samedi 27 mai 2023

"Wakatt" : les peurs de notre époque selon Serge Aimé Coulibaly: "sans peur et sans reproche"..

 




Au Maillon Wacken présenté avec POLE-SUD, CDCN les 25 et26 Mai

Comme toujours dans ses spectacles, Serge Aimé Coulibaly se penche sur la société contemporaine, sur les conflits qui la traversent, sur la place qu’y occupe l’individu. Dans Wakatt, un mot qui signifie « notre époque », c’est plus particulièrement notre peur de l’Autre qu’il interroge dans son langage chorégraphique énergique et généreux.


À l’heure où grandissent partout les systèmes xénophobes et les réflexes identitaires, sommes-nous condamné·e·s à réagir instinctivement avec méfiance face à celui que nous ne connaissons pas ? En quoi y sommes-nous conditionné·e·s ? Accompagné·e·s par le trio du Magic Malik Orchestra, au pied d’un rocher et sur un sol organique qui rappelle la terre, les interprètes développent une chorégraphie qui emprunte autant à la tradition qu’au contemporain. Dans le droit fil de l’art engagé, mêlant l’intime et le politique, qui le caractérise, le chorégraphe belge d’origine burkinabé célèbre ici l’altérité et affirme avec force notre liberté et notre capacité à dépasser nos peurs.

Soleil en découpe sur le fond de scène, champ de bataille en ligne de mire, les corps qui jonchent le sol..Le tableau se répète et sort d'un terreau de scories noires, un homme qui n'aura de cesse que de s'ébrouer violemment, faisant voler ces morceaux ou paillettes de terre noire  volcanique: comme ces corps qui vont s'agiter devant nous plus d'une heure durant. D'abord statiques silhouettes costumées de couleurs chaudes, de vêtements d’apparat. Pour quelle cérémonie, quelle démonstration de savoir faire virtuose? Un florilège de courses, roulades, déflagrations de corps jetés dans la bataille...Mais sans émotions ni sens dans d’ennuyeuses reprises sempiternelles de gestes saccadés, mécanique infernale lancée pour ne jamais atterrir. Un rocher doré tient l'avant-scène, alors que le trio de musiciens semble envahir le plateau de décibels monocordes, lassants et sans relief. Un solo à terre, vrillé, aspergeant de débris noirs les personnages hiératiques, fait cependant mouche. Rage, révolte, soulèvement ou simple expression de solitude et de violence faite à l'autre..Car les rencontres sont teintées d'hésitation, de haine ou d'attirance malveillante: l'autre, ce "loup" pour l'homme réagit au coeur du propos comme un leitmotiv d'expression de la fuite, du recul. Possession, transes, zizanie à l'envi sur le plateau peuplé de cette horde de dix danseurs: chacun pour soi dans des battements de coeur qui ne réussissent pas à les fédérer. Un solo de chant, désarticulé au sommet du rocher comme une plainte, un appel, une rogation vaine. Un quatuor dans le silence retrouvé, roulades, sauts, bruit des pieds qui frappent le sol: on revient à de la danse primitive, primaire avec soulagement. En apnée ou à perdre haleine, les sursauts de la danse épuisent leur chapitre et le spectateur, lassé de la redondance des propos dansés. Un seul et unique moment magique quand une des danseuse , Marion Alzieu,traverse la scène à la Pina Bausch, errant, cherchant ses repères dans une gestuelle virtuose et unique de tout son corps engagé dans le mouvement qui suit les pans de sa robe... Un homme-monstre, sauvage, de carnaval costumé à la Charles Fréger fait son apparition, esquissant quelques pas maléfiques, beaucoup de personnages propulsés sur scène en mouvements communs ou singuliers, ne font pas une chorégraphie enthousiasmante... L'ascension du rocher, sa métamorphose en immense termitière mouvante sont idées reçues et "déjà vues". Transe en danse et autres gesticulations qui multiplient les points de vue pour mieux s'y perdre simultanément...Que conclure sinon que l'ennui nait de la redite et de la vacuité d'une proposition au demeurant fort généreuse et pertinente: même pas peur, même pas d'empathie avec cette tribu éclectique qui ne parvient pas à se défaire de la musique omniprésente de Magic Malik qui tient le haut du pavé sans tenir compte du quadrillage de la rue, du trottoir où se meuvent en vain les acteurs de cette fresque indigeste.L'engagement et la dynamique ne pouvant faire office de "pardon" à cet opus vivendi fait de rabâchages.

charles fréger


 

La compagnie Faso Danse Théâtre a été fondée en 2002 par Serge Aimé Coulibaly. Dans toutes ses créations, dix à ce jour, le chorégraphe burkinabé, installé à Bruxelles, explore des thèmes complexes dans le but d’impulser une véritable dynamique positive.
Son inspiration est enracinée dans la culture africaine et son art est engagé dans le besoin d'une danse contemporaine, puissante, ancrée dans l'émotion mais toujours porteuse de réflexion et d'espoir. Il a développé un processus créatif qui part du principe de la dualité. Chaque mouvement qui traverse le corps a un contraire. Chaque forme d'énergie est accompagnée d'une seconde forme. Cela amène le corps et l'esprit dans un état où l'intuition et l'urgence prennent le dessus. Son langage fort est universel,
il est invité dans le monde entier avec ses différentes créations (Nuit blanche à Ouagadougou, Kalakuta Republik, Kirina…).  

témoignages:

"Tout à fait d’accord ! J’y ai même senti une certaine paresse, de la confusion sur le sens. L’hyperlaxité de certains danseurs finit par lasser. Quelques beaux moments qui ne masquent pas l’ennui et -ce n’est que mon point de vue- des costumes  dont le sens m’a échappé mais pas la laideur.Un peu de beauté ne nuirait pas.C’est pour moi l’exemple même d’un artiste trop adulé que son succès initial oblige à un travail qui manque de temps, de recul et « d’infusion ». Le public ne s’y trompa pas et les applaudissements juste polis" .   

"Je connais en revanche très bien Magik Malik (depuis 20 ans)avec qui j’ai pu échanger car je le considère comme le virtuose actuel de la flute traversière dans le monde du jazz contemporain.Ce n’est pas seulement un musicien brillant et atypique mais également un humaniste ,je l’apprécie énormément .Je lui ai demandé en discutant « comment tu fais pour ne pas être épuisé car tu as tout donné la? Il a dit « Je le suis «  je le trouve généreux et je pense qu’avec ses musiciens ils ont largement contribué à porter en partie ce spectacle ."

 


vendredi 26 mai 2023

"Harmonies sonores" : Senk, Brahms, Saint-Saens pour un florilège inattendu d'"Harmonies".....

 


Nina Šenk (née en 1982) croit aux pouvoirs des timbres, des harmonies et des rythmes pour eux-mêmes, indépendamment de tout argument extérieur à la musique ; c’est pourquoi elle a baptisé Elements, très sobrement, la pièce que nous entendons au début de ce concert. 
 

Une oeuvre tempétueuse, comme un drame annoncé, les cordes mugissantes,les percussions claires égrenées au loin. Distinctes dans ce flux et reflux sonore ascendant. Comme des vagues qui défilent, déferlent, une tempête fulgurante.Une accalmie pleine de suspens fait suite à ses turbulences grandissantes. L'atmosphère est tendue, inquiétante Des mugissements sourdent de l'orchestre et augurent d'une tornade à venir. Le violon solo dans le silence retrouvé, imperceptible crépuscule sonore dans ce ciel vaste et aérien. Des "éléments" furieux et instables pour un opus bref, court, condensé, une petite"nouvelle" musicale d'une grande beauté.
 

