomphe ici comme une petite symphonie lumineuse, irradiante, salvatrice.Volière de timbres multicolores et chamarrés en effervescence, ce monde, cette planère musicale enchante et fait voyager très loin au gré des modulations.

Kaija Saariaho, Verblendungen (1984)

Verblendungen, l’œuvre qui l’a fait connaître au milieu des années 1980 et dont le modèle est une trace de pinceau qui lentement s’effile. De bruits et de fureur; détonations, ample volume du son, espace habité avec rage et entêtement.Pour une puissance grandiose qui s'installe, se déploie et inonde l'atmosphère.Flux et reflux ascendants submergent, les percussions, délicates, perlent la musique, aérienne, vaporeuse.Tout semble tintinnabuler, fragile composition doublée de sons enregistrés diffusés simultanément. Une infime source de sons minimalistes, des bruissements ténus nous projettent dans un univers sensible.À partir d’un climax initial saturant l’espace harmonique se déploient des spectres de plus en plus épurés, jusqu’à la disparition de l’orchestre en un souffle.

Clara Iannotta, Darker Stems (2022) - création mondiale

Commande conjointe de Musica et de la Cité musicale-Metz, Darker Stems de Clara Iannotta est donné en création mondiale. Musique électroacoustique en premier abord, doublée par l'orchestre en live:flux et déversement de sons, décharge, déraillement sonore comme dans un chantier retourné, malmené. Cet opus plein de bruits, de sonorités identifiables-grues, objets telle une crécelle, des cartons frottés-fait l'objet d'une oeuvre très imagée.D’une portée autobiographique rare, la pièce a été imaginée durant une longue période de convalescence. La compositrice italienne dit y avoir transposé son expérience intime de la maladie : « À la manière d’un miroir intérieur révélant des pensées, des comportements ou des peurs cachées au fond de moi, un espace interdit au verbe, mais où le son peut se nourrir avant de s’écrire sur une page. » Douleur ou rédemption, rémission ou éternelle recommencement d'un grand corps malade, ressuscité par la composition, la création musicale, portée par l'enthousiasme d'un orchestre hors pair, voué à l'interprétation d'oeuvres majeures et inédites du futur répertoire contemporain!
 


Orchestre national de Metz Grand Est
direction David Reiland
harpe Xavier de Maistre

Salle du conservatoire Cité de la musique et de la danse le 22 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

jeudi 22 septembre 2022

"Hyper concert": L'Imaginaire et Hyper Duo en couple charnel et virtuel...

 


"Les ensembles L’Imaginaire et HYPER DUO, respectivement basés à Strasbourg et Bienne, s’associent le temps d’une soirée. Au programme, un florilège d’oeuvres d’une nouvelle génération de compositeurs et compositrices qui partagent un même sens de l’hybridation et du franchissement des frontières esthétiques : de l’incarnation pop aux écritures contemporaines, du geste instrumental mis en scène au corps virtuel à l’écran, de la pulsation régulière à la déconstruction rythmique… Le concert est aussi l’occasion de découvrir La Pokop, la nouvelle salle de spectacle de l’Université de Strasbourg et du Crous investie pour la première fois par Musica.—"

L’Imaginaire
Malin Bång Hyperoxic (2011):l'air de rien, un duo plein d'oxygène, flûte et micro-mégaphone, pompe à vélo...De quoi évoquer ce qui traverse les poumons des artistes: respirations, souffle à l'envi pour une pièce courte, pleine de vie: premiers cris et derniers soupirs de la vie musicale. L'air comme passeur de sons et d'énergie, d' oxygénation et d'euphorie de la ventilation.Un ballon bleu comme partenaire à lisser du bout des doigts, racler, frôler à l'envi.Joli métaphore du vent, des courants d'air et d'art qui animent ce morceau de choix d'aérobie musicale....


Daniel Zea Toxic Box (2020, nouvelle version 2022)

Deux avatars à l'écran, lisses, confondant de réalisme outrancier, made in pixel et autres truchements de l'image en 3 D...Pas vraiment "esthétiques" ces faciès de poupée Bela, reconnaissables, ceux  des interprètes, modélisés par la technique sophistiquée de nos machines iconiques.En tenue miroitante de circassien, les interprètes prennent la scène et délivrent en live de la musique acoustique! Laqué, or et argent, pailleté, le show se glisse sous les images, transformistes: femme et homme pudiquement torse-nu, créatures troncs, tronquées au profit de jeu de bouche étirée qui dévoilent des dentitions monstrueuses. Avatar bâtard, vernaculaire icône des corps dénudés, insipide image nette et aseptisée d'une musique pourtant riche et florissante. A quoi bon tant de chichis pour épauler de façon lisse, ces corps ternis par la fadeur des contours immaculés. Trio à l'image qui peu à peu va prendre sens dans de belles juxtapositions de tons et d'images de masques, d'objets hétéroclites..A toute vitesse défilent ces tableaux, dignes d'un musée ethnographique, quai Branly de l'électroacoustique: bricolage et science au poing! Le rythme mécanique s'emballe, s'accélère, les images se catapultent dans cette modélisation désuète et démodée-volontairement ou pas- kitsch à mourir!Quand son et image ne se rencontrent pas, l'absence fait irruption dans ce jeu de massacre aux bouches déformées par les impacts percutants de l'électronique. La beauté canonique des "modèles" agace, ces masques de tonneau de vin s'affolent dans la pixilation du montage : hommes et femme tronçonnés par l'acoustique, déplacés, défigurés.Gueules cassées sur champ de bataille des années passées...Grimaces et rictus à l'appui....
L' Imaginaire sur la voie mutante des musiques nouvelles, ne convainc pas vraiment. Ni par ses costumes pailletés et scintillant...
On songe avec nostalgie au travail de N+N Corsino avec le compositeur Jacques Diennet pour des vidéo-danse modelées par le 3D avec poésie et "e-motion capture" , pixels de  haute voltige ! (Seule avec Loup)......

