jeudi 6 novembre 2025

"Barmanes": pilier de bar parallèle à terre...Kali, Perle et reine du zing

 


BARMANES est une immersion d’une journée dans le corps d’une femme, serveuse, en France.  

D’une commande à une autre, la journée défile, jusqu’à la fin de son service, qui ne va, en réalité, jamais se terminer. Elle aura le temps de passer un casting, de tomber amoureuse, de s’énerver, de donner sa démission, de faire la fête, et de servir toutes ses tables.

Au vacarme incessant du bistrot est opposée la sororité d’une équipe. Grâce à des interviews réalisées auprès de ses anciennes collègues, Marion porte une voix chorale qui poétise la charge mentale et les rapports dominants. Soutenue par une playlist RnB des années 80-90, ce poème documentaire résonne comme un hymne générationnel. 


Marion Bouquet nous accueille au pied de l'estrade de la Salle du Cercle de Bischheim... Nous souhaite une bonne soirée en sa compagnie et regagne le plateau.Et c'est "sur un plateau" qu"elle va nous confier une partie de sa nouvelle vie de jeune et fraiche émoulue barwoman: une petite heure durant on va partager sa vie, son temps et son emploi du temps, du matin au soir, alors que sur le fond de scène tous les mots pour désigner un bistrot, défilent à l'envi: guinguette ou troquet, buvette ou zing? Bref, ou brèves de comptoir, voici conter de sa propre personne les vies et aventures d'un métier peu souvent ausculté ni interrogé. Son expérience est livrée ici à vif oscillant entre récit, autobiographie ou simple évocation d'une destinée livrée au service des autres. Dans un décor peuplé de barriques de bière Perle qui seront tantôt tables, chaises et éléments de la dramaturgie.Elle y connait toutes sortes de situations qu'elle évoque et vit à fond, se donnant comme comédienne, autrice et metteure en scène au mieux de sa forme. Serveuse n'est pas un sacerdoce, ni une vocation: c'est pourtant de la joie et du bonheur qu'elle offre en vivant devant nous des rêves tout éclairés en bleu et une réalité teintée de jaune-orangé. Mathias Moritz en inventeur d'ambiances-lumières très aguerri.Les lumières la révèle dans l'expression des ses humeurs, de ses voeux les plus chers: peut-être celui d'être aimée par un client qui prétexte la mauvaise cuisson d'un onglet pour la voir revenir vers lui...La journée s'écoule, mouvementée autant que fastidieuse, le balais en main au petit matin, les "bonjours" sur tous les tons à une clientèle fidèle ou improbable. C'est ce sourire affable ou sincère, cette attitude bienveillante ou agacée toujours pourtant galvanisée par la course à la tâche à exécuter. Il y a du bonheur dans le jeu et la présence de Marion Bouquet, de l'engagement, de la malice.

avalokiteshvara déesse aux mille bras

C'est aussi Kali, la déesse aux mille bras à tout faire .Un joli morceau de karaoké pour séduire un client de rêve, des bras portant des kilos de bière chorégraphiés en angles et cassures gestuelles fort à propos. Cette chorégraphie signée Nawel Bounar lui sied à merveille, comme une signature corporelle, jeu de gestes du métier qui la transforme peut-être en robot à exploiter..Tout de noir vêtue, tablier au corps, notre "serveuse" se rebelle ou se retient, conte les humiliations ou le mépris de certains clients à son égard. Sans haine ni rage cependant: c'est le lot du métier: "j'arrive" toujours disponible et pourtant rongeant son frein.Ce sera une lettre de démission pourtant qui la révèle à elle-même pour changer de voie, de voix aussi pour ne plus se taire et s'abaisser. Un métier ici évoqué très sincèrement, justement et dans un certain humour ou les courses de garçons de café sont remportées par des femmes! Une aventure scénique à partager avec l'enthousiasme de la belle équipe qui a bordé et accompagné, porté ce projet collectif pour donner naissance à ce "solo" fraichement sorti à qui on prédit un bel avenir: on passe la commande et le message: l'addition sera très digeste et on y retournera . 