Plus familier bien sûr est le Double concerto de Brahms, emmené ici par deux virtuoses qui n’ont jamais rien abdiqué du souci de l’expression et du lyrisme. D’amblé, un solo de violoncelle introduit par un très bref prologue des cordes. Très inspiré, interprété par Jean Guihen Queyras avec brio, suivi de l'intrusion du violon: le duo s'accordant à merveille déjà dans une douce complicité rythmique. Des masses sonores solennelles les enveloppent, ils se relaient, se répondent, s'invitent avec les autres cordes pour une osmose parfaite des sonorités, des timbres multiples.Une apogée totale, amplifiée, aux volumes grandissants, se profile, comme une tourmente autour des deux solistes. Au coeur du morceau, ils se nichent et s'en détachent sobrement, discrètement.Isabelle Faust, vêtue de couleurs pastels semble ravie et nous convoque à une écoute sensible et habitée.  Second mouvement, place aux vents pour une lenteur, un calme salvateur, très harmonieux, puis plus relevé et dynamique. Avec les cordes à l'unisson d'une atmosphère angevine. Du très beau "travail" d'orfèvre...Deux virtuoses, c'est un cadeau pour l'auditeur qui de plus a droit à un rappel: une "gavotte" rien que pour nous pour éclairer de façon légère et dansante, les possibilités des deux instruments, toujours en osmose, tuilés ou chacun pour soi. Air de danse à deux temps, qui est composé de deux reprises et dont le mouvement est quelquefois vif et gai, quelquefois tendre et lent.
 


 
Pour finir le concert, Aziz Shokhakimov dirigeait l’un des piliers du répertoire orchestral. Saint-Saëns dirigea en personne la création de sa Troisième Symphonie à Londres, quelques semaines avant la mort de Liszt, à qui est dédiée cette œuvre qui s’achève en manière d’apothéose. L'audace de l'académisme au crépuscule du romantisme :on oublie parfois que Saint-Saëns fut un organiste admiré par Liszt et Berlioz ! Sa Symphonie n°3 « avec orgue », immense partition au souffle épique, révèle une étonnante joie de vivre et un sens inné du grand spectacle. Au soir de sa vie, le compositeur se confia : « J’ai donné là tout ce que je pouvais donner… ce que j’ai fait alors, je ne le referais plus. »
 Par une succession d'entrées des instruments, débute l'oeuvre, puis tout se fond dans une montée en puissance singulière. Reprises du leitmotiv par les flûtes: en majesté, dans l'épaisseur des masses sonores puissantes. L'amplitude se détend, l'ampleur de la musique s'épanouit. Du suspens avec l'arrivée des contrebasses et violoncelles en renfort.Un orgue s’immisce dans ce magma sonore où deux pianistes pointent leurs accents toniques. Enveloppés par les cordes au diapason. Tout s'étire, languissante musique onirique. Pour le deuxième mouvement, alerte, tonique, les flutes, vivaces éclairent la composition. Tout s'emballe, légère densité du tonus qui s'inscrit dans cet opus magistral. Comme une chevauchée de cavaliers, portés par le rythme et les balancements de leurs montures. Crescendo des masses sonores pour fêter pouvoir et autorité, l'orgue prégnant, pour transporter, soulever les autres pupitres. Galops, courses folles en icônes inconscientes surgies d'une lecture protéiforme de la musique, si tonique, si vivante. Le chef toujours à l'affut, en alerte, corps engagé pour cette apothéose musicale de grande qualité.
 


 
Programme

NINA ŠENK
Elements, pour grand orchestre
JOHANNES BRAHMS
Double concerto pour violon et violoncelle en la mineur
CAMILLE SAINT-SAËNS
Symphonie n°3 en do mineur « avec orgue »

Distribution Aziz SHOKHAKIMOV direction, Isabelle FAUST violon, Jean-Guihen QUEYRAS violoncelle
Lieu
Palais de la Musique et des Congrès les 24 et 25 MAI

mercredi 24 mai 2023

"Le cabaret de la rose blanche": le chant de l'intime....Radhouane el Meddeb blanc comme un ange...qui traverse toutes les danses du "bassin" du danseur méditerranéen....

 


Travaux Publics Radhouane El Meddeb – Le cabaret de la Rose Blanche

Radhouane El Meddeb, d’origine tunisienne, entre en création avec le désir de créer Le cabaret de la Rose Blanche. « Forme fictive, féérique, festive, généreuse et parfois tragique, mais libérée de toute contrainte, elle donnera à voir un peuple qui a toujours aimé la vie et la liberté. Ce cabaret traversera chant, poésie, théâtre et danse pour mieux dire qui nous sommes aujourd’hui, avec sincérité et émotion. Ce sera nos rêves, nos fantasmes, nos frustrations, nos contradictions, nos fêlures, Tunis… »
Il interrogera, avec les artistes invités, passé et présent à travers l’intime et le collectif.

Un travail en devenir, une expérience à partager en toute simplicité, sobriété, c'est ainsi que le chorégraphe souhaite présenter le travail de son équipe, réduite lors de ce chantier ouvert sur le monde de la création, de sa création: cela va "De Soi" !Hormis la chanteuse, le contrebassiste et une comédienne, ce seront quatre protagonistes du projet de création qui nous ferons le plaisir d'assister à la gestation, la genèse d'un projet murement conçu autour de l'exil, du déplacement, de la "tradition perdue" des cultures, arabes, et bien d'autres de la Méditerranée...L’Égypte, Néfertiti, les idoles de la chanson dans la langue arabe, en espagnol, en italien. Un tour du monde vivant qui démarre au son du piano et des doigts de Sélim Arjoun, jeune compositeur découvert par Radhouane. Evocaton sonore de tons, de sons et de chansons du pays du chorégraphe qu'il va lui même oser chanter seul face à nous dans un très beau et tendre moment d'intimité. Comme on chantait "autrefois" avec et pour ses proches. Quatre interprètes d'une même famille dont deux danseurs Philippe Lebhar et Guillaume Marie, chacun dans une gestuelle propre développée en improvisation et en devenir d'écriture. Ils signent ici évolutions sensuelles et ondoyantes pour Philippe Lebhar, souriant, jouissant d'un plaisir non dissimulé de danser en solo, prologue de cette "démonstration" publique. Danse du bassin -méditerranéen- en diable, bras en couronne déstructurée, les doigts en éventail, cambré au sol dans une offrande lascive à qui voudra. Alors que le piano distille une mélopée ascendante, gamme colorée de perles sonores en boucle, puissante interprétation live d'un épopée musicale inédite, sur mesure. Plus appuyée quand les danseurs apparaissent. Malice et séduction pour l'un, appel et regard provocateur pour l'autre, Guillaume, sur demies pointes ou tressaillant de tout son corps fait corps avec les sonorités complices du musicien très inspiré. Attirance, fierté, sobriété de ses évolutions très personnelles, chevelure bouclée foisonnante comme parure de parade invitant à l'échange. "Venez" semblent nous dire ses mains...Un bref slow entre les deux hommes qui se séparent à nouveau dans l'extase de leur gestuelle implorante ou très pragmatique. Satisfaction, délices, jouissance de la danse dans tout le corps en émoi. Quand Radhouane les rejoint, c'est pour souligner leurs esquisses de tournoiements, qu'il reprend en derviche tourneur et brouille les pistes des références orientalistes. Comme un tableau vivant de ces hommes qui dansent dans des cultures où le tour est enivrant, source de transe, de voyage. Et telle une fin de soirée au cabaret, tout se calme. Les rêves de Philippe qu'il nous conte secrètement, se font cadre, perspectives d'un tableau onirique à la Magritte.. Mise en abime des icônes suggérées dans son texte lu pour support  de divagations salutaires. Au final les quatre hommes se retrouvent en communion fraternelle et musicale...

