mardi 16 avril 2024

"Gounouj": quatuor hors sol majeur. Sous le soleil exactement.

 


Cie Zimarèl France 4 interprètes création 2024

Gounouj

Léo Lérus est guadeloupéen. Après sa formation au Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris, il débute sa trajectoire professionnelle comme interprète avec différents chorégraphes prestigieux, notamment Wayne McGregor, Ohad Naharin et Sharon Eyal. En 2010, il se lance dans la création de ces propres pièces où les danses du Gwo-ka de son île natale rencontrent sa danse contemporaine acquise. Pour Gounouj, le chorégraphe s’intéresse tout particulièrement aux impacts de l’homme sur son environnement en prenant appui sur une partie très précise de son île, Gros Morne / Grande Anse, là-même où faune, flore et conditions atmosphériques sont à un point d’équilibre parfait, mais aujourd’hui compromis par l’influence des actions humaines. La question de la préservation de nos environnements suscite souvent de l’affliction et du découragement en même temps qu’une forme d’espoir dans l’adaptation. Cette alliance de sentiments a priori contradictoires sont à la base du projet du chorégraphe qui nous emmène en voyage entre “Saudade” (état émotionnel complexe entre douce tristesse et espoir) et “Bousyè” (mot créole décrivant un crustacé en période de mue). De cette évocation naît un quatuor plein de nuances, où les corps s’inspirent de ces deux sentiments en même temps.

 
C'est dans une ambiance de jungle suggérée par un environnement sonore riche de cris d'oiseaux, de mugissement que se pose la danse d'une femme vêtue légèrement d'un short et d'une tunique sombre. Danse ondulante, giratoire, langoureuse, ouverte en autant de balancements sensuels. Atmosphère intime et chaleureuse, délicieuse. Son corps se trousse et se retrousse comme des algues ou les tentacules d'une méduse enchantée. Paul Valéry compare la danseuse justement à cet animal marin des eaux profondes dans "Degas, danse, dessin" : Valéry imagine des Méduses qui apparaitraient sur un écran, des Méduses souples et voluptueuses : « Point des femmes, mais des êtres d’une substance incomparable, translucide et sensible, chairs de verre follement irritables, dômes de soie flottante, couronnes hyalines, longues lanières vives toutes cousues d’ondes rapides, franges et fronces qu’elles plissent, déplissent ». Ainsi, Valéry est fasciné par une grande Méduse excitante et séductrice : « Jamais danseuse humaine, femme échauffée, ivre de mouvement, du poison de ses forces excitées, de la présence ardente de regards chargés de désir » et ce serait un « songe d’Eros »…
 
Nous y voilà dans ce fantasme éclairé et sensible. Deux autres danseurs se joignent à elle pour former un triangle improbable qui se meut avec la même élégance nonchalante et versatile. C'est de l'orfèvrerie, du cousu main tant les corps s'adonnent à leur art sans modération, déclinant toutes sortes de franges, de diversions chorégraphiques très écrites dans l'espace. Corps pliés, dépliés, à la renverse, ivre de force et de délicatesse. Enivrant et hypnotisant sans nul doute. Les sens en éveil, les regards fascinés par tant de volupté, le spectateur est "médusé" et en proie à l'émotion autant qu'au tourment. Un solo encore plus sidérant pour ne pas effacer ces premières traces de beauté des corps charnels à la Gauguin: une danseuse s'éprend du sol, de la terre pour s'y fondre et se répandre, pour faire corps et animalité avec la terre. L'érotisme de cette séquence est celle d'un faune ou d'une nymphe un bel après midi de chaleur écrasante. Nijinski veille en secret cette créature paradisiaque.La nature est omniprésente dans cette pièce où le figure de la "grenouille" se dessine dans des sauts, des écarts de jambes, des révolutions de gestes, des oscillations de bassin fascinantes. Très aquatique la danse se déploie, se transforme en autant de traces et signes, calligraphie tonique d'une écriture propre à Léo Lérus. La grâce en prime, en suspension pour un envol qui puise sa force dans l'ancrage terrien. Lumières et musique signée du chorégraphe pour tenir cet édifice fragile qui se défait à l'envi. Sans cesse renouvelé, enrichi de petites touches comme la composition enivrante du "Boléro" de Ravel. Reprises, répétitions des gestes enrichis d'une musicalité qui sourd de toute la peau. Qui transpire et nous rappelle que nous sommes faits d'eau, de sueur et de flexibilité. La souplesse du roseau qui penche et ne se brise pas. Un ravissement inégalé. 
 
A Pole Sud les 16 et 17 AVRIL

"Le monde à l'envers": laissez danser les p'tits papiers....Secrets de fabrication.


 Trop spontanés pour être des adultes, les trois personnages convoqués sur scène sont aussi bien trop inhibés pour être des enfants. Ils s’épuisent à répondre à l’appel et être à la hauteur de la situation : sauver le monde ! Un peu démunis, un peu ridicules, ils échouent à se transformer en super-héros. Mais ces figures extravagantes inventées au siècle dernier et qui habitent encore nos imaginaires sont-elles vraiment des modèles ? 


Porté·es par le souffle des enfants et l’énergie de la danse, les trois apprenti·es sauveur·euses tentent de se relever, de se débarrasser du superflu, de faire sortir d’elleux quelque chose de plus essentiel, de plus fondamental, de plus léger aussi. Et si c’était ça le secret pour réenchanter le monde, retrouver cette fantaisie et cette liberté de l’enfance ? Convaincue de la place à donner aux paroles des enfants et à leur créativité innée, Kaori Ito chorégraphie ici son premier spectacle adressé au jeune public. Pour ce faire, elle a recueilli des confidences d’enfants en s’appuyant sur un théâtre ambulant d’origine japonaise, le Kamishibaï, théâtre de papier pour lequel elle a dessiné et écrit une histoire, lue par Denis Podalydès. La maison des secrets raconte un monde qui marche à l’envers que seuls les secrets des enfants peuvent sauver. Comme un rituel de passage, ce Kamishibaï précède la représentation du spectacle.

Un petit théâtre de Kamishibai accueille le tout jeune public rassemblé dans la "maison" du TJP de la Petite France: un lieu désormais voué à la création de spectacles "fabriqués" pour les tous jeunes acteurs-auteurs-spectateurs du théâtre "vivant". Une merveille de conte imagé où les icônes merveilleuses de Kaori Ito se succèdent et circulent comme un livre ouvert sur le monde. En voix off le conteur renverse le monde et nous éveille à la beauté des choses environnantes. Loin du guignol appuyé de notre bonne culture ce joyaux esthétique et narratif enchante et surprend: histoire de franchir les frontières et découvrir d'autres mondes...à l'envers du décor. 

Suit dans la petite salle du dessous le spectacle en boite noire animé par trois conteurs-danseurs en jogging banalisé. Ils rêvent avec nous de dévoiler des secrets, ceux des enfants, enregistrés en réel qui sortent de la boite d'un vieux téléphone à cadran lumineux. Plein de verve, de punch et d'énergie, nos trois lascars férus de découvertes, curieux, s'adonnent à la danse. Un très beau solo inaugure la pièce, entre burlesque, danse d'expression et danse buto. Sans far ni caricature, le mouvement est profond, ancré, expressif. Valeska Gert ne le renierait pas. Place à l'échange avec les enfants avec "une composition" chorégraphique inventée in situ et en l'état, reprise à l'unisson par tous dans la salle. Ca marche par mimétisme et empathie naturelle. Les costumes sont multicolores et bigarrés, joyeux et fantaisistes: une mue salvatrice, chrysalide ôtée des vêtements sportifs de départ. On quitte l'uniforme pour le sauvage et beau. La danse revêt un aspect animal, au sol, à terre, vagabond et primitif. Les trois danseurs complices et fraternels. La musique les soutient et les transporte en commun pour nous régaler de rythmes et notes d'humour. Kaori Ito touche là où ça fait mouche: dans nos coeurs et rêves d'enfant, dans nos peurs retranchées ainsi partagées. Belle réussite allègre pleine d'enthousiasme et de créativité chorégraphique à l'image de ces figures fantastiques du théâtre Kamishibai ressuscité.