Distribution :

Ecriture, mise en scène, interprétation – Marion Bouquet 

Dramaturgie et complicité artistique : Giuseppina Comito 

Scénographie et régie plateau: Alice Girardet 

Chorégraphie : Nawel Bounar 

Création sonore : Ocey

Création lumières : Mathias Moritz 

Co-production : Espace 110 – scène conventionnée d'intérêt national d'Illzach ; La Coupole de Saint-Louis, le Diapason de Vendenheim 

A Bischheim salle du cercle le 6 Novembre 

Le barman, dit également bartender – au féminin barmaid ou barwoman – est un travailleur polyvalent qui accueille la clientèle du bar, prépare et effectue le service des boissons chaudes, fraîches, simples ou composées (cocktails), ainsi que des mets simples voire des snacks, des sandwichs ou et des crèmes glacées. 

mercredi 5 novembre 2025

"Cortex /Dyptique": folie douce et transport en commun inégalés

 


Seuls les fous et les solitaires peuvent se permettre d’être eux-mêmes

« Ça me dérange pas d’être folle, tu sais Michel. Au moins faire une bonne vieille crise de tictacboum, ça occupe le cortex. Au moins ça fait qu’il se passe quelque chose, le réseau de neurones s’active, il y a des étincelles. Tu sais, j’ai l’impression que tout le monde est heureux, sauf moi, et toi. »« Notez qu’un rien pourrait me délivrer, une goutte d’alcool brut, une main pour le bal… et je serais fada fondue frappée.et pousserais les limites et le bouchon…Et allez !! On débouche ! On pétille dans le sens du plafond !Hissez le barjo qu’on rigole,Pour un rien ! Pour cette vie risible et dingue ! »


Il y a Elsie, seule dans la maison de sa mère, qui cause avec un bouquin. Et au fond du bus, il y a ce voyageur mental, égaré dans ses divagations intérieures. Parce qu’un épisode psychotique vibrant et poétique transcende parfois la folie ordinaire de ces personnages atypiques et attachants…Deux textes en miroir écrits tout spécialement pour les acteurs Pauline Leurent et Logan Person par les autrices Catherine Monin et Mélie Néel. Mise en scène la saison dernière avec l’équipe artistique du TAPS, cette création inédite jette un pont entre l’écriture et la scène, entre les artistes et les techniciens, entre un théâtre et son public.


Le public est disposé en miroir, se fait face et l'on observe son semblable comme faisant partie du jeu: je "regarde" l'autre alors que déjà sur la scène de plain-pied une femme se concentre sur ce qui repose à ses pieds.e Le sol est jonché d'objets comme momifiés ou calcinés comme une installation de Kounellis: restes, fragments ou reliefs d'une vie: celle de la mère de Elsie, une femme esseulée perdue dans cet espace désertifié où les souvenirs sont omniprésents. Elle, c'est Pauline Leurent, forte personnalité portant un texte magnifique où les dialogues se confondent avec le jeu d'un autre personnage blessé par la vie. Logan Person sera son compagnon de route, le révélateur de son existence qu'elle crie et qui se déchire au fur et à mesure que le temps du jeu s'écoule. Il est aussi Jeff, l'homme rencontré dans le fond d'un bistrot qui lui tiendra la tête hors de l'eau. Car elle est bien "hors sol" déboussolée, égarée et perdue malgré des apparences séductrices et attrayantes. Les destins se croisent, se calquent, se chevauchent dans une mise en scène très rythmée où les "danettes" se dévorent  pour déstocker les souvenirs. Un grand moment de théâtre où les deux comédiens portent et s'emparent du texte, riche, dense et déroutant. Seconde partie de ce "Cortex" annoncé, l'incarnation de deux personnages dont cet homme qui dort debout dans un bus jusqu'à son terminus. Entre temps un cerveau bien vivant, chatoyant, coloré affrontant l'hiver glacé lui lance des boules de neige pour le réveiller à sa conscience. Il est désemparé, fragile face à cette force de la science qui dicte sous sa moumoute protectrice, les pensées et actes scientifiques d'une potentielle guérison, prise en charge de sa léthargie. Une fois de plus Pauline Laurent surprend, épate et séduit dans un jeu, une élocution et des excès de voix fulgurants. La rage ou la férocité de ses convictions la poussant à fond dans une interprétation physique, charnelle et puissante. Face à elle Logan Person se réfugie dans un jeu habile et subtil de la perte d'identité et de l'absence d'altérité face à ce lion rugissant. Dans un frigidaire dont le contenu sera son corps recroquevillé comme relique oubliée.