 Radhouane prend alors la parole pour éclairer ce propos chorégraphique en gestation. Passer de la chanson, de la danse à la musique en faisant corps commun, les écrire ensemble pour mieux impacter l'espace. Pas de numéro de cabaret classique ici qui s'enchaineraient mais une osmose, un glissement sensuel de tous les médias ici convoqués. La danse, territoire de mémoire également pour vitaliser un patrimoine qui perd pied. Ou reste ignoré des jeunes générations. Ludique expérimentation collective , traversée, comme un appel à la dignité: l'exil comme toile de fond, déracinement, peurs et fuites, migrations volontaire ou non. Loin de "chez soi", du coté de chez Radhouane, il fait bond réagir, partager l'aspect humain de la danse, mémoire, patrimoine vivant à porter ensemble. Travailler au delà des frontières, comme un va et vient entre deux mondes révolu et actuel. Vivifier notre regard, notre écoute, serait son credo pour se ressaisir, communiquer humblement mais surement une position, une attitude posturale et intellectuelle de bon aloi. Et de circonstances contre les barricades. De "l'arabo-oriental" d'ailleurs, inspirant et transformé par les écriture musicales et contemporaines . La transmission en figure de proue, gardant les signes et traces du passé comme boussole et indicateur de métamorphose. Un héritage direct et façonné par la culture des multiplicités."La rose blanche" ce film emblématique, source de son inspiration comme référence très discrète. Sublime film, dansé, chanté à foison pour un récit très corporel et visuel. Dramaturgie en sourdine pour ce "quatuor" futur septuor de charme au seuil de sa création...

On songe en filigrane aux tableaux de Djamel Tatah où les corps se meuvent ou interrogent nos attitudes quotidiennes dans une vacuité émotionnelle, intime, secrète, discrète à l'envi.

 

Résidence : LU 15 > VE 26 MAI à Pole Sud

 travaux public le 23 MAI


Conception et chorégraphie : Radhouane El Meddeb
Création musicale : Selim Arjoun
Interprètes danse, chant et musique : Selim Arjoun,Yasmine Dimassi, Radhouane El Meddeb, Philippe Lebhar, Guillaume Marie, Lobna Noomene, Sofiane Saadaoui
Collaboration artistique : Philippe Lebhar
Création costumes : Celestina Agostino
Création maquillage et coiffure : Denis Vidal
Création lumières : Manuel Desfeux
Production, diffusion : Nicolas Gilles

Production : La Compagnie de SOI
Coproduction : Le Manège Scène nationale de Reims / Pôle Sud, CDCN de Strasbourg
Accueil studio : La Ménagerie de Verre, Paris / La Briqueterie, CDCN du Val-de-Marne / Pavillon Noir, CDCN d’Aix-en-Provence, Ballet Prejlocaj
Avec le Soutien de l’Institut Français de Tunis, DRAC Ile-de-France

 
résonance avec le travail du peintre djamel tatah....




"L'esthétique de la résistance": quand l'art et le politique font débat et merveilles! Soulèvement et engagement, du quotidien à la "représentation".

 


CRÉATION AU TNS

L’écrivain Peter Weiss (1916-1982), qui avait fui le régime nazi dès 1935, a consacré les dix dernières années de sa vie à écrire L’Esthétique de la résistance, œuvre majeure de la littérature du XXe siècle. L’action se déroule de 1937 à 1945. Le narrateur, au début jeune ouvrier de 20 ans, y relate son action et celle du milieu ouvrier contre le fascisme. Dans le même temps, il se forge un regard critique en fréquentant les grandes œuvres artistiques de toutes époques, représentant elles-mêmes les catastrophes traversées par l’humanité. Quelle est la force de l’art comme outil d’appréhension du monde et de résistance à l’ordre établi ? Sylvain Creuzevault met en scène le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 47 de l’École du TNS, avec des membres de sa compagnie.


C'est la question de fond de cet opus théâtral atypique que la place de l'Art dans la cité, le politique, l'espace mental et collectif de nos mémoires et de nos actes. Question plus que d'actualité au vu de l'histoire contemporaine et des temps actuels bouleversés..Ce sera la frise de  géants belliqueux  qui sera la première cible de ces digressions, colossal monument de Pergame et qui suscitera  toutes polémiques. S'identifier ou rejeter une oeuvre factice, prégnante représentation des divinités irréelles en rage, icône incontournable et métaphore de l'action, des actes à opérer pour changer le monde. Oeuvre qui sera relayée par d'autres: le" Massacre des innocents"de Brueghel,  les barricades de Goya de "Trois Mai", le "Guernica" de Picasso...Passées à la loupe, décortiquées savamment par un commentaire érudit mais accessible.Comment faire corps avec ces traces et signes quand on est ouvrier, militant, aux antipodes d'une position bourgeoise, une posture intellectuelle, une attitude de recul face à la réalité de l'actualité.

Tout est axé sur cette "esthétique" dérangeante qui hante la résistance, le soulèvement, la révolution. Ce qui tarabuste l'auteur et attise la curiosité et l’intérêt du metteur en scène et de toute cette jeune compagnie en herbe, jeunes pousses du théâtre actuel vivant que ces "apprentis" comédiens déjà aguerris à toutes les disciplines du spectacle vivant.  N'étaient-ils pas eux-mêmes directement engagés physiquement et politiquement dans leur expérience collective et partagée d'occupation de leur lieu de travail, le TNS, durant les opérations de distanciation sociale durant le COVID ? Preuve par six heures de récit haletant incarné par chacun et par le groupe lors de scènes, de séquences fulgurantes sur le sujet. On ne peut tout retenir mais émerge celle de "La librairie" où l'auteur-comédien prodigieux- énumère en cascade des titres d'ouvrages ou de situations, dans un train d'enfer, alors que défilent , frontalement, chacun des protagonistes, dans sa propre gestuelle. Lâchés sur le plateau comme des salves, les silhouettes toutes différentes esquissent leur propre gestuelle, longue envergure baroque pour l'un, tournoiement virtuose pour l'autre, acrobaties ou simple attitude burlesque. Y-a-t-il un chorégraphe dans l'avion à réaction? Pas obligatoirement car chacun semble s'être emparé de son corps et de sa dynamique pour bâtir cette fresque mouvante et tonique. Quelque Rachid Ouramdane ou Loic Touzé pour guide et vecteur d'authenticité. Ou tout simplement un cadre cher à l'école du TNS, ici renforcé par quatre comédiens de la compagnie du Singe, celle du metteur en scène Sylvain Creuzevault. Question d'altérité, de jeu, de "structure" qui architecture et façonne chacun des interprètes à leur dimension. Et vient transcender leur "être ensemble" et être sur scène.Performance saluée par les ovations du public en fin de partie...Autre évocation des Années Folles avec Joséphine Baker, Marlène Dietrich, Arletty incarnées fort judicieusement et chanté dans de justes évocations: un vrai tableau à la Otto Dix ! Quel cadeau, quelle fierté, quelle récompense pour ceux qui œuvrent au quotidien au sein de l'établissement et de l' Ecole du TNS à forger  et former des sensibilités au jeu théâtral d'aujourd'hui !

La scénographie de Loise Beauseigneur et Valentine Lê au diapason : sobriété, efficacité des panneaux convertibles, tantôt barricade, frontières ou écran accueillant les images surdimensionnées des oeuvres d'art citées. Des esthétiques très picturales rappelant des univers inconscients de tableaux expressionnistes, de chorégraphies de Kurt Joos- (la table verte-la grande ville). Les costumes pour éclairer et cerner les multiples personnages dont ce fameux narrateur désopilant, touchant, déterminé qui se plait à surfer sur le hip-hop et slam en compagnie de son compère ouvrier...Gabriel Dahmani .A l'école des cours du soir, du prolétariat...Le récit est haletant, les séquences s'enchainent entre des lever et tirer de rideau transparent.Toutes les évocations temporelles et spatiales déversent du sens et de l'intelligence à propos d'un sujet brûlant qui concerne la profession autant que le public, face à une réalité, artefact en diable. S'engager, se soulever à la Didi Huberman, "ce que nous voyons, ce qui nous regarde", danser  sa vie...Alors qu'autour de soi, le monde gronde et les partis politiques se disputent pouvoir, territoire, espace et encore plein d'autres nuances de gris!