*CITATION TEXTE INSPIRÉE DE PINA BAUSCH


INTERPRÈTES MORGANE BONIS, BASTIEN CHARMETTE ET ADELINE FONTAINE
DIRECTION ARTISTIQUE ET CHORÉGRAPHIE KAORI ITO
COLLABORATION ARTISTIQUE GABRIEL WONG


Au TJP jusqu'au 20 AVRIL

"La nuit où le jour s'est levé": paternel, maternel ou matrimonial, le lit de Suzanne, l'Arlésienne, accouche de sa vie.

 


LA NUIT OÙ LE JOUR S'EST LEVÉ
Sylvain Levey, Magali Mougel, Catherine Verlaguet & Olivier Letellier Tréteaux de France

Au début des années 80, Suzanne voyage au Brésil. De rencontres en découvertes, son périple la conduit dans un couvent perdu en plein désert. Les sœurs y accueillent des femmes enceintes pour leur permettre d’accoucher dans la sécurité et la dignité. Suzanne reste à leur côté quelques jours. Une nuit, elle assiste à un accouchement sous X et s’occupe du bébé. Une évidence s’impose à elle : elle ne peut s’en séparer. Bouleversée par cette rencontre inattendue, Suzanne décide de faire face à l’inconnu et commence alors une grande aventure : adopter cet enfant et rentrer en France avec lui. Inspirée de faits réels, cette odyssée théâtrale est née de l’envie d’Olivier Letellier, metteur en scène, d’aborder l’engagement : comment survient ce mouvement nécessaire, ce moment où l’on décide de sauter le pas ? Il fait de l’acte extraordinaire d’une femme ordinaire le cœur d’un projet « laboratoire » autour des écritures pour les publics jeunes. En résulte en 2016 une création mêlant théâtre de récit et cirque, co-écrite au plateau par trois auteur·rices, Sylvain Levey, Magali Mougel et Catherine Verlaguet. Sur scène, ce sont trois hommes qui portent cette histoire de maternité et d’amour comme pour affirmer son universalité. Tour à tour ou en chœur, tantôt narrateurs, tantôt personnages, faisant circuler la parole entre leurs voix et leurs corps, et jouant avec l’engagement physique concret et la charge poétique d’une roue Cyr, ils sont les récitants d’une épopée trépidante et émouvante.


Trois comédiens vont se partager la scène pour incarner l'histoire de Suzanne: une jeune femme qui décide un jour de partir avec son petit héritage en monnaie sonnante et trébuchante. Le hasard la propulse au Brésil et tout avance à coup de dés comme un yi jing: livre des mutations, changements et transformation. Destin oblige et constellations rassemblées pour ces trois personnages mus par la curiosité, l'esprit d'aventure et de découverte. Découverte de soi, de l'autre. Périple sur fond de silhouettes animées d'une mouvance très maitrisée pour illustrer la course, le déplacement, les divagations dans ce nouvel espace-temps. Des images sourdent de la lumière, des mains en grappe façonnent la séquence de l'accouchement du désormais Tiago, entre les doigts des soeurs protectrices des mères dans le secret de leur grossesse. 


Trois hommes pour s'emparer du sujet de la "maternité" qui se révèle pour Suzanne aux prises avec l'amour, la tendresse, l'instinct de vie. Dans un cercle tracé au sol, un cercle circassien où tout chavire sans cesse en déséquilibre, le récit va bon train: questionne, passionne l'écoute: tantôt conte d'effets, tantôt incarnation de personnes. C'est original et fort réussi. La scénographie offre une place de choix à un dispositif-sculpture amovible, tantôt passerelle, socl ou habitacle, mur ou façade Du Richard Serra bien à propos pour offrir aux comédiens un support de jeu corporel inédit. La bascule opère et conduit à suivre avec tension et haleine le déroulement des faits. Le texte est fort et résonne d'humanité, de sobriété et simplicité. Petit manuel pour père ou mère de tout genre, manifeste pour l'adoption juste et spontanée de valeurs inconnues pour Suzanne ou tout un chacun. 


Le cyr comme roue du destin qui caracole et virevolte à l'envi dans un soucis de clarté autant que de poésie. L'art du geste et du corps pensant, pansant les plaies du monde pour réparer les âmes pas perdues. Un exercice de messagerie réelle et directe loin de ceux des algorithmes d'aujourd'hui.

 DE SYLVAIN LEVEY, MAGALI MOUGEL ET CATHERINE VERLAGUET
MISE EN SCÈNE OLIVIER LETELLIER
AVEC CLÉMENT BERTANI (COMÉDIEN) EN ALTERNANCE AVEC JONATHAN SALMON (COMÉDIEN), JÉRÔME FAUVEL (COMÉDIEN) ET THÉO TOUVET (COMÉDIEN ET CIRCASSIEN) 

Au TJP jusqu'au 18 AVRIL 

dimanche 14 avril 2024

"Micro collisions, Balade anthropocène" : port d'attache, arpents d'hétérotopie.

 


Michel Lussault est géographe. Frank Micheletti est chorégraphe. Chacun à sa façon observe et explore les espaces. Ensemble, ils conçoivent une « balade anthropocène » et nous invitent à arpenter en leur compagnie un quartier, le Port du Rhin. Pas à pas, ils racontent les relations, interconnexions, convergences qui existent entre différents espaces. Une balade pour mettre en partage perceptions et réflexions sur le sens de nos activités, interrogeant le futur de nos villes. Une balade pour questionner nos manières d’habiter et de traverser des lieux multiples, morcelés, diversifiés. Ou quand les émotions et le savoir font un pas de deux pour repenser le monde.

Les "non-lieux" de Marc Augé ne sont pas loin de cette digression spatiale savante de nos deux protagonistes. L'hétérotopie non plus, concept et pensée spatiale qui désigne la différenciation des espaces, souvent clos ou enclavés, caractérisés par une discontinuité avec ce qui les entoure (voir Michel Foucault). Au Port du Rhin, voici le terrain de choix de ces deux "artistes"convoqués pour l'occasion à nous faire découvrir, voir, ressentir ces "utopies", terres de visions, de rêves, de bâtisses ou de "sans lieu" comme le souhaitait Alwin Nikolais. L'utopie, un espace vu comme corporel, intime, parmi l'espace des autres. Un enchevêtrement, une symbiose entre soi et l'espace.


Le groupe de "spectateurs" rassemblés par la curiosité s'ébranle vers un autre relais-territoire que celui du rendez-vous. Et là, démarre une présentation succulente du géographe: l'annonce de tout ce que ne sera pas cette divagation dans ce quartier, tranche de vie portuaire de la cité strasbourgeoise. A savoir l'aspect historique, touristique ou anecdotique de ce coin de ville en périphérie. Un extrait de Georges Perec tiré de "Espèce d'espaces" pour éclairer sa ligne éditoriale de mire, son terrain de jeu. L'espace entre nous et les autres, celui qui nous habite, que l'on habite. Dans la verticalité et l'érection de l'humain. Pas celui où on se "loge" mais celui entre les plis et replis du paysage, de la géographie, cartographie qui se détend, comme un corps. Pliés et dépliés du danseur pour se confronter aux courbes de niveau, aux déclinaisons du terrain. Un discours éclairant, allègre et joyeux qui augure de beaux mouvements de l'esprit, de conjonction avec la danse et le propos plus chorégraphique de Frank Micheletti. Ce dernier nous invite à quitter la première station pour gagner un vaste espace, paradis de la perspective où chaque détail prend son sens, son ampleur, son existence. Le temps d'une méditation que le danseur prendra au vol pour nous initier à la science de Steve Paxton ou Julyen Hamilton, Mark Tompkins. Cette "danse contact" dont le secret est le rapport à soi, à l'autre dans les sensations environnantes, proches des mouvements du quotidien. Frank nous invite à tester la marche lente en direction du port, de sentir et voir les mouvements infimes de l'immobilité, ce "petit bougé"' de Nikolais. Partage de sensations fines, d'être soi et ensemble dans un environnement sensible. Ne pas "se cogner" ni heurter l'autre, les objets. L'écoute collective est forte et l'expérience fonctionne en empathie avec nos deux "guides", éclaireurs, veilleurs de paysages. 
 