Hibiki Mukai L'Adieu aux sirènes (2022): flûte, piano,saxophone pour une belle osmose entre images vidéo et musique. On se prend au jeu du "visuel", le regard attrapé, saisi par la beauté de couleurs en mutation, de volutes multiples qui ondoient, divaguent, se lovent sur l'écran: de plus bel effet esthétique. Tel un kaléidoscope chamarré, les images se diluent, gracieuses et savoureuses partition d'imagerie "pop"de bon aloi.Tout dégouline, pleure et fond dans l'oeil pour mieux souligner en contraste les effets musicaux plus radicaux.Des visages aussi qui se métamorphosent, en morphing épatant, des masques et toujours de la dissolution qui se répand sur l'écran.Ondes et méandres en mutation.Quelques trolls, mangas ou autres personnages emblématiques de la pop culture: musique panique autant que zen...Des tracés aussi, verticaux en noir et blanc, des mires de couleur, éphémères et un solo de flûte orné de tracés graphiques adaptés à la vertical-horizontal du jeu de Keiko Murakami...Une pièce du plus bel effet visuel pour créer un univers spatial et cosmique remarquable!Danse finale pour se libérer des technologies en ombres chinoises pour la beauté du geste, libéré, débridé!

flûte | Keiko Murakami
saxophone | Philippe Koerper
claviers | Gilles Grimaitre
électronique, régie vidéo | Daniel Zea
ingénieur du son | Jean Keraudren

HYPER DUO
Gilles Grimaitre & Julien Mégroz Cadavre exquis (nouvelle version avec vidéo,
2022) - création mondiale

Petit changement de programme pour Hyper Duo qui nous laisse découvrir le fruit d'une expérience singulière: des cadavres exquis musicaux mis en image par leur complice Emmanuel Vion Dury. Un film fabriqué de douze séquences désopilantes: le jeu des musiciens au service d'une mise en scène aléatoire, faite de situations extrêmes, loufoques, incongrues. Des images phrases pour une interrogation entre rythme musical et rythme de montage. Pour le meilleur d'une fantaisie filmique, iconographie joyeuse d'images en vrac.Le clou de ce "vidéo-clip" hors norme: l'examen de fin d'année de conservatoire musical des deux protagonistes Julien Megroz et Gilles Grimaitre: une saynète burlesque haute en couleurs,costumes, accessoires, décor à l'image de leur imaginaire: cocasse, drôle, décapant autant que savant. Là réside leur art de déplacer les éléments, d'en faire une architecture méritante qui tient la rampe et qui, solide, se livre à nous en toute modestie!Un "objet" nouveau donc rare qui leur appartient et nous laisse augurer de bien des perspectives singulières encore à venir.

HYPER DUO 

claviers | Gilles Grimaitre
batterie | Julien Mégroz
régie vidéo | Daniel Zea et Emmanuel Vion-Dury
ingénieur du son | Jean Keraudren

A la POKOP LE 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

 

mercredi 21 septembre 2022

"Journal de bord": Alessandro Bosetti: et la nave va!

 


« Il s’agit du journal de bord de ma mère — le début d’un voyage en voilier de Gibraltar aux îles Canaries qui a marqué sa rupture familiale, laissant derrière elle famille et enfants en bas âge, et qui allait durer plusieurs années. En 1978, au moment de son départ, je n’avais que trois ans. » Quelques décennies plus tard, Alessandro Bosetti découvre ce carnet et décide d’en faire la matière d’une autobiographie musicale. Il enregistre sa mère lisant le texte, lui superpose sa propre voix et en retire une pièce au croisement du théâtre musical et du drame radiophonique. Une œuvre très personnelle dans laquelle le compositeur retrace un segment perdu de son enfance.