On songe à la dernière oeuvre plastique, étendard de Jean Pierre Raynaud: "Guernica 1937-Ukraine2022" installée dans la cour de la Sorbonne récemment grâce à la complicité de Beaudoin Jannink des éditions Jannink. Un panneau d'interdiction de stationner gigantesque tendu en résonance et correspondante sémantique, face au Guernica de Picasso en reproduction. Signe des temps tumultueux, douloureux que l'art prend en main pour dénoncer et responsabiliser le spectateur.


Ce soir là, à l'Espace Gruber chacun se sent témoin, passeur d'un "message" très fouillé par une grande intelligence(inter-ligere) et une grande empathie avec cette "compagnie" certes éphémère mais soudée comme un puzzle: en "cum-panis" païen, partageant et rompant le pain du labeur poétique et politique de chaque instant; qu'il soit de l'art ou du vécu responsable.

Sylvain Creuzevault est metteur en scène, acteur et directeur artistique de la compagnie Le Singe. Il est artiste associé à L’Odéon-Théâtre de l’Europe et à l’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle. Au TNS, il a créé, en 2016, Angelus Novus AntiFaust et a présenté Banquet Capital en 2019 et Les Frères Karamazov en 2022. Depuis 2017, il est installé à Eymoutiers, en Haute-Vienne, où il a transformé d’anciens abattoirs en lieu de théâtre.

 

Au TNS jusqu'au  28 MAI

lundi 22 mai 2023

"Elisabeth gets her way": la reine en son royaume bien tempéré par un démiurge de l'écriture choré-graphique, Jan Martens: en toute "simplicité...

 


"Elisabeth gets her way" Présenté dans le cadre de la 39e édition du Festival Musique Action

  • Jan Martens- Grip [ Pays-Bas ] Le Théâtre de la Manufacture - Grande Salle, Nancy

  • Elisabeth Chojnacka portrait dansé

Le portrait dansé d’une grande musicienne. Rencontre inattendue et touchante entre un danseur-chorégraphe et le clavecin contemporain.

D’un projet à l’autre, Jan Martens aime changer du tout au tout et se situer là où on ne l’attend pas. Cette fois, il a choisi de se faire presque biographe et de rassembler la matière propre à dessiner une forme de portrait d’une musicienne remarquable. Il s’agit d’Elisabeth Chojnacka, claveciniste hors normes. Elle fut une sorte de muse iconoclaste pour des compositeurs tels que Görecki ou Xenakis. Beaucoup plus qu’une interprète, elle parvint par sa virtuosité et son intelligence à dissocier son instrument du répertoire baroque pour en faire un terrain d’exploration artistique.

Proposant un étonnant tissage d’extraits de documents d’archives et de séquences chorégraphiques, seul en scène, Jan Martens dessine progressivement le portrait d’Elisabeth Chojnacka, celui d’une femme et d’une artiste aussi libre que déterminée. Dans les reflets de l’image de la musicienne et par-delà l’hommage, chacun peut deviner un propos très personnel du chorégraphe concernant son rapport à la musique, au rythme, au mouvement et à la création artistique.


Il semble nous attendre en tenue de training sur le tapis de danse blanc de blanc.Puis d'un petit vestiaire sur la scène, il enfile jaquette-chemise blanche bouffante et legging de camouflage pour esquisser des gestes de danse baroque: ce sera le prologue ou l'introduction à une série de solo, ponctués d'images, d’interviews et d'informations succulentes sur le personnage hors norme de la claveciniste polonaise. Chérie du public et du monde de la musique, égérie de l'instrument trop méconnu, ignoré ou banni de la musique contemporaine. Jan Martens va faire corps et graphie de cette musique cinglante, scintillante et froide, métallique. Des gestes comme des ornements, des frises très raffinées, des postures, attitudes soignées, tirées au cordeau, strictes graphismes dans l'espace habité de toute son énergie. Tétanie, secousses ou petits sur place calculés, griffés par sa signature précise, concise, efficace enluminure de carnets de croquis fulgurants. En slip scintillant sur place ou dans l'obscurité, le voici présent à toutes les musiques, Ferrari,Goreki, Ligeti, Mâche,Bério,Xénakis,Montague et autres compositeurs férus de signatures sonores, de compositions pour le clavecin. C'est nu, allongé qu'il percute de ses pieds comme l'interprète qui se jouait des pédales du clavecin, glissements et caresses des pieds au sol, frôlant le divin.

En équilibre précaire, de profil comme un faune dans un bel après-midi ! De motifs sonores de couleurs chatoyantes répétitifs signés Krauze , il fait sa Lucinda Childs, parcourt l'espace en d'éternels recommencements, bras en volutes tourbillonnantes, au niveau près de chaque port de bras. Le 16 ème siècle anonyme le conduit  sous une douche de lumière à des évolutions  changeantes, en baskets, vêtu de rouge, micro-mouvements collés au corps, distillés, distribués au compte goutte. Élixirs d'une clepsydre magique, fascinante qui distille le temps et déverse à petit flux des gestes d'une rare beauté concise. Marches dans la lumière qui éclaire et élargie l'espace de ses divagations , baroque léger, rapides et brefs ornements des mains, des bras, sauts mesurés dans des flashs lumineux versatiles rehaussant le rythme de la chorégraphie.  Le morceau de bravoure, le Tango de Michael Nyman où sa robe noire moulante, fendue fait corps avec sa danse. Comme les costumes de la claveciniste qui auparavant avoue que l'habit fait le moine... Tours, bras ouverts en autant de manèges classiques enivrants pour dévoiler les secrets de la fascination des évolutions de Childs ou Carlson. Les poings fermés pour seule différence... Courses, petits sauts altiers et précieux, directions décisives et intentions de parcours définis, tracés, écrits de bout en bout. Danse dans un halo de lumière parfaitement rond comme un cercle chamanique. C'est en short, torse nu, vêtu d'un long gang rouge que Jan Martens nous quitte, rampant au sol dans des esquisses de mouvements volubiles de toute beauté. Une performance agile, fulgurante, savante et contenue pour un danseur de toute sa peau, de tous ses regards sur une musique chatoyante, ferme et déterminée comme le jeu averti de l'interprète phare du clavecin bien "tempéré" ! Un hommage vibrant et vivant à une femme soleil irradiant la musique à son zénith, son apogée.

 

Distribution

Chorégraphie et interprétation : Jan Martens
Ingénieur du son documentaire : Yanna Soentjens
Lumière : Elke Verachtert
Costume : Cédric Charlier
Vidéo : liste complète des extraits vidéo (© Archives Ina)
Musique : liste complète des titres à retouver sur www.Grip.House

Montage Vidéo : Sabine Groenewegen
Regards Extérieurs : Marc Vanrunxt, Anne-Lise Brevers et Rudi Meulemans
Direction technique : Michel Spang/Elke Verachtert

 


Pour mémoire

"FUTUR PROCHE" de Jan Martens: dévorer l'espace....


