Silvia Costa met en scène un récital théâtral autour de la figure de Galina Ustvolskaya (1919-2006).
La compositrice russe, élève de Dmitri Chostakovitch, mena une recherche esthétique radicale et personnelle, en rupture tant avec le style de son maître qu’avec les attendus soviétiques. Elle fut alors surnommée, en raison de son écriture brute et percussive, « la femme au marteau ». Ses Six Sonates pour piano composées entre 1947 et 1988, ici interprétées par Marino Formenti, en sont l’expression emblématique.
Dans un brouhaha obscur, se dessine sur le plateau occupé par un immense piano, une silhouette de vampire, sorte de Loi Fuller affublée d'un tissu noir...Le monstre surgit, danse, écarte les ailes, se fait oiseau de malheur et augure d'une ambiance et atmosphère bien singulières...Alors que le piano impose sa présence, forte ou ténue pour inventer des images sonores saisissante Une iconographie qui va soutenir la pièce tout du long comme ces gravures de Kollwitz, Boeklin, Klinger ou Topor ,mouvantes, chancelantes.
Un lit pour couche et espace à se mouvoir pour une créature dévêtue, osseuse, décharnée,maigre corpulence fragile et inquiétante, à demi-nue...Lit d'un mort qui claudique, éructe, un talon haut chevillé à la jambe.Étrange image mouvante...Le surréalisme est proche et envoutant à l'écoute des sonates qui martèlent un univers inouï..Les oreilles n'ont pas de paupières pour dissimuler ces sons outrageux, virulents, envoutants."Je danse"murmure la bestiole diabolique qui rampe sous le piano et y opère sa métamorphose sous nos yeux.Sonate dégingandée, désarticulée, en miettes époustouflantes intonations parfois insupportables...Tombeau ou stèle funéraire, le couchage de cette créature intrigue, interroge l'imaginaire.Les chambres se succèdent, magasin de lits chacun à la mesure de son occupant: le second sera la couche d'une femme insolite, à la valise, en robe de chambre, souliers escarpins à la Goya, qui vient engrosser une houppelande de ses vêtements, puis les châtient en coups et blessures virulents. Frappes, coups et blessures de chacun des êtres qui viendront peupler ce décor énigmatique. Fantaisie ou fantastique appréhension du monde sonore de la pianiste en référence.Un lit à baldaquin fait suite, plus cosy pour un récit sonore apaisé.Les marteaux du piano travaillent, percutent pour ce corps scénique anatomique, cette leçon d'autopsie musicale, chirurgicale impressionnante...Un jeu de scrabble comme alphabet, virelangue original pour tromper le sens des mots, gravés sur le lit ou assemblés en direct par la quatrième protagoniste de cette cérémonie insenséeMagie et pharmacopée, fantastique univers, iconographie scénique et plastique pour un voyage onirique sans pareil, une navigation dans le temps, martelé par les accents virulents du piano malmené par Marino Formenti de main et coudes de maitre...Une grande oreille, objet de curiosité pour amplifier le son de cette mer ravageuse, envahissante, au flux et reflux entêtant, obsédant...
« Dans la musique de Galina Ustvolskaya, nous dit Silvia Costa, il y a un noyau essentiel, une simplicité militante, une pureté venue d’un autre monde. C’est le son d’un voyage sans halte, dans le cœur d’une vision intime, pulsante, construite avec obstination à chaque coup que les doigts et leurs articulations infligent au clavier, forgée et sculptée avec l’insistance d’un forgeron qui bat le fer pendant qu’il est chaud. La musique de Galina ne ressemble à aucune autre. Dans cet univers sonore, aux motifs inattendus, embrasé de fffff, j’ai entrevu des images de chambres à coucher, de grabats aperçus à travers des portes laissées entrouvertes. Dans ces atmosphères raréfiées et privées de mélodies, j’ai vu des fragments de récits, des tableaux vivants où trouvent place des désirs, des peurs, des visions, des figures saisies dans l’instant intime où elles se confrontent avec la noirceur et le nerf de l’âme. »
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Galina Ustvolskaja Sonate no 1 à 6
interprétées par Marino Formenti
mise en scène et scénographie | Silvia Costa
avec Hélène Alexandridis, Marief Guittier, Anne-Lise Heimburger, Rosabel
Huguet Dueñas, Pauline Moulène ainsi qu'une petite fille et un figurant
choisis sur place
costumes | Laura Dondoli
création sonore | Nicola Ratti
lumière | Marco Giusti
textes | Umberto Sebastiano
assistanat | Rosabel Huguet Dueñas
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