"Fermer le livre" de Mélie Néel et "Sous la route" de Catherine Monin donnent lieu à une création théâtrale de toute beauté et grandeur, plongeant au coeur d'un monde de folie, de déséquilibre et de déplacement des corps, exemplaire. Olivier Chapelet, chirurgien et soignant de ces âmes en déroute sur des sentiers jonchés de feuilles volantes ou d'objets mystifiés à la dimension plastique et esthétique fort singulière.

 

Textes Fermer le livre de Mélie Néel / Sous la route de Catherine Monin

Mise en scène Olivier Chapelet Avec Pauline Leurent et Logan Person


Au TAPS Laiterie jusqu'au 7 Novembre

"Le Poisson qui vivait dans les arbres" Sylvain Riéjou & Hervé Walbecq felin pour l'autre. Feuille volante, guide et inspiratrice d'une balade bucolique et aquatique

 


Hervé et Yoann sont deux amis qui aiment les promenades tranquilles… Observer les insectes, écouter les oiseaux, sentir le vent. Mais un jour, ils se lancent dans une quête fabuleuse : retrouver le poisson qui vit dans les arbres… Petits et grands sont invités à les suivre dans un univers visuel projeté sur grand écran, comme un livre ouvert devenu vivant. Entre dessin-animé, danse et jeu d’acteur, les deux complices explorent un monde peuplé d’animaux réels ou imaginaires. Le spectacle est né d’une amitié et d’une expérience partagée pendant le confinement : le chorégraphe Sylvain Riéjou a appris, aux côtés de l’auteur-dessinateur Hervé Walbecq, à observer les animaux autrement, à dialoguer avec eux par le corps, l’écoute et l’attention — un langage proche de la danse. Cette première collaboration artistique, inspirée du recueil de nouvelles J’attends les tritons (Éd. La Joie de lire, 2024) d’Hervé Walbecq, fait surgir une fable joyeuse et sensible où le mouvement devient un outil de lien, de jeu et d’amitié.

 