Plus politique, la troisième station se pose face aux anciens bâtiments de la légendaire "Coop" alsacienne, mère et fondatrice des mouvements sociaux du début du siècle, veillant au bien-être de tous les travailleurs. Face à ses vestiges, le "drive" de Leclerc: champion de la spéculation immobilière, du fond richissime de la nouvelle génération d'investisseurs fonciers. Belle touche géo-politique dans ce phénomène souligné à partir de l'architecture, de l'occupation des sols remembrés. C'est sur un amas de gravats qu'une silhouette apparait, danse et se bat avec ces pavés de débris. Symbole de destruction mais aussi du retour  au recyclage des matériaux. On entre dans une nouvelle ère de consommation. Ascension comme celle d'un rocher de Sisyphe, un terril de Wuppertal dans le film de Pina Bausch, "La Plainte de l'Impératrice". Belle image lointaine et inaccessible. Puis c'est l'investigation des nouveaux terrains de la "coopérative" dédiés à moultes fonctions dont les dépôts du Musée zoologique. Là sur les murs, des photos des animaux empaillés ornent les murs. Danse de Frank Micheletti sur l’errance, les sans-abris sans demeure, hormis ces escaliers qui lui servent de rampe de lancement pour un solo dans cet environnement cruel, saisissant d'ironie. Rejoint par Maureen Nass s'agrippant aux déclinaisons de sol en osmose avec son partenaire de jeu. Des primates taxidermisés entrent en complicité et miroir de ce que nous faisons du passé, de nos corps dans un nouvel environnement artificiel en diable. 
 
Suite et fin de l'aventure face au bassin du port là où se trouvent les conteneurs  maritimes, ces "box" boites, celles du trafic mondial fluvial. Là notre géographe jubile à nous conter des chiffres incroyables de quotta de remplissage des ports. Et Frank d'enchainer sur les résultats de ses toutes récentes recherches à ce propos. Brandissant fièrement un appareil de toute beauté qui va nous restituer sous forme de disque, les informations pétrolières des premiers puits d'exploitation. Ce petit  lecteur tourne- disque - Sonorama vintage - valise comme un objet fétiche et très beau collector qui se balance ici au vent dans la fragilité de son socle. Ainsi que des disques vinyle 45 tours cartes postales vintage de sa collection. Très émouvante séquence bordée de danse, celle des espaces entre le chorégraphe DJ musicien de facture et sa partenaire qui le rejoint pour la troisième fois. Elle désigne des directions, se fond dans cette perspective fuyante, comme un personnage de premier plan dans un film format 16/9ème. On est ailleurs, en "utopie" complète dans un topos étrange chargé de passé autant que d'une réalité qui nous dépasse. Celle des algorithmes, des grands ordonnateurs qui tracent et signent nos vies, nos déplacements, nos désirs. C'est en état de poésie que l'on se rejoint dans cette "lec-dem" hors du commun sur les sentiers de "l'âne"... Un périple plein d'oxygène, de souffle et d'audace, d'étonnement, de déclinaisons sur ce vaste territoire, espèce d'espace à vivre,sentir, habiter de toute notre corps et humanité. Et qui en dit long sur l'intelligence de la pensée en mouvement des danseurs... et géographes. Choré-géo-graphes en herbe.

 Avec
Michel Lussault, géographe
Frank Micheletti, chorégraphe

Sur une proposition de POLE-SUD, Centre de développement chorégraphique national. Dans le cadre du Festival Arsmondo Utopie

Strasbourg Port du Rhin 14 avr. 2024

A propos des hétérotopies selon Michel Foucault 

A partir de Foucault, envisager la place des corps permet de penser les hétérotopies comme des espaces absolument autres et les utopies comme l´absence d´espace. Le corps dispose de l’utopie comme d’un chemin récursif pour se constituer autrement. Bien que l'utopie et l´hétérotopie semblent des notions contraires, le philosophe français montre que l'utopie permet de consolider des espaces autres et, en même temps, de trouver le substrat de la pensée utopique dans l’idée de devenir autre. Et reprenant le caractère essayiste de l’œuvre du philosophe, cet article a examiné les d’utopie, d’hétérotopie, et d’expérience du corps, comme une preuve de l’exercice philosophique de Foucault. Exercice qui lui a permis de transformer sa propre subjectivité, d’examiner les espaces qui sont parvenus à se réaliser et qui ont constitué le corps lui-même. En ce sens, le but de ce travail a été d'interpréter les analyses de Foucault sur l´espace et de voir comment celui-ci converge avec l'expérience du corps utopique.

 

samedi 13 avril 2024

"Vielleicht": sag warum (nicht)....Reprendre ses quartiers: une leçon de colon invertébré en Forêt-Noire.

 


Mêlant enquête documentaire, rituels de soin et fiction, Vielleicht − « peut-être » en allemand − explore les questions d’identité, de mémoire et de réparation. À Berlin, dans le « Quartier africain », des associations africaines et afro-allemandes luttent pour débaptiser trois rues honorant des colonisateurs allemands et pour les renommer en l’honneur de figures de la résistance africaine. L’acteur Cédric Djedje, concepteur du projet, et l’actrice Safi Martin Yé, deux artistes afro-descendants, évoquent la découverte de ce quartier portant les traces d’une histoire peu connue et les engagements des militants. Comment Histoire, vécu intime et quotidien dialoguent-ils dans la ville et les espaces publics ?


Baptême l'air de rien: baptiser une rue n'est pas une mince affaire: débaptiser ou rebaptiser non plus!C 'est à une odyssée foret inintéressante que l'on assiste: celle de péripéties politiques, raciales, historiques concernant un sujet apparemment anodin: donner un nom, nommer une rue dans un quartier chargé d'histoire, retranché dans Berlin. On connait les quartiers marginaux, artistiques Prenzlauer Berg et autres territoires "marqués" stigmatisés de la capitale allemande. mais pas celui ci. Ni l'histoire des conquêtes coloniales de l'Allemagne. Alors en route pour une "conférence" déglinguée, une lec-dem insolite, un cours d'histoire tel que l'on en rêve au gymnasium...Ou à Science-Po. Deux lecteurs-conteurs-animateurs vont se partager la tache d'encre noire pour remplir cette page blanche. Et nous renvoyer à une partie d’échecs où qui perd gagne en authenticité, véracité des faits. On y apprend plein de détails sur les personnages, porte drapeaux de la résistance africaine au pouvoir allemand colonisateur. Des noms, des actes, des interviews tout le long de ce périple, divagation réaliste sur le court de l'histoire contemporaine. 