....Et pour les "souvenirs".....Eté 2022

La Cour d'Honneur du Palais des Papes va s'ébranler des variations chorégraphiques signées Jan Martens en compagnie des danseurs survoltés de l'Opera Ballet Vlaanderen...Ils nous attendent assis sur un très long banc, tenue de sport, décontractés, souriants, tranquilles. Et tout démarre en musique: celle de clavecin de Elisabeth Chojnacka qui ne cessera quasi jamais plus d'une heure durant. Accents métalliques, toniques pour accompagner la troupe de danseurs, ivre de mouvement, jetés à corps perdus dans l'immense espace scénique du plateau, vide.Émotion directe, empathie simultanée avec cette horde de corps qui s'anime, se bouscule sans se toucher, se projette à l'envi pour une vision fugitive, fugace, fulgurante.C'est opérationnel et les tours comme des poupées mécaniques qui ne cessent leur manège font office de vocabulaire contemporain hors pair. Car se servir de la technique inouïe de cette discipline pour inonder le plateau d'une telle dynamique  est petit miracle.Ils tournoient sans cesse sous la pression, la tension de la musique magnétisante qui fait naitre une danse rythmique inédite.Percussive, ascensionnelle, directionnelle et parfaitement plaquée aux corps des danseurs galvanisés.Des solo zoomés par le regard,magnifiques en surgissent, s'en détachent sans briser l'esprit de communauté, sauvage, urgente expression des corps.Des images surdimensionnées sur le mur de fond du Palais se glissent aux pieds des danseurs qui ne disparaissent pas pour autant.Une grande vélocité des déplacement, une ivresse du tour, des déboulés, des jetés font de cette architecture mouvante, un manifeste du neuf très audacieux.Le "ballet" des corps magnifiés dans leur singularité sans effacer la technique, l'homogénéité des corps "classiques font de cette oeuvre un manifeste musical et chorégraphique de haute voltige.Le festival d'Avignon décèle à coup sur des talents inédits ou confirmés qui ouvrent des perspectives inédites à l'art chorégraphique de notre temps: la danse comme médium et vecteur de manifestes humains et communautaires de grande importance. Une prise de conscience évidente sur les corps citoyens ou magnifiés pour un bouleversement des comportements à vivre de toute urgence.

 

dimanche 21 mai 2023

Carol Robinson + l'Archipel Nocturne : " The Weather Pieces ": "Blanc de neige": îles flottantes au gré du vent changeant.

 


Carol Robinson + l'Archipel Nocturne
The Weather Pieces 

Coproduction CCAM

Fascinante interprète de la musique d’Éliane Radigue, Giacinto Scelsi, Luigi Nono, Morton Feldman ou Phill Niblock, Carol Robinson développe depuis des années sa propre écriture avec un intérêt marqué pour le dialogue entre instruments acoustiques et électroniques. L’Archipel Nocturne, ensemble créé par Louis-Michel Marion, l’a invitée à écrire une pièce nouvelle et lui transmettre trois autres pièces précédemment créées. Toutes appartiennent à un cycle intitulé The Weather Pieces inspirées par nos perceptions des phénomènes météorologiques. Par leur imprévisibilité, ils nous amènent, parfois pacifiquement, parfois avec violence, à interroger notre rapport à la nature. Pour en donner une traduction musicale, Carol Robinson convoque aussi bien la spatialisation du son que des processus aléatoires avec l’ambition d’atteindre l’expression d’une énergie pure. Blanc de neige, spécifiquement écrite pour l’Archipel Nocturne, convoquera bourrasques cristallines, frottements de crins, nuées de flocons, timbres colorés et granulaires, morsure du froid, scintillements électriques et souffles profonds.

Trois soli en apéritif pour cette création au final en trio "Blanc de neige"qui démarre par un portrait de chacun des protagonistes: ce seront , Le fond de l'air II pour saxophone soprano, Nacarat pour guitare électrique et Black on Green pour contrebasse, qui intègrent toutes les dispositifs d'informatique musicale et de la diffusion singulière.

Violaine Gestalder inaugure le processus de création et nous interprète au saxophone ce "Fond de l'air II", plutôt charmeur et délicieuse mise en bouche d'une musique intérieure discrète et bordée d'un texte susurré en fond sonore . Lui prend le pas, la contrebasse de Louis Michel Marion avec "Black on green", poésie sonore douce et calme évocation d'une météo venteuse. C'est la venue de Christelle Sery avec "Nacarat"qui vient chambouler, bousculer le tout pour des crissements et hurlements de guitare électrique insolente et ravageuse. L'artiste tient la scène et ébouriffe, décoiffe de ses sonorités rugueuses alors que ses mains épousent son instrument avec passion et fougue. Belle présence malicieuse et sensuelle d'une femme qui se joue des conventions avec naturel et détachement. Tenue adéquate et corps engagé pour une prestation forte et convaincante. Au trio de créer ce "Blanc de neige" déconcertant qui mêle les genres avec désinvolture et audace, distanciation et pourtant sensations fébriles. Une météo plutôt prometteuse et scrupuleuse des sons changeants comme le flux des saisons et la versatilité du temps, ce weather si intempestif, incertain et source de divagations multiples: nuages, précipitations, éclaircies et accalmies au programme..

.Carol Robinson : composition • Christelle Sery : guitare électrique • Violaine Gestalder : saxophone • Louis-Michel Marion : contrebasse • Charles Bascou & Carl Faia :  informatique • Christophe Hauser : son

Production : L'Archipel Nocturne • Coproduction : CCAM/Scène Nationale de Vandœuvre.

CCAM, Vandœuvre le 20 Mai dans le cadre de Musique Action



Elsa Biston & HANATSUmiroir : "Attentifs ensemble": à l'affut des sons à pister sous "poursuites", indices d'écoutes et codes de "bonne conduite" d'auditeurs participatifs !

 


Attentifs ensemble

Coproduction CCAM 

Elsa Biston développe des constructions musicales à partir d’objets sonores vibrants, quelque part entre poésie pragmatique et exploration acoustique. C’est donc tout naturellement qu’elle a fait la rencontre de l’Ensemble HANATSUmiroir qui aime franchir les frontières en toute liberté. Ils ont choisi d’interroger la notion d’attention, celle qui nous permet de nous lier les uns aux autres, mais aussi celle que l’on se dispute et qui fait aujourd’hui l’objet d’un véritable commerce. À contre-courant d’un usage de la musique qui permet de se couper du monde, de s’abstraire, Elsa Biston et HANATSUmiroir ont pour ambition de créer une matière sonore qui cherche à développer l’attention à l’autre et la conscience de l’espace partagé. Attentifs ensemble mêle instruments acoustiques, électroniques et textes projetés pour créer un espace d’écoute ludique et apaisé.


Dans une configuration au carré, assis de façon frontale et en miroir, le public est invité à l'écoute des quatre protagonistes du récital à gouter une heure durant l'expérimentation d'une "écoute dirigée", sorte de leçon de bonne conduite, suggérée par des textes et consignes d'écoute inscrites sur une bande lumineuse. Alors, les "rebelles" aux directives, sortez vite car on ne vous lachera pas lors de cette "lec-dem", lecture démonstration digne de celles du chorégraphe Alwin Nikolais ou du training du spectateur de Feldenkrais: suggestions "autoritaires" de bon aloi pour sonder, vivre et ne rien manquer de ce qui vous sera proposé. Écoute d'un instrumentarium étrange, décalé, original: des objets détournés de leur usage quotidien, papier transparent froissé suspendu, partition épinglée au pupitre, bassine et cadre réunis pour percuter de concert, etc...Cela fait sens et résonance, si vous suivrez à la lettre les suggestions d'écoute, d'attitude corporelle suggérée, ligne de postures, à l'affut, en alerte. Pas besoin de ce "commentaire" diriez-vous? Et bien pourquoi pas si "soumettre" docilement en suivant pas à pas le cheminement proposé. Les vibrations se devinent, se dévoilent peu à peu, les plages de liberté d'interprétation des sons se faisant plus dociles ou intuitives. Il faut observer Ayako Okubo faisant corps avec sa flute contrebasse, sorte de monstre sonore et plastique où elle se confond et se font dans le triangle de sa colonne dorsale courbe, avec grâce et volupté. Souffle des narines, de tout le corps, alors que la contrebasse de Louis Siracusa-Schnneider invente des ratures et caresses de son archet ou de ses doigts sur l'instrument. Aux percussions Olivier Maurel est attentif et accompagne cette aventure sonore originale avec intuition et dextérité. Aux commandes acoustiques, c'est la magicienne Elsa Biston qui se taille la part belle en  détectant les instants où enclencher vibrations, souffles, tumultes et amplifications à bon escient. C'est du vivant, du sur mesure haletant de chaque instant qui tient en haleine. Objets inanimés avez vous une âme? Bien sur et cette démonstration quelque peu directive ou scolaire est convaincante. Ensemble, autour de la grosse caisse, c'est un rituel qui se déroule, secret et étrange.Une dramaturgie se dessine à l'écoute de ses visions fantomatiques irréelles quand un son parvient de nulle part et semble rappeler esprits et fantômes à nos mémoires auditives immédiates. Fantômes de l'opus qui inquiète, déroute et nous plonge dans le suspens et mystère de la création musicale. Un bon moment de partage à savourer en toute innocence et sans céder aux danger de la "mallette pédagogique" qui voudrait nous faire croire que nous ne sommes pas capables de détecter seul les subtilités et secrets de fabrication de ces recherches sonores autant que visuelles.