L'animation, le mouvement, le graphisme font ici se rejoindre deux artistes du rythme et du mouvement. De l'espace scénique aussi qui se transforme en écran de nos rêves, en forêt, ruisseau et autre paysage au gré des aventures de deux compères vêtus de short et polos noirs, pieds nus, en quête d'aventures rocambolesques. C'est une feuille volante qui sera leur guide, leur mentor et qu'ils tenteront de suivre malgré les obstacles: autant d'épreuves salvatrices qui les conduiront dans des univers, tels une caverne retentissante de gouttes d'eau, une forêt accueillante, les rives d'un ruisseau...Ce sont les dessins, tracés calligraphiques en noir et blanc qui évoluent sur la toile de fond: paysages changeants au cours de leur périple. Ils suivent ces tracés au millimètre près, synchrones et en osmose. Leurs gestes accompagnent, précédent ou annoncent ces volutes alors que les images défilent. En apesanteur comme leurs pas qui absorbent les bruits du sol, les feuilles mortes qui crissent sous leur pas. La synchronisation est parfaite, les bonds résonnent, les coups sur la tête aussi et c'est magique. Un pas de deux , Lac des canards classique fait office de duo désopilant: l'un est lyrique, l'autre, le ravi de la crèche, naïf et maladroit vaut son pesant d'or. C'est Hervé Walbecq qui danse avec ses images comme le faisait Montalvo/ Hervieux ou Decouflé et les surprises vont bon train. La danse est ajustée, simple et modeste, aux accents de folklore ou de rythmes martiaux. En silhouettes noires découpées ou dans des ambiances lumière recherchées.Ils sont tendres et émouvants, à la poursuite de cette feuille légère qui les conduit au pays des merveilles. Modestement, les deux artistes savent enchanter et séduire un joli, public attentif, captivé par cette alliance du virtuel et du concret. Qui dirige qui, qui se laisse guider ou intervient pour brouiller des pistes toutes tracées.. Joli voyage que ce "chante-danse" comme Prévert aurait su le faire pour ses "chante-fables" ou "chante-fleurs". Sylvain Riéjou à l'écoute de la nature et du corps dansant, vision sylvestre bucolique de l'univers qui nous construit dans nos évolutions.

 

Conception : Sylvain Riéjou et Hervé Walbecq
Interprétation : Hervé Walbecq et Yoann Hourcade
Regard extérieur : Jeanne Lepers
Dessins : Hervé Walbecq
Création et animations vidéo : David Heidelberger  

A Pole Sud les 4 et 5 Novembre 

"Barber Shop Chronicles" Inua Ellams, Junior Mthombeni, Michael De Cock ne broient pas du noir

 


Inspiré par l’histoire d’un barbier de Leeds, ancienne cité industrielle du Nord de l’Angleterre, Barber Shop Chronicles invite le public au coeur d’un salon de barbier, lieu de sociabilité et des mémoires vives de la diaspora africaine. La pièce du poète anglo-nigérian Inua Ellams ouvre les portes d’un espace intergénérationnel, où l’on entend résonner le wolof, le lingala, le soninké, le bambara et le bamiléké. Les plaisanteries peuvent être acerbes mais elles visent juste. Business, relations avec les parents, amour et politique s’enchevêtrent dans des récits portés par le verbe haut et l’humour de ces hommes qui trouvent chez le barbier un espace de soin, mais aussi d’écoute et de conseil. À défaut de pouvoir couper vos cheveux, raser votre barbe ou tailler votre moustache, installez-vous confortablement pour un voyage entre Abidjan, Bruxelles, Dakar et Kinshasa !

Ambiance débonnaire dans toute la salle du TNS et surtout sur le plateau où les comédiens, acteurs de tous les jours semblent nous attendre et nous convier à une grande fête. Mais laquelle? Celle des retrouvailles entre un très jeune public invité à grimper sur scène pour se tailler un selfie avec cette joyeuse bande et plus tard en inondant les réseaux sociaux: j'y étais..Regarde tous mes copains noirs...Ou celle d'une communauté rassemblée ici pour savourer des cultures différentes, celles d'une Afrique francophone et de ces capitales, encore imprégnées de colonialisme linguistique et culturel? On en débattra ultérieurement tant le vif du sujet est abordé de front et de plein fouet. Au coeur d'une agora naturelle, celle de l'échoppe et du salon de barbier-coiffeur, lieu, endroit de rencontres, d'échanges entre hommes, autant que de soins et rituels de coiffure.On songe à ces salons de coiffure du boulevard de Strasbourg à Paris qui ne désemplissent pas de population immigrée désireuse de reconstituer, de reconfigurer les us et coutumes conviviaux et riches de relations humaines fraternelles.