Elle, maline et habile conteuse, animatrice futée et charmante, usant de sa verve, de sa grâce pour construire le récit. Lui, impliqué à fond pour creuser là où il faut et mettre en exergue tout ce qui cloche et fait défaut à la réalité. Se battre et dévoiler l'importance de l'évocation du passé. Ces colons allemands qui passent du bon temps sur les plaques des rues, honorant leurs faits et gestes dans une totale ignorance de leurs identités, faits et gestes. Dénoncer l'oubli, faire surgir d'un tas de terre les secrets enfouis, construire une table d'orientation juste et désacralisée. C'est le but de cette entreprise légitime de retour aux sources pour mieux enrayer le mal qui coule encore. Belle et généreuse initiative théâtrale de la part de ses protagonistes, qui sur le plateau exposent, jouent, dansent leurs avancées dans cette quête pour la vérité mise à nue par les concernés même. Forêt noire pour touche ironique et caustique de ce miroir reflétant autant la condition noire que celle des blancs. Manichéisme évident certes, mais pas obscurantiste. Juste ce qu'il faut pour éclairer nos lanternes, non décaler de nos petits coussins Kanga affublés de textes croustillants sur cette épopée. Cousus par Eva Michel comme des témoins parlant et illustrés des portraits des militants noirs. Joli façon de s'asseoir sur les questions....Et enrichir ces "assises" du colonialisme .Comme le décor, un fond-écran de papiers froissés faisant office de tableau noir. Et la craie blanche de s'effacer au fur et à mesure au profit des noms futurs de rue évoquant cette tranche historique et géopolitique. La chorégraphie fine et discrète s'empare des corps, les bras ondulants de Safi Martin Yé en cygne noir. Cédric Djedje en officiant laïc très convaincant et plein de nuances, et Safi Martin Yé, femme militante gardienne de mémoire, comme assistante, motrice de cette diatribe cinglante sur le colonialisme. 


Une façon pertinente et inédite de poser les faits, de dévoiler les méandres de la configuration de la narration historique. Si tous les cours d'histoire-géo pouvaient en être ainsi: conter par des vivants, témoins et acteurs, réfléchissant de façon intelligente aux conséquences des actes discrets du pouvoir. Vous ne regarderez plus jamais le nom d'une rue sans vous interroger sur son sens, sa géolocalisation, sa raison d'être au panthéon des plaques urbaines. Et si la rue "des jardins" ne faisait plus références aux lotissements, si le quartier des "quinze" n'était plus celui des nantis, si la rue "des orfèvres" n'était pas celle des artisans??... La "petite France" pas la nation chérie? Cherchez bien et vous serez surpris. C'est bien une des facettes de cette pièce, piège à baptême non consenti par la population ici d'un quartier qui n'est pas "noir" mais issu de la colonisation. La différence éclate au grand jour. Le combat n'est pas fini. Bravo les artistes pour cette réappropriation des noms "volés": une légitime défense d'éléphant pour amnésique volontaire. Où va se nicher le pouvoir: jusque dans vos tranchées... Un manifeste manifestement indispensable. Pas "peut-être" mais assurément.

 

Cédric Djedje est acteur et metteur en scène, diplômé en 2010 de La Manufacture − Haute école des arts de la scène à Lausanne. Artiste en résidence au Théâtre Saint-Gervais à Genève de 2013 à 2016, il a été chef de projet de la création collective Un après -midi au zoo. Il a initié et joué Nouveau monde, mis en scène par Claire Deutsch en 2016. Co-fondateur du Collectif Sur Un Malentendu, il a participé à la création de quatre spectacles de 2014 à 2022. En 2020, il a fondé la compagnie Absent·e pour le moment, dont Vielleicht est le premier projet. 


Au TNS jusqu'au 19 Avril


A Marseille: Les rues marseillaises ne sont pas épargnées par ce vent de changement, comme la rue Colbert, ou encore la rue Alexis Carell. Dernièrement, la rue Bugeaud, a également suscité les critiques en raison du passé colonisateur du maréchal de France. Cette remise en  cause historique s’inscrit dans la même lignée que le déboulonnage des statues né avec le mouvement antiraciste Black Lives Matter en 2020. Un révisionnisme historique qui fait craindre à certains l’effacement d’une partie de l’Histoire.

jeudi 11 avril 2024

"Koln concert" : le jeu des tabourets musicaux.

 Trajal Harrell / Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble 


Le 24 janvier 1975, sur la scène de l’opéra de Cologne, le pianiste Keith Jarrett se met à improviser sur les notes de la sonnerie de salle. Le chorégraphe Trajal Harrell, qui dit de l’artiste qu’il est « son » compositeur, a attendu longtemps avant de se saisir de cette œuvre mythique, moment unique dans l’histoire du jazz. Plus qu’elle n’accompagne le mouvement, elle constitue le cœur de cette chorégraphie profondément sensible et remplie d’humanité qu’inaugure, comme une sorte de première partie, la voix de la musicienne canadienne Joni Mitchell. 


Six danseurs et danseuses accompagnent le chorégraphe pour articuler toutes les nuances de son langage corporel particulier, avec pour seuls accessoires des tabourets de piano. Tout comme Jarrett rassemblait le temps d’un morceau ses références musicales, Harrell convoque ici ses influences, du butō japonais au voguing, de la Grèce antique à l’histoire sociale des états américains du Sud en passant par l’héritage de la danseuse Martha Graham, pour donner forme à une intense rencontre avec le public.

Il est seul sur le plateau, immense petit bonhomme modeste et humble en toge et tablier: il nous attend, Trajal Harrell, au coin de la scène. Et tout s'anime en lui dès les premières notes d'une mélodie si particulière venant de la voix profonde de Joni Mitchell. Les bras ondulant, le corps qui se balance d'une façon fluide et langoureuse, très sensuelle. Danseur inspiré et très concentré chez qui rien ne filtre d'autre que le ressenti, la sensibilité qui fait naitre un geste précieux, discret, noble et princier. Beaucoup de tac, de finesse et d'émotion en sont les seuls moteurs. Perdu, esseulé, apeuré comme blessé: la grâce incarnée. A la dérive lente et solitaire. Un danseur le rejoint qui s’assoit sur un des tabourets de piano, chaussures vernissées et short. Incongru costume déjà non innocent. Ils se doublent en oscillant légèrement, bascule régulière du corps, énergie issue d'un pied sur l'autre en cadence. Puis cinq autres danseurs se joignent peu à peu à ce duo, tous différents, les vêtements indescriptiblement étranges, faits de rapiècement, patchwork ou autre combinaisons savantes de pièces de tissus. Le noir domine peu à peu, longs tissus comme des tuniques, dévoilant, une épaule, une jambe, un dos très attrayant...Chacun sort du lot, fait devant nous une multitude de gestes leur collant à la peau, geste qui leur appartiennent en propre. Ensemble et à l'unisson aussi assis sur ces sept tabourets de prédilection de pianiste! Le choix n'est pas fortuit et ces sept personnages à quatre pieds, accueillent les corps au repos pour quelques pauses apaisante et sacrées. La danse de Trajal porte une spiritualité au delà de toute référence à ses pairs et formateur. De Keersmaeker ou de Graham, on pressent des attitudes, des réflexes, une construction radicale. De Trisha Brown, cette fluidité imperceptible nuance de fragilité, de fugacité, de sobriété enivrante.  Thibault Lac comme une comète débridée à la dérive se lançant à corps perdu dans un solo remarquable de déséquilibre, d'errement, viscéral, organique. Auparavant, les démarches de voguing, défilé audacieux et démarche désinvolte comme tracé et va et vient. Une langueur mélancolique, parfois joyeuse, toujours retranchée dans une sorte de rituel cérémonial de grande écoute. Une pièce courte, le temps d'égrener les notes magnétiques et frénétiques du "Koln Concert" en total respect de l'univers, de l'ambiance du compositeur-interprète: vibrante prolongation musicale et sensible d'une oeuvre qui résonne comme une flamme toujours allumée de la danse de Harrell. Tous les interprètes vibrant d'une musicalité engendrant une gestuelle singulière et délicieuse.

 

Au Maillon avec Pole Sud jusqu'au 12 Avril



dimanche 7 avril 2024

"Cosmos": des femmes poussières d'étoiles sur orbite. L'Odysée de l'Espace à la conquête des astrophysiciennes


En 1960, aux USA, des jeunes femmes pilotes participent au programme clandestin Mercury 13, mesurant leurs aptitudes à devenir cosmonautes. La metteure en scène Maëlle Poésy a co-écrit Cosmos avec l’auteur Kevin Keiss. Elle réunit cinq femmes de diverses origines, trois actrices et deux artistes issues des arts du cirque qui interprètent tour à tour les Mercury 13, la parole intime d’astrophysiciennes et questionnent aussi leur propre rapport à la passion de leur métier.


Qui sont ces rêveuses d’hier et d’aujourd’hui, éprises de liberté ? Comment leur désir d’espace a-t-il éclairé leur relation à la Terre et aux humain·es ?


C'est une femme conteuse de bonne aventure spatiale qui entame joyeusement cette odyssée de l'espace: l'espace, ce cycle des étoiles où les pistes sont encore a déchiffrer, défricher pour les femmes, les américaines comme les autres, mais ce sont elles qui vont intéresser le récit. Une épopée pleine d'obstacles, d'embuche à propos de l’accessibilité des carrières d'astronautes, de filles des airs aux simples "femmes". Pourtant habiles et compétentes et plus que cela en matière de fréquentation de l'univers spatial. Alors tout va bon train pour nos heroines, le temps de rêver aux "stars" , de se remémorer l'observation d'un ciel étoilé avec sa grand-mère, jusqu'à venir prêcher la bonne cause au niveau gouvernemental.Un périple accidenté, difficile où ces trois femmes pilotes vont se confronter à la réalité politique et sociale d'un univers gouverné par le patriarcat. Les hommes y sont rois et faudrait-il se transformer en guenon pour avoir le privilège de "s'envoyer en l'air" pour tester les capacités des femmes à se propulser dans l'espace? ...Questions aux réponses évasives mais qui ne conditionnent pas ces pugnaces protagonistes pionnières à ne pas baisser les bras: question d'apesanteur et de densité. De danse aussi et de reptations à quatre pattes, d'ascension céleste, de gravitation à l'horizontale le long des parois des décors de cette pièce à conviction. La mise en scène du récit colle au sujet et la chorégraphie de Leila Ka tombe juste. Épouse les corps en symbiose avec le sujet évoqué. Un quintet pour souder les comédiennes, qui savent même être acrobates et "monte en l'air" pour hisser leurs convictions hors sol. Un petit foxtrot pour mettre de la fantaisie, des solos pour convaincre les patrons entrevus entre deux portes pour s’immiscer dans cette société machiste et fermée aux initiatives inventives et incongrues. Du bel ouvrage de dames pour damer les pions du pouvoir et sortir "vainqueur" de cette lutte pour trouver sa place, son endroit parmi les étoiles et le temps .Des "stars" comme on les aime, américaines ou "soviétiques" dans l'arène du monde masculin. Gravitant comme des électrons libres sous orbite.Vidéo en direct pour larguer les amarres du sol et faire planer les images au plafond. Mise en "espace" et en scène par Maelle Poesy sur un texte de Kevin Keiss pour "poésie" de circonstance. Graviter dans les étoiles au firmament du verbe et des corps en suspension dans cette atmosphère spatio-temporelle de toute éternité. Le jeu des comédiennes, enjoué ou grave, ironique ou caustique, bordé de performances physiques acrobatiques qui mettent en danger ces figures de proue de la navigation en suspension très attachantes.

 

Maëlle Poésy est autrice, metteure en scène, réalisatrice, actrice et dirige depuis 2021 le théâtre Dijon-Bourgogne, Centre dramatique national. De 2007 à 2010, elle a fait partie du Groupe 38 de l’École du TNS (Section Jeu) et y a rencontré Kevin Keiss, auteur, dramaturge et traducteur, qui était dans le Groupe 39 (section Dramaturgie). Ils travaillent ensemble depuis, ont réalisé plusieurs réécritures/adaptations (Voltaire, Tchekhov, Virgile).


Générique

Texte Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy
Conception et mise en scène Maëlle Poésy 
Avec
Caroline Arrouas - Jane
Dominique Joannon - Domi, astrophysicienne
Elphège Kongombé Yamalé - Elphège, astobiologiste
Liza Lapert - Wally
Mathilde-Édith Mennetrier - Jerrie
et la participation de
Kourou et Kevin Keiss

Chorégraphie
Leïla Ka

Au TNS jusqu'au 7 Avril

samedi 6 avril 2024

"Nom" de non...Fureur et grandeur, Constance et victoire de la rage Debré ou de force

 


Pour la première fois un texte de Constance Debré est adapté au théâtre.
De son roman Nom, Hugues Jourdain et Victoria Quesnel livrent une création captivante. Dans ce troisième ouvrage, l’autrice poursuit sa quête obstinée de liberté, ouvrant une nouvelle voie dans son combat : comment aimer mieux? Elle se débarrasse des « cadavres » qui peuplent sa vie et abandonne presque tout – famille, mariage, travail – envisageant jusqu’à l’abolition de la filiation et du nom de famille. Sur un plateau nu où seule résonne la puissance des mots, Victoria Quesnel, que l’on a admirée dans les spectacles de Julien Gosselin, s’approprie cette parole crue. Elle nous plonge sans filtre dans cette pensée abrasive et brillante.


Elle est seule, forte, ancrée d'emblée et prend le public à parti; une femme déterminée conte ses déboires et aventures rocambolesques, aux prises avec une fonction d'avocate trop en empathie avec ses victimes à défendre, ses accusés, meurtrier ou assassin. Le dernier en date porte des Nike-requin qu'elle va devoir porter aussi pour s'incarner ou se libérer. Tout bascule pour elle quand elle décide de tout lâcher pour trouver les vraies valeurs: le vrai amour, les vraies relations non conventionnelle...Et pour ce faire Victoria Quesnal incarne cette battante audacieuse et vindicative qui hurle et scande sa rage, sa fureur de vivre dans un "numéro" de jeu hors norme. Insupportable par sa rigueur, sa franchise, son audace de tonalité et décibels à vous arracher les tympans. Ceci dans une diction, une vélocité une intelligibilité de toute beauté. On s'accroche au récit grâce à son engagement physique, vocal de toute énergie et inflexibilité. Un roc qui déverse sa hargne envers la famille, ses travers, son hypocrisie, sa lourdeur de chape envahissante et handicapante. Vers un nihilisme, un individualisme chevronné. Son père comme une effigie à soigner sans émotion ni empathie pour plutôt le regarder bruler sur une chaise comme un trophée de chasse bien mérité. Le texte en corps, en bouche en gestes démesurés ou chastes selon les intonations, les signes envoyés au public bousculé, médusé par une telle agressivité de bon ton. Une performance à saluer, un texte à méditer; celui d'une femme autrice Constance Debré, sujet-objet de cette autoportrait autobiographique saignant.

Distribution

Adapté du roman de : Constance Debré
Mise en scène : Hugues Jourdain
Avec : Victoria Quesnel
Création lumière : Coralie Pacreau
Création sonore : Hippolyte Leblanc
Création musicale : Samuel Hecker
 
Au Theâtre du Rond Point jusqu'au 7 Avril

Crystal Pite, Jonathon Young, KIDD PIVOT "Assembly Hall" : l'Agora de Terpsichore pour croisés du bocal.Sacré Graal...

 


Avec leurs succès mondiaux Betroffenheit et Revisor, Crystal Pite et Jonathon Young ont redéfini les codes de la danse-théâtre. Dans Assembly Hall, le binôme canadien peaufine encore son langage incisif, où le geste et la parole se défient, s’attirent et valsent ensemble dans une schizophrénie joyeuse. Nous voilà dans une salle des fêtes, de sport et de réunions qui dit le désir d’être ensemble. Mais aussi, par son apparence désuète, la perte progressive du lien social. D’où les déchirements d’une assemblée, pourtant réunie dans un but partagé : Incarner, chaque année, des héros médiévaux. Petit à petit chacun trahit le réel, s’adonnant à des fantaisies mythiques. Et dans la beauté claire-obscure des peintres anciens s’engage une passionnante réflexion sur notre besoin de faire communauté, en salle municipale comme au théâtre.

Une réunion de corps très éloquents, une agora de la danse, du geste, du verbe, c'est à tout cela que nous convient Crystal Pite et Jonathon Young. Dans un décor désuet de salle des fêtes: deux portes battantes à hublot, une estrade et des chaises alignées pour recevoir les ébats de ces porteurs de paroles, de ces harangueurs de communauté qui croient détenir les secrets et la vérité dans des interventions multiples, parlées et doublées d'une gestuelle fort pertinente. Ici pas de mime ni de démonstration futile cernant et doublant les mots. On en vient vite à quitter les surtitres pour ne regarder que la rythmique des déplacements, va et vient et jeu de chaises musicales et chorégraphiques.Belle démonstration d'un savoir être ensemble à l'écoute des autres partenaires de plateau. Puis viennent les scènes plus patibulaires d'un univers grandiloquent et grotesque, évocation de la gente guerrière médiévale. Une sorte de version des "Monty Pyton" revisitée par la danse et le langage du corps."Sacré Graal" en diable ou Don Quichotte de pacotille version plurielle. Ou Kaamelott de fantaisie remise au gout du jour et pour le plateau!On ne s'y prend pas au sérieux et ça fait du bien d'entendre ce chevalier se fracasser de toute sa carcasse au sol, armure et costume dérisoire et caricatural. Quant à la narration, à vous de vous inventer le fil d'Ariane de cette débauche enjouée de corps, de mots, de chant: comme il vous plaira, à loisir...Le "quest fest" dont il sera question comme sujet de débat, discussions et interventions est prétexte à un exercice de style quasi karaoké ou playback: les danseurs doublant les voix préenregistrées de leurs gestes guerriers. Ces "croisés" anti-héros et marionnettes-pantins, fantômes errant dans les vestiges d'une mémoire caduque et erronée. Des tableaux dignes d’Odyssées, de croisades frénétiques et désuètes de plain pied avec moult pieds de nez aux conventions de la "danse théâtre" ici revisitée comme une conférence ou un spectacle haut en couleurs de vaudeville chorégraphique.Une ambiance de pub, de bistrot genré, stylé, associatif, participatif de bon aloi.Ou d'assemblée générale extraordinaire de copropriétaires.

Au Théâtre de la Ville jusqu'au 17 Avril

mardi 2 avril 2024

"On achève bien les chevaux": le manège des désillusions

 


On achève bien les chevaux
Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger & Daniel San Pedro


Création mondiale. Production du CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin et de La Compagnie des Petits Champs. Coproduction avec la Maison de la danse, Lyon-Pôle européen de création, la Scène nationale du Sud Aquitain et la Maison de la culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production.


D’après They Shoot Horses, Don’t They ? (1935) de Horace McCoy.


Règlement du marathon de danse à l’usage des compétiteurs : 1. La compétition est ouverte à tous les couples amateurs ou professionnels. — 2. Le marathon n’a pas de terme fixé : il est susceptible de durer plusieurs semaines. — 3. Le couple vainqueur est le dernier debout après abandon ou disqualification des autres compétiteurs. — 4. Les compétiteurs doivent rester en mouvement 45 minutes par heure. — 5. Un genou au sol vaut disqualification. — 6. Des lits sont mis à disposition 11 minutes durant chaque pause horaire. — 7. Baquets à glaçons, sels et gifles sont autorisés pour le réveil. — 8. Les compétiteurs se conforment aux directives de l’animateur. — 9. Sponsors et pourboires lancés sur la piste par le public sont autorisés. — 10. Des collations sont distribuées gracieusement durant la compétition. — 11. L’organisateur décline toute responsabilité en cas de dommage physique ou mental.


En 1935, l’écrivain américain Horace McCoy décrivait dans
On achève bien les chevaux le spectacle mortifère d’individus tombés dans la misère, réduits pour quelques dollars à danser jusqu’à épuisement pour divertir un public en mal de sensations fortes. Après une première adaptation au cinéma par Sydney Pollack en 1969, Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro s’emparent à leur tour de ce roman noir pour créer ensemble une nouvelle forme de danse-théâtre, réunissant sur scène quarante-cinq danseurs, comédiens et musiciens.

Un dernier coup de balai sur le plateau qui sera l'arène de toutes les aventures de ce "marathon" qui pour cette version scénique ne durera que moins de deux heures. Temps raccourci pour évoquer ce labeur olympique que représentaient en leur temps ces "fameux marathons de danse": des épreuves inhumaines liées à la pratique de la danse de couple dans des conditions draconiennes, un rythme effarouchant, une discipline de fer pour des couples désireux de gagner "la prime", leur casse croute quotidien et d'autres "faveurs" liées à la pénibilité de la tâche. Évocation très sociétale d'un phénomène inhabituel, devenu rituel et chalenge pour certaines classes sociales. Le maitre de cérémonie rassemble ses troupes, monsieur Loyal qui peu à peu s'avérera le pire des tyrans et manipulateur, déloyal, fourbe et calculateur. C'est Stock, Daniel San Pedro qui s'y colle et endosse brillamment ce rôle peu flatteur en matière de  bonne mœurs laborieuses. Face à une population de danseurs performeurs si impliqués dans ce processus de "mise à prix" voir "mise à mort" pour l’appât du gain plus que pour la danse. Danse ici bien présente, incarnée par des personnages multiples, bien campés, le temps de les entrevoir parmi cette foule de postulants sélectionnées pour l'abattoir. Des danses de couples aux portés acrobatiques, des duos ou solo comme autant de numéros commandés par la direction au pouvoir de ces jeux de cirque. Le public augmentant au prorata des difficultés que traversent les pions de ce jeu d'hommes et de dames damé.Sur la piste, deux derbys font office de séquences d’abatage, de sélection des meilleurs: endurance, acharnement des corps en mouvement dans des courses folle en tenue de sport, dossards et shorts baillant. Un vrai cirque où ça grouille et ne fléchit pas, où l'on palpite devant tant de perte, de dépense d'énergie. Dans le seul but de gagner. Un mariage comme événement pour mieux médiatiser le phénomène; deux tourtereaux à la merci du bourreau pour la gloire éphémère de remporter quelque argent de plus. Un cortège nuptial s'organise, manège, plutôt sinistre et désorienté qui malgré tout se transforme peu à peu en parade jouissive: clin d'oeil à Kontakhof de Pina Bausch...Une Gisèle s'empare du plateau, esseulée parmi ce fatras d'individus en perdition. Phénomène surréel sur pointe, elle aussi en veut plus et rêve de ce numéro virtuose comme d'un trophée ou d'un échappatoire. Qui prouve quoi à qui? Au final un coup de feu alors que la formule "marathon" vient d'être destituée de son socle. Tous sont anéantis, transis, déçus, trahis, bafoués. Danse-théâtre signée Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, voici un genre augmenté de tragédie chorégraphique insolent et rondement mené dans une scénographie sobre évoquant le stade ou l'aire de jeu olympique d'un concours tyrannique. Les olympiades de la danse comme relais et passation de flammes pour une prestation digne d'un récit sociétal fort éprouvant. Les danseurs et comédiens galvanisés par la présence d'un petit orchestre intriguant, support et soutient du drame, du jeu, de la manigance.

