Première Biennale de sculptures contemporaines à Bischwiller: événement à marquer d'une pierre blanche! Sous la ligne éditoriale et direction artistique de Germain Roesz voici un parcours, une balade dans l'espace commun de la cité. Une audacieuse initiative qui honore le mouvement et ses déclinaisons au sein du médium "sculpture". Quatre artistes de renommée internationale et transfrontaliers s'emparent judicieusement des trottoirs, des places, des "endroits" visibles ou plus discrets: comme un espace de dialogue entre le citoyen, l'habitant, le chaland et ses lieux de passages, de déambulation, de transition.
Mouvements des corps dans la ville, associés aux mouvements, oscillations ou gravitations des oeuvres de François Weil -sculpteur sur pierre, français-qui investissent le terrain en autant de masses lourdes et pesantes rivées à des axes de rotation ou balancements hallucinants. De la légèreté contenue dans ces structures de lave volcanique de Volvic paradoxalement à l'idée de sculpture statique et hiératique. Déjà les jeunes s'approprient en balançoire couchée, l'une d'elle, comme dans un parc de jeux d'enfants! Oeuvre tranchante et multidirectionnelle comme le serait la danse d'une Carolyn Carlson découpée en axes contradictoires et pivots tournoyants à l'envi sous l'impulsion légère d'une force et volonté humaine. Des ouvrages que l'on découvre sur les pelouses du parc de la cité, agora de la matière sculptée d'aujourd'hui.
Plus loin on rencontre les oeuvres de Armin Göhringer- sculpteur sur bois, allemand- qui intriguent tant les deux matériaux investis sont mimétiques: bois de chêne tronçonné à la chaîne, noirci ou blanchi en grilles ajourées comme des moucharabiehs et métal couleur rouille orangée. Le geste de l'artiste se devine présent, précis, découpé, arrêté juste au bon endroit. Au bon moment. L'effet de couverture, de chemise effectué par le métal entourant la fragilité du bois est rassurant, enveloppant l'oeuvre comme une carapace, un exosquelette protecteur. Car le corps est présent comme une empreinte dans les matériaux, penchants, jamais rectilignes dans leur posture verticale: attitude et allure noble et frustre à la fois. De l'air dans les entailles et entrebâillements du bois, failles ou fêlures, brèche ouverte. Comme l'espace entre le corps et les membres du danseur selon la danseuse et chorégraphe Odile Duboc et sa "mémoire de la matière". Passer à travers, se glisser dans les interstices du matériau pour mieux entrapercevoir les sons, les images vivantes de la cité laborieuse.Un projet "in situ" qui fonctionne comme une surprise, un parloir ou confessionnal païen, citoyen: des instants d'interrogations, puis de méditation très opérationnels. Si l'oeuvre d'art "publique" joue un rôle, celle ci en serait un exemple probant, une réussite esthétique, architecturale de bon aloi. De la "haute couture" pour Bischwiller, ex cité Vestra...
Au détour d'une rue c'est "La cascade" de Sylvie de Meurville qui séduit: proche d'un escalier d'où l'on imaginerait dégringoler une cascade, voici sur la façade d'une bâtisse, comme des nuages découpés, accrochés au mur: pour mieux rêver la ville et regarder en l'air loin du bout de notre nez.
Oeuvre légère suspendue, lyrique et quelque part sonore par sa composition rythmique. Une installation rejoint cette vision onirique du paysage urbain : une nappe de dessins blancs sur la surface du lac, comme une relique vestimentaire, une Ophélie flottante. Corps fleuve, île flottante, nervure comme un circuit veineux. En face, une composition moussue conforte le sens du travail de l'artiste: mimétisme et hommage à la nature, à ses circuits flottants, sa cartographie aquatique. Des ondes sonores en vibrations pour partition auditive.