Cette communauté ici portée aux nues sur un plateau est belle et émouvante. Et l'empathie nait ou surgit d'emblée avec les clients autant que les barbiers professionnels, chacun trouvant ici le lieu pour se raconter, se confronter à l'autre dans l'amitié ou le conflit de générations. Musique, rires, chamailleries ou règlements de compte, tout y passe dans un rythme vagabond, tonique. La chorégraphie, les déplacements, les corps des comédiens tous si différents au taquet. La signature de Serge Aimé Coulibaly (compagnie Faso Danse Théâtre redécouvert pour son "Wakatt" récemment ) rehausse la mise en scène signée Junior Mthombeni et Michael de Cock pour ces récits épiques. Choeurs et show choral,alignement en tête de gondole pour ces artistes qui brulent les planches et affrontent des situations entre comique et tragique comme une ode à la fraternité dans l'altérité et la diversité. On jubile devant ces personnages incarnés brut de coffrage dans des costumes chatoyants, rutilants digne d'un défilé voguing et tout prend du relief, même dans cette belle déformation mécanique des héros sur des panneaux suspendus comme des miroirs déformants. Ou est la vérité de ces histoires qui cavalent du Congo au Burkina, de Belgique au Sénégal pointant à chaque fois des détails sur chaque condition géographique et politique. Poésie aussi de ces saynètes qui s'enchainent introduites par la seule et unique présence féminine d'une conteuse-chanteuse discrète. Tambour battant tout se tricote aisément avec coup de théâtre, intrigues et exercice du jeu de comédiens: Salif Cissé, le chouchou de la maison, découvert dans le solo de "Je suis venu te chercher" et plus tard à l'écran dans les films "Méteors".."Spectateur" ou "Le répondeur",est fort et présent dans ses deux rôles où sa puissance se révèle fragile autant que véhémente et colérique. Tous les autres partenaires éclaboussant de joie, de tendresse, de malice ou de cruauté selon les épisodes parcourus. Du bel ouvrage pour un sujet délicat autant que crucial à évoquer: faire entrer au théâtre le quotidien d'un salon de barbier où tout ce dit comme des brèves de comptoir acerbes, tendres ou tout simplement sidérantes.

Et jamais "rasoir" ni "on rase gratis" pour ce pamphlet où la scène tournante au final joue au manège infernal de la vie. 


[Texte]
Inua Ellams 

[Mise en scène] Junior Mthombeni et Michael De Cock 

[Avec] Priscilla Adade, Junior Akwety, BATGAME, Hippolyte Bohouo, Martin Chishimba, Salif Cissé, Yoli Fuller, Aristote Luyindula, José Mavà, Jovial Mbenga, Souleymane Sylla, Clyde Yeguete 

 Au TNS jusqu'au 14 Novembre

lundi 27 octobre 2025

POUSH #3 Chaillot invite : transformation et métamorphose au menu! Poush toi de là que je m'y mette...

Pour la troisième fois, les espaces du Palais de Chaillot vont être bousculés par des propositions artistiques choisies par Yvannoé Kruger et son équipe du POUSH.  Centre d’art et de résidences d’artistes d’Aubervilliers. Dans un esprit de découverte et de dialogue avec les publics, cinq artistes investissent le haut lieu de la danse par des installations in situ, des vidéos, et des performances, promptes à rendre l’événement unique. Spare Memories de Hector Garoscio s’empare d’une moto désossée et d’une guitare électrique, tandis que le Libanais Pascal Hachem expose des corps à la manière d’une sculpture vivante (Photoshop me). Suricata, de son vrai nom Federico González, musicien multidisciplinaire proche de la culture rave, installe son soundsystem pour une performance et un set live. En continu, on découvrira le travail de vidéo de Jisoo Yoo, et une installation de Winnie Mo Rielly.