 Strasbourg, Opéra
2 - 7 avril 2024


vendredi 29 mars 2024

Vieux Farka Touré SEXTET Losso Keïta SOLO : virtuoses...et hypnotiques ambassadeurs de racines et d'ailes du monde.

 


Guitariste virtuose, Vieux Farka Touré conjugue avec génie la tradition malienne de ses racines et le blues rock moderne. Grâce à de nombreuses collaborations de prestige, il incarne cette passerelle à travers le monde, comme récemment avec les incontournables texans Khruangbin et ce splendide album « Ali », en hommage à son père regretté. Ce même Ali Farka Touré qui a justement ouvert la voie à la musique, dans une famille traditionnellement issue d’une tribu plutôt guerrière. Son fils Vieux lui a emboîté le pas pour le plus grand plaisir des oreilles du monde et de la fierté nationale malienne. Sa tournée en sextet s’annonce exceptionnelle, un concert magique, puissant, foncièrement tellurique. Le burkinabé 

Losso Keïta ouvre la soirée avec un solo majestueux avec kamalengoni et calebasse pour ajouter une pierre au monumental édifice de la culture d’Afrique de l’Ouest. Régalade. Et sincérité, générosité et enthousiasme pour cet artiste en "lever de rideau" très convaincant, faiseur d'ambiance, de partage avec ses longues extensions de chevelure mobile et puissante. Un beau moment de musique en solo pour chauffer l'ambiance... Puis place au "Afro blues Mali"....

Au Mali, il existe un proverbe populaire qui dit que la vie a un nom de famille : le changement. C’est un dicton que Vieux Farka Touré a suivi tout au long de sa carrière, au fil d’une série d’explorations et de collaborations transfrontalières aventureuses. Un autre dicton plus universel dit lui, que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. C’est ce besoin humain essentiel d’embrasser son héritage qui se trouve au coeur de « Les Racines ». Le titre en dit long, car l’album représente une profonde reconnexion avec la musique traditionnelle Songhai du nord du Mali, l’une des traditions musicales du nord de l’Afrique de l’Ouest. En Occident, elle est connue sous l’étiquette de « Blues Touareg ». Les racines de Vieux sont bien profondes. Fils du regretté Ali Farka Touré, il est acclamé comme le meilleur guitariste que l’Afrique ait jamais produit

Alors les six artiste tout de moiré vêtus en costume traditionnel revisité donnent le "la". L'ici et là d'une musique colorée, soft en enjouée, lascive et envoutante pour les corps des auditeurs massés à leurs pieds devant l'estrade qui les magnifie. La salle est comble, le groupe très attendu qui ne décevra pas, deux heures durant. Ça chaloupe, ça danse au son des guitares magnétiques, envoutantes comme dans un rituel enivrant, hallucinant, hypnotique. Sourires et bonhommie au poing. Le concert va son court, de la sobriété à l'éclat des rythmes qui peut à peu s'emballent, vont crescendo allumer les instruments et leurs protagonistes. Éclats ou mélodies sous-jacentes, sommeil ou réveils fulgurants. Un concert événement à l'Espace Django qui ne finit pas d'ouvrir la scène à ces ambassadeurs d'une musique métissées, profonde et emblématique d'un esprit de liberté et de divulgation de "cultures" à partager de toute urgence. Chose faite et accomplie comme une cérémonie païenne, populaire et universelle, partage de musique fédérative au delà de toute querelle de genres et d'origine...

 A l'Espace Django le 28 Mars

Januibe Tejera et l'Accroche Note :"par dessus les mers": la toupie véloce et pugnace d'une musique inspirée....

 


Mars se veut tropical avec les oeuvres du compositeur brésilien Januibe Tejera.
Temos o prazer de receber o compositor Januibe Tejera em Estrasburgo!
 
Programme
Dans la confidentielle salle d'orchestre du Conservatoire en cette fin d'après -midi: réjouissances. Retrouver l'ensemble Accroche Note qui interprète en compagnie de jeunes professionnels de la place, une petite partie de l'oeuvre de Januibe Tejera, compositeur dont on se souvient de "Moi Singe" opéra de poche joué à Musica....par l'Accroche Note. En terrain connu? Pas vraiment puisqu'ici six oeuvres seront interprétées devant nous, en proximité physique étroite.Et en présence chaleureuse et émue de l'auteur!
 
"Jardin Vertical" - violon, violoncelle, clarinette basse, piano
Une fresque architecturale de notre temps, très marquée, appuyée comme un ragtime à la Stravinski , sur le temps de base dans une belle véhémence. Répétition entêtée de ce leitmotiv qui propulse dans le rythme comme une reprise d'un motif récurent. Obsédant, bordé d'interludes paisibles, réconfortants. Force et tonicité dans la facture et le rendu sonore de cet opus qui va crescendo envahir l'espace, tectonique comme une architecture de Portzemparc... Un trio de cordes, avec clarinette pour planer dans une belle sensualité ambiante. La rage  très en contraste suit , déferlement de tonalités rythmiques subitement. Puis c'est à pas de loup, feutrés que, pugnace, la variation du thème regagne du terrain. Obsédante et magnétique.
 
 
"Tremble" - accordéon solo
Petit chignon et chaussures colorées en marqueterie ou mosaïque, l'accordéoniste Timothée Anthouard vibre dans des langueurs stridentes, dissonantes, insistantes. En mouvements saccadés, le corps engagé comme une cage thoracique déployée dans le souffle. Contraint mais qui ne cède pas devant l'aspect virtuose de la pièce virulente.En secousses, vibratoires dans un acharnement, une insistante devant laquelle l'écoute ne peut se dérober. Acharnement qui frôle les touches et clapets de l'instrument outre-noir scintillant. Un mince filet  de sons aigus, calme et repos à l'appui pour un retour aux saccades au final. Une cage sonore qui vibre, "monolithe" sculpté par l'interprète. Courant de haute tension d'infra-harmoniques, ces sons graves "fantômes" non joués par l'instrument mais perçus par l"auditeur. Magique ambiance athlétique en diable pour celui qui se donne à la créer.
 
"Utopie de la toupie" - Duo flûte/percussion
Des sons infimes sourdent, raffinés, dans un clair-obscur sensible, ténu. Des petits frappés multiples agrémentent les sons de la flûte: question-réponse de l'un à l'autre, dialogue dans un phrasé subtil en tournoiements de sons. Envolée, échappée belle, douceur du souffle émis, tenues filées, soutenues comme un chant. Des oiseaux siffleurs se profilent, sylvestres dans une clairière vaste, dans des vols et battements d'ailes en ascension céleste. Sifflet de carnaval ou de parade nuptiale...Flexatone, flûte à coulisse, glokenspiel pour complices sonores en résurrection légitime.
 
"Cela ne serait peut-être pas…" - voix et clarinette contrebasse
Un extrait de "Moi Singe" récité, murmuré ou psalmodié à toute vitesse par Françoise Kubler : des cris modulés, une voix parlée très véloce, rapide, hachée bordée par la clarinette basse, cette chaufferie centrale de tubes aux dires d'Armand Angster... Un débit, un flux de paroles de ce singe en mutation sorti de sa cage pour s’émanciper... Duo de souffles, de ponctuation syntaxique dans les répétitions de texte aux séquences qui s'accentuent. Osmose et doublure de l'un par l'autre qui ne chante pas... Cris et singeries pour sortir de ses gonds.
 
"Cortège – Éloge du Reflet" - clarinette, accordéon et percussion
Vibraphone et accordéon pour des fréquences inédites, intenses. Des phrasés et couches sonores s'entremêlent, s'imbriquent, émergent dans ce flux, lent et paisible d'une marche, un cortège joyeux. Des vrombissements en rémanence sonore pour décor spatial, crescendo et amplitude à l'envi. Une belle amplitude, envergure de l'accordéon en majesté. Quelques touches d'humour en staccato, des échos et réverbération de sons pour incarner la démarche solennelle d'une musique qui passe devant nous. Zoom sonore comme crédo.
 