Un genre bien singulier que cet opus qui nous entraine dans la cartographie sonore et visuelle d'un voyage au long cours, cabotage au gré des péripéties d'un navire, goélette ou autre embarcation de rêve ou de fortune!Conte épistolaire ou journal de bord, voici une aventure haletante ou toutes les péripéties sont contées de vive voix en italien, au flux rapide et efficace: sorte de comptine sonore qui percute dans un rythme affolant, prenant, du début à la fin: on vogue, on chavire , on ne coule jamais dans cette tempête verbale nourrie de véracité, d'authenticité incroyable. L'empathie gagne le spectateur à l'envi et cette ode à la navigation, jamais à la dérive est comme une jolie débâcle de sons, de paroles et de virtuosité d'interprétation. Textes et images défilent comme des calligrammes poétiques et l'on suit cette odyssée avec joie, plaisir et sympathie. Un bon moment inventif et passionnant de navigation légère sur goélette improbable...Un genre nouveau d'écriture, de partition, corps-texte d'une imagerie musicale inédite..Et la nave va bon train!

Au TJP le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

 

 


conception, composition, voix et électronique | Alessandro Bosetti
guitare électrique et shamisen | Kenta Nagai
clarinettes, voix | Carol Robinson
percussions, voix | Alexandre Babel

Au TJP le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"Transit" Simon Steen-Andersen, Ensemble Musikfabrik: la leçon d'anatomie..du docteur Tulp !

 


Simon Steen-Andersen aime jouer avec les situations. Invité à composer un concerto pour tuba, il répond en réinventant le genre du concerto — comme il l’avait déjà fait avec son Piano Concerto présenté à Musica en 2020 — et en transformant la vision de l’instrument. Avec TRANSIT, le compositeur danois nous fait tout bonnement pénétrer à l’intérieur même d’un tuba à l’aide d’une caméra endoscopique. S’ensuit un voyage spatial, du pavillon à l’embouchure, au cours duquel le tubiste Melvyn Poore et l’Ensemble Musikfabrik construisent en direct un univers parallèle, une scénographie de film de science-fiction où transitent objets, lumières et flux d’air. Un concert audiovisuel d’un nouveau genre doublé d’une introspection au sens littéral du terme.


 Embarquement immédiat de la plate forme, sur le tarmac ou autre base de la Nasa...Bruits et sons de vrombissement de fusée ou d'avion, on y est dans le bain du créateur, trublion de la scène musicale, escogriffe démiurge du genre...La vidéo comme médium principal dans cette histoire de savant fou aux prises avec une séance de décortication d'un tuba: instrument sacré qui descend des cintres et sera l'objet fétiche de la soirée surréaliste à laquelle nous allons assister. Sur l'établi, un tuba et pour y voir plus clair dans ses entrailles, une caméra fouineuse qui s'insère dans ses tripes et organes. Sur l'écran, les images de cette échographie restituent en direct cette imagerie médicale, au point de rendre réalise la possibilité d'une réelle dissection tant couleurs, matières et bruitage sont ajustés de manière à nous bluffer. C'est drôle et décapant, plein d'humour et les sons de cet orchestre qui joue dans le noir aux pieds du médecin traitant, s'en sort fort bien. Comme des petites mains entourant l'officiant d'une messe pour un tuba défunt ou en réparation. Artisans à l'oeuvre dans un salon de musique réparateur..Ces MOF de la lutherie opèrent à loisir dans un bruit constant et des paroles évoquant un commentaire en direct de cette opération à coeur ouvert.Décollage , vrombissements et autres sons insupportables qui transportent dans un univers extra terrestre et magique..De petits cailloux blancs se révèlent, comiques joujoux calculs rénaux de l'appareil en triste état organique: tel un tunnel pourri et glauque, un labyrinthe d'égout digne de celui de Paris...Voyage au bout du tuba ou de la nuit obscure du tableau de Rembrant...Les officiants de la cérémonie , de cette cène mystique, très spirituelle,comme autant de bruiteurs de film d'horreur au summum d'un "mauvais gout" brillant et savant! A l'IRCAD on s'amuse à disséquer la musique des organes d'un instrument à vent, flatulent et énorme carcasse tripale moisie aux images kaléidoscopiques de toute beauté!Scanner ou IRM, allez choisir votre point de vue dans cette messe basse à la gloire du "vent": l'ascension finale de l'instrument comme un hommage sacré, un rituel incantatoire sur fond de valse viennoise...Une introspection freudienne des tunnels et autres tuyaux pas percés de notre imaginaire. Et notre Salvador Dali de la création burlesque de mettre téléphones et autres crustacés en musique et images pour mieux saisir l'absurde de la situation.La vidéo et la musique en osmose pour un spectacle total désopilant à l'image du créateur!Transit organique digne d'un acte chirurgical inédit!


 


Simon Steen-Andersen
TRANSIT, concerto mis en scène pour tuba, ensemble et vidéo en direct (2021) - création française

direction artistique, composition, électronique | Simon Steen-Andersen
tuba solo | Melvyn Poore
Ensemble Musikfabrik

Au Maillon le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA