Les deux pièces dramatiques à l’origine de l’ouvrage, Tsunemasa et Hagoromo, sont issues d’une adaptation réalisée par Ezra Pound durant la Première Guerre mondiale. Le poète américain ne maîtrisait pas la langue japonaise ancienne, mais la fascination grandissante en Occident pour le pays du Soleil-Levant et sa découverte des travaux du japonologue Ernest Fenollosa disparu en 1908 le conduisit à adapter et publier quinze pièces du théâtre nô traditionnel à partir des traductions anglaises de ce dernier. Cet acte d’interprétation littéraire fondé sur la croyance d’Ezra Pound en l’importance fondamentale de la traduction pour le renouveau de l’art et de la société influencera le théâtre occidental durant plus d’un siècle. Sous l’influence d’Aleksi Barrière, la notion de « traduction », aussi bien comme pratique, comme méthode et comme éthos apparaît ainsi mise en abyme dans Only the sound remains, comme elle transparaît également dans le dernier opéra de Kaija Saariaho, Innocence, créé au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2021, à travers l’utilisation de neuf langues différentes.
Un opéra contemporain se salue toujours et voici une autre oeuvre de la compositrice saluée cette édition par le festival Musica. À propos des deux récits qu’elle a choisi de mettre en musique, et qui prennent ici les titres Always Strong (Toujours fort) et Feather Mantle (Manteau de plumes), la compositrice dit : « D’une certaine façon, toutes les pièces du théâtre nô racontent la même histoire : la rencontre de l’humain et du surnaturel. Mais il n’en demeure pas moins que ces deux pièces sont très contrastées. La première est sombre et angoissante, elle finit dans les ténèbres et dans les flammes, alors que la seconde tend vers la lumière, vers la disparition de l’Ange dans les nuages. »
L'intrigue du livret se résume ainsi:Tsunemasa est un guerrier qui après une mort violente au combat réapparaît dans un temple où il retrouve son luth. Le temps d’une nuit, il se remémore avec nostalgie les plaisirs terrestres et fait résonner une dernière fois son instrument. Hagoromo est quant à lui un pêcheur qui s’approprie un vêtement qu’il trouve suspendu à une branche. Une jeune nymphe lui demande alors sa restitution afin de regagner les cieux. Elle promet en échange l’offrande d’une danse.
Saisissante scénographie de circonstance: un immense paravent style papier japonais sur trois perspectives de profondeur se dresse à la verticale pour mieux dessiner les contours physiques de l'action. Les personnages y semblent apparaitre, disparaitre à l'envi, théâtre d'ombres mêles à l'insertion d'images vidéo surdimensionnées.C'est une plongée vertigineuse dans l'univers du Japon, ici évoqué par sa rigueur architecturale.Un orchestre et quatre interprètes chanteurs, au bord de scène enveloppent cette aire de jeu singulière.Les ombres portées y dessinent des silhouettes spectrales, alors que les protagonistes du jeu s'adonnent au chant et à la danse avec bonheur.Le danseur et chorégraphe Kaiji Moriyama s'il immisce dans la narration avec grâce, fluidité, densité. Son énergie, douce et mesurée se fait plus tranchante et évoque la gestuelle du combat, tranchée, vive, saturée de directions affirmées.Dans des gestes lents, extatiques, thorax offert à l'ouverture, il trace son sillon chorégraphique dans ces murailles dressées, verticales, pourtant légères et stabiles.Ses mouvements recueillis, sorte de prière en salutations et révérences souples semblent virtuels, issus déjà d'un univers céleste: ange ou oiseau qui survole l'action, la commente, la souligne sans jamais la paraphraser. Compagnon de cet univers japonisant, sa volupté fait signe et module l'atmosphère engendrant calme autant que radicalité de ses propos gestuels évocateurs.Spectre ou être réel, à vous de trancher ou de rêver à ses apparitions fugaces...De blanc vêtu, désincarné, fantôme ou ectoplasme évanescent.Les deux ténors jouant de leur timbre de voix, de leur corps avec également beaucoup d'aisance Notons la splendeur de la voix de contre-ténor |de Michał Sławecki, haute voltige vocale et clarté à l'appui pour incarner un personnage menacé, poursuivi.Alors que sur la toile des signes calligraphiques se tracent comme des volutes instantanées qui épousent le phrasé musical de l'orchestre, discret personnage, l'intrigue nous mène au dénouement.Encre jetée par un geste pictural direct ou enlacé, ces enluminures sobres toutes japonaises s'unissent à la danse qui les double.Figures, postures et allures proches du théâtre kabuki, la danse est fulgurante, rapide, efficace, tracée d'un seul jet.Chanteur et danseur vêtus de noir, de blanc, s'unissent en contraste pour de très belles images.
La seconde partie, plus radicale encore dans la scénographie à la verticalité omniprésente, fait la part belle à l'Ange, annonciateur, toujours paré de blancs atours vaporeux, évoquant plumes, ailes et autres ornements, pour mieux prolonger la source d'énergie de chaque mouvement.Choeur de flûtes en soutient, récitants-chanteurs en bordure , le danseur traverse l'espace, gracieux, danse de plaisir et d'épanouissement, offrande et extase liées au corps dansant de ce bel interprète, auteur de sa gestuelle: sur mesure assurément.
"Seul le son reste" mais la danse y est fondement et architecture, autant musicale que corporelle....
première française de la nouvelle production
direction musicale | Ernest Martínez Izquierdo
mise en scène et vidéo | Aleksi Barrière
scénographie et costumes |
Aleksi Barrière, Étienne Exbrayat
lumières | Étienne Exbrayat
assistanat à la mise en scène | Yasuhiro Miura
design sonore | Christophe Lebreton
contre-ténor | Michał Sławecki
baryton | Bryan Murray
danse | Kaiji Moriyama
flûtes | Camilla Hoitenga
kantele | Eija Kankaanranta
percussions | Mitsunori Kambe
Solistes du chœur de chambre du Palau de la Música
soprano | Linnéa Sundfær Casserly
mezzo-soprano | Mariona Llobera
ténor | Matthew Thomson
baryton | Joan Miquel Muñoz
Quatuor Ardeo
violons | Carole Petitdemange, Mi-Sa Yang
alto | Yuko Hara
violoncelle | Matthijs Broersma
Au Maillon dans le cadre du Festival MUSICA
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