 Elsa Biston : composition, électronique • Ayako Okubo : flûte contrebasse • Olivier Maurel : percussions • Louis Siracusa-Schneider : contrebasse • Raphaël Siefert, Léa Kreutzer : lumières • Maxime Kurvers : collaboration au dispositif 

Ferme du Charmois — Accès par l’allée Jean Legras, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy le 20 MAI dans le cadre de Musique Action piloté par le CCAM de Vandoeuvre

"Carte blanche": Barbara Dang: improvisations, inspirations....Le piano libre....

 

Barbara Dang imagine une randonnée musicale à travers les œuvres de compositeurs qui ont repoussé les limites connues de la création. Cette mise en résonance de pièces courtes pour piano dessine un chemin à travers les époques et les espaces.Héritière d’une transmission musicale éclectique, ses rencontres lui font faire diversion et pratiquer très tôt l’improvisation libre. Son univers sonore se nourrit du répertoire expérimental (Andriessen, Cage, Cardew, Cowell, Feldman, Lucier, Satie...) l’amenant à utiliser des techniques inhabituelles : piano préparé, amplifié, jeu à l’intérieur, intégration du silence et des sons de l’environnement… Elle privilégie l’action musicale pure, le geste s’accompagnant souvent d’objets minutieusement choisis.

Dans la salle du premier étage de la MJC Lillebonne, la voici, frêle silhouette discrète se présentant au public fidèle du festival, modeste interprète qui va se révéler lors de ce "récital solo" plein de grâce et de surprises musicales. Sept pièces vont se succéder, pièces courtes, sortes de "nouvelles musicales" qui s'enchainent à l'envi dans une logique sonore ascendante qui émeut et séduit. Interprète aguerrie à des styles et écritures poly et pluri résonantes, elle se joue des registres et signatures, écritures musicales variées et choisies à l'occasion d'une "matinale" apéritive fort réjouissante. Par la curiosité des oeuvres, leurs colorations diverses et compositions éclectiques et grâce à une technicité, dextérité remarquable. Artiste sensible nous révélant des sonorités proches d'un Debussy ou Ravel au sein de pièces contemporaines, des "préparations" hors pair du piano entre autre. Il faut l'observer créant debout, au dessus du piano, une singulière cuisine instrumentale faite de rajouts de pinces à linge et autres accessoires à la résonance et frappe sensible. Une boite à bijoux, boite de Pandore bienveillante ou cabinet de curiosités musicales. Objets qu'elle manipule, triture ou pince à l'envi par pur plaisir de l'interprétation en direct, devant nous. Son attitude corporelle faisant corps avec le piano ouvert, béant, prêt à tout pour nous inviter à la découverte visuelle d'une musique inédite, savante et plurielle.  Un excellent moment brodé de surprises, d'écoute attentive, tendue, en empathie avec ce risque constant de celui, celle qui ose se livrer devant et avec nous au jeu de l'improvisation personnelle autant qu'à la stricte configuration de l'interprétation d’œuvres écrites par des compositeurs audacieux, iconoclastes et brillants d'inventivité.

Barbara Dang : piano • Production : Muzzix 

Lieu 
MJC Lillebonne — 14 rue du Cheval Blanc, 54000 Nancy le samedi 20 MAI dans le cadre de Musique Action piloté par le CCAM Vandoeuvre


mercredi 17 mai 2023

TRACES : THR(O)UGH + VÏA Damien Jalet + Fouad Boussouf / Ballet du Grand Théâtre de Genève : faire "face" au danger de la soumission....Faire signe, trace et empreinte.

 


THR(O)UGH
est présenté dans le cadre du portrait consacré à Damien Jalet

Dernier rendez-vous avec Damien Jalet, THR(O)UGH s’inspire à la fois des attaques de novembre 2015 et d’un rituel japonais où les hommes chevauchent d’immenses troncs d’arbre. Ceux-ci sont évoqués ici par un imposant cylindre que les danseurs esquivent, franchissent, traversent avec une virtuosité impressionnante. En seconde partie, VÏA évoque la terre et ses tonalités chaudes, la rue et son asphalte, dialoguant avec l’énergie brute de Fouad Boussouf.


Interprétées par le Ballet du Grand Théâtre de Genève, ces deux pièces chorégraphiques révèlent des univers aux esthétiques marquées. Fasciné par les rituels, les états de danger, et la gravité, Damien Jalet, chorégraphe, et Jim Hodges, plasticien new-yorkais, ont créé une pièce où un énorme objet cylindrique, à l’image d’un tunnel ou d’un passage entre naturel et surnaturel, invite les danseurs à interagir. Ce projet a été catalysé par l’expérience personnelle de Damien Jalet comme témoin et survivant des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Pour traiter les images non effaçables de ces atrocités et apaiser un esprit brisé, le tunnel de THR(O)UGH amène le souvenir le plus sombre de la vie du chorégraphe dans une autre lumière. La musique de Christian Fennesz influence la corporalité des danseurs de ce chaos, entre mannequins de crash-test et fantômes. Virtuoses, aléatoires, incandescents, contrôlés, les mouvements témoignent des expériences intenses du vécu collectif. Cette pièce chorégraphique porte les traces du danger, de l’imprévu, de ce moment précis où le temps et le lieu déterminent l’avenir.
 

Tunnel, cocon ou ver à tube marin gigantesque tel les phryganes d'Hubert Duprat (bijoux insectoïdes) doté d'une carapace de camouflage, gris-marron, la "pièce maitresse" sculptée est omniprésente durant toute la durée de cette "nouvelle" chorégraphique sidérante. Un danseur en jaillit comme expulsé dans l'urgence, fusée rapidement suivie des entrées fulgurantes d'autres personnages, communs, vêtus sobrement au quotidien. Ils s'aspirent, s'absorbent les uns les autres, air et terre convoqués dans des déflagrations physiques incessantes et surprenantes. Danse-fusionnelle, enrobée, cathartique, contagieuse de l'un à l'autre, rémanence des images en sempiternel mouvement. Les corps sont à l'unisson, au diapason d'un drame qui se pressent, se devine, s'imagine, muni des indices de lecture chorégraphique signés Damien Jalet. Cette machine broyeuse qui avance jusqu'au bord du plateau fascine, obsède: rouleau compresseur de destinées frappées par un sort détestable et irrévocable. On songe au tank de Roméo Castellucci dans "Tragedia endogonidia #8" qui menaçait le public, frontal et belliqueux instrument de guerre en marche....Image qui colle à la rétine et travaille toujours son impact sur les imaginaires des spectateurs....De ce géant plastique, sculptural, conçu par Jim Hodges la dramaturgie se fait incarnation d'un monstre, ogre menaçant, opérant son triste labeur pour broyer les corps, suspendus encore en apnée dans un espoir de survie, de dernier souffle en suspension: suspens,  pour ce déséquilibre, ce risque. Les hommes et femmes, dix danseurs tentent de manipuler la broyeuse en s'accrochant aux prises de la paroi convexe, tel un mur d'escalade tombé à la renverse, infranchissable obstacle. Le va et vient de duos à terre face à cette bête, font office de flux et reflux, vague phagocytant les êtres...Les corps se dénudent dans ce combat perdu d'avance: un personnage spectral en habit d'urgence argenté, sans visage hante ce tube malfaisant à l'oracle toxique.Attire les autres en son sein dans ses entrailles de baleine à la Moby Dyck...Pas de salut si ce n'est ce tableau d'images fascinantes à la Marey ou Muybridge où les corps se décomposent en mouvements diffractés, décomposés comme dans un kaléidoscope lumineux... Léonard de Vinci, évoqué pour sauver ce monde, bras écartés mouvants au coeur de sa roue du destin. Perspectives dans un miroir réfléchissant une lumière, espoir ou effet d'optique vain. Jan Maertens comme artisan de cette mise en lumière fabuleuse. Christian Fennesz pour une musique en osmose avec cet univers chaotique.La roue tourne cependant inexorable...Les corps gisant pour témoin obsédant d'un drame ici devenu icône universelle d'un terrorisme qui n'est ni illusion, ni magie ou source de rêves et fantasmes de lanterne magique. Troublante danse de l'urgence faite de courses folles, de respirations, de tensions extrêmes: les corps ciblés ne se relèveront pas...
hubert duprat
hubert duprat cylindre