"Trois fois silence I" - Trio - flûte soliste, piano et guitare électrique
Pour clore ce florilège sonore plein de fantaisie rigoureuse , une pièce détonante, électrique, magnétique, le piano comme percussion préparée et jouée à vue comme un spectacle musical.  Tous aux aguets, à l'affut, à l'écoute instantanée des autres. Pour des correspondances de sons en couches. Piano gymnique, de Martina Copello grande concentration de l'interprétation: du sur mesure inédit. La flute vers l’asphyxie, l'apnée ou la retenue salvatrice. Le chemin se déploie sur la partition déployée devant la jeune artiste Lisa Meignin, virtuose. Coups de sons affirmés puis langueurs alternent dans cette performance tectonique en diable. Le corps en osmose avec le rythme et l'émission de sons La musique comme spectacle et dévoilement de secrets de fabrication. Beau final pour ce concert comme un mouvement perpétuel insufflé par une écriture musicale de haute voltige. Haute tension acharnée pour des courants sonores contrastés, convergeant vers des affluents musicaux indomptables. Accompagnement acoustique augmenté très probant. Ensembles et en solistes pour ce "trois fois silence" comme haut parleur, vecteur d'effets enveloppant à l'unisson.
 
 
Interprètes
Accroche Note et Étudiants de la HEAR-Musique
Françoise Kubler, voix / Armand Angster, clarinette / Thomas Gautier, violon / Christophe Beau, violoncelle / Hugo Degorre, accordéon / Emmanuel Séjourné, percussion / Kotoko Matsuda, piano / Timothée Anthouard, accordéon / Lisa Meignin, flûte / Sami Bounechada, percussion / Martina Copello, piano / Gaspard Schlich, guitare
 
Le 28 Mars   cité de la musique et de la danse

pour mémoire:

https://genevieve-charras.blogspot.com/2017/09/moi-singe-musica-par-ici-la-monnaie.html

 

jeudi 28 mars 2024

"Les fantasticks": indisciplinés....united colors of the wall....Sobre ébriété d'un millésime corsé!

 


Les Fantasticks
Tom Jones & Harvey Schmidt Nouvelle production. En coréalisation avec la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace.


Comédie musicale.
Inspirée de la pièce d’Edmond Rostand Les Romanesques.
Paroles et livret de Tom Jones. En version française.
Créée le 3 mai 1960 au Sullivan Street Playhouse de New York.
Opéra Volant.


Un conseil à tous les parents : interdisez à vos enfants ce que vous voulez qu’ils fassent ; vous serez alors certains qu’ils le feront ! Il ne s’agit pas de manipulation mais bien d’éducation. Et rappelez-vous : c’est pour leur bien. Cette méthode originale est expérimentée avec succès par Mme Hucklebee et M. Bellomy. Pour favoriser l’union de leurs enfants, ils inventent une fausse dispute, dressent un mur entre leurs deux maisons et leur interdisent toute communication. Résultat : l’amour est tout de suite au rendez-vous. Attention cependant à ne pas révéler le pot aux roses, car rien n’est plus ennuyeux pour des enfants qu’un destin tout tracé.


Deux clans, deux mesures, se mesurent pour un plaisir grandissant sur le plateau du Théâtre de Hautepierre. Un "opéra volant" sur tapis de rebondissement, petit cabaret de poche que l'on porte sous son bras. Chanteurs, comédiens tiennent la scène dans un univers ouvert, extérieur: un jardin divisé par un mur et gardé scrupuleusement par un monsieur Loyal, Maitre de cérémonie, Ell Gallo joué par Bruno Khouri. Et par un mur, personnage à part entière incarné par Quentin Ehret. Deux tourtereaux seront notre fil conducteur de cette fable au livret tout simple, aux caractéristiques dramatiques évidentes et sobres. Sobriété de la mise en espace avec un décor léger, deux jolies serres, vérandas ou jardin d'été, un fauteuil à bascule, un transat pour le repos...
 

L'intrigue se déroule entre musique légère, harpe et piano, un "ensemble" réduit mais très efficace aux mains de Hugo Mathieu et  Lauriehanh Nguyen. Alors en avant pour des péripéties multiples, haletantes entre les membres de ces deux familles démembrées par ce mur omniprésent, témoin et vecteur de la séparation, des frontières entre êtres humains, comportements et classes sociales. Clins d'oeil à Shakespeare bien vu !Un mur "muet" qui se glisse sempiternellement dans la narration en traçant les contours des déplacements, déplaçant les accessoires de la discorde. Droit, rigide ou souple selon les circonstances. En costume gris, chapeau melon et maquillage lisse. Une performance physique à souligner pour ce comédien qui ne dit mot ni ne murmure quasi trois heures durant. Faire le mur, tout gris face à ces furies qui lui font obstacle est une gageure et un chalenge qui tient en haleine. Alors que le père, Michal Karski tout en vert et la mère Bernadette Johns tout en jaune animent le plateau de leur jeu tonique, joyeux ou revanchard.Un "tableau" désopilant avec cadre véridique pour cerner ou unir ce qui ne le peut pas demeure la séquence de charme avant et après l'entracte.Portrait pictural vivant de cette famille ou les deux amants se découvrent après l'abolition du mur comme deux étrangers aux prises à de mauvaises surprises.
 

Anna Escudero et Jean Miannay en rouge, en mauve,en protagonistes éclairés de cette comédie musicale "de poche" tonitruante.Ils sont espiègles, malins, naifs ou déconfits, drôles et animés de bons sentiment. Les voix seyantes à ces deux rôles juvéniles et attendrissants. Le mentor, lui, de sa belle voix de basse se fait conteur et animateur subtil de ce ballet de farfelus en état de sobre ébriété. Bon choix que cette programmation de cette oeuvre méconnue qui enchante le public fredonnant à la sortie le "tube" bien connu "try to remember". Myriam Marzouki qui fait ici du "mur" une entité à part entière, singulier perturbateur et symbole de la bêtise humaine: diviser pour dissimuler, engendrer les querelles, démembrer les voisins.Sur un théâtre de tréteaux populaire et accessible.Les murs font échos à tant d'actualité politique, économique et stratégique que celui-ci est emblématique et pertinent au delà de l'imagination...La musique et le chant signés de Harvey Schmitt, le livret de Tom Jones sont un régal de fantasmes et frugalité de mise pour cette "opérette" en chambre digne des plus fantaisistes joyaux du genre.La chorégraphie signée Christine  vom Scheidt comme une mise en espace et en corps donnant entre autre naissance à un tango savant de toute beauté entre les deux amants. Aux couleurs flashes d'un conte d'effets fluorescent et endiablé.


(Librement inspirée d’une pièce d’Edmond Rostand, la comédie musicale The Fantasticks détient le record absolu de longévité, avec près de quarante-deux années passées à l’affiche du même théâtre new-yorkais. Son histoire rocambolesque, à mi-chemin entre Roméo et Juliette et Così fan tutte, et ses titres à succès comme « Try to Remember », devenu un standard du répertoire américain (et un tube publicitaire), en ont fait une œuvre phare de l’Off-Broadway. Elle est interprétée en version française par les artistes de l’Opéra Studio dans un spectacle pour petits et grands de Myriam Marzouki, présenté en tournée régionale. 


Mise en scène
Myriam Marzouki
Chorégraphie Christine vom Scheidt Décors Margaux Folléa Costumes Laure Mahéo Lumières Emmanuel Valette Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, Musiciens de la HEAR

photos Klara Beck