De quoi réjouit même les habitants de l'étang, petits animaux rongeurs et amateurs d'art contents pour un rien. Ce "Vestra" comme un linceul, une chrysalide , une peau-enveloppe glissant sur l'eau. Le travail de Sylvie de Meurville est un paysage de courbes de niveaux, de flux, de fluidité organique très dansant: la circulation des fluides lui étant familière et terrain, terreau d'investigations multiples dans le paysage du "Land Art" très personnel!
Puis on rencontre les installations de tubes métalliques, signatures de l'artiste Robert Schad : autant de formes qui se dressent sur une patte, se brisent, inversent les directions pour former des tectoniques tranchantes dans le paysage autour de la gare. Un bivouac, une halte, une étape dans ce voyage artistique auquel nous convie la Biennale. Les lignes divergent, se rencontrent laissant toujours vers le ciel ou la terre des possibilités d'évasion, de respiration. Multidirectionnelle toujours. Articulations, soudures des membres très organiques de ces oeuvres comme des corps dansant du hip-hop, du break dance ou du crump. De la danse hachée, en rupture, en segments à la Jean Claude Gallotta ou Daniel Larrieu, chorégraphes minimalistes très éloquents.
"Quand les sculptures dansent" sont bien éloignées du mouvement à la "Carpeau", Carabin ou autre sculpteur de la danse. Plus proche d'un Rodin ou d'un Degas, sculptant des énergies, du repos, de l'immobilité animée , vivante..Les quatre feuilles de ce trèfle riche et porteur de bonheur, de jouissance pour celui qui s'arrête et regarde en chemin sont des atouts majeurs pour l'environnement urbain et Bischwiller peut être fier d'accueillir six mois durant cet éphémère occupation des sols dans un but généreux et partageux inspiré d'une grande rigueur et exigence. On ne s'y trompera pas en parcourant ce circuit bien dosé que l'on empruntera sans modération avec une curiosité croissante au fil de ce sentier de l'âne: brouter des yeux ces opus minéraux au coeur de la ville comme des mets inédits d'un festin convivial. Régalez vous jusqu'au printemps de ce circuit alléchant plein de surprises, de questionnements, de réflexion comme un miroir du monde actuel: ses failles, ses bâillements, ses navigations improbables vers des continents prometteurs de beauté, d'équilibre...en déséquilibre constant comme dans la danse d'aujourd'hui: quand deux média se rencontrent, danse et sculpture deviennent architecture paysagère utopique.
"Paul Valéry nous a appris que la danse est l'invention de l'architecture (je crois dans Eupalinos, de mémoire). Ainsi la sculpture, en tous les cas celle de la biennale parle de constructions extérieures à elle-même (espace, lignes directionnelles, volumes). Elles sont donc habitables en ce sens. "
germain roesz
A Bischwiller jusqu'au mois d'avril 2024
Quatre artistes, 14 œuvres
- Sylvie De Meurville : sculpteuse sur résine (Française) – Les fleuves sont ses sources de création. Trois œuvres seront présentées : deux seront installées dans l’étang « Vestra » et une sur un mur à proximité.
- François Weil : sculpteur sur pierre (Français) – Il recherche le mouvement et l’équilibre dans ses œuvres. Chaque réalisation proposée peut être mise en mouvement par une simple impulsion humaine. Ses sculptures sont visibles le long de la trame verte. Quatre œuvres seront installées dans la trame verte, afin de permettre la mise en mouvement de ces œuvres sans risque.
- Armin Göhringer : sculpteur sur bois (Allemand) – Il crée des sculptures en bois habillées de métal avec un jeu entre équilibre et instabilité. Quatre œuvres seront exposées en centre-ville dans la rue Raymond Poincaré.
- Robert Schad : sculpteur sur métal (Allemand) – Il crée des dessins dans l’espace à partir de tubes en acier massif monumentaux. Ses sculptures sont installées à la gare. Trois œuvres seront installées au niveau du parvis de la gare et du square Charles de Gaulle situé en face de la gare.
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