VIA


Pour VÏA, Fouad Boussouf et Ugo Rondinone ont imaginé un plateau lumineux aux tonalités chaudes. L’ambiance est celle des suds ou des étés, comme l’asphalte sous le soleil ou les dunes sous la lumière zénithale. La danse est ramenée à son point d’origine : le sol. Cette origine, pour Fouad Boussouf, c’est aussi la terre africaine, la street et les voies de la danse hip-hop, le chemin urbain que l’on frappe, contre lequel on rebondit, fort. Le mouvement est intense, violent, répétitif, jusqu’à la transe, où le corps fatigué de laisser sa trace, s’écrase, s’arrondit et s’évapore. VÏA est une présence de tous les instants, où il n’y a pas de vraie ou de fausse piste mais de la justesse, voire de la justice. Les danseurs évoluent sur des registres inattendus et leur présence de chaque instant nous émeuvent profondément.

D'un tout autre registre, succède pour cette soirée partagée à la Filature, la pièce de Fouad Boussouf.

Des quatorze interprètes du Ballet de Genève, il fait une exposition très plastiques de tableaux vivants, installations mouvantes et lumineuses d'une plasticité incroyable. Couleurs fondamentales sur lesquelles se découpent au départ des silhouettes vêtues de longues tuniques rouges, quasi mystiques atours votifs. Ébranlées de sursauts, de secousses contagieuses répétitives qui avancent, frontales, décalées ou à l'unisson comme une batterie humaine en marche soudée. L'agencement du groupe en géométrie savante et rythmée comme une architecture tectonique, sévère, au cordeau. Parfois une figure isolée s'en échappe mais regagne vite son giron. Happée, domptée, obéissante, soumise...L'uniformité règne sous ces capuches et vêtements religieux dictée par une musique entêtante... Des pulsations incessantes nourrissent l'écriture chorégraphique sur fond bleu, sol blanc, chasubles rouges...Stricte communauté asservie, assujettie, conquise par une "dictature" policée. Chacun ôte son apparente peau pour dévoiler du bleu comme une chrysalide en métamorphose. Ugo Rondinone comme façonneur de lumières, de couleurs flashy intenses qui font sens et espace.Vont-ils se libérer de cette oppressante identité commune ou rejoindre à nouveau une uniformité contraignante? ..... Unisson et convulsions reprennent le pas martial, quelques solos fluides en suspension viennent ponctuer et aérer cette autorité omniprésente. Le fond de scène se transforme de jaune éclatant sur le bleu des costumes. De petits rebonds en résonance animent les mouvements et les prolongent.  Un art de la pose pour respirer et des échappées belles d'individus pour fuir cette unicité asservissante. La signature de Fouad Boussouf se régale de la disponibilité et de l'écoute des danseurs à intégrer sa gestuelle mais à la décaler par l'effet du nombre: un matériau rare et précieux que ces interprètes galvanisés par la nouveauté et la découverte. La perspective des alignements frontaux qui se déplacent à l'envi, comme signature de l'instant. Un cercle, une élue au centre, aspirée, absorbée par le rythme des autres, aimantée, galvanisée, comme une respiration commune d'un sacrifice annoncé... Des fresques lentes se tracent, reposantes lignes, éphémères frises  en découpe de silhouettes noires. Et puis, c'est le justaucorps jaune qui l'emporte et façonne les corps, "seconde peau sans trou" alors que leurs oripeaux jonchent le sol en fond et devant de scène.


Chrysalides vers une métamorphose? Chaine et maillon de corps mouvants en découpe pour cette communauté de chair, calligraphie plastique en mouvement de toute beauté. La lumière opérant sur cette matière première corporelle si bien modelée. Ces secondes peaux, enveloppes d'une figure de méduse palpitante, géante créature qui pulse, termitière plastique fascinante. Le fond de scène se fait "rose", la musique omniprésente ne disparait jamais de cet espace gouverné par la tyrannie du rythme et de la virtuosité d'une exécution physique et athlétique sans faille. La danse en ricochet d'un corps à l'autre, passation du geste reproduit en cascade uniforme. Et toujours cette palette de couleurs fondamentales "united colors of the dance", ce graphisme à angle droit, carré, rectiligne architecture tectonique, dynamique, organisée, tirée au cordeau. Pas de hasard ici, mais une construction drastique, savante et exécutée par des artistes d'une exigence inaccoutumée entre les mains d'un chorégraphe conquis par l'énergie du groupe qui se révèle moteur d'une machinerie huilée à l'envi.

« La danse jusqu’à la transe
où le corps fatigué de laisser sa trace
s’écrase, s’arrondit et s’évapore »
Fouad Boussouf

A la Filature à Mulhouse le 16 et 17 MAI en coréalisation avec Chaillot Théâtre National de la Danse (et présenté dans le cadre de la programmation Chaillot Nomade)


ugo rondinone


samedi 13 mai 2023

"Madrigals": le micro-string, ceinture noire leur va si bien....

 

Avec Madrigals, Benjamin Abel Meirhaeghe se saisit des Madrigali guerrieri et amorosi, composés en 1638 par Claudio Monteverdi pour en faire une oeuvre située hors du temps.


Dans une caverne étrange aux tonalités mythologiques, l’amour et le combat, qui donnent leur titre à ces chants, s’expriment avec force à travers une communauté débridée et en quête d’elle-même, où l’humain et le divin semblent fusionner. Le mouvement frénétique des corps nus alterne avec les moments de repos. Comme le compositeur prenait ses distances avec la musique religieuse par cette oeuvre tardive de la Renaissance italienne, l’adaptation qu’en propose Meirhaeghe, étoile montante de la scène belge, porte aussi la marque d’une émancipation. Tout en en restituant la beauté première, les interprètes s’approprient les airs, dans une partition qui mêle les instruments classiques et sons électroniques composée par Doon Kanda. Un rituel fait de tensions et de désirs, d’émotions et de sensualité, orchestré par un protagoniste original du théâtre musical contemporain.