 

'Dichotomy 3' par Pascal Hachem 

Avec : Pascal Hachem, Hector Garoscio, Winnie Mo Rielly, Suricata et Jisoo Yoo


'Dichotomy 3' par Pascal Hachem serait la perle de cette soirée déjantée, marathon salvateur pour public friand de surprises, de déambulations et autre pérégrinations au sein du Palais de Chaillot: ici berceau des fines fleurs de l'art contemporain associé de très près à la performance, aux installations et autres formes de monstration des expressions artistiques contemporaines. Ecrin de mise pour ce mur blanc percé qui abrite les fragments de membres comme Robert Gober le plasticien sculpteur des corps démembrés qui surgissent de murs, de recoin. On les rencontre ici comme sur une surface de grimpette alpine qui se battent avec les apparitions-disparitions et l'effet est sidérant. Comme un abécédaire, les formes des corps insérés dans l'envers du cadre cherchent leur place, recto-verso et mobilisent l'ensemble dans une vision quelque peu fantastique et fantaisiste d'une architecture vivante. Les propositions corporelles comme un codex à déchiffrer et décrypter à foison.

Plus intimiste, les vidéos de Jisoo Yoo, où un corps translucide sans tête se déplace au sein d'un appartement fantôme. Le spectre erre et navigue dans ces espaces, espèces de mirages en noir et blanc. Légers et transparents, les décors se fondent en lui et respirent cette perte, cette absence de chair en harmonie, simple mise en scène onirique et translucide de l'indicible.

 Et quand les pianos préparés, disloqués de Suricata susurrent une musique cosmique au coeur du public dans le Grand foyer de la danse, c'est comme un bal qui s'emballe et disloque l'attention en autant de points sonores déversant des sons et harmonies plein de fréquences rarissimes. Les tableaux piège de ces carcasses d'instrument à cordes pincées, à touches désarticulées sont autant de vestiges, de carapaces ou d'exosquelettes fort beaux et intriguant à contempler durant l'écoute.

Au TND Chaillot le 21 Octobre 

dimanche 26 octobre 2025

UMUNYANA Cedric Mizero: quand la voix est fête et danse, quand les cornes résonnent comme des trophées de mémoire

 


On dit que Girinshuti erre sous l’emprise d’une étrange maladie mentale, confronté à des vaches, figures centrales du paysage rwandais. Cedric Mizero déploie une installation performative où se tissent récit fictionnel et réminiscences de l’enfance. Né dans l’ouest du Rwanda au début des années 1990, Cedric Mizero est un artiste autodidacte dont la pratique hybride mêle
arts visuels, mode et performance. UMUNYANA évoque un monde suspendu, traversé par un personnage souffrant d’un trouble de la mémoire, qui l’entraîne dans un univers où l’Inka — la vache — est pleurée, chantée, incarnée. Déesse vénérée autrefois, aujourd’hui disparue, elle réapparaît comme un spectre lumineux que les corps tentent de ressusciter par le geste, le souffle et le chant. Marqué par ses recherches sur l’abattage des animaux les jours de marché — une pratique qui contraste fortement avec la vénération culturelle du Rwanda pour les vaches — Cedric Mizero construit cette installation comme une vision fragmentée. Des images émergent d’une salle à l’autre, explorant l’histoire et la culture du bétail au Rwanda. UMUNYANA chante la perte d’un monde rural effacé et célèbre les liens invisibles qui unissent l’humain à l’animal, au passé et à la terre.