 
Ambiance fumigène, une faille dans le rideau de scène, béance, brèche ou vulve, aven "maria" pour une vision curieuse: une femme nue, ou presque puisqu'une ceinture de micro lui tient lieu de cache sexe, string ou ceinture de chasteté. Le ton est donné à ce corpus-dei païen, farci de bruitages évoquant une caverne humide et suintante, un sol granuleux scintillant. Huit interprètes et trois musiciens en "live" pour les cordes. Elle, en solitaire en prologue, anone quelques propos sur "l'énergisé" qui voudrait nous introduire à la lecture d'un texte insensé. Un conteur-chanteur, beau ténor riche en timbre voluptueux excelle dans une prestation qui pourrait sauver le spectacle à lui tout seul... Reptations animales, quatre pattes et portés font office de chorégraphie signée de Sophia Rodriguez, pale mise en espace redondante, courses et occupation du plateau pour combler le vide... Un duo galant plein de facéties, une fresque à la vase grec, une pause à la Faune de Nijinsky, des rondes proches de celles de Rudolf Laban sur le Monte Verita à Ascona... Bref, c'est du copié-collé sans âme où la musique entre chants plus ou moins bien interprétés (n'est pas chanteur qui veut) et mixture indigeste électronique se meut avec peine dans ce fatras. Combats, contacts, trio enlacé, cercle de nymphettes à la Duncan, isadorables créatures perdues dans leur nudité qui n'aura de cesse qu'avec les peignoirs des saluts, qui, pudiquement vont habiller ceux qui pourraient aller se rhabiller. Monteverdi, pas vu, pas entendu, spectre des cavernes spéléologiques où le son du goutte à goutte karstique est celui de deux pailles glougloutant dans des verres de cocktail. Enfantillages... On s'y fait des bisous tendres et le groupe se voudrait dionysiaque, bachique ou communautaire. Rien de tout cela n'émerge, même pas les respirations sismiques terriennes des corps rampant au sol. Un archet vient scier le violon en bord de scène, un feu tribal rituel style scouts d'antan rassemble les interprètes autour d'une guitare. Le chant maladroit d'un interprète à la une pour ce tableau à la Georges De La Tour qui fait de cette veillée commune une pause salutaire mais ennuyeuse. Un Christ suspendu à une corde, mythe païen, sacrifice sans être Araki pour autant, tout s'enchaine jusqu'à une série d'images 3D projetées, sorte de magma de chair artificielle ondoyante, vers de terre glauques et fort laids, repoussant les limites du vulgaire. Erwin Wurm en tremblerait... On sauvegarderait un message où le corps serait le plus bel instrument vocal et chantant, dansant si toutes ces composantes n'étaient absentes. L'utopie revendiquée de ces courses folles sans direction ni intention, sans le poids que revendiquait Laban, est creuse et de cette caverne inondée de fumigène, des rayons lasers semblent danser du bout des bras d'un interprète qui disparait peu à peu. De ce "Feu d’Artifice" à la Giacomo Balla, rien ne surgit excepté l'éblouissement pour le public de cette verdure fluorescente déplacée. Ballet de faisceaux caricatural à souhait. Douche de fumées pour calmer et caresser les corps, soins de cette belle carcasse qui est la nôtre dans cet enfer rouge qui contraste avec l'Eden évoqué auparavant. Paradis définitivement perdu quand des toiles suspendues font office de scénographie finale. "What about the cave men" ? On vous laisse trouver la réponse dans le chant final à capella où la jubilation prendrait le pas si la lourdeur de tout le reste n'était que poids du monde et ennui contagieux. Alors que reste-t-il de Monteverdi quand par bonheur quelques références resurgissent (Le Couronnement de Poppée" de Anne Teresa de Keersmaeker (Ottone Ottone) ou d'Evgeny Titov)...... Et les ceintures noires coupant les corps en deux parties, de revêtir une fonction esthétique du plus mauvais gout. Un "démiurge" de la scène belge se profile, alors où sont les Platel, Fabre et autres trublions iconoclastes de toute une génération explosive de talents scéniques révolutionnaires..?

 

Benjamin Abel Meirhaeghe est né en Belgique (Flandre) en 1995. Il quitte sa ville natale pour intégrer l’École d’art Ottogracht de Gand, où il est remarqué notamment pour sa voix de contre-ténor. Il suit ensuite une formation en arts de la performance à l’Académie de théâtre de Maastricht dont il sort diplômé en 2018.
Son projet de fin d’études intitulé The Ballet est un projet démesuré, créé avec le danseur Emiel Vandenberghe. Depuis lors, il met en scène des œuvres hybrides qui combinent opéra, danse et performance pour des grands plateaux.

 

Au Maillon jusqu'au 12 MAI

jeudi 11 mai 2023

Claudine Simon: anatomie du clavier.....Autopsie d'un instrument à réinventer.

 


Claudine Simon est pianiste, artiste, improvisatrice, elle développe un travail de création sonore qui s’attache à expérimenter, en l’hybridant, la facture et les capacités de son instrument. Musicienne polyvalente, elle manifeste un goût pour les écritures de frontières entre musique, danse et théâtre.Elle conçoit Pianomachine, un dispositif qui intervient au coeur du piano, de sa structure, transforme son timbre, sa lutherie, met en question son unité d’organisme. En modelant les capacités sonores de l’instrument, elle ouvre un nouvel espace de jeu qui lui permet de travailler dans ses marges, dans ses entrailles et c’est sa propre grammaire sonore qu’elle peut revisiter et régénérer.

// Concert // Musique contemporaine // work in progress
 
Elle présente ce 11 mai à la BNU Strasbourg une étape de création d'une autre œuvre en solo en gestation. Dans le cadre de "Oh les femmes" de Sturmproduction et son évocation d'un "matrimoine" musical fort à propos. 

Il s’agit pour elle d’établir des passerelles entre des sensibilités, des perceptions, entre différents langages pour approcher les multiples aspects du sensible. Et la voici dans ce répertoire inédit pour "piano étendu" façonné en direct devant nos yeux, actifs à l'écoute musicale si singulière. Improvisation totale pour cette artiste qui joue sur le fil, la corde raide et tendue d'un instrument percussif inattendu. Deux préludes de Debussy vont inspirer sa performance:" Les cathédrales englouties" et  "Des pas dans la neige". A la première écoute on pressent son inspiration qui peu à peu se dérobe, disparait puis s'épuise dans une totale fuite et fugue personnelle. Des entrailles du piano, telle une chirurgie anatomique, elle extrait des sons improbables, glisse autour de son établi, debout sur son tableau de bord. Telle une cheffe cuisinière au piano, elle égrène en caresses et douceur, avec tendresse les entrailles de son instrument. Dissection joyeuse et mystérieuse, autopsie savante et maitrisée d'un engin à dompter.Marteaux sans mètre ou sans maitresse de maison close dans un bloc opératoire, laboratoire clinique qui ne serait surtout pas aseptisé.Glissades, frottements, dérapages contrôlés, grincements, racles, râles dans un doigté affiné, câlin. Ustensiles d'une cuisine raffinée, déstructurée, des roulements à bille, des craquelures, de la pluie surgissent, d'infimes vibrations résonnent. La reprise d'une phrase rythmique, d'une gestuelle appropriée fait signe et sens et de là nait une dramaturgie naturelle, s'ébauchent des paysages sonores troubles, confus, évanescents. Onirique panorama vivant d'une musique qui s'invente, se cherche et se trouve, comme on touille dans un chaudron une potion magique inouïe. Elle frappe, mélange les tons, pince les cordes à l'envi mesurée, toujours. A l'intuition, dans de l'audace et pour le plus bel étonnement de celui qui écoute, regarde et pressent une aventure musicale singulière. Des sirènes en longues tenues pour faire rêver et approfondir les sons, étirer le temps et l'espace sonore. Claudine Simon, alchimiste du piano inaccoutumé .Intempestif...

Formée au CNSMD de Paris auprès de Jean-François Heisser, Pierre-Laurent Aimard, Alain Savouret, elle fait de nombreuses rencontres qui nourrissent son parcours et sa pratique artistique. Comme soliste, elle se produit à l’Opéra de Lyon, la Roque d’Anthéron, l’Opéra Comique, la Cité de la Musique, au festival d’Aix-en-Provence.. ainsi qu’à l’étranger (tournées en Inde, Chine, Europe…). Dans le même temps, son travail de création se centre sur la conception de performances sonores et scéniques qui lui permettent d’interroger son rapport à l’instrument.
En 2021, elle conçoit Pianomachine, commande du GMEM, qui est une performance dans laquelle elle se confronte à un piano augmenté de systèmes électromécaniques. Elle poursuit actuellement sa recherche en lutherie avec Anatomia, performance sonore et plastique de dissection de l’instrument qui sera créée à Musica à l'automne 2023.


Avec:
Claudine Simon (France) | piano