A la Ménagerie de Verre tout tremble et retentit au son de la voix d'une femme noire au coeur de l'espace partagé de plain pied avec le public appelé à partager une cérémonie païenne sonore et pleine de résonance, de sonorités charnelles: celle de la voix puissante aux fréquences denses et emplies de présence. Alors que sur un écran défilent les images d'une assemblée réunie à l'occasion d'une fête ou d'un rituel. Le mystère demeure, des offrandes circulent parmi le public: de petites abeilles en matières de récupérations très touchantes et naïves. Les cornes des vaches de ce rituel de la mémoire en objets d'adoration respectueuse autant qu'en oeuvres d'art plastiques singulières.Trophées de mémoire et de passation cultuelle rare et symbole d'appartenance à une tribu, à un peuple, à une famille élargie d'être humains soudés et solidaires. Un danseur s’immisce dans ce jeu de réactivation de mémoire, c'est Cédric Mizero à l'envergure gestuelle singulière. Corps offert et livré à l'évocation de sensations archaïques: celle de la dévotion autant qu'à l'amour de l'animal, vache chérie de l'enfance rurale. Il chante accompagné de notre guide qui nous invite à déambuler jusqu'au grand studio à l'étage de la Ménagerie. Voyage spatial animé de surprises et du développement du propos du chorégraphe. Divagations salvatrices dans cette atmosphère prenante et envoutante. Ils seront plusieurs à nous conduire dans l'antre de ce rituel, le chant comme fondement et clef de voute du passage d'un endroit à un autre.Voix puissante aux sonorités graves et frémissantes, aux accents joyeux et radieux. Les corps se mouvant, offerts, rythmant la danse, frappes au sol, sauts brefs, rapides, enchainés comme des coups , des percussions rituelles évidentes. Les costumes chatoyants comme des flammes, les guêtres comme des peaux d'animaux, revêtues le temps d'un sacrifice ou d'une cérémonie partagée salvatrice. Un groupe, une tribu passionnée incarnant des esprits très présents, bienveillants saluant terre et ciel comme des axes fondamentaux de pensée en mouvement. Entre anges et bêtes, entre corps et voix poreux et transversaux sans cesse animé par une énergie débordante et contagieuse. Quand ils disparaissent à nos yeux c'est pour mieux incarner les voix et la muse Echo qui ne se montre jamais. Et les cornes demeurant comme des arches à franchir pour accéder à un au delà inconnu.


A la Menagerie de Verre jusqu'au 25 Octobre dans le cadre du festival d'automne à paris

Maria Hassabi "On Stage" : l'infime et l'imperceptible


 Que se passe-t-il lorsque le processus d’une image est révélé ? L’artiste et chorégraphe Maria Hassabi présente On Stage, se transformant silencieusement d’une pose à l’autre. Elle met en scène son style caractéristique – fait d’immobilité, de lenteur et de précision – et invite le public à réveiller ses propres références face à ce défilé d’images iconiques ou banales qui se déploient.


 
L'atmosphère est au recueillement, à l'écoute de l'indistinct, de l'infime filet de sons, de lumière qui envahit une obscure clarté sur le plateau. Des instants durant la fragilité des images d'une présence magnétique au coeur de la scène se fait souveraine et hypnotique. Le bain et l'immersion dans le noir scintillant des contours d'une forme humaine est troublant, déstabilisant Et pourtant rien ne bouge en apparence sinon les sons atmosphériques d'une partition cachée. Elle est là et se dessine peut à peu au coeur de l'espace vide, devenu immense berceau de petits riens de micro mouvements kinestésiques sidérants. Une femme se révèle peu à peu comme dans un bain photographique. En blouson et jean délavé, tenue de travail, les cheveux tiré en arrière. Le stricte nécessaire pour une expression rude et franche, sans détour ni parasites. Du brut minimaliste à l'état pur incarné: un corps qui oscille, ploie, se délivre de la pesanteur pour mieux fléchir et y retourner. La performance de Maria Hassabi est viscérale et provoque un état d'écoute et de présence de la part de celui qui la regarde au travail. Empathie nécessaire pour apprécier la performance bordée d'un univers sonore vaste et quasi naturel, aux sons évocateurs de larges paysages. Elle est puissante et se révèle comme une icône à adorer dans un rituel paien à savourer sans fin. Hypnotique et précieuse chorégraphie du corps se mouvant au millimètre près dans une aisance et un souffle continu impressionnant. Infime détail et justesse des mouvements comme credo et signature d'une sculptrice de gestes émouvants. Une interprète virtuose singulière et très dosée, irradiant mystère et plasticité inouïs.

Au TND Chaillot jusqu'au 24